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_L'Orphelin infortuné ou le portrait du bon frère_(1660) : rester propre au sein de la saleté

Article Citation
XIV (2012): 100–118
Author
Francis Assaf
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Printable PDF, Assaf, 100–118

Je me propose dans cet essai de faire voir comment le héros de L’Orphelin infortuné ou le portrait du bon frère, petit roman d’à peu près 150 pages dans l’édition de 1991, réussit à survivre dans des conditions physiquement et socialement déplorables, tout en maintenant sa propre intégrité morale.

Paru à Paris pour la première fois chez Cardin Besogne en 1660 et republié en 1662 sous le titre Les Aventures[1] tragi-comiques du chevalier de la Gaillardise, le roman présente les aventures —ou plutôt les avanies—d’un jeune garçon, orphelin de bonne heure, en butte à toutes sortes de mauvais traitements de la part de son tuteur et de sa parenté, lesquels font preuve, non seulement d’une méchanceté qui ne se relâche jamais, mais même d’une cruauté allant jusqu’au sadisme. Forcé de fréquenter la lie de la société et souvent tenaillé par la faim et la misère, il sera contraint de vivre d’expédients simplement pour ne pas mourir de faim. Le héros (dont le nom ne sera jamais révélé) réussira à maintenir son intégrité morale —et sa bonne humeur— en dépit des souffrances qui lui sont infligées par des personnages qui sont autant d’exemples de corruption morale. Ses malheurs continueront jusqu’à son entrée dans l’âge adulte et à son établissement au service d’un gentilhomme parisien. Bien qu’il fasse quelques voyages en France, en Hollande et en Allemagne, le cadre principal de l’action est le Paris du temps de Louis XIII, grosso modo entre les années 1620 et 1640[2]. L’extrême malpropreté qui règne dans ce cadre, autant à l’extérieur (rues, places) qu’à l’intérieur (maisons, appartements), non seulement crée une dystopie qui contribue à accentuer ce contraste entre le héros et son environnement, mais renforce puissamment le réalisme de l’ouvrage. J’en parlerai en quelque détail plus loin, en m’appuyant sur des sources historiques, qui viennent soutenir et expliciter les sources littéraires.

Il importe de se pencher sur la nature littéraire de ce texte à la fois peu connu et peu conventionnel. Dernière histoire comique jamais publiée, l’ouvrage est peut-être aussi la plus réaliste et la plus picaresque du genre. César-François Oudin de Préfontaine, l’auteur de ce roman (qui n’a vraisemblablement rien d’autobiographique), est assez obscur. La notice du Dictionnaire des Lettres françaises —XVIIe siècle[3] donne une liste de ses ouvrages mais ses dates sont inconnues. Le catalogue général de la BnF présente également une douzaine de ses titres. Pas trace de lui cependant dans la Biographie universelle, ancienne et moderne (q.v.). Révisée par Emmanuel Bury et Jean Serroy, la notice du Dictionnaire des Lettres françaises —XVIIe siècle (originellement de René Bray) est assez peu flatteuse : elle le décrit comme un « romancier, linguiste et lexicographe d’assez mauvaise vie. » (1008). Citant Lacroix (peut-être Paul Lacroix — 1806–1884)[4], Bray ajoute cependant : « il avait beaucoup d’instruction ; il connaissait les langues et les littératures étrangères, il écrivait en français comme un vrai Gaulois (sic). » On note que sa période d’activité se situe en gros entre 1628 (La Diane des bois —Rouen) et les années 1670.

Pour J. Serroy, la nature picaresque de L’Orphelin infortuné ne fait pas de doute[5]. Sans effectuer une comparaison point par point, dans sa thèse Roman et Réalité, les histoires comiques au XVIIe siècle (q.v.), avec le prototype du roman picaresque, La Vida de Lazarillo de Tormes[6] (548–558), il évoque suffisamment de correspondances pour persuader son lecteur.

Parmi celles-ci [les références littéraires de L’Orphelin infortuné], la plus manifeste est celle du roman picaresque. Sur le modèle espagnol, en adoptant comme lui la forme autobiographique du récit, Préfontaine raconte les aventures d’un malheureux, ballotté par la fortune et soumis aux pires vexations par son entourage[7]. Bien qu’il ne soit pas gueux de naissance, son père étant « un grand homme de lettres» (L’Orphelin infortuné 1[8]), le héros, se retrouvant très tôt orphelin, doit apprendre à ruser pour vivre ; confié à la garde de frères et de sœurs hostiles, il ne peut que compter sur lui-même. Passant de maître en maître, il fait vite l’expérience du malheur et se trouve réduit, comme le picaro, à prendre la fortune comme elle vient, en essayant simplement, à force de fatalisme et de débrouillardise, de rendre sa vie supportable (548–549).

Serroy souligne que, comme dans Lazarillo de Tormes, l’orphelin est en permanence aux prises avec la faim et doit avoir recours à toutes sortes d’expédients simplement pour pouvoir se mettre quelque chose sous la dent[9]. Notons cependant que, comme le font bon nombre de critiques français dès qu’il s’agit de picaresque dans la littérature française, il prend soin de démarquer L’Orphelin infortuné du roman picaresque espagnol, précisant que, en dépit des conditions pénibles qu’il doit endurer, le héros n’est pas un gueux (supra), à l’instar de Lazarillo ou, plus tard, de Guzmán d’Alfarache, le héros du roman éponyme[10]de Mateo Alemán. L’orphelin se dit le fils d’un « grand homme de lettres »[11], ce qui, selon Serroy, le rattache à la bourgeoisie (548–549). Il faut constater toutefois que ce lien avec la bourgeoisie —et les milieux intellectuels— est extrêmement ténu et n’intervient pratiquement jamais dans l’existence du héros, laquelle demeure très peu éloignée de celle d’un gueux.

Dès le premier chapitre, l’orphelin expose son statut de victime perpétuelle, statut dont il n’arrivera à se libérer qu’à la fin du roman. Notons cependant que, loin d’adopter un ton pathétique, l’auteur préfère le mode enjoué, témoin l’incipit du roman :

Mon père fut un grand homme de lettres : non de ceux qui les portent pour les messagers, mais que la science rend illustres et dont la mémoire ne mourra jamais parmi ceux qui comme lui, auront l’honneur de s’attirer cette dignité par leurs mérites (1). 

Précisons que l’identité de ce « grand homme de lettres » ne sera jamais dévoilée, non plus que la mention à sa mort d’une quelconque bibliothèque ou d’un fonds érudit, pour affirmer sa profession. Le frontispice de l’édition originelle (1660) porte ce sous-titre « histoire comique et véritable[12] de ce temps ». L’ouvrage se réclame donc bien de cette veine réaliste de la première moitié du XVIIe siècle. Serroy consacre toute une section de sa thèse à ce qu’il appelle « le roman vrai » (271-285). Sans se référer à L’Orphelin infortuné, il précise que ce qu’un auteur comme André Mareschal[13], par exemple, entend comme la vérité, c’est le fait de traiter la fiction sur le même plan que celle-ci. En restant étroitement focalisé sur des événements et des personnages non seulement réalistes mais carrément terre-à-terre, Préfontaine se conforme précisément à cette notion, légitimant ainsi son sous-titre rhématique[14].

L’auteur établit très vite le cadre du récit, dans ce Paris de Louis XIII lequel, loin d’être un locus amoenus lui est, dès son jeune âge, un lieu de tourments et de misère :

Je pris naissance en Paris, la capitale des Gaules et ma vie, à ce que j’ai ouï dire plusieurs fois, étant lors trop jeune pour me souvenir de cet article, commença à être traversée par le changement de quatorze nourrices, dont trois tachées de ce mal que les Napolitains appellent mal français et quatre ou cinq fort adonnées à la liqueur bachique […] Étant donc hors des mains de la dernière et échappé plusieurs fois de celles de la mort, je ne sais comment, avec les soins de ma mère et le bon air des champs où elle me fit porter […] j’atteignis l’âge de cinq ans.  (7–8) 

Sa mère meurt bientôt, suivie de près dans la tombe par son père. A la mort de celui-ci, il est confié (vers l’âge de sept ans) à sa demi-sœur aînée, qui se révèle, avec son mari, d’une nature monstrueuse, poursuivant l’enfant d’une haine implacable. On reçoit de la part du héros-narrateur au chapitre II (11–12) une explication lucide et fort détaillée des traitements à lui infligés : les enfants d’un second mariage sont toujours traités avec hostilité par ceux du premier. A noter qu’il ne montre aucune amertume en exposant cette situation, mais fait preuve d’un détachement presque clinique, qui contribue à renforcer l’aspect picaresque du roman.

Sa vie n’est qu’une série de mauvais traitements, suivis d’un mariage malheureux et de tentatives ruineuses dans le commerce. On reviendra sur ce point. Le milieu dans lequel évolue le héros serait cauchemardesque, tragique même, si le cadre sordide et les mauvais traitements l’avaient rendu méchant et vindicatif. Mais ce n’est pas le cas ; l’orphelin s’arrange pour conserver sa bonne humeur malgré tout et, sans aller jusqu’à pardonner formellement[15] à ceux qui l’ont cruellement tourmenté dans son enfance et sa jeunesse, il n’exprime jamais ouvertement de haine pour eux.

L’auteur décrit sans la moindre indulgence la malpropreté physique qui régnait de manière quasi-universelle dans certains lieux de Paris et parmi certaines couches de la population et qui correspond bien ici à la méchanceté de sa demi-sœur, de son beau-frère et d’autres parents. Nous avons en particulier des descriptions assez saisissantes de la saleté repoussante de certains intérieurs, encore qu’il passe sous silence la « crotte » qui infectait rues et places, et dont certains historiens nous ont laissé une idée assez précise.  Comme on l’a dit plus haut, cette malpropreté  est concomitante avec les souffrances physiques et morales qu’endure l’orphelin de la part de sa parenté et de ceux qui sont chargés de son éducation : coups, brimades, privations, voire même la maladie et les accidents graves sont son lot quasi-quotidien.  Et pourtant, l’auteur précise dans l’avertissement « Au lecteur » :

Mais avec tous les désordres et fâcheux inconvénients qu’il a soutenus, s’étant même trouvé engagé contre son inclination en la fréquentation de plusieurs sortes de gens selon les rencontres, il n’a jamais fait aucune action qui ait pu ternir l’honneur de sa naissance, dont je suis obligé rendre témoignage en sa faveur, avertissant aussi de sa part le lecteur que cette histoire, où est fait un mélange du sérieux et du plaisant, ne lui est pas seulement donnée pour s’en divertir, mais pour en profiter si bon lui semble, sa principale intention étant de blâmer les vices et enseigner moyen de les éviter plutôt que celui de les mettre en usage (4).

L’intention didactique semble ici de convention, mais ce qui est important, c’est le pouvoir d’observation que manifeste l’auteur. Pour être à même d’exprimer, de verbaliser son observation du monde et des instances de désir qu’il y observe, le picaro doit lui-même refuser de s’investir dans le désir afin de conserver la lucidité nécessaire à sa narration. Autrement, il cesse de parler du monde pour ne parler que de lui-même. Paradoxe : tout en racontant à la première personne, le je parle de tout sauf du je[16], c’est-à-dire de ses propres pensées, émotions et sentiments.

Notons qu’en dépit de l’explicit du roman, qui est de l’auteur plutôt que du narrateur, l’orphelin se montre neutre : ni antireligieux, ni fervent.  On donne ci-dessous pour information les dernières paroles de Préfontaine, qu’il ne faut pas attribuer à l’orphelin (noter le discours à la troisième personne) :

L’emploi où présentement il s’occupe[17] et l’estime qu’il tâche de s’acquérir parmi les grands lui fait espérer que la mauvaise fortune se lasse de le traverser, mais comme nous devons tout remettre entre les mains de cette divine Providence, qui est inconnue aux hommes, dont la plus sage conduite n’est pas toujours la maîtresse des événements, s’il lui arrivait que, pensant prendre l’occasion aux cheveux, elle fût fardée et que s’échappant elle lui laissa seulement sa perruque, il s’en faudrait consoler ainsi que de tout le passé, dont je finirai ici le discours en disant pour l’avenir, comme les astrologues, Dieu sur tout (143).

Libertin ou  non, il demeure cependant difficile de nier les aspects les plus importants de la psychologie du héros, qui demeure libre de corruption morale en dépit de ses fréquentations, qui vont de sa famille cruelle aux prostituées et voleurs du Paris de Louis XIII, présenté comme une dystopie pour l’orphelin. Est-ce parce qu’il est un être de haute vertu, ou plutôt parce que faire autrement, c’est s’investir dans le désir et perdre par là son pouvoir verbalisateur ?

Si les mauvais traitements lui viennent surtout de sa famille, les filous et les prostituées, ainsi que les fils de famille dévoyés, avides de s’encanailler dans ce milieu interlope, et qui forment le plus clair de sa compagnie, sont, paradoxalement, plus supportables, lui offrant des occasions de manger et surtout de boire. Remis des graves blessures qu’il avait souffertes en se portant au secours de deux religieux maltraités par des ivrognes (117), l’orphelin se voit à nouveau dans le dénuement et obligé de vivre d’expédients. Tout en étant réduit à fréquenter la racaille, il ne manque pas de préciser :

Puis, ne sachant de quel bois faire flèche, il me fallut continuer à vivre d’invention. Je me remis à chercher l’occasion et à hanter toutes sortes de gens, m’empêchant pourtant de faire aucune action qui me pût apporter du déshonneur[18] car pour le reste, ma vie était souvent à la pointe de l’épée qui, ne ressemblant point à ceux qui ont pris médecine, n’appréhendait point l’air.  (121)

Il faut d’abord noter qu’il considère, comme on l’a dit, les plus basses classes de la société comme plus charitables ou du moins plus bienveillantes que sa propre parenté. Durant sa maladie et sa convalescence, sa demi-sœur ne lui avait pas apporté le moindre secours. Ensuite, on constate que, bien que menant (par nécessité) une vie de gueux, il porte néanmoins une épée (réservée aux nobles en principe), dont il s’était servi pour venir au secours des moines —sans succès, puisqu’il avait été mis à mal lui-même.  L’auteur mêle ainsi habilement réalité et métaphore, puisque l’expression « à la pointe de l’épée » signifie « difficilement, par le moyen d’expédients ». On trouve cette expression dans la fable de La Fontaine Le Loup et le Chien (Livre I, vv. 19–20). Le chien rappelle au loup sa condition précaire ; trouver à manger est toujours problématique :

Car quoi ? rien d’assuré : point de franche lippée
Tout à la pointe de l’épée.

C’est précisément le lot de l’orphelin, pour qui chaque repas, chaque verre de vin constitue un obstacle à surmonter, et dont il ne triomphe souvent que dans la compagnie des marginaux.

Filous et prostituées vont de pair. Ce n’est pas gratuitement que Préfontaine présente celles-ci au lecteur.  L’orphelin note qu’elles sont renfermées dans ce qu’il appelle un banc à coucher[19], meuble qu’il reconnaît (en dépit de sa décrépitude) comme celui où il couchait lui-même lorsqu’il avait été mis chez le maître à écrire, dans sa jeunesse (infra).

Loin de porter un jugement moral sur ces « classes criminelles », il dépeint les prostituées non comme de mauvaises femmes, mais comme de pauvres filles à la merci à la fois de leur maquerelle et de la police[20].  Les artifices auxquels elles ont recours pour aguicher le client inspirent la pitié plutôt que la luxure. L’emprisonnement de l’une d’entre elles donnera lieu à une chanson, vraisemblablement composée, comme une ou deux autres dans l’ouvrage, par l’auteur lui-même, et qu’on pourrait intituler Les Putains-s’en-vont-en-guerre :

La Repaire, au désespoir,
De ce qu’on l’a mise en cage,
Jure qu’elle fera voir
Que ses gens ont du courage,
Qu’elle fera rallier
La plupart de son gibier
Pour faire une compagnie
Des filles de l’industrie.

La Haynaut lui a promis
Faire plusieurs compagnies,
Des putains du temps jadis,
Qui sont ses bonnes amies.
Elle prendra la Franchon,
La Saint-Arnou, la Nanon,
La Charpentier, la Normande,
La du Bois et la Flamande.

Louison et la Canadas
Passeront pour volontaires.
La Hubert, la Saint-Thomas
Ne demeurent pas derrière.
La du Verger, la Forêts
Disent qu’elles iront après
Pour achever ce voyage :
Ce sont mules de bagage. (123–124)

Comme l’on peut voir, cette chanson (dont le texte original ne donne pas la musique) reflète à la fois une certaine verve populaire et fournit un aperçu sociologique  —si mince soit-il— des attitudes des prostituées, qui de toute évidence ne se laissaient pas faire par les forces de l’ordre sans regimber ; les noms ou sobriquets que mentionne l’auteur correspondraient peut-être à des personnes ayant réellement vécu, si l’on s’en tient à ce que dit la notice du Dictionnaire des Lettres françaises  sur son mode de vie[21]. Si tant est qu’on puisse parler de libertinage dans ce roman,  celui de l’orphelin se borne à décrire la corruption morale qui l’entoure, sans porter de jugement dessus et sans s’y immiscer lui-même, ce qui lui permet de demeurer libre d’observer cet environnement et de le commenter.

Sans vouloir présenter L’Orphelin infortuné comme un ouvrage sur l’anthropologie de la délinquance au XVIIe siècle, il est quand même intéressant de noter les exemples et les variations de criminalité (outre la prostitution) que cite l’auteur. Depuis les voleurs de paquets et de paniers qui guettent les provinciaux au débarqué des bateaux ou à l’arrivée des coches jusqu’aux fausses servantes qui, un tison éteint à la main, font semblant de chercher du feu pour s’introduire dans les maisons et les dévaliser, en passant par la femme prétendument enceinte qui va avec une compagne chez une sage-femme pour se faire examiner pendant que la complice fait main basse sur tout ce qu’elle peut, Préfontaine offre un échantillonnage instructif sur les pratiques crapuleuses de l’époque (124–126), sciemment juxtaposé à l’aperçu précédent sur les pratiques de prostitution.  Il demeure cependant muet sur les meurtres qui devaient se produire régulièrement, surtout à la faveur de la nuit, dans les quartiers mal famés de Paris. Pour cela, on peut consulter l’Histoire générale des larrons, de François de Calvi[22].

La corruption, la cruauté, l’avarice vont de pair avec les conditions physiques de malpropreté, dans lesquelles évolue le personnage principal (et les autres aussi, bien sûr…). Inutile de chercher une attitude philosophique : Préfontaine semble éviter sciemment de présenter de quelconques personnages qui puissent faire pendant, soit à l’orphelin, soit aux autres qui peuplent le roman, pour formuler une idéologie qui transcende le sordide quotidien, ce qui tendrait à confirmer le manque d’intention didactique véritable (supra).

Pour l’auteur la malpropreté physique de l’environnement où fonctionne son protagoniste va de soi, c’est pourquoi sans doute il n’en parle pas en détail, ce qui est peut-être une lacune, mais permet d’autre part au lecteur contemporain d’exercer son imagination. On peut aussi se reporter à Furetière, qui un peu plus explicite sur la condition répugnante des rues dans Le Roman Bourgeois (925–927), sorti 6 ans après L’Orphelin infortuné. Mais Furetière ne manifeste aucune velléité de promouvoir l’hygiène publique : ses allusions sont là surtout pour mettre en relief le ridicule du Marquis. C’est pourquoi on doit avoir recours à des sources historiques plutôt que littéraires contemporaines.

On commencera par parler de ces conditions d’hygiène, au double point de vue personnel et urbain. Dans Le Propre et le sale (q.v.), Georges Vigarello met à l’origine de l’abstention de bains et de ses conséquences les épidémies de peste qui sévissaient en Europe aux XVIe et XVIIe siècles (15–16). Sous l’influence des médecins, les pouvoirs publics interdisent l’usage des étuves (bains publics), établies en grand nombre dans les villes principales depuis le XIIe siècle, selon l’article de Monique Closson (1). Pourquoi ? Parce que, selon la Faculté, l’eau chaude dilate les pores et facilite l’entrée de l’air infecté de peste dans le corps.  Vigarello note que, tout en reconnaissant la valeur curative des stations thermales, chose acceptée depuis les Romains, aux XVIe et XVIIe siècles les autorités médicales affirment que l’eau combinée avec la chaleur ouvre le corps à l’invasion de toutes sortes de pathologies, outre la peste (19). Ajoutons que l’Église favorisait elle aussi la fermeture de ces étuves, à cause de la promiscuité sexuelle et de la prostitution qui y régnaient depuis le Moyen Âge.

On peut trouver dans L’Orphelin infortuné deux petits épisodes qui renseignent assez bien le lecteur sur la pratique assez commune de vider les pots de chambre par la fenêtre. Tous deux, au chapitre XIII, mêlent de façon assez révoltante l’amour et l’excrément. Le premier affecte l’orphelin lui-même, qui va soupirer sous les fenêtres d’Aurore, la sœur de son ami, pour laquelle il a conçu (pour la première et la seule fois de sa vie), un véritable amour. Malheureusement, voici comment se solde cette aventure :

 Un soir entre autres, ces gens[23], ayant assurément fait excrémenter chez eux tous ceux de leur connaissance, prirent l’occasion juste de me faire avec ce puant amas non seulement un bonnet de merde, mais l’habillement complet, dans l’espace de deux rues, où je ne puis croire que je ne fusse guetté. (77)

Ce n’est pas seulement une fois, mais sept qu’il se voit la cible de pareils projectiles. Cela indique que c’est la nuit qu’on déversait systématiquement par les fenêtres le contenu des pots de chambre et autres ordures. L’orphelin, c’est le cas de le dire ici, est vraiment infortuné.

Le deuxième consiste en un petit poème qui se veut galant, composé par un ami du héros et dédié à sa belle à lui, et dont voici les deuxième et troisième strophes :

Hier au soir marchant à tâtons[24]
Comme un aveugle sans bâton,
J’arrivai auprès de ta porte
Où une sorcière à sabbat,
Emplit ma tête et mon rabat
D’une puante bourguignotte[25].

Je quittai aussitôt l’amour
Et sans attendre qu’il fût jour
Je retournai dans ma tanière,
Où me fallut changer d’habit,
Donnant au diable le déduit,
La maison et la chambrière. (78–79)

Pour avoir une idée plus générale, cependant, de l’état des rues de Paris sous Louis XIII, il faut se tourner vers l’ouvrage d’Émile Magne sur la vie quotidienne au temps de ce monarque (q.v.) pour se figurer ce que les Parisiens devaient endurer à cette époque. En dépit des efforts du roi pour assainir les rues[26], elles restent immondes. Relevons ce passage :

La puanteur subsiste. La boue ou, pour parler comme les gens du siècle, la « crotte », englue vite le pavé nouvellement posé qui disparaît bientôt sous elle. Elle résiste au balayage et au lavage. Subtil mélange de crottins laissés sur la chaussée par les chevaux, ânes, mulets, bestiaux qui y circulent par myriades, de fumiers débordant des caves et des écuries, de gravois[27] sortis des ateliers et chantiers de construction, de détritus végétaux jetés au hasard par les herbagers forains, de résidus organiques expulsés des écorcheries, tueries et tanneries, le tout pétri sous les roues d’innombrables véhicules, avec la fange des ruisseaux où croupissent les déjections des éviers et des latrines, elle forme, au dire des contemporains, une « moutarde » noirâtre de senteur à la fois cadavérique et sulfureuse, piquante aux narines (24–25).

Roland Mousnier dans son histoire de la capitale (q.v.) observe que cette saleté généralisée nuisait même au commerce et donc au fonctionnement économique de la capitale, qui comptait sur ses différents ports fluviaux pour la plupart des denrées alimentaires consommées par les Parisiens : « En effet [dit-il], les bords de la Seine étaient envasés, remplis d’immondices » (195), ce qui gênait l’abordage des bateaux amenant les denrées alimentaires dans la capitale.

Cent ans plus tard, les choses n’ont pas vraiment changé, comme on peut s’en rendre compte à la lecture du roman de Patrick Süskind Le Parfum (q.v.). L’auteur laisse une description olfactive saisissante du Paris de 1738, donnée ici à titre d’indication, pour confirmer ce que dit Émile Magne du Paris d’un siècle auparavant.  Description romancée bien sûr, mais à la lecture de l’ouvrage, on voit que Süskind s’est bien documenté :

A l’époque dont nous parlons, il régnait dans les villes une puanteur à peine imaginable pour les modernes que nous sommes. Les rues puaient le fumier, les arrière-cours puaient l’urine, les cages d’escalier puaient le bois moisi et la crotte de rat, les cuisines le chou pourri et la graisse de mouton; les pièces d’habitation mal aérées puaient la poussière renfermée, les chambres à coucher puaient les draps graisseux, les courtepointes moites et le remugle âcre des pots de chambre. Les cheminées crachaient une puanteur de soufre. Les tanneries la puanteur de leurs bains corrosifs, et les abattoirs la puanteur du sang caillé. Les gens puaient la sueur et les vêtements non lavés; leurs bouches puaient les dents gâtées, leurs estomacs puaient le jus d’oignons, et leurs corps, dès qu’ils n’étaient plus tout jeunes, puaient le vieux fromage et le lait aigre et les tumeurs éruptives. Les rivières puaient, les places puaient, les églises puaient, cela puait sous les ponts et dans les palais. Le paysan puait comme le prêtre, le compagnon tout comme l’épouse de son maître artisan, la noblesse puait du haut jusqu’en bas, et le roi lui-même puait, il puait comme un fauve et la reine comme une vieille chèvre. Été comme hiver. Car en ce XVIIIe siècle, l’activité délétère des bactéries ne rencontrait encore aucune limite, aussi n’y avait-il aucune activité humaine, qu’elle fût constructive ou destructive, aucune manifestation de la vie en germe ou bien à son déclin, qui ne fût accompagnée de puanteur (9–10).

Il faut noter toutefois que Louis-Sébastien Mercier peint une image fort différente dans son Tableau de Paris (1781), versant olfactif en moins (sauf pour les cheminées). Poétiquement, il dote la capitale de toutes sortes d’attraits dont Magne, Mousnier, Süskind font abstraction. Mais en fait sa description, qui présente le Paris de la fin du XVIIIe siècle, est assez idéalisée pour qu’on puisse dire qu’elle n’est pas très réaliste.

Pour en revenir à L’Orphelin infortuné, c’est au chapitre III que le lecteur est confronté explicitement pour la première fois dans le roman à la malpropreté physique qui entoure le héros.  Ayant été mis en pension chez un maître à écrire de la plus basse classe possible, il décrit ainsi la chambre où il va coucher :

Il y avait avec lui [le maître à écrire chez qui il est mis en pension] une bonne vieille femme qui était sa mère. Il lui donna ordre de me faire coucher et elle me montra le lit qu’on m’avait préparé, qui était une invention faite comme une paire d’armoires, que l’on appelle un banc à coucher, puis elle se retira en un méchant grabat, derrière un morceau de natte volante pendue au plancher[28], qui séparait son alcôve d’avec l’appartement de Monsieur son fils, qui était une chambre du quatrième étage, tapissée d’araignées[29] en quelques endroits et en d’autres de vieux crachats, à qui le temps avait fait prendre diverses figures (15). 

Le roman mentionne également que le logement de ce maître à écrire était si enfumé qu’il l’appelle renardière, c’est-à-dire une tanière de renard[30], sans doute à cause de cheminées tirant mal. Le décor et l’ameublement sordides contrastent avec ce que nous apprend Émile Magne, qui consacre une partie du chapitre IV de son ouvrage au décor et à l’ameublement de la maison bourgeoise et aristocratique à Paris[31]. Ce qu’il ne mentionne pas, c’est l’état ordinaire de propreté des lieux. Il ne nous est donc pas possible de porter un jugement sur ce point à partir de données historiques, contrairement à l’état des rues. On peut supposer que les logements des classes plus aisées ou aristocratiques étaient balayés plus ou moins régulièrement, ce qui ne semble même pas être le cas ici. Le texte  fait mention d’un balai qui a beaucoup servi et que le beau-frère du héros éponyme emploie pour le battre (11). Mais on peut se rapporter aux citations de Magne et de Süskind pour supposer que la toute petite-bourgeoisie, à plus forte raison les classes ouvrières, était assez peu pointilleuse sur les questions de propreté (voir supra le mur constellé de crachats séchés).

L’avarice peut aussi se considérer comme faisant partie des désordres ou de la malpropreté morale auxquels est exposé l’orphelin. Le narrateur offre un échantillonnage détaillé de celle de l’épouse du maître à écrire de l’orphelin.  Que ce soit la viande sur le point de se gâter qu’elle va acheter le jeudi soir à bas prix[32], les tripes mal cuites à dessein pour en limiter la consommation et les poissons qu’elle prépare exprès sans les vider pour qu’on en mange aussi peu que possible, les œufs fêlés et à moitié vides, le lecteur a sous les yeux toute une gamme de pratiques plutôt répugnantes dont le but est de dépenser le moins possible et surtout sur l’orphelin, de façon à économiser au maximum sur sa pension. S’il n’est pas battu chez son maître à écrire, il y est souvent traité en serviteur plutôt qu’en élève et si peu et si mal nourri qu’il est obligé de faire de menus travaux dans le voisinage afin de se payer de quoi manger (25).

Ouvrons ici une parenthèse pour parler de l’innovation narrative et descriptive qui marque L’Orphelin infortuné. Pour cela, il faut se rapporter à l’archétype des histoires comiques, c’est-à-dire l’Histoire comique de Francion (1623). Dans le Troisième Livre, nous faisons connaissance avec le pédant Hortensius, dont Sorel présente de façon comique la ridicule prétention. Il est aussi parcimonieux que la femme du maître à écrire de l’orphelin, rognant au possible sur les frais de nourriture de ses élèves et s’attirant par là toutes sortes de tours de la part de ceux-ci, spécialement Francion (171–180). Ce qui distingue L’Orphelin infortuné  du Francion, toutefois, c’est le degré extrême d’avarice de la femme du maître et le récit aussi sordide que détaillé que donne l’auteur de la manière dont elle s’y prend pour soit nourrir au moindre coût soit même carrément affamer non seulement le héros, mais aussi la petite servante qu’elle a fait venir de la campagne et qu’elle traite au moins aussi mal que son pensionnaire (19). L’âpreté au gain de la femme du maître dépasse de loin la pingrerie somme toute assez comique d’Hortensius. Contrairement au pédant du Francion, qui pourrait passer pour avoir des préoccupations intellectuelles, elle est totalement terre-à-terre, n’ayant en vue que son commerce (elle est marchande de bois à brûler) et l’obsession, voire l’acharnement, de dépenser le moins possible, choses que Préfontaine rapporte avec assez de détail pour donner à penser qu’il s’est documenté d’après des situations véritables, faisant ainsi preuve de plus de réalisme que la plupart de ses confrères auteurs d’histoires comiques. Non seulement on ne voit pas cette avarice concentrée, morne et sans joie dans le Francion[33], mais elle est virtuellement absente d’autres histoires comiques, notamment Le Gascon extravagant, d’O. S. de Claireville (1637) et Le Page disgracié, de Tristan (1642)[34]. J. Serroy n’évoque pas non plus ce topos dans Roman et réalité. D’ailleurs, si Sorel —et, à un moindre degré, Tristan— dépeignent l’avarice surtout dans le but d’en faire la satire, Préfontaine, lui, la donne comme faisant partie de la vie quotidienne, sans aucun commentaire social ou moral.

Si l’avarice, surtout à ce point exacerbé, est un vice moral grave, la saleté physique y constitue un parallèle indéniable. On constate au chapitre IX que, de retour chez sa sœur aînée, il retombe malade. La méchante femme le fait mettre dans une chambre dont voici la description :

Ce taudis où l’on m’avait porté était un petit nid à rats, duquel il y avait à un coin deux ou trois pièces de bois scellées dans la muraille qui composaient un lit, avec de la paille tout usée, menue et pourrie de l’humidité d’une gouttière et tout proche il avait une petite fenêtre au-dessus de l’ouverture d’un privé qui n’était jamais bouché et m’envoyait de très désagréables vapeurs. Ce fut donc là le beau logement qui m’était marqué et où j’ai depuis ce temps-là couché plus de deux ans, ce qui m’a causé de grandes fluctions (57).

Il ajoute que les seuls temps où il n’est pas battu sont ceux durant lesquels il est malade, ce qui lui arrive bien souvent, jusque dans l’âge adulte.

Il ne tombe vraiment amoureux qu’une seule fois dans sa vie (Chs. XII–XIII) et encore cet amour est loin d’être payé de retour. Mais même le rôle d’amoureux transi lui est refusé.  On a parlé plus haut de la relation entre l’amour et l’excrément à laquelle l’auteur semble vouloir donner l’apparence de cause à effet. Après la première douche excrémentielle qu’il subit (supra), une deuxième achève de décourager ses entreprises amoureuses :

Mais ce fut bien pis quand, proche de cette maison dont souvent je me satisfaisais de contempler les dehors, je me sentis accablé non de la vidange d’un bassin à chaire percée, mais je crois d’une cuve entière de toutes sortes de puanteurs parmi lesquelles il y avait quantité de morceaux de verre et de bouteilles cassées, qui me pensèrent diffamer le visage (77).

Ses déboires sont loin de s’arrêter là.  On pourrait penser que son arrivée à l’âge adulte (25 ans) annoncerait la fin de ses malheurs (Ch. XV). Les deux événements qui normalement signifient prospérité et bonheur, c’est-à-dire sa réception dans la corporation des marchands et son mariage sont au contraire un tremplin qui fait rebondir ses malheurs. Sa parenté l’exploite et finit par le mener à la ruine. Quant à la femme qu’il épouse, voici ce qu’il en dit :

Après que j’eus été quelque temps en boutique, je songeai, mais à la male heure et trop tôt pour moi, à me marier. Il se rencontra des occasions avantageuses que mes parents, qui avaient dessein de me voir un jour gueux, détournèrent par leur médisance, mais ils ne s’opposèrent nullement à celle qui fut la cause de ma ruine car j’épousai une fille qui, ayant été mal élevée avec un beau-père avare, grand chicaneur et mal accommodé de biens et une mère qui avait l’esprit comme aliéné, se trouva si mal moriginée[35], qu’elle me donna beaucoup de peine. Elle n’avait aucun sens ni raison et n’en voulait point écouter. Nous avions souvent bruit pour sa grossièreté de langage et elle me disait qu’elle ne voulait pas être gromandée et passer pour ma vassarde, au lieu de dire gourmandée et vassale. Je lui dis une fois qu’elle assommait Ronsard. Elle me répondit qu’elle se moquait de Ronflard, que Ronflard ne lui donnait pas à déneret que je la voulais mettre aux cendres de la terre, pour dire le centre. Enfin au lieu du sommet de la tête, elle voulait que ce fût le sommeil, à cause que quand elle s’endormait, sa tête, disait-elle, se trouvait appesantie (96).

Non seulement elle est sotte et inculte, mais aussi acariâtre et querelleuse, vivant en mauvaise entente perpétuelle avec son mari et une demi-sœur de celui-ci qu’il a recueillie. Cette famille ne durera pas longtemps, le fils que lui donne sa femme étant emporté par la petite vérole à l’âge de onze mois et la femme elle-même peu après, par l’hydropisie.  Cette mort achève de le ruiner.

Il faut noter en passant que cette déformation grotesque de Ronsard en Ronflard est bien la seule référence qui puisse passer pour littéraire dans tout le texte, même si l’allusion implique qu’il ait connaissance de l’œuvre du poète et qu’il en ait fait mention à sa femme. Nulle part ailleurs il n’est fait mention de lui ou de toute autre figure littéraire. Le lien avec la bourgeoisie lettrée que lui attribue Serroy est non seulement, comme on l’a dit plus haut, ténu jusqu’à l’inexistence, mais l’orphelin n’en manifeste aucune conscience, à moins que l’on veuille arguer que son refus de s’encanailler ne soit dû à cette conscience de classe. Malheureusement, il n’existe aucune preuve textuelle de cela.

La malpropreté au physique et au moral, toujours présentes, font de l’environnement urbain une espèce de Cour des Miracles, notamment au chapitre XVII, où l’orphelin  loge, après la ruine de son commerce, dans un immonde galetas en compagnie de trois anciens soldats n’ayant qu’un bras à eux trois et manquant d’un certain nombre de jambes, et qu’il nomme par dérision « demi-chrétiens » (114–115).

Pour sortir de ce lieu insupportable, il cherche à se renflouer en mettant à profit ses connaissances en écriture au Palais de justice. Cette tentative n’aboutit pas (127). On peut la considérer à la fois comme un rappel de son ascendance et une nouvelle marque de la dégradation de sa vie par rapport à celle de son père : le fils de l’homme de lettres ne réussit même pas à être écrivain public ! En fait, même si l’on considère que ce métier pourrait à la rigueur constituer un tremplin —quelque humble qu’il soit— vers l’accès à un statut bourgeois —quelque inférieur qu’il soit— l’orphelin n’arrive pas à amasser assez d’argent pour pouvoir s’élever au-dessus des nécessités quotidiennes de la survie, en butte comme il l’est —ainsi que beaucoup de ses semblables— à l’hostilité des confrères plus anciens, qui veillent jalousement sur leurs privilèges et ne laissent aux plus jeunes que les miettes.

Après cette nouvelle déconfiture, il va connaître bien d’autres péripéties, dont un voyage en Allemagne via les Provinces-Unies pour recueillir la succession d’un frère défunt[36], avant de se caser définitivement comme maître d’hôtel chez un noble parisien et se mariera pour la deuxième fois, sans amour ni joie (ni sans doute plaisir non plus), mais du moins la relation semble stable[37]. Reprenant la parole à la fin de l’ouvrage, l’auteur met (ou remet) en relief  l’honnêteté foncière de l’orphelin :

Et après tout, supposez que ce soit l’histoire d’un particulier, vous trouverez que ses misères étaient capables de le porter à d’étranges extrémités s’il n’avait eu beaucoup de retenue, dont il doit rendre de particulières grâces à Celui qui distribue le don des vertus (142–143).

Du XIXe siècle jusque bien avant dans le XXe, L’Orphelin infortuné fut considéré par certains critiques comme de la sous-littérature ou même de la non-littérature, comme il l’a sans doute été du temps de sa parution. Et, il faut bien reconnaître, le texte présente de nombreuses lacunes et d’inexplicables raccourcis, tout en s’appesantissant sur certains détails somme toute assez banals et qui n’ajoutent pas grand-chose à l’intérêt du texte. Pourtant, si l’on veut se faire une idée de la vie d’un individu des classes inférieures de la société, comme de son environnement physique sordide, dans les années 1620–1640, on aurait du mal à trouver un récit plus authentique, avec tout son pessimisme et son fatalisme, que celui de Préfontaine.

University of Georgia

 

 

 

 

 

 

Ouvrages cités ou consultés

Assaf, Francis. « Le picaresque dans Le Page disgracié de Tristan l’Hermite » Dix-septième siècle, 1979 (4): 339-47.

Calvi, François de. Histoire générale des larrons. Paris : Thomas de La Ruelle, 1628 & Veuve Rigaud, 1640.

Closson, Monique. « Propre comme au Moyen-Age ». Historama, n° 40, 1987. http://medieval.mrugala.net/Bains/Bains.htm

Dictionnaire des Lettres françaisesXVIIe siècle. Édition entièrement révisée sous la direction de Patrick Dandrey.  Paris : Librairie Générale Française (La Pochothèque), 1996.

Furetière, Antoine. Le Roman bourgeois. In Romanciers du XVIIe siècle. Antoine Adam, éd. Paris : Gallimard (Pléiade), 1973.

Magne, Émile. La vie quotidienne au temps de Louis XIII. Paris : Hachette, 1942.

Mercier, Louis-Sébastien. Tableau de Paris (8 tomes). Amsterdam (s.n.), 1782–1783.

Mousnier, Roland.  Paris capitale au temps de Richelieu et de Mazarin.  Paris : Éditions A. Pédone, 1978.

Préfontaine, César-François Oudin de. L’Orphelin infortuné, ou le portrait du bon frère.  Texte établi, présenté et annoté par Francis Assaf. Toulouse : Société de littératures classiques, 1991.

Serroy, Jean.  Roman et réalité : les histoires comiques au XVIIe siècle. Paris : Minard, 1981.

Sorel, Charles.  Histoire comique de Francion.  Pp. 61–527 in Romanciers du XVIIe siècle. Antoine Adam, éd. Paris : Gallimard (Pléiade), 1973.

Süskind, Patrick.  Le Parfum : histoire d’un meurtrier.  Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary.  Paris : Librairie Générale Française (Le Livre de Poche), 1993.

Tristan L’Hermite. Le Page disgracié.  Texte établi par Jean Serroy.  Grenoble : Presses Universitaire de Grenoble, 1981.

Vigarello, Georges. Le Propre et le sale. Paris : Seuil, 1985.


[1]La notice du Dictionnaire des Lettres françaises —XVIIe siècle  (1008) donne un titre erroné: Les Avantages… C’est clairement une coquille.

[2] Une remarque au chapitre V précise qu’il est victime d’un accident survenu au cours des réjouissances célébrant la prise de La Rochelle par les armées royales sous la conduite de Louis XIIIet de Richelieu (29 octobre 1628).

[3]Originellement de René Bray, révisée par Emmanuel Bury et Jean Serroy (1008).

[4]Également connu sous le pseudonyme de « Bibliophile Jacob ». Romancier, historien et bibliothécaire.

[5]Serroy ne relève pas la fin en fausse ouverture comme un aspect contribuant au caractère picaresque d’un roman, mais il évoque abondamment d’autres aspects de la narration. Voir citation infra.

[6]Anonyme (attribué par plusieurs critiques à Diego Hurtado de Mendoza — 1503–1575), Burgos 1554.

[7]Préfontaine a fort bien pu connaître le roman, paru en édition bilingue (espagnol-français) à Paris en 1601, chez Nicolas et Pierre Bonfons. A noter que Serroy ne fait pas mention de cette édition.

[8]La référence est de moi.

[9]Préfontaine explicite d’ailleurs cela au chapitre V, en faisant commenter à son héros les privations de nourriture presque quotidiennes qui lui sont infligées (31).

[10]Vida del pícaro Guzmán de Alfarache. Madrid, 1599–1604.

[11] Voir citation infra.

[12] Les italiques sont de moi.

[13] (16 ??–16 ?? — La Chrysolite, ou le Secret des romans —1634)

[14] Si un titre thématique parle du sujet du livre, un (sous)titre rhématique parle de sa forme.

[15]En dépit de l’explicit du roman : « Dieu sur tout »  (qui est clairement de l’auteur et non du personnage), ni le héros, ni les autres personnages (y compris les membres du clergé), ne manifestent une inclination religieuse sensible.

[16] Pour éviter d’alourdir le présent texte par une longue digression, je renverrai le lecteur à la section de l’introduction de mon édition s’intitulant « Les règles du je » (Introduction, xx–xxi).

[17]Il est maître d’hôtel d’un grand seigneur parisien.

[18] Les italiques sont de moi.

[19] L’auteur décrit cet objet comme « une paire d’armoires », sans élaborer (15).  L’expression ne se trouve pas dans le Dictionnaire universel. Une recherche électronique sur le site du Conservatoire national des Arts et Métiers (www.cnam.fr) n’a rien donné non plus.

[20] Une ordonnance de 1689 signée par Louis XIV punit les prostituées qui se trouveraient en compagnie de soldats en leur fendant le nez et les oreilles.

[21] L’article « prostitution » du Dictionnaire du Grand Siècle (1264–1265) porte surtout sur les efforts de répression et de réhabilitation des prostituées, tout en rapportant —sans donner de détails— les causes de la prostitution au chômage féminin

[22] L’édition de 1640 est plus élaborée que celle de 1628.

[23] Les voisins des parents d’Aurore.

[24]L’ordonnance royale prévoyant l’installation de lanternes aux coins et au milieu de toutes les rues de Paris date du 2 septembre 1667. Voir le site http://www.geopedia.fr/eclairage-public.htmInterrogé le 10 septembre 2012.

[25] Selon le Dictionnaire universel, une bourguignotte est une « arme deffensive pour couvrir la tête d’un homme de guerre» T. I, p. 268 (c’est-à-dire une sorte de casque). Comme on s’en doute, la « bourguignotte » de la chanson est formée d’excréments.

[26] Les rues principales de Paris sont pavées dès 1184, à l’initiative de Philippe-Auguste.  Voir http://www.planete-echo.net/CollecteParis/EugenePoubelle.html. Interrogé le 28 décembre 2010.

[27] Gravats.

[28] Plafond.

[29] Toiles d’araignées.

[30] Une façon de prendre les renards était de les enfumer dans leur terrier.

[31] Il s’est documenté à partir d’inventaires de notaires, d’archives et de plans de l’époque.

[32] Les boucheries sont obligatoirement fermées le vendredi.

[33] On relève une remarque en passant sur l’avarice des paysans dans le Sixième livre (272–273) et le personnage de l’avare Du Buisson aux Huitième et Neuvième livres.

[34] Il parle dans la troisième partie d’un « avare libéral », mais c’est surtout un paradoxe.

[35] Élevée.

[36] Nous sommes alors en 1635. Richelieu a signé avec la Hollande un traité d’alliance offensive et défensive contre l’Espagne le 8 février de la même année.

[37] En fait, le texte ne donne aucun détail sur ce mariage : ni sur la cérémonie, ni sur l’épouse, ni sur les raisons qui ont porté le héros à se remarier.

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Le philosophe La Mothe Le Vayer : spectateur de la « comédie » du monde et explorateur du «globe intellectuel »

Article Citation
XIV (2012): 88–99
Author
Ioana Manea
Article Text

Printable PDF, Manea, 88–99

 

Selon le Dictionnaire du Grand Siècle, le philosophe est surtout celui qui s’occupe de la philosophie naturelle ou de la physique et qui est « presque toujours un savant, mathématicien, physicien, mécanicien, astronome, doublé d’un ingénieur […] ou d’un technicien[1] ». Pourtant, quelle est la pertinence de cette définition pour un philosophe comme La Mothe Le Vayer, dont la carrière littéraire se situe globalement entre les années 1630 et 1670, à une époque de grandes découvertes dans le domaine de la physique ? Encore qu’il soit au courant des récentes découvertes scientifiques, il envisage la démarche du philosophe comme relevant d’un esprit essentiellement critique et dialectique car, à le croire, le « propre du Philosophe est de se questionner, et de se former des doutes à lui-même[2] ». Aussi peut-on se demander en quoi consiste l’activité de ce philosophe qui, du fait de son scepticisme, pratique une « dialectique de l’irrésolution[3] ».  La réponse à cette question, qui constitue le but de notre article, vise à mettre en évidence la manière dont il envisage la méditation, ou l’activité qui est propre au philosophe. L’analyse du rapport de La Mothe Le Vayer aux deux mondes, le globe terrestre ou le monde physique et le globe intellectuel ou le monde des idées, sera essentielle à notre démarche.

1. Prémisses de la méditation

Apparemment moins important, le cadre où se déroulent les méditations de La Mothe Le Vayer n’est pas dépourvu d’intérêt. Adepte de la vie contemplative au détriment de la vie active, l’auteur s’adonne à la méditation dans une « retraite » qui, de même que dans le cas de Montaigne, implique un double éloignement, des occupations de la vie publique et des soucis de la vie domestique[4]. Loin d’être oisifs, le « loisir » ou le « repos » qui représentent les conditions élémentaires de ses méditations, témoignent, d’une part, de son indépendance à l’égard des contraintes de la vie politique ou sociale et, d’autre part, de la « réappropriation du temps comme habitat humain[5] », étranger aux considérations d’ordre religieux.

Divertissements ou « jeux » de « loisir », dont la conception est, à tort ou à raison, présentée comme facile, les méditations qui étoffent les ouvrages de La Mothe Le Vayer ne sont pas à mettre en relation seulement avec les moments de repos au cours desquels elles sont élaborées[6]. Elles sont aussi, il va presque sans dire, le résultat de sa vision de la philosophie. En outre, la façon de « philosopher » de l’auteur correspond seulement en partie à la définition qu’en donne Furetière, tributaire d’un Descartes qu’il cite même en exemple comme le seul à avoir proposé une « nouvelle méthode ». Or, bien qu’elle consiste à « raisonner », l’activité de La Mothe Le Vayer est complètement étrangère à « la recherche des causes de la nature, à la connaissance de Dieu, et de soi-même[7] ». En effet, intéressé surtout par la morale et indifférent aux spéculations métaphysiques, il n’épargne pas les philosophies qui, dans leur tentative d’expliquer le monde, « se vantent de pouvoir discerner le vrai etle certain des choses ». Selon lui, elles sont des « Charlatanes qui promettent beaucoup plus qu’elles ne peuvent tenir[8] », car la vérité et la certitude qu’elles font semblant de détenir ne sont que des tromperies. De ce fait, au cours de sa carrière, il oscille entre le vraisemblable de la Nouvelle Académie et le doute du pyrrhonisme, qui doute de tout, y compris de lui-même. Les méditations que traduisent ses ouvrages sont des « ébatements innocents d’une Sceptique[9] » qui, sauf en matière de religion, ne prend position sur rien. Ni stériles ni opiniâtres, les « ébatements » de La Mothe Le Vayer relèvent du « passetemps ». Ainsi, le divertissement définit la relation de l’auteur avec les deux mondes, physique et spirituel.

2. La Mothe Le Vayer devant la « comédie » du monde

Malgré sa préférence pour la vie contemplative, l’auteur n’ignore pas complètement ce qu’il désigne comme le théâtre du monde, à travers une image baroque qui remonte au stoïcisme de l’Antiquité. Ce faisant, il est au courant de la querelle du théâtre, dont ses ouvrages sont contemporains. Dans cette querelle qui oppose les adeptes du théâtre à leurs adversaires augustiniens, il se range du côté des premiers. Aussi adopte-t-il une position aristotélicienne, en manifestant sa confiance dans la capacité de « représentation de la vie civile[10] » dont dispose le théâtre. Selon la Poétique d’Aristote, l’imitation qui correspond à une forme apporte un réel bénéfice, car elle fait surgir la forme de la substance[11]. Sans entrer dans des considérations sur les arguments utilisés par les défenseurs du théâtre comme la relation entre les passions et la catharsis ou le rapport entre le divertissement et l’eutrapélie[12], La Mothe Le Vayer évoque la dimension pédagogique du théâtre. Toujours est-il que, pour lui, il ne s’agit pas de n’importe quelles comédies, mais des comédies qui sont le résultat d’une nouvelle politique théâtrale. Les « comédies » qu’il défend car, à l’époque, le terme désigne toute pièce de théâtre et non pas seulement la comédie telle que nous la connaissons aujourd’hui, ont été récemment adaptées aux règles de l’ « honnêteté » et de la bienséance. Dans ce sens, elles ont été notamment purgées des « licences honteuses  » de la farce qui, comme il ressort du dictionnaire du Furetière, relève d’un comique bas et s’adresse au peuple.

Il n’est sans doute pas difficile de mesurer la distance qui sépare La Mothe Le Vayer d’un augustinien comme Pierre Nicole qui, dans une lettre dirigée contre Desmarets de Saint-Sorlin, accuse sans ménagements le « poète de théâtre » d’être un « empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles[13] ». Tout comme le philosophe de Platon, le chrétien de Nicole ne doit s’intéresser qu’à la réalité spirituelle, la seule qui soit vraie et qui compte. Selon Platon, l’œuvre du peintre ou du poète dramatique représente un éloignement à troisième degré de la nature. De plus, dans le célèbre mythe de la caverne, les ombres perçues par les spectateurs sont les ombres des spectacles de théâtre, utilisés par Platon pour illustrer l’illusion d’un monde dont la philosophie doit libérer ses disciples[14]. En outre, selon Nicole, dans son éloignement de Dieu le théâtre est d’autant plus coupable qu’il relève de la curiosité, ou de la concupiscence des yeux. Celle-ci est la deuxième des trois concupiscences expliquant les actions humaines dans la vision d’un saint Augustin qui s’inspire de la première lettre de saint Jean. La curiosité intellectuelle est, pour l’évêque d’Hippone, directement liée au spectacle : « Voilà les sources des péchés des hommes, qui naissent tous de ces trois concupiscences marquées par l’Écriture, de l’élevement de l’orgueil, de la curiosité des spectacles, et des plaisirs bas et sensuels[15] ».  

Or, la curiosité que La Mothe Le Vayer essaye de réhabiliter à l’encontre des augustiniens a pour objet métaphorique précisément le théâtre : « Il [l’homme] n’est placé au milieu de la Nature, que pour s’informer de ce qui s’y passe. Le Monde est un Théâtre, sur lequel il peut jeter les yeux de toutes parts[16] ». Parfaitement naturelle, la curiosité est à l’origine des trois vertus intellectuelles, la sagesse, la science et l’intelligence[17]. Toujours est-il qu’en dépeignant le monde ou l’objet de la curiosité comme une pièce de théâtre, par définition source d’illusion, l’auteur est susceptible de suggérer les possibilités limitées du savoir humain, thème récurrent de ses ouvrages. Par exemple, dans les Dialogues faits à l’imitation des Anciens, ouvrage paru sous pseudonyme, l’illusion atteint des dimensions hyperboliques : « toute notre vie n’est, à le bien prendre, qu’une fable, notre connaissance qu’une ânerie, nos certitudes que des contes, bref tout ce monde qu’une farce et perpétuelle comédie[18] ». Ainsi, l’illusion du monde se traduit par la fiction (« fable », « conte »), par l’ « ânerie » dérivée de l’âne, topos de l’ignorance sceptique et par la « comédie », utilisée dans un sens plus restreint, de « farce » ou de pièce qui s’adresse à un public peu cultivé. Quoiqu’il ne soit pas un charlatan, comme il arrive, selon Furetière, dans le cas de vraies farces, Dieu, qui est à l’origine de la « comédie » du monde, n’est pas très complaisant envers la curiosité de ses spectateurs. En se fondant, entre autres, sur le traité pseudo-aristotélicien Du Monde, ainsi que sur les Lois de Platon, La Mothe Le Vayer compare le monde à un gigantesque théâtre de marionnettes, dont le secret des ficelles ou des ressorts est soigneusement gardé par le metteur en scène[19].

Du fait que le monde lui-même, tel qu’il est perçu par les hommes, est une illusion, les philosophes-spectateurs savent, à l’encontre des spectateurs ordinaires, qu’ils n’ont pas besoin d’aller au théâtre pour trouver un monde de l’illusion. Parmi les occurrences de la métaphore du theatrum mundi, celle qui est susceptible de révéler le mieux la relation entre le philosophe et le monde figure dans le dialogue De la Vie privée :

D’autres ont aussi fort à propos considéré ce monde comme un magnifique théâtre, sur lequel tant de sortes de vies, comme autant de divers personnages, sont représentes ; les Philosophes s’y trouvent assis, considérant le tout avec un grand plaisir, cependant que les Princes, les Rois, et les plus grands Monarques, sont autant d’acteurs de la comédie, qui semble ne se jouer que pour le contentement de ces dignes spectateurs[20].

Contrairement au pronom indéfini « autres », qui ne donne pas beaucoup d’informations sur l’identité des philosophes envisageant le monde comme un théâtre, le modalisateur « fort à propos » montre que La Mothe Le Vayer est l’un d’entre eux. Manifestement plus visibles que des acteurs jouant d’autres rôles, les puissants subissent un renversement de perspective qui les rend inférieurs aux philosophes. L’un des indices qui permet de comprendre l’attitude adoptée à l’égard des dirigeants par les philosophes est constitué par la polysémie du terme « comédie » qui, comme on l’a vu, peut, entre autres, désigner une farce ou une comédie. Du fait que la farce met en scène des personnages comme des valets ou des bouffons, les souverains deviennent les bouffons des spectateurs-philosophes. Comme toute pièce du théâtre, la comédie des puissants relève du divertissement à travers le « plaisir » qu’elle procure et aboutit à une conclusion d’ordre moral.

Les réflexions des philosophes sur la « comédie » du monde participent de la morale puisqu’elles révèlent la vanité du spectacle donné par les princes. Ainsi, un spectateur comme La Mothe Le Vayer n’est pas un spectateur quelconque, qui prend pour de bon tout ce qu’il voit et qui est « aisément ébloui » par l’ « éclat et la grandeur », attributs essentiels de la comédie représentée par les Grands. Notre philosophe est un spectateur qui sait ce qui se passe derrière la scène et qui connaît les raisons qui font agir les souverains. Il n’ignore pas qu’au lieu d’être fondées sur un savoir singulier et sur des qualités personnelles hors du commun, les raisons qui sont à l’origine des actions des princes relèvent du hasard, des passions ou de la routine[21]. De plus, il sait aussi que, malgré son extérieur « majestueux et divin », un roi qui tient le sceptre, symbole d’une autorité qu’il impose à travers la loi « à tant d’hommes qui lui sont soumis », n’est pas enviable, mais pitoyable. Au lieu de lui apporter le souverain bonheur, la « grande passion de dominer » qui le gouverne au point de lui faire « foule[r] aux pieds toutes considérations humaines et divines » le tourmente à travers « mille jalousies d’État » et « mille soucis cuisants, qui le tiennent en perpétuelle inquiétude[22] ». Contrairement à la plupart des gouvernés, les philosophes sont capables d’aller au-delà de l’illusion du spectacle dont les protagonistes sont les gouvernants. Ce faisant, ils se rendent compte qu’en dépit du faste qui accompagne leurs représentations, les souverains ne sont que des individus médiocres, travaillés par des passions médiocres.

En raison de son statut de spectateur averti, qui ne se laisse pas tromper par la « comédie » du monde, le philosophe-spectateur dépeint par La Mothe Le Vayer pourrait être mis en parallèle avec Dieu. Dans une perspective religieuse de la métaphore du theatrum mundi, Dieu est l’unique spectateur de la comédie jouée par les hommes[23]. De manière relativement similaire à Dieu, le philosophe La Mothe Le Vayer est un spectateur privilégié du théâtre du monde et des ses acteurs. Toutefois, en dépit de son statut qui le rapproche de Dieu, il ne prétend pas que les conclusions qu’il tire en regardant la « comédie » du monde soient autre chose que des illusions. En développant sa perception d’un Dieu jaloux de ses secrets, La Mothe Le Vayer compare les secrets des souverains aux secrets de la divinité, qu’il serait désastreux d’essayer de dévoiler[24]. Par ailleurs, encore qu’il sache s’amuser en regardant la « comédie » du monde et qu’il n’ait pas besoin d’aller au théâtre pour se divertir, le philosophe préfère s’amuser en méditant.

La Mothe Le Vayer — navigateur autour du « globe intellectuel »

En bon philosophe, La Mothe Le Vayer préfère aux plaisirs que procure le théâtre les « récréations innocentes et philosophiques », qui aboutissent inévitablement à la méditation[25]. Néanmoins, pour pouvoir donner libre cours à sa préférence pour la méditation, il prend comme modèle une certaine catégorie des acteurs de la « comédie » du monde, représentée par les explorateurs qui, par ailleurs, sont susceptibles de susciter son admiration davantage que les souverains. La Mothe Le Vayer est un grand amateur des récits de voyage à travers lesquels les explorateurs décrivent leurs découvertes. Du fait qu’elles assouvissent la curiosité, les relations de voyage donnent naissance à une délectation qui leur vaut d’être appelées « Romans des Philosophes », à travers une expression que l’on retrouve également chez Charles Sorel[26]. En outre, les récits de voyage ne sont pas à l’origine  d’une délectation qui est seulement d’ordre intellectuel, mais aussi d’ordre pratique. Ainsi, ils permettent au philosophe confortablement installé dans son cabinet et jouissant de son loisir de « contempl[er] sûrement » et « sans courir toutes les fortunes des voyages de long cours » ce que les explorateurs ont observé de plus extraordinaire au cours de leurs expéditions[27]. C’est toujours dans le cabinet, terme qui, selon Furetière,  désigne un lieu retiré de la maison, dédié à l’étude, que se déroule la transformation du spectateur de la « comédie » du monde dans un explorateur du « globe intellectuel ». Cette transformation repose sur « l’art de spéculer et méditer », qui se traduit métaphoriquement par une « navigation spirituelle[28] ».

Pour décrire ses navigations autour du globe spirituel, l’auteur se sert des analogies avec les images qui sont associées aux explorateurs et à leurs voyages. Ainsi, les philosophes qui se livrent à ces expéditions autour du monde de l’esprit n’ont rien à envier en matière de courage ou de subtilité aux héros navigateurs comme Christophe Colomb ou comme Tiphys, le pilote des Argonautes. Les navigations autour de l’ « Ocean spirituel » aboutissent à la découverte des « nouveaux mondes » ou des « pays inconnus, pleins de raretés et d’admiration », qui ne sont pas moins spectaculaires que l’Amérique[29].  

Dépeints dans un style baroque, à travers une accumulation des hyperboles, les voyages spirituels que fait l’auteur ont l’avantage de rendre possible une liberté presque illimitée, qui procède de la séparation entre le corps et le monde matériel. Par exemple, ces voyages permettent « de passer d’un Pôle à l’autre sans craindre la zone torride » ou de « faire le tour du monde » « sans courir fortune de mer », « avec le vaisseau appelé la Victoire », allusion au navire de Magellan, le premier à avoir fait le tour du monde[30]. Rappelant les grands accomplissements ou objectifs des explorateurs, les expéditions spirituelles de La Mothe Le Vayer ne concernent pas seulement la rondeur de la Terre, mais aussi la découverte d’un passage par le Nord vers l’Orient. Le philosophe est bien au courant du fait que les Hollandais, grands explorateurs du Nord, font partie de ceux qui recherchent ce passage pour des raisons commerciales. Or, du fait qu’ils sont purement intellectuels et qu’ils relèvent uniquement de la curiosité, ces voyages lui donnent la possibilité d’aller « chercher jusques sous le Pôle » et « sans avoir le cœur touché d’avarice », « un passage vers les richesses de l’Orient »[31]. Ce faisant, il peut être fier de « mépriser avec plus d’assurance que les Hollandais » les périls plus ou moins certains qui sont inhérents aux voyages dans les mers et océans du Nord et qui, de manière hyperbolique, sont représentés par « les montagnes de glace, et les abîmes d’eaux prétendus ».

Par ailleurs, bien qu’ils soient la source d’inspiration la plus apparente du philosophe La Mothe Le Vayer, les voyages des explorateurs ne sont pas les seuls qui étoffent ses « navigations spirituelles ». Les expéditions métaphoriques du philosophe touchent aussi à des questions qui relèvent de la physique ou de la métaphysique et qui, à l’époque, sont parfois à l’origine de vives polémiques. Ainsi, au cours de ses voyages l’auteur aurait la possibilité de mettre à l’épreuve l’héliocentrisme de Copernic, qu’il n’hésite pas à juger « si vraisemblable », en dépit des controverses qu’il soulève. De plus, en s’éloignant davantage du monde terrestre et en devenant plus métaphysiques, ses navigations lui permettraient, entre autres, de constater combien les Anciens « se sont peinés en vain pour accorder la Providence avec les Destinées[32] ». La Mothe Le Vayer pourrait ainsi faire allusion aux débats qui divisent ses contemporains sur les rapports entre la liberté humaine et la grâce divine et qui, similairement à la réflexion des Anciens, sont condamnées à rester stériles.

Ne reculant même pas devant les questions de métaphysique, les « navigations spirituelles » ou les méditations du philosophe sont sans doute de nature à éveiller la curiosité du lecteur. Quel est l’objet et le résultat de ces méditations auxquels le philosophe donne des proportions hyperboliques ? Quoiqu’il semble parfois l’adepte d’une conduite prudente à l’égard de la communication de ses méditations au public[33], La Mothe Le Vayer s’arrête sur elles à plusieurs reprises.

La méditation selon La Mothe Le Vayer       

Grâce à la méditation, La Mothe Le Vayer abandonne le rôle de spectateur de la « comédie » du monde et se transforme en navigateur infatigable autour du « globe intellectuel ». À croire le « songe-creux[34] » qu’est le philosophe, l’« art de méditer » est, entre autres, synonyme de « rêver ». Il met ainsi à profit la polysémie du terme « rêver » qui, selon Furetière, ne désigne pas seulement le raisonnement sérieux qui vise une nouvelle invention, mais aussi une flânerie de l’esprit, qui se déroule lorsqu’on est endormi ou en veille et qui aboutit à des « extravagances ». D’ailleurs, pour Descartes, dans la première de ses Méditations métaphysiques, le rêve est source d’erreur[35]. En ce qui le concerne, La Mothe Le Vayer ne se fait pas d’illusions et se rend bien compte que ses navigations spirituelles ne sont, pour la plupart des individus, adeptes de la vie active ou philosophes dogmatiques, que des extravagances. Cela est d’autant plus évident dans un ouvrage anonyme comme les Dialogues faits à l’imitation des Anciens, où l’auteur pense moins à plaire au public : « Quant à la matière et aux choses que vous verrez ici traitées, à peine un autre moins mon ami que vous se pourrait-il arrêter à choses, ou si légères, ou si extravagantes[36] ».

Bien qu’elles soient à l’origine des flâneries spirituelles, les questions qui font l’objet de ses méditations et qui peuvent sembler des « bagatelles[37] » à un homme d’action, s’intéressant à la vie politique, ne sont pas abordées sans aucune méthode. La « méthode » sur laquelle repose la méditation propre au philosophe La Mothe Le Vayer consiste essentiellement à « philosopher toujours de la circonférence au centre, rapportant tout ce qui se présente de divers endroits à l’imagination et à la mémoire, au thème choisi, comme à un but, pris dès le commencement […][38] ».  Pour ce faire, le philosophe a besoin d’une discipline mentale qui écarte tout ce qui pourrait éloigner l’esprit de l’objet qui imprime la direction à sa méditation.

Ainsi, la méditation à laquelle se livre l’auteur ne participe ni de la dévotion, ni de la démonstration, comme les Méditations cartésiennes, évoquées par Furetière pour illustrer l’une de ses définitions de la méditation. Au fond, elle gravite autour de la même « matière », qu’elle tourne en « cent façons différentes » et à laquelle elle « donne toutes les formes, qu’elle est capable de recevoir[39] ». Aussi peut-elle être mise en parallèle avec le travail du potier qui « fait ce qu’il veut de sa terre argileuse, la remuant à sa fantaisie, selon les lois de son métier ». Flexible, la méditation de La Mothe Le Vayer jouit d’une grande liberté, qui n’évite pas les contradictions[40]. Outre la souplesse de la méditation, la comparaison avec le potier est susceptible d’évoquer l’épisode biblique de la création de l’homme à partir du « limon de la terre[41] ». Cette possible référence biblique pourrait montrer que le philosophe qui s’adonne à la méditation n’est pas seulement un navigateur autour du « globe intellectuel », mais aussi un démiurge, car les nouveaux mondes qu’il découvre tous les jours sont, en réalité, des mondes qu’il crée lui-même.

Rappelant le travail du potier à travers leur plasticité, les méditations de La Mothe Le Vayer ne sont pas décrites en termes hyperboliques seulement lorsqu’il s’agit des voyages métaphoriques sur lesquels ils reposent, mais aussi des résultats auxquels ils aboutissent. Tributaires de la tradition platonicienne, elles ont pour résultat un mouvement ascensionnel, qui débouche sur une « félicité si extatique, qu’elle pourrait passer pour un prélude de celle des bienheureux[42] ». Bien qu’elle soit, entre autres, mise en rapport avec la béatitude associée au paradis chrétien, la joie qui participe des méditations pratiquées par le philosophe est, en réalité, complètement indépendante de la piété. La démarche intellectuelle qui aboutit à une extase d’inspiration platonicienne[43], est complètement solitaire : « Celui, qui sait l’art de méditer, artem Meleteticam, a ce merveilleux avantage, qu’il n’emprunte point d’ailleurs, ni hors de lui, la fin de son opération, et qu’il trouve plus par son moyen et par ses règles dans lui-même, qu’en tout le reste du monde[44] ». Toujours est-il qu’à l’encontre des méditations cartésiennes, les méditations de La Mothe Le Vayer ne visent guère à atteindre la vérité. Le philosophe ne peut fonder la vérité ni sur lui-même, ni sur un Dieu vérace. En effet, il s’agit des méditations reposant sur une irrésolution amenant le philosophe sceptique qui les pratique à « philosophe[r] au jour la journée[45] ».

Le plus souvent, ces méditations, dont le caractère singulier et les proportions hyperboliques suscitent sans doute la curiosité du lecteur, étoffent une écriture qui illustre les interprétations contradictoires d’un même phénomène appartenant au domaine de la morale ou de la physique. Essentiellement nourris d’exemples empruntés aux auteurs de l’Antiquité gréco-romaine et aux relations de voyage, les ouvrages de La Mothe Le Vayer mettent en évidence le caractère relatif des théories ou des coutumes censées rendre compte de la nature et de la morale. Les règles qui sont propres à sa méditation consistent, en fait, à mettre ensemble les innombrables manières dont un fait de morale ou de physique est envisagé à différentes époques de l’histoire et dans différents endroits du monde. Du reste, en abandonnant le globe terrestre pour le « globe intellectuel », il ne se laisse pas dominer par la vanité qui l’amuse chez des acteurs de premier de plan de la « comédie » du monde, comme les princes. En tant que navigateur autour d’un monde intellectuel qu’il parcourt grâce à la méditation, il s’intéresse davantage au voyage qu’à la découverte proprement-dite.

Aussi hyperboliques qu’elles soient, les expéditions de La Mothe Le Vayer autour du globe spirituel relèvent du loisir, du divertissement. Le philosophe est un démiurge qui, à travers une image qui figure dans les Lois de Platon mais que l’on trouve également chez Montaigne[46], crée ses mondes en jouant. De ce fait, ses méditations ne cherchent à dévoiler aucune autre vérité, à part celle qui concerne leur propre incertitude. Contrairement à la plupart des philosophes de son temps qui font des recherches sur la nature, La Mothe Le Vayer soutient que « ce que nous ne savons que par le moyen de la Philosophie, lorsqu’elle conduit seule notre raisonnement, est sujet à mille doutes[47] ». Adepte de la vie contemplative et disciple du scepticisme, il est un spectateur de la « comédie » du monde et un explorateur du « globe intellectuel ».

Réseau Français des Institutes d’Études Avancées



[1]Fr. Bluche (dir.), Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, Fayard, 1990, p. 1199.

[2]Telamon, dans La Mothe Le Vayer, De l’Ignorance louable, Dialogues faits à l’imitation des Anciens, éd. par A. Pessel, Paris, Fayard, 1988, p. 240.

[3]Voir Silvia Giocanti, Penser l’irrésolution. Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer. Trois itinéraires sceptiques, Paris, Champion, 2001, p. 686. 

[4]La Mothe Le Vayer, De l’Action, et du repos, Opuscules ou petits traités, IIe partie (1644), Œuvres, II/II, Dresde, Michel Groell, 1756–1759 (édition en sept volumes, chaque volume étant divisé en deux parties ; ici et après le premier chiffre renvoie au volume, le deuxième à la partie), p. 173.

Voir aussi Michel de Montaigne, Essais, I, XXXIX, éd. par André Tournon, Paris, Imprimerie Nationale, 1998, p. 388–389: « Or, la fin, ce crois-je, en est tout une, d’en vivre plus à loisir et à son aise. Mais on n’en cherche pas toujours bien le chemin : Souvent on pense avoir quitté les affaires, on ne les a que changés. Il n’y a guère moins de tourment au gouvernement d’une famille que d’un état entier ».

Ici et après, nous avons modernisé l’orthographe, mais nous avons gardé la ponctuation et les majuscules.

[5]Voir Bernard Beugnot, Le Discours de la retraite au XVIIe siècle, Paris, PUF, 1996, p. 206–207.

[6]La Mothe Le Vayer, « Préface », Problèmes sceptiques (1666), Œuvres, V/II, op. cit., p. 211 : « l’on ne doit pas trouver mauvais, et le Lecteur ne se scandalisera pas, à ce que je crois, si je lui avoue franchement, qu’encore que je le respecte, autant qu’il se peut, je lui présente ici des jeux de mon loisir, plutôt que des travaux où j’ai apporté beaucoup de circonspection ».  

[7]Entrée « philosopher », dans A. Furetière, Dictionnaire universel, La Haye, Rotterdam, A. et R. Leers, 1701 (1690).

[8]Tubertus Ocella dans La Mothe Le Vayer,La Promenade. VII Dialogue, La Promenade. Dialogues (1662–1663), Œuvres, IV/I, op. cit., p. 221.

[9]La Mothe Le Vayer, « Préface », Problèmes sceptiques, op. cit., p. 211.

[10]La Mothe Le Vayer, Lettre LXXX. Des Récréations honnêtes, Œuvres, VI/II, op. cit., p. 263.

[11]Voir Aristote, Poétique, 1448 b, trad. par Michel Magnien, Paris, Le Livre de Poche, p. 89.

[12]Voir Aristote, Éthique à Nicomaque, IV, 14, trad. par J. Tricot, Paris, Vrin, 2012 (1990) et Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa–IIae, Q. 168, a. 2.

[13]Pierre Nicole, Les Visionnaires, ou seconde partie des lettres sur l’hérésie imaginaire, contenant les huit dernières, Liège, A. Beyers, 1667, p. 51. Voir aussi Laurent Thirouin, L’Aveuglement salutaire. Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique, Paris, Champion, 1997, notamment p. 217–223 et 239–245.

[14]Platon, La République, X, 597, p. 1208 et VII, 514c–515c, p. 1102–1103 dans Œuvres complètes, vol. I, trad. et notes par Jean Robin avec la collaboration de M.-J. Moreau, Paris, Gallimard (coll. de la Pléiade), 1977.

[15]Saint Augustin, Les Confessions, III, 8, trad. par Arnauld d’Andilly, Paris, I. Camusat, P. Le Petit, 1651 (1649), p. 93. Voir aussi Ière Épître de saint Jean, II, 16 (Bible de Sacy).

[16]La Mothe Le Vayer, Lettre XVI. De la Curiosité, Œuvres, VI/I, op. cit., p. 151.

[17]Ibid., p. 150. Voir aussi Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 3, op. cit., p. 300 et saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, I–II, Q. 57, a. 1 et 2.

[18]La Mothe Le Vayer, « Lettre de l’Auteur », Dialogues faits à l’imitation des Anciens, op. cit., p. 14.

[19]La Mothe Le Vayer, VII. Des Monstres, Opuscules, ou petits traités, IVe partie(1647), Œuvres, III/I, op. cit., p. 165–166 et Discours pour montrer, que les doutes de la philosophie sceptique sont de grand usage dans les sciences (1669), Œuvres, V/II, op. cit., p. 46–47. Voir aussi Gianni Paganini, Skepsis. Le débat des Modernes sur le scepticisme, Paris, Vrin, 2008, p. 70–71.

[20]Hesychius, dans La Mothe Le Vayer, De la Vie privée, Dialogues faits à l’imitation des Anciens, op. cit., p. 142.

[21]Voir, entre autres, Orontes, De la Politique, dans La Mothe Le Vayer, Dialogues faits à l’imitation des Anciens, op. cit., p. 412–416.

[22]Ibid., p. 429.

[23]Voir, par exemple, Didier Souiller, La Littérature baroque en Europe, Paris, PUF, 1988, p. 251.

[24]La Mothe Le Vayer, Discours pour montrer, que les doutes de la philosophe sceptique sont de grand usage dans les sciences, op. cit., p. 50–51.

[25]La Mothe Le Vayer, Lettre LXII. De la Méditation, Œuvres, VI/II, op. cit., p. 99–100.

[26]La Mothe Le Vayer, IX. Réflexions sceptiques, dans Discours ou homilies académiques, Œuvres, III/II, op. cit., p. 130 et Charles Sorel, La Bibliothèque française, Paris, La Compagnie des Libraires du Palais, 1664, p. 131–132.

[27]Marcus Bibulus, dans La Mothe Le Vayer, La Promenade. I Dialogue, La Promenade. Dialogues (1662–1663), op. cit., p. 29–30.

[28]Hesychius, dans La Mothe Le Vayer, De la Vie privée, Dialogues faits à l’imitation des Anciens, op. cit., p. 148.

[29]Idem.

[30]Orontes, De la Politique, op. cit., p. 449.

[31] Idem.

[32]Orontes, De la Politique, op. cit., p. 450.

[33]La Mothe Le Vayer, IX. Réflexions Sceptiques., Discours ou homilies académiques, op. cit., p. 118.

[34]La Mothe Le Vayer, Lettre CXXI. Des Abstractions spirituelles, Œuvres, VII/I, op. cit., p. 350–351.

[35]Descartes, Méditations (trad. française, 1647), dans Œuvres, éd. Ch. Adam et P. Tannery, Paris, Vrin, 1982, p. 14–15.

[36]La Mothe Le Vayer, « Lettre de l’Auteur », Dialogues faits à l’imitation des Anciens, op. cit., p. 13.

[37]La Mothe Le Vayer, Lettre CXXI. Des Abstractions spirituelles, Œuvres, VII/I, op. cit., p. 351.

[38]La Mothe Le Vayer, Lettre LXII. De la Méditation, Œuvres, VI/II, op. cit., p. 105–106.

[39] Ibidem, p. 105.

[40]Cette idée est exprimée par Sylvia Giocanti, dans « Classicisme philosophique et marginalité : scepticisme et libertinage », XVIIe siècle, no 224, 2004/3, p. 369–380.

[41]Genèse, II, 7 (Bible de Sacy).

[42]Orontes, De la Politique, op. cit., p. 450. Voir aussi, à propos de la joie extatique à laquelle mène la méditation, Lettre CXXI. Des Abstractions spirituelles, op. cit., p. 353. 

[43]Orontes, De la Politique, op. cit., p. 450–451. Voir aussi Lettre CXXI. Des Abstractions spirituelles, op. cit., p. 354.

[44]La Mothe Le Vayer, Lettre LXII. De la Méditation, op. cit., p. 104.

[45]La Mothe Le Vayer, Lettre LXXXI. Des Contestations, dans Œuvres, VI/II, op. cit., p. 269.

[46]La Mothe Le Vayer, « Lettre de l’Auteur », Dialogues faits à l’imitation des Anciens, op. cit., p. 12–13. Voir aussi Michel de Montaigne, Essais, III, V, op. cit., p. 151 : « je crois qu’il est vrai  ce que dit Platon, que l’homme est le jouet des Dieux […] »

[47]La Mothe Le Vayer, Lettre CXXIV. Du Prix de la Sceptique, Œuvres, VII/I, op.cit., p. 381.

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Ironie polyphonique ou polycentrique ? L'honnête homme et son habile alter ego dans les Maximes de La Rochefoucauld

Article Citation
XIV (2012): 55–87
Author
Eric Turcat
Article Text

Printable PDF, Turcat, 55–87

 

« L’ironie est laconique […] discontinue […]
 L’ironie rompt avec la manière énumérative […]
Sa manière n’est pas encyclopédique mais elliptique. »
(Jankélévitch 81)

 

De l’honnête homme, la définition la plus classique (dans les deux sens du terme) remonte sans doute à La Rochefoucauld lui-même et, plus spécifiquement à sa maxime 203 : « Le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien ».  Ou tout au moins, c’est ce que voudrait nous faire croire la culture actuelle qui, derrière le sceau de l’Académie française apposé à des dictionnaires de proverbes comme celui de Maloux, continue à nous imposer l’auteur des Maximes comme géniteur de la fameuse citation.  En fait, et d’après les contemporains de La Rochefoucauld cette fois, l’origine de la célèbre sentence semble un peu plus contestée.  Furetière, dans son dictionnaire, l’attribue à Bellegarde, et Richelet, dix ans auparavant, va encore plus loin en lui soustrayant tout droit d’auteur et en attribuant ainsi la maxime à une sorte de sagesse collective dont la provenance exacte se serait déjà perdue dans la nuit des temps.  Bien sûr, on pourrait toujours prétexter que ces deux érudits étaient simplement jaloux du succès de leur rival et qu’ils préféraient bassement se venger en réécrivant l’histoire littéraire à leur manière[1]. On pourrait, plus pitoyablement encore, objecter qu’à un mot près, il ne s’agit pas du tout de la même citation, et que l’ajout crucial de l’adjectif « vrai » dans la maxime 203 fait en soi toute la force créative de la sentence[2]

Cependant, faut-il vraiment en arriver là pour défendre l’originalité quelque peu douteuse d’un moraliste peut-être un tantinet paresseux qui, en cette occasion comme en d’autres, aurait tout simplement manqué d’imagination ?  Sans doute n’y a-t-il point grand mal à concéder que La Rochefoucauld, en nous transmettant sa maxime la plus célèbre sur l’honnête homme, n’a vraisemblablement pas été lui-même très honnête concernant la provenance de ses sources.  L’ignoble chasse aux sorcières que suscite le plagiat, faut-il bien le rappeler, n’est après tout que la manifestation d’un fanatisme bien bourgeois, et donc toujours  anachronique dans le contexte d’une littérature essentiellement aristocratique.  Par ailleurs, et assez paradoxalement on en convient, l’emprunt plutôt malhonnête d’une phrase apparemment en vogue ne s’avère-t-il pas une des plus sûres mesures de l’omniprésence de cette honnêteté dans le microcosme nobiliaire, tout au moins en tant qu’idéal ?  Peut-être que la faiblesse de cette fameuse sentence en fait après tout sa force et que, précisément grâce à cette vulgaire question de piratage intellectuel, il devient alors possible d’identifier la prémisse de ce débat sur l’honnête homme, à savoir que celui-ci est avant tout une créature ironique, produit d’une théorie de l’honnêteté collective autant que d’une pratique de la malhonnêteté individuelle. 

L’étude qui suit propose donc de s’intéresser d’abord à l’aspect polyphonique de l’ironie déjà identifié dans la sentence 203[3]. Il ne s’agira pas, bien sûr, de comptabiliser les emprunts peu scrupuleux des Maximes, mais plutôt de laisser résonner un dialogue.  Dialogue pratiquement inévitable, il faut bien le dire, entre toute réflexion classique sur l’honnêteté et le célèbre traité d’étiquette de Faret.  L’ironie, certes, semble ici s’appliquer aux dépens de La Rochefoucauld et de ses pairs, puisqu’avec L’honnête homme ou l’art de plaire à la cour, c’est en fait un bourgeois qui donne des leçons de noblesse à l’aristocratie.  Cependant, aussi délicieux qu’en soit son renversement hiérarchique, cette ironie de situation ne présente qu’un très faible intérêt littéraire, dans la mesure où elle nous écarte de considérations purement langagières[4].  Le véritable intérêt restera donc de se concentrer sur l’ironie verbale, mais en adoptant, cette fois, des considérations moins textuelles qu’intertextuelles.  En effet, dans le contexte de ce stéréotype qu’était déjà devenu l’honnête homme à l’époque des Maximes, faute surtout à la circulation de ces fameux manuels d’étiquette, comment ne pas s’interroger sur les effets stylistiques que pourraient produire le rapprochement ou, inversement, la distanciation entre  les idéologies comparatives de La Rochefoucauld et de Faret ?  L’ironie des Maximes semble-t-elle progresser ou régresser en fonction de sa résonnance polyphonique plus ou moins forte avec L’honnête homme ?  Et si oui, dans quelle mesure, et avec quelles conséquences pour la redéfinition du concept d’honnêteté ?

Finalement, on remarquera qu’à plusieurs reprises, dans les Maximes, cette fameuse honnêteté a tendance à glisser en direction d’un concept attenant, beaucoup moins noble certes, mais non moins fascinant par sa propre valeur ironique, à savoir celui de l’habileté.  Un peu comme le bien honnête La Rochefoucauld, lui-même secrètement fasciné par son très habile valet Gourville, existerait-il entre l’honnête homme et l’habile homme une relation en miroir selon laquelle le premier se verrait irrésistiblement attiré par l’image du second qui deviendrait alors une sorte d’alter ego[5] ?  Y aurait-il dans ce glissement conceptuel comme un présage de l’ouverture d’esprit des Lumières ?  N’exagérons rien.  La Rochefoucauld n’a ni la prolixité ni la conscience sociale des philosophes encyclopédistes, contrairement à ses descendants Louis-Alexandre et François-Alexandre[6].  Cependant, il y a toujours pour certains critiques raison d’hésiter quant à la modernité des Maximes, comme par exemple pour Rohou qui soutient que leur auteur « se situe entre l’ancienne morale religieuse qui réclame la pureté de l’intention et la future morale économique qui se contente des effets bénéfiques de l’action » (« [L]a condition humaine » 30).  Or, et sans pour autant développer l’argument historique trop souvent négligé d’un amoralisme de La Rochefoucauld, c’est précisément dans cet espace interstitiel et ambivalent de l’hésitation que je souhaiterais situer la dernière partie de ma réflexion.  Car, s’il semble conceptuellement s’établir entre l’honnêteté et l’habileté une sorte de relation circulaire à double centre, autrement dit une sorte de géométrie elliptique, ne pourrait-on pas pareillement confirmer l’existence de cette figure de l’ellipse, mais cette fois dans le domaine de la rhétorique, avec un dernier retour sur la notion d’ironie[7] ? Serait-il possible en effet que l’ironie, elle-même figure à double pôle, s’avère la forme parfaite pour une question de fond aussi ambivalente que celle de l’honnêteté ?

Ironie polyphonique : La Rochefoucauld et Faret

Là où la maxime 202 se contente d’évoquer métaphoriquement la théâtralité d’une honnêteté qui se « déguise », c’est plutôt la sentence 206 qui nous en « expose » le mécanisme : « C’est être véritablement honnête homme que de vouloir être toujours exposé à la vue des honnêtes gens[8]. »  Sans doute La Rochefoucauld aurait-il pu condenser plus encore sa maxime en réduisant le syntagme verbal « vouloir être exposé » au simple infinitif réflexif « s’exposer », mais cela aurait fait de son honnête homme un vulgaire exhibitionniste. Or, pourquoi s’en tenir à un spectacle de rue quand on peut en faire un spectacle de ruelle, ou tout au moins de salon ?  L’honnête homme, compte tenu de l’emploi de l’infinitif passif « être exposé », devient ainsi la victime d’une sorte d’exhibitionnisme ambiant dont la responsabilité incombe moins à l’individu qu’à son milieu social.  Mais comme la « vraie » honnêteté ne peut s’en tenir au rôle de la victime passive, il faut tout de même lui redorer quelque peu son blason en réintroduisant la notion de libre arbitre, et c’est là qu’intervient l’emploi du verbe « vouloir ».  Autrement dit, l’honnête homme de la maxime 206, ce n’est pas simplement celui qui se découvre pour choquer son public, mais plutôt celui qui prétend se laisser découvrir par les autres alors même que cette découverte correspond précisément au strip-tease qu’il désire en douce.  Toute bienséance respectée, l’exhibitionnisme de l’honnêteté y conserve donc ses lettres de noblesse et, de la sorte, son laissez-passer effectif  entre les maisons closes de son microcosme bien-pensant.

L’ironie de la sentence 206 se joue ainsi à au moins trois niveaux.  Au premier, celui de la maxime à proprement parler, on reconnaît d’abord le mécanisme du double renversement avec, d’une part, la négation de la responsabilité du sujet sur un verbe passif, et d’autre part la négation de cette négation, c’est-à-dire la réappropriation d’une intentionnalité de l’action par la réinsertion d’un verbe actif (« vouloir »).  Procédé purement baroque de l’anamorphose selon laquelle chaque glissement verbal contribue à produire une impression différente sur les lecteurs, mais procédé tout aussi rigoureusement classique si l’on considère que le contraire du contraire nous ramène au point d’origine, tout comme l’antiphrase qui ne finit en fait que par renforcer le message de la phrase de départ, à savoir ici que l’honnête homme n’est peut-être après tout qu’un exhibitionniste astucieux.  Ce qui fait alors qu’au deuxième niveau, l’ironie de la maxime 206 se joue également de manière moins textuelle que dramatique ; au lieu de reconduire ses lecteurs à un point de départ rassurant qui leur permettrait de sauver la face en prétendant qu’ils sont les victimes d’un conditionnement social, La Rochefoucauld les éconduit en soulignant la volonté individuelle de participer à cet honnête exhibitionnisme.  Pas de pitié pour l’honnête homme : les « honnêtes gens » qui l’entourent ne l’excusent en rien, puisque c’est par la même volonté que ceux-là recherchent aussi à s’exhiber, ou plus précieusement à « être exposé[s] ».

Or, ce sont précisément ces « honnêtes gens » qui vont nous révéler le troisième niveau de l’ironie dans la sentence 206, et nous ramener, par là-même, à des bases plus textuelles que dramatiques.  Faut-il bien rappeler, en effet, comment ce groupe humain en particulier fait écho aux deux sous-groupes distingués précédemment dans la maxime 202, c’est-à-dire d’une part les « faux honnêtes gens », et d’autre part les « vrais » ?  En refusant de nous éclairer avec précision sur l’identité du groupe auquel il se réfère dans la sentence 206, La Rochefoucauld nous impose ici, à nouveau, une ambivalence sémantique.  Doit-on voir en ces « honnêtes gens » une image miroir de l’honnête homme « véritable » ?  Ou devrait-on plutôt voir en eux l’antithèse de cet honnête homme, selon la structure de la maxime 202 ?  Ces questions restent bien sûr ouvertes, offrant ainsi aux lecteurs, comme seule interprétation plausible, une sorte d’amalgame des deux sous-catégories, autrement dit un mélange absolument inextricable de mensonge et de vérité.  Les « honnêtes gens » de la sentence 206 ne seraient pas alors « vrais » plutôt que « faux », ou vice-versa, mais à la fois « vrais » et « faux », ce qui rendrait l’exhibitionnisme du « véritable » honnête homme d’autant plus compliqué.  Non seulement la « véritable » honnêteté devra-t-elle « être exposé[e] » devant un public mixte d’authenticité et de fausseté, mais elle devra en outre « vouloir » s’exhiber aux uns comme aux autres, apparemment sans aucune distinction.  Ironie du sort, certes, mais ironie fondamentalement ancrée dans l’ambivalence textuelle que procure ici le voisinage direct des maximes 202 et 206.

Autrement dit, si l’ironie de l’honnêteté se joue pour commencer au niveau purement textuel de la sentence, il arrive parfois que cette polysémie interne se trouve enrichie par l’écho d’une polysémie voisine, ce qui lui donne alors une résonnance de type polyphonique.  Ironie certes toujours intra-textuelle, puisqu’elle nous maintient d’abord à l’intérieur du texte des Maximes, mais ironie qui n’en invite pas moins ensuite à élargir le champ, à la fois visuel et auditif, du cotexte immédiat pour identifier d’autres empreintes sonores qui, à un niveau plus intertextuel cette fois, contribueraient elles aussi, peut-être, à l’enrichissement sémantique du concept d’honnêteté.  Car si la beauté des textes les plus littéraires irradie avant tout de l’intérieur par la perfection de leur forme poétique, cette beauté continue presque aussi fréquemment à résonner de l’extérieur par un dialogue, souvent implicite d’ailleurs et donc d’autant plus élégant de discrétion, avec le langage de toute une communauté.  Pour reprendre l’élégante métaphore de Bakhtine, ce n’est vraiment que lorsque la glose poétique se transforme en « hétéroglose » intertextuelle que le langage s’épanouit dans toute la plénitude de sa culture environnante, non plus en parlant par lui-même, mais plutôt en se laissant parler, comme par une « autre langue »[9].  L’ironie dépasserait alors effectivement le stade de la figure rhétorique pour devenir, selon l’expression plus récente de Hutcheon, la marque de toute une « communauté discursive »[10].  Ainsi, lorsque l’honnête homme de La Rochefoucauld se trouverait « exposé à la vue » de sa propre communauté, ce ne serait plus simplement au regard collectif qu’il s’exposerait mais bien à l’oreille collective qu’il s’expliquerait de surcroît.

Or, qui dit beauté du dialogisme communautaire ne dit pas nécessairement beauté de la « communauté discursive » à proprement parler, surtout lorsque cette communauté s’applique aux honnêtes gens.  Tout comme Bakhtine redoutait l’ « hétéroglose » dominante des régimes totalitaires dont l’écho langagier finissait immanquablement par réprimer les gloses opposantes, Hutcheon signale elle aussi le sectarisme inévitable du discours ironique qui inclut toujours pour mieux exclure[11].  Pour toute « communauté discursive », il existerait, selon cette critique canadienne, un double mouvement, d’une part de rassemblement des individus autour d’un même discours, et d’autre part de ségrégation de ce groupe langagier par rapport aux autres groupes.  Double mouvement dans lequel on reconnaît bien sûr le va-et-vient de l’ « ironiste » entre la charge contre sa « victime » et le ralliement de son « public » (Schoentjes, 199).  Mais encore et surtout, double mouvement qui nous rappelle ici les allers-et-venues de l’honnête homme entre la précieuse société de ses pairs et l’ignoble fréquentation des prétendants à l’honneur.

Toutefois, même à l’intérieur d’une seule « communauté discursive », il conviendra de se demander si le discours ironique, qui renforce l’identité communautaire du groupe, se limite toujours à la marginalisation de groupes extérieurs.  Parfois, et surtout dans une communauté aussi frondeuse et fragmentée que celle des honnêtes gens, la marginalisation ne pourrait-elle pas également s’opérer à l’intérieur même du groupe ?  Ainsi, il semble que l’honnête homme de La Rochefoucauld s’avère d’abord être une copie conforme de son homologue, le courtisan de Faret, surtout dans la mesure où, l’un comme l’autre partagent un « esprit » pareillement intuitif, et où cette intuition avant tout mondaine se détache d’une intuition purement intellectuelle.  Mais la copie ne devient-elle pas moins conforme lorsqu’on accorde un peu plus d’attention aux distinctions, qu’elles soient sociales ou sémantiques, entre les membres de cette « honnête » société, et notamment, lorsque la perspective de l’aristocrate affirme toute la distance qui le sépare du bourgeois au cœur même de leur lingua franca du « mérite » et de l’ « estime » ?  La copie de l’ « honnêteté » se détériorerait-elle, plus ironiquement encore, à l’endroit où la « communauté discursive » devrait le mieux pouvoir affirmer son identité, c’est-à-dire à l’intérieur de son propre microcosme langagier ?   Que resterait-il dès lors de la fameuse « conversation » pourtant si fondamentale à l’étiquette des honnêtes gens ?  Un futile échange de monnaie verbale dans le creuset d’une économie langagière au bord de la faillite ?  Ou, plus prosaïquement peut-être, un simple taux de conversion où l’honnête homme finirait par perdre au change de son propre commerce ?

Pour ce qui est de l’intuition, l’honnête homme se définit avant tout par un rejet de la culture philosophique, mais qui n’en écarte pas pour autant une forme de sagesse occidentale.  Ainsi, chez Faret, on trouve déjà cette déclaration aux allures de maxime : « [il] est beaucoup mieux d’étudier dans le grand livre du monde que dans Aristote » (26).  Certes, on pourrait bien croire qu’il s’agit ici simplement de signaler son mépris pour la scolastique aristotélicienne, mépris devenu d’ailleurs assez fréquent depuis l’humanisme de la Renaissance, et de renforcer au passage son adhésion à un néo-platonisme plus en vogue.  Mais il n’en est rien ; Platon s’avère aussi absent de L’honnête homme que des Maximes, et La Rochefoucauld va encore plus loin en rejetant également, sans même les nommer, les stoïciens (sentence 22) et les cyniques (sentence 54)[12].  Là où l’aristocrate se détache du bourgeois, toutefois, c’est dans son rejet encore plus radical de toute forme de culture livresque.  Faret consacre au moins trois pages à énumérer les « bons » historiens, d’Hérodote à César (27–29), mais La Rochefoucauld ne cite personne[13].  L’anti-intellectualisme de l’aristocrate provincial, sommairement éduqué entre les parties de chasse organisées par son père, ressort alors au grand jour, en comparaison avec l’éducation plus fouillée reçue par le bourgeois parisien.  Or, malgré cette différence de culture, les deux praticiens de l’honnêteté se rejoignent à nouveau sur leur mépris élitiste de l’expérience.  Pour Faret, celle-ci est une « marâtre » qui « précipite [la sagesse] plus qu’elle ne la conduit » (29), et pour La Rochefoucauld, soit cette expérience arrive toujours trop tard (maxime 405), soit elle ne permet en rien d’ « éviter » les écueils de la vie, quand bien même cette dernière pourrait être hypothétiquement répétée (maxime 191)[14].  Dans un cas comme dans l’autre, il semblerait donc que l’honnête homme se détache de la sagesse occidentale seulement pour mieux s’y rattacher, non pas par le biais de toute une éducation philosophique, jugée apparemment inutile, mais par celui d’un rejet a priori de la connaissance a posteriori.

Cependant, si l’honnêteté rejette parfois explicitement le savoir empirique, cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle adopte implicitement une méthode rationaliste.  En effet, malgré leur reconnaissance commune des « qualités de l’esprit », ni Faret ni La Rochefoucauld ne poussent leur intuition antiphilosophique jusqu’à définir ces fameuses « qualités », laissant ainsi « l’esprit » dans le plus grand flou artistique[15].  Flou quelque peu surprenant chez l’aristocrate qui fait de cet « esprit » un des fleurons de sa réflexion gnomique, avec un total de 54 itérations du mot dans l’ensemble des Maximes, mais surprise qui ne s’en précise pas moins si l’on considère que deux des définitions principales de cet esprit énigmatique se rattachent à la « politesse » et à la « galanterie » courtisanes (maximes 99 et 100)[16].  Pour La Rochefoucauld comme pour Faret, le rejet de l’expérience empirique passe en effet moins par l’adoption d’un rationalisme nouveau que  par l’adhésion à une sagesse bien plus ancienne,  sagesse qu’ils appellent l’un et l’autre le « jugement », mais dans laquelle on reconnaît surtout l’ancienne doxa, autrement dit l’opinion commune tant diffamée par notre philosophie occidentale[17].  En ce sens, on comprend donc que l’ « esprit », qui rapproche le plus les deux théoriciens de l’honnêteté, les éloigne en fait le plus radicalement de l’ « esprit » rationaliste de la méthode cartésienne.  Là où, Descartes voyait dans l’intuition « la conception d’un esprit pur et attentif, si facile et si distincte qu’aucun doute ne reste sur ce que nous comprenons » (Œuvres, 43), Faret et La Rochefoucauld appuient en revanche l’ « esprit » de leur honnêteté sur une intuition plus mondaine qui n’a apparemment que faire des idées claires et distinctes du jésuite fléchois.  Pour eux, l’intuition la plus « honnête » ne consiste pas à savoir se distinguer par l’individualité d’un Cogito indubitable, mais plutôt à ne pas douter que la distinction courtisane triomphera toujours de la distinction cartésienne.   

Or c’est précisément par cette distinction entre les distinctions que continue à se préciser l’ironie polyphonique de l’honnêteté.  Si les honnêtes hommes de Faret et de La Rochefoucauld se distinguent radicalement de l’intuition philosophique en général, et rationaliste en particulier, c’est pour mieux se rapprocher de la seule distinction digne à leurs yeux de ce nom, à savoir la distinction sociale.  Distinction encore plus vitale pour le bourgeois que pour l’aristocrate, puisque celui-ci ne saurait compter sur les quartiers de noblesse de celui-là pour faire son entrée à la cour, mais rapprochement qui, assez paradoxalement, suscite beaucoup moins d’angoisse chez le premier que chez le second.  Ainsi, les lecteurs pourront-ils s’étonner de découvrir chez Faret la phrase suivante : « Dans cette multitude de jugements différents […] qui ne se donnent guère la peine d’examiner bien avant le mérite de ceux qui se présentent, on peut dire que ce sont les autres qui nous donnent l’estime et que nous n’avons qu’à la conserver » (40).  Alors que, chez La Rochefoucauld, la maxime 162 répondra que : « L’art de savoir bien mettre en œuvre de médiocres qualités dérobe l’estime, et donne souvent plus de réputation que le véritable mérite ».  D’un côté comme de l’autre, la distinction tant recherchée résulte moins du « mérite » que de l’ « estime », mais seul le bourgeois parvenu reconnaît immédiatement le bénéfice de cette revalorisation pour sa propre entreprise.  Pour l’aristocrate éconduit, en revanche, c’est plutôt l’heure des lamentations face à cette injustice qui privilégie les plus « médiocres » au détriment des plus méritants[18].  Lamentations qui, à leur tour, se traduisent par une nouvelle distinction, sémantique cette fois, puisqu’il en va désormais de l’honneur même de l’honnête homme de savoir se distinguer par rapport à l’arrivisme sans scrupules de ceux que La Rochefoucauld appellera ailleurs les « gens de chicane » (maxime 221)[19].

Pour mieux apprécier cette distinction sémantique entre le « mérite » et l’ « estime », que Faret semble fort empressé d’escamoter pour son courtisan, il convient ici de s’arrêter un instant sur une nuance importante de la maxime 162 : « L’art de savoir bien mettre en œuvre de médiocres qualités dérobe l’estime et donne souvent plus de réputation que le véritable mérite. »  D’un côté, comme cela se passe le plus souvent dans la rhétorique gnomique, tout le poids axiologique de cette maxime semble verser sur le mot de la fin, « mérite », d’autant que ce substantif est lui-même immédiatement renforcé par la qualification antérieure de l’adjectif « véritable ».  De l’autre, et en raison du déséquilibre métrique qui accorde ici plus d’importance à la première proposition de cette sentence qu’à la seconde, c’est plutôt le concept d’ « estime » qui semble dominer l’échelle des valeurs.  Si l’on considère en outre que le début de la maxime associe l’adverbe qualitatif « bien » à l’obtention de cette « estime », on en finit presque par s’interroger sur la connotation négative du verbe « dérober » (comme synonyme de ‘voler’) et par se demander si ce verbe ne signifierait pas plutôt ‘dévoiler’, c’est-à-dire ‘révéler la vérité’.  Autrement dit, malgré le fort contrepoids de l’épithète « médiocres », pourrait-on voir dans la maxime 162 une revalorisation indirecte de l’ « estime » par rapport au « mérite » ?  Sans doute, et surtout si on lit cette sentence en tandem avec la maxime 155 qui n’hésite pas à rappeler combien ce « mérite » peut être « dégoûtant »[20].  Toutefois, malgré cette remontée en cote apparente de l’ « estime », il ne faudrait pas non plus enterrer le « mérite » qui, dans la cinquième et dernière édition des Maximes, revient tout de même en force avec la sentence 455[21].  Plutôt que de suggérer, comme Faret, que le « mérite » pourrait effectivement n’intervenir en rien dans l’attribution de cette « estime » si prisée par le courtisan, un La Rochefoucauld plus âgé et plus blasé encore que celui des premières maximes préfère en effet embrasser le « faux mérite » aux côtés du  « véritable ». 

On reconnaît ainsi la stratégie familière du double discours sur la vraie/fausse honnêteté, et l’on n’en apprécie que mieux la mauvaise foi de l’aristocrate qui, sous prétexte de défendre  la valeur à ses yeux fragilisée du « mérite », s’était déjà vu obligé de relativiser le concept jusque-là absolu de l’ « estime »: « Notre mérite nous attire l’estime des honnêtes gens, et notre étoile celle du public » (maxime 165).  Autrement dit, La Rochefoucauld concède elliptiquement, par la plus courte des deux propositions de cette sentence, qu’il est effectivement possible, comme le pensait Faret, de gagner l’ « estime » de la Cour sans autre forme de procès que celui du spectacle offert à son « public », mais seulement dans la mesure où il peut simultanément dévaloriser le talent de certains courtisans en le réduisant à leur « étoile », c’est-à-dire plus simplement à leur chance.  Inversement, par la plus longue des deux propositions de cette maxime, les autres « honnêtes » courtisans peuvent alors maintenir leur « mérite » intact, que celui-ci comme ceux-là s’avèrent d’ailleurs vrais ou faux, puisque le succès de cette opération dépendrait alors non pas d’un aberrant coup de dé mais, littéralement, d’un phénomène physique d’attraction où, tel un aimant, le « mérite […] attire l’estime ».  En somme, il y a certes une forte dose de raisins verts dans la concoction de cette sentence 165, mais au moins la mauvaise foi de l’aristocrate permet temporairement de conserver la distinction des « honnêtes gens » par rapport aux plus vulgaires courtisans comme Faret, et à condition de ne pas trop verser dans les détails, l’honneur reste sauf.

L’ironie de l’honnêteté, jusque-là polyphonique en vertu de sa résonnance par rapport à un discours philosophique extérieur qu’elle méprise et qu’elle rejette, devient ici polyphonique par sa dissonance intérieure, au sein de son propre discours.  Pour autant qu’ils se reconnaissent, en effet,  par l’emploi d’un même lexique, les honnêtes hommes de Faret et de La Rochefoucauld se renvoient dos à dos précisément par l’emploi de ce langage censé les rassembler.  Autrement dit, plus les courtisans se distinguent en tant que « communauté discursive », moins le courtisan se distingue en tant qu’individu digne de reconnaissance particulière, et plus il devient alors essentiel que l’honnête homme sache établir ses propres distinctions, même si, là encore, celles-ci s’avèrent aussi sociolinguistiques que celles de son groupe.  D’un côté, l’honnête bourgeois de Faret qui décroche l’ « estime », de l’autre, l’honnête aristocrate qui se raccroche au « mérite », et entre les deux déjà, comme une sorte de vide qui résonne de dissonance.  Vide qu’il convient bien sûr de meubler avec toute la bienséance du trompe-l’œil qui dissimule si théâtralement la laideur des coulisses.  Vide contre lequel il faudra donc continuer à entretenir l’illusion de plénitude, non plus en trompant simplement les yeux, mais en trompant aussi les oreilles par la magie d’une « conversation » elle-même si mystérieuse et si insaisissable qu’elle en deviendrait presque inaudible.

Bien sûr, qui dit discours d’une « communauté discursive » ne dit pas nécessairement « conversation » au sens de dialogue polyphonique ; La Rochefoucauld aussi bien que Faret en témoignent là encore, chacun à sa manière.  Pour l’aristocrate d’abord, on se souviendra en effet de toute la séquence sur les « louanges empoisonnées » (sentences 145, 148, 198 et 320)[22].  Souvent impossible à distinguer du « blâme » (maxime 198), de la « médisance » (maxime 148) ou des « injures » (maxime 320), le discours laudatif de l’honnête homme semble toujours menacer de se refermer sur lui-même, plutôt que d’inviter à la discussion… à moins évidemment que cette discussion ne se condense dramatiquement sous forme d’invitation au duel.  De même, bien que pour des raisons toutes différentes, le discours du courtisan de Faret ne semble guère plus se soucier de véritable dialogue.  Dans sa section pourtant intitulée « De la conversation des égaux », le bourgeois gentilhomme déclare ainsi sans ambages que « [c]e n’est pas tout que d’avoir du mérite, il faut savoir le débiter et le faire valoir » (59).  Déclaration qui rappelle certes le mépris de l’arriviste du peuple pour cette aristocratie visiblement engoncée dans ses traditions, mais déclaration qui, par son syntagme final, souligne surtout le « savoir… faire » économique du nouveau courtisan.  Pour ce dernier, l’économie de l’honnêteté n’est plus en effet celle du troc, mais plutôt celle de l’investissement ; il ne s’agit pas simplement de savoir échanger des louanges à mots couverts, mais au contraire de savoir « débiter » ou se mettre à découvert afin de mieux pouvoir, par la suite, « faire valoir » les bénéfices de son propre capital.  Autrement dit, contrairement à La Rochefoucauld qui chercherait parfois, semble-t-il, à anéantir le dialogue par l’élégance de son ambivalence rhétorique, Faret recherche plutôt à dominer la « conversation » par la puissance de sa dépense verbale.  Mais dans un cas comme dans l’autre, la « communauté discursive » des honnêtes gens semble beaucoup moins polyphonique que l’on ne voudrait croire, surtout lorsque cette polyphonie semble se réduire aux seules voix des plus téméraires.

Pourtant, La Rochefoucauld comme Faret reconnaissent l’importance de laisser parler les autres.  Pour l’honnête homme des Maximes, c’est là le seul moyen d’ «  attirer des louanges » que l’on prend alors « comme une récompense de son mérite » (maximes 143 et 144)[23].  Plus fameusement encore, on se souviendra de la très brève sentence 146 : « On ne loue d’ordinaire que pour être loué » qui, tout autant que la logique circulaire de la louange, rappelle aux lecteurs l’économie autarcique de l’honnêteté aristocratique.  Non seulement le verbe « louer » se réfère-t-il contextuellement au lexique de la louange, mais il pourrait tout aussi bien suggérer celui de la location, c’est-à-dire de l’emprunt moyennant finance.  Emprunt bien éloigné toutefois de la poursuite plus capitaliste du bourgeois, puisque pour La Rochefoucauld il s’agit avant tout d’une économie refermée sur elle-même où la louange s’échange de manière latérale sans autre forme de profit que celle du petit joueur endetté qui réussirait tout simplement à rentrer dans ses fonds ou, dans le meilleur des cas, à doubler la mise sur son adversaire[24].  Pour Faret, inversement, la transaction verbale avec le reste de la « communauté discursive » s’opère plutôt de manière verticale, et c’est d’ailleurs moins « la conversation des égaux » qui semble l’intéresser que la « conversation des Grands ».  Ainsi découvre-t-on, sans grande surprise, la phrase suivante chez le courtisan bourgeois : « Un honnête homme, quand même il serait né assez bassement pour n’oser s’approcher des Grands qu’avec des soumissions d’esclave, si est-ce que si une fois il leur fait connaître ce qu’il vaut, il les verra à l’envie les uns des autres, prendre plaisir à l’élever jusqu’à leur familière communication » (65).  Là où l’honnête aristocrate ne voit à la Cour qu’un vaste parterre de ses semblables où rares sont les têtes que son amour-propre lui permet de voir dépasser, l’honnête bourgeois, pour sa part, garde une perspective plus ascensionnelle des sommets, ce qui lui permet plus facilement d’échafauder un discours beaucoup plus séducteur (« à l’envie ») que celui de ses plus nobles rivaux.  Si l’un comme l’autre, malgré leur arrogance respective, se soucient pareillement du besoin de « conversation » entre honnêtes gens, Faret, par son complexe d’infériorité littéralement servile (« soumissions d’esclave »), parvient beaucoup plus aisément à profiter de cette différence de condition sociale que La Rochefoucauld, lui-même déjà établi et donc plus cynique vis-à-vis de ses possibilités de réussite à la Cour.  L’instinct de « communication » semble ainsi se maintenir aussi bien du côté de l’honnête bourgeois que de celui de l’honnête aristocrate, mais c’est plutôt chez le premier qu’il continue à se développer, car chez le second, il semblerait parfois que cet instinct de conversation se réduise pitoyablement à un simple instinct de conservation.

Cependant, l’ironie de cette honnêteté conversationnelle passe encore par un dernier renversement.  Là où on aurait pu croire, dans un premier temps, que la plus grande ironie de la « communauté discursive » des courtisans du Grand Siècle consistait non pas à privilégier le discours polyphonique des honnêtes gens, mais seulement la parole monophonique du seul honnête homme, on s’aperçoit, dans un deuxième temps, que même les beaux parleurs ne sauraient mépriser l’importance de leur auditoire, surtout lorsque, d’après la formule bien ‘goupillée’ de l’époque, « tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute »[25].  Or, même après ce double renversement communicationnel, l’ironie de l’honnêteté ménage apparemment un dernier retournement discursif.  D’un côté, le courtisan bourgeois de Faret prétend se soucier de la « familière communication » avec les « Grands », alors qu’en fait, il ne recherche que les « bons mots […] courts, aigus, clairs » (86) qui lui permettront précisément d’anéantir la « conversation » qu’il dit vouloir.  De l’autre, le courtisan aristocrate de La Rochefoucauld prétend ne s’intéresser qu’à « la flatterie, habile, cachée et délicate [de] la louange » (maxime 144), alors qu’en fait, il décourage explicitement l’honnête homme de « pense[r] plutôt à ce qu’il veut dire qu’à répondre précisément à ce qu’on lui dit » (maxime 139)[26].  D’un côté comme de l’autre, il s’opère donc une sorte de chassé-croisé des valeurs conversationnelles, puisque d’une part, l’honnête bourgeois semble vouloir communiquer seulement pour mieux pouvoir dominer ses interlocuteurs et donc annihiler la communication, alors que de l’autre, l’honnête aristocrate chercherait plus volontiers à effectuer le parcours inverse, autrement dit à émousser les pointes de sa langue fielleuse, de sorte à savoir un jour « bien écouter et bien répondre », ce qui pour lui reste explicitement « une des plus grandes perfections qu’on puisse avoir dans la conversation » (maxime 139).

Paroles en l’air que les préceptes de cette sentence 139 où La Rochefoucauld ferait semblant de « bien écouter », alors qu’il s’empresse tout aussitôt de démontrer, dans la séquence 143 à 150 des Maximes, combien il préfère encore s’adonner à la « médisance » des « louanges empoisonnées » ?  Peut-être, surtout si l’on considère que les paroles dans l’air du temps sont effectivement celles du mot d’esprit tel que l’appréciait déjà, deux générations auparavant, le courtisan de Faret.  Toutefois, ce serait oublier que l’art de la « conversation » fascine aussi bien les honnêtes bourgeois que les honnêtes aristocrates.  Faret n’est en effet pas le seul à s’inquiéter de capter les modalités du discours au sein de cette « communauté discursive » de l’honnêteté ; La Rochefoucauld lui aussi montrera tout l’intérêt qu’il prête au dialogue entre courtisans, non seulement par cette curieuse maxime 139 qui se distingue autant par sa longueur que par sa modestie inattendues, mais aussi par la quatrième entrée des Réflexions diverses, elle-même d’ailleurs intitulée « De la conversation ».  Ainsi, bien loin de la tendance auto-suffisante de la forme gnomique qui finit souvent par phagocyter les discours avoisinants, cette quatrième réflexion rappelle combien même les voix les plus mémorables de l’ « honnête » société doivent savoir se tempérer pour le grand profit du groupe : « Il faut éviter de contester sur des choses indifférentes, faire rarement des questions, qui sont presque toujours inutiles, ne laisser jamais croire qu’on prétend avoir plus de raison que les autres, et céder aisément l’avantage de décider. » 

Le seul problème de cette courtoisie de la « conversation » courtisane dont la rhétorique prescriptive pourrait tout aussi bien s’appliquer au traité de Faret, c’est que, venant d’un La Rochefoucauld assez timide qui n’hésite pas à se décrire comme « réservé » dans son autoportrait, cette politesse de l’effacement verbal en société pourrait bien être le résultat d’une toute autre motivation que celle de l’arriviste bourgeois.  Quand, pour Faret, le seul intérêt à laisser momentanément s’exprimer les autres serait sans doute de mieux reprendre par la suite la parole à son compte, pour La Rochefoucauld, on en vient à se demander si la réserve qu’il encourage n’est pas plutôt le fruit d’une simple peur du ridicule face à des interlocuteurs aptes à le surclasser par la fulgurance de leurs traits d’esprit[27].  Pour quelle autre raison, en effet, l’auteur de la quatrième réflexion préférerait-il tout simplement « se joindre à l’esprit de celui qui en a le plus », alors que de l’esprit, ses Maximes nous prouvent qu’il en avait évidemment à revendre ?  Se pourrait-il que l’esprit de salon de La Rochefoucauld se soit parfois résumé à un simple esprit d’escalier ?  Nul moyen, bien sûr, de le démontrer, surtout lorsque le propre de la maxime semble être, comme le disait d’ailleurs Faret du « bon mot », qu’elle « ne sente pas l’odeur de l’étude » afin qu’elle ne soit « pas soupçonné[e] d’avoir été préparé[e] » (86).  Cependant, il n’en demeure pas moins que, lorsque la « conversation » de l’honnête bourgeois reprend de plus belle, celle de l’honnête aristocrate s’achemine directement vers le « silence », ou comme le dit là encore l’auteur de la quatrième réflexion, vers l’art de « savoir se taire ».  L’ironie finale de cette polyphonie de l’honnêteté serait donc de se traduire par une réduction monophonique de la « communauté discursive » à son plus hâbleur élément bourgeois. 

Reste alors à interpréter le « silence » de l’aristocrate face à cette montée en force de l’ « habile » bourgeoisie ; serait-ce là la défaite de l’honnêteté aristocratique aux mains de l’habileté bourgeoise, ou au contraire, le signe avant-coureur d’une conversion inévitable de l’aristocratie au moment même où la « conversation » entre les deux mondes aurait semblé défaillir ?  En d’autres termes, la relation ironique entre les « communautés discursives » de la noblesse et de la bourgeoisie se voit-elle concentrée ou satellisée au regard du rapport lui aussi très ambivalent entre l’honnête homme et son comparse, l’habile homme ? 

2. Ironie polycentrique : honnêteté et habileté

Y a-t-il, pour commencer, la moindre ambivalence entre les concepts d’honnêteté et d’habileté chez La Rochefoucauld ?  Peut-être pas nécessairement pour commencer, mais en tout cas pour terminer.  Ainsi, la fameuse sentence 504, qui clôture aujourd’hui encore l’édition finale des Maximes, nous livre l’observation suivante sur la mort: « Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour s’empêcher de la considérer ».  Double surprise que cette déclaration à la fois inopinée et pourtant si fortement opinée ; d’un côté, nous nous laissons surprendre par le rapprochement inattendu d’une honnêteté et d’une habileté qui, jusque-là, semblaient avoir fait chambre à part, et de l’autre, l’énonciateur nous surprend plus encore en suggérant la possibilité que l’honnêteté si fondamentale puisse n’avoir été qu’un simple « prétexte » par rapport à une habileté plus centrale.  Qu’en est-il vraiment ?  L’honnêteté et l’habileté se retrouvent-elles par pur hasard sur le lit de mort de cette dernière maxime ?  Ou se sont-elles déjà côtoyées, bon gré mal gré, depuis bien plus longtemps encore ?  Pour mieux répondre à ces questions, je propose à présent d’éclairer le « prétexte » de cette rencontre conceptuelle, apparemment fortuite, à la lumière d’une analyse là encore textuelle qui reviendra progressivement sur les traces de cette relation si discrète qu’elle se ferait presque oublier.

D’où vient, d’abord, l’impression qu’habileté et honnêteté font effectivement chambre à part dans les Maximes ?  Peut-être de la sentence 244 dont l’énoncé rappelle clairement que « [l]a souveraine habileté consiste à bien connaître le prix des choses. »   Même dans le meilleur des cas, celui où l’habileté se fait la plus « souveraine », autrement dit la plus noble (si l’on accepte que la ‘souveraineté’ serait le degré le plus élevé de la ‘noblesse’), celle-ci ne s’inquiète pas des valeurs personnelles ou sociales, mais tout simplement du « prix » bassement bourgeois des « choses ».  De même, et comme par confirmation logique, là où l’honnête homme reste avant tout celui qui se connaît, ou tout au moins celui qui reconnaît ses « défauts » (maxime 202), l’habile homme, en revanche, ne s’avise de « connaître » que la matérialité de son univers[28].  Tout comme l’aristocrate souhaitait se distinguer du bourgeois dans la masse des courtisans, l’honnêteté semblerait donc se distinguer de l’habileté, surtout dans le contexte d’un discours où le territoire se divise assez clairement entre les préoccupations axiologiques d’une honnêteté aristocratique et l’occupation économique d’une habileté bourgeoise.

Pourtant, on remarque également l’effort de littéralité interprétative auquel il faut se contraindre, dans la maxime 244, pour entretenir ce qui s’avère bientôt être l’illusion d’une distinction, à la fois sociale et sémantique, entre honnêteté et habileté.  D’une part, il faut en effet réduire la signification de l’épithète « souveraine » à son sens le plus limité de ‘royale’, alors que, vu la position antécédente de cet adjectif par rapport à son substantif, on pourrait tout aussi bien y reconnaître le sens de ‘suprême’, ce qui ouvrirait alors l’interprétation de telle sorte à augmenter instantanément la valeur intrinsèque de l’ « habileté ».  D’autre part, il faut ensuite limiter les bénéfices rhétoriques de l’expression « le prix des choses » pour y lire simplement le discours de la matérialité économique, alors qu’il se pourrait aussi vraisemblablement que cette expression déploie une bien plus ample envergure, à la fois métonymique et métaphorique, où les « choses » s’ouvriraient sur la ‘vie’ pour que leur « prix » puisse alors prendre sa ‘valeur’ la plus humaine et donc la plus expansive.  D’ailleurs, le manuscrit Gilbert des Maximes nous offre, de ce côté-là, la plus sûre confirmation de cette interprétation plus ouverte de la sentence 244 en y accolant un syntagme, malheureusement retiré de toutes les éditions, et que j’ajoute ici en italique : « La souveraine habileté consiste à bien connaître le prix des choses et l’esprit de son temps. »  Autrement dit, même dans ses retranchements les plus visiblement matérialistes, l’habile homme n’en oublie pas moins les préoccupations idéalistes de son confrère l’honnête homme, et en ce sens, il se rapproche déjà beaucoup plus fondamentalement de son alter ego que ne voudrait  le concéder l’énonciateur aristocrate, lui-même si soucieux de se dissocier du bourgeois « de chicane » (maxime 221).

Certes, la concession de ce rapprochement identitaire entre habile homme et honnête homme ne vient pas facilement à la plume de La Rochefoucauld, et il faut donc continuer à remonter le cours des Maximes pour mieux apprécier toute l’ironie de cette relation récalcitrante.  Ainsi, la première ironie de ce rapport se situe sur un plan purement structural.  On remarque en effet que la fameuse séquence gnomique sur l’honnêteté (maximes 202 à 206) se trouve encadrée par deux sentences spécifiquement centrées sur l’habileté (maximes 199 et 208).  Encadrement sans doute fortuit, vu l’organisation souvent anarchique de l’œuvre, mais encadrement qui n’en pose pas moins la question de savoir si ce côtoiement conceptuel ne pourrait pas tout aussi bien relever d’un tacite désir d’autodérision de la part de l’auteur, surtout lorsque l’on sait que les trois cents premières maximes de l’édition finale furent de loin les plus travaillées et les plus retouchées.  Comment, pour cette raison, ne pas soulever la possibilité d’un énonciateur un peu moqueur qui, pour mieux dénigrer les faux-semblants de ses semblables, en l’occurrence les honnêtes gens, chercherait alors à leur rendre la monnaie, non par affront direct, mais par l’éclairage indirect du contraste ?  Contraste particulièrement cuisant, si l’on considère que la maxime 199 semble accorder aux habiles gens plus de talent naturel qu’à leurs honnêtes comparses[29].  Contraste encore plus douloureux pour le fameux « amour-propre » de l’honnête homme, si l’on considère par ailleurs que même les imbéciles seraient plus aptes à incarner ce talent naturel (maxime 208)[30].  L’ironie du rapprochement conceptuel entre honnêteté et habileté naîtrait donc d’un problème de cadrage structural ; faute de pouvoir encadrer toute son honnête compagnie, La Rochefoucauld aurait peut-être tout simplement décidé de la recadrer en ouvrant un peu plus l’objectif de sa caméra gnomique.  Il serait alors apparu, aux marges de l’écran, un étrange oiseau aux couleurs exotiques, une sorte de cousin d’Amérique et d’idiot de la famille tout à la fois, une forme de bâtard aussi prodigue que prodige, et dont on aurait jusque-là préféré dissimuler l’existence : bref, nul autre que cet habile ajouté dont la présence embarrasse.

Or, cette présence embarrassante de l’habileté aux côtés de l’honnêteté, qu’il concède à demi-mots dans ses Maximes, La Rochefoucauld la concède sans doute encore plus sciemment dans sa vie personnelle.  A en croire Saint-Simon, mauvaise langue certes notoire de son époque, mais observateur souvent mieux avisé que ne l’aurait voulu bon nombre de ses contemporains, La Rochefoucauld aurait en effet laissé entrer dans sa famille un « gendre secret », roturier d’origine, mais rapidement anobli au rang de baron de Gourville (Mazère 102)[31].  Récompense « honnête » d’un seigneur généreux accordée à son plus « habile » serviteur, ou dérapage calculé d’un valet roublard qui, à force de mettre la main à la pâte dans toutes les affaires de son maître, aurait fini par lui cuisiner quelque descendance illégitime ?  Pas moyen de savoir, car ni les Mémoires de l’un, ni celles de l’autre n’en soufflent mot.  L’ambivalence biographique la plus parfaite demeure donc, quant à ce rapport de force entre l’ « honnête » seigneur et son « habile » valet, ce qui ne fait par ailleurs que renforcer la possibilité d’une pareille ambivalence, rhétorique cette fois, à l’intérieur des Maximes.  Ainsi, le « complexe de  Gourville », tel que je souhaiterais appeler le rapport ambivalent de La Rochefoucauld à son serviteur, trouve peut-être ses racines dans l’expérience personnelle de l’aristocrate charentais, mais seulement pour mieux pousser vers la surface gnomique le fin cépage d’une rhétorique ironique dont le lecteur devra continuer à patiemment vendanger le fruit.

Car l’ironie du rapprochement volens nolens entre l’honnête homme et son alter ego l’habile homme se précise effectivement de manière plus textuelle en continuant une lecture à rebours des Maximes.  De fait, avant l’ironie structurale de l’encadrement des sentences 202 à 206, on découvre, à la maxime 170, cette forme plus traditionnelle de l’ironie verbale : « Il est difficile de juger si un procédé net, sincère et honnête est un effet de probité ou d’habileté. »  D’un côté, la sentence semble nous rassurer par l’accumulation de tout un champ lexical de l’honnêteté (trois adjectifs et un substantif), mais de l’autre, elle renverse d’un seul tenant tout ce bel édifice moral dans l’ornière finale de l’ « habileté ».  Sans pour autant prendre le parti facile de l’antiphrase qui aurait lourdement démontré la malhonnêteté de toute honnêteté, l’énoncé déguise cette malhonnêteté sous forme d’ « habileté », exactement de la même manière que le reste des Maximes énumère tant d’autres « vices déguisés » en vertus apparentes.  Cependant, là encore, personne ne s’y trompe, et seule la finesse toute diplomatique des cinq premiers mots de la sentence permet de dissimuler l’affront aux honnêtes gens que représentait la version publiée dans la première édition : « Il n’y a personne qui sache si un procédé net, sincère et honnête, est plutôt un effet de probité, que d’habileté.[32]  »  Au moins, dans sa version finale, l’énoncé n’exclut plus la possibilité qu’une certaine élite, celle au « jugement » le plus infaillible sans doute, puisse encore et toujours se prémunir contre les faux semblants de l’ « habileté ».  La Rochefoucauld n’en remet plus à Dieu seul la grâce de ne pas se laisser duper par les gens trop habiles ; cet honneur pourrait apparemment aussi être partagé par les plus honorables, à savoir, bien sûr, par nuls autres que les plus « honnêtes » parmi les honnêtes gens, cela s’entend.  Que cette honnêteté se réfère alors seulement aux « vrais » honnêtes gens, cela semble également aller de soi, puisqu’il y aurait intrinsèquement quelque injustice à ce que la « fausse » honnêteté soit pareillement récompensée par l’honneur d’un similaire état de grâce.  Mais que ce « jugement » puisse appartenir, de la sorte, à tous ceux qui seraient assez lucides pour l’exercer correctement, cela se pourrait tout aussi bien, et l’on en reviendrait alors à l’insulte délicate de la maxime 208 selon laquelle même les plus « niais », qui partagent cette lucidité parce qu’ils « se connaissent », méritent apparemment plus le droit au jugement « difficile » que certaines honnêtes gens.  Qui de plus qualifié, en effet, que l’habile homme lui-même pour reconnaître l’ « habileté » de son propre « procédé » ?  Donc, par extension logique, comment ne pas voir dans le « jugement » inspiré du « vrai » honnête homme une part d’ « habileté » nécessaire, tout au moins pour ne pas se laisser berner par son habile alter ego ?

Cette cohabitation ironique entre l’honnête homme et son habile rival atteint bientôt le paroxysme de l’ambivalence avec la confusion identitaire généralisée que produit la maxime 66 : « Un habile homme doit régler le rang de ses intérêts et les conduire chacun dans son ordre ; notre avidité le trouble souvent, en nous faisant courir à tant de choses à la fois, que pour désirer trop les moins importantes, on manque les plus considérables. »  Qui est ici l’ « habile homme » ?  Toujours cette tierce personne dont l’ « avidité » dérange, et que l’on préfère maintenir à distance, notamment par l’usage de la troisième personne ?  Sans doute, puisque d’une part, on retrouve ici  peu ou prou la même méfiance vis-à-vis de l’ « ordre [des] intérêts » bourgeois que dans la maxime 170, lorsque l’ « habileté » s’était opposée à l’ordre des valeurs « honnêtes » de l’aristocratie ; là où l’honnête homme s’inquiète noblement du salut de son âme, l’habile homme, pour sa part, ne saurait se soucier que du statut de sa bourse.  D’autre part, la maxime 66 renforce encore plus visiblement la distance entre les deux partis, surtout avec l’opposition grammaticale entre la troisième personne minoritaire représentée par l’unique pronom d’objet direct « le », et la première personne majoritaire représentée à la fois par le pronom sujet « nous » et par l’adjectif possessif « notre »[33].  La situation se complique, toutefois, lorsque l’on observe, assez curieusement, que c’est en fait au substantif « avidité » que se rattache l’adjectif « notre ».  Malgré son affinité lexicale avec les « intérêts » du début, l’ « avidité » n’appartient pas à l’ « habile homme », mais bien plus paradoxalement au « nous » énonciatif, autrement dit à ce groupe humain bien vaguement défini, mais auquel appartiendrait les semblables de La Rochefoucauld, et donc, par assimilation, l’ensemble des honnêtes gens.  On assiste alors à une dévalorisation instantanée, quoique tacite, de l’honnêteté face à l’habileté, accompagnée d’une revalorisation simultanée des « intérêts » de l’ « habile homme ».  Pour la première fois, sans doute, l’habileté n’est plus une simple « niaiserie » bourgeoise (maxime 208) menaçant à tout instant de trahir la « probité » aristocratique (maxime 170), mais au contraire, elle devient le lieu d’un renversement axiologique où l’économie bien « réglée » des uns prime sur l’éthique déréglée des autres, et où la tendance à « courir » des derniers en appelle au devoir de « conduire » des premiers.

Or, qui dit renversement axiologique, dans la maxime 66, ne dit pas encore confusion identitaire.  Pour en arriver à cette apothéose du rapport ironique entre honnêteté et habileté, il faut se pencher plus spécifiquement sur la syllepse grammaticale entre le « nous » et le « on » que La Rochefoucauld introduit et maintient à partir de la deuxième édition[34]. Avant cela, ni la première édition, ni l’édition de Hollande, ni même les principaux manuscrits n’envisageaient la moindre rupture dans la séquence pronominale du « nous »[35].  Pourquoi un tel changement ?  En admettant que la dynamique linguistique de la maxime 66 s’échafaude effectivement entre l’ « habile homme » objectivé par le pronom « le » et le sujet énonciatif « nous », le lecteur reconnaît dans l’usage du pronom sujet « on » à la fois l’indétermination collective du « nous » et la singularité pronominale du « le ».  Le « on », qui enclenche ici la syllepse, en déclenchant une inconsistance grammaticale entre une fonction sujet tour à tour plurielle puis singulière, opère en fait un rapprochement entre les pôles apparemment opposés de la première personne (« nous ») et de la troisième personne (l’ « habile homme »).  Autrement dit, le « on » de la maxime 66 réunit, sous forme d’un seul pronom, ce que le syntagme « notre avidité le trouble souvent » avait essayé de séparer.  Plus moyen donc d’insister ici sur toute une rhétorique de l’opposition entre l’habile homme (« le ») et les honnêtes gens (« notre ») ; par leur réduction à la particule élémentaire du « on », l’honnêteté et l’habileté deviennent proprement indissociables, quelle que soit la valeur qui tienne en fin de compte le haut du pavé axiologique[36].

A force de vouloir constamment nier son « complexe de Gourville » ou cette force qui l’attire irrésistiblement vers son habile alter ego, l’honnête homme de La Rochefoucauld finit presque par y perdre son identité.  Mais pas tout à fait.  L’honnêteté résiste en effet, malgré tout, à sa cooptation totale par l’habileté, et ce grâce à un dernier tour de magie ironique.  Cette ironie finale s’appelle la « finesse », et selon que le magicien des Maximes lui applique un coup de baguette magique ou deux, on voit alors soit resurgir l’ancienne « fausseté », soit apparaître une nouvelle « subtilité »[37].

Certes, la « finesse » selon La Rochefoucauld se rattache beaucoup plus explicitement au concept d’habileté qu’à celui d’honnêteté.  Ainsi, dans la séquence 124 à 127 des Maximes où chacune des sentences traite de la « finesse », on remarque que deux des maximes définissent cette notion en rapport direct avec la fameuse « habileté ».    Mais ce rapport, pour direct qu’il semble, ne simplifie pas les choses.  En effet, alors que, d’un côté, la sentence 124 prétend que : « Les plus habiles affectent toute leur vie de blâmer les finesses, pour s’en servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intérêt », de l’autre, la maxime 126 affirme que : « Les finesses et les trahisons ne viennent que de manque d’habileté ».  D’une part, la « finesse » s’associe au mode superlatif de l’habileté (« les plus habiles »), de l’autre, elle résulterait d’un « manque ».  Comment interpréter les termes de ce nouveau paradoxe ?  La meilleure solution réside dans une comparaison purement grammaticale des deux sentences ; alors que dans la maxime 124, les « habiles » gens restent en position de sujet par rapport aux « finesses » qu’ils dominent (« blâmer ») et qu’ils administrent (« s’en servir »), dans la maxime 126, inversement, l’ « habileté » devient l’objet de ces mêmes « finesses »[38].  Autrement dit, tant que l’habileté maintient le contrôle de la « finesse », l’habile homme maintient le droit d’évoluer au niveau le plus superlatif de sa maîtrise, mais dès lors qu’elle en perd le contrôle, elle se retrouve automatiquement en défaut par rapport à sa propre essence, c’est-à-dire en « manque ».  De la même manière que l’honnête homme se divise autour de la question de la « fausseté », selon qu’il ne la contrôle plus (maxime 202) ou qu’il croit encore la maîtriser (maximes 203 et 206), l’habile homme donnerait donc lui aussi la même impression d’être partagé, mais quant à lui, autour du concept opératoire de « finesse »[39].

Il faudrait faire attention, toutefois, à ne pas exagérément simplifier cette « finesse » au point de la réduire à une constante monosémique.  Certes, pour reprendre la formulation de la sentence 125, la « finesse » semble avant tout « la marque d’un petit esprit » qui, par ailleurs, « s’en sert pour se couvrir »[40].  Mais il ne faudrait pas non plus oublier les derniers mots de cette maxime dans laquelle La Rochefoucauld semble se délecter de l’emploi d’une antanaclase antithétique sur le verbe « se découvre ».  D’un côté, l’action de « se couvrir » invite au voyeurisme de l’antithèse sur « se découvrir », comme si la « finesse » n’était pas une couverture assez large pour bien recouvrir le « petit esprit » (voire le « manque d’habileté » de la sentence suivante).  De l’autre, la polysémie de « se découvrir » appelle à l’ironie de l’antanaclase, comme si la « finesse » représentait non seulement une mise-à-nu embarrassante pour l’habile homme, mais aussi un moment heuristique de révélation identitaire.  On reconnaît ici le même type d’ironie que celui de la sentence 206, préalablement commentée, où c’était l’honnête homme, cette fois, qui prenait plaisir, d’une part, à « être [involontairement] exposé » aux autres courtisans, et d’autre part, à « vouloir » cet exhibitionnisme avantageux.  Autrement dit, la « finesse »  pour l’habile homme ressemble, une fois encore, à la « fausseté » pour l’honnête homme.  Dans le pire des cas,  cette « finesse » / « fausseté » contrarie la poursuite absolue de la connaissance de soi, puisque l’une permet de « se couvrir » (maxime 125) et l’autre de « se déguiser » (maxime 202).  Inversement, dans le meilleur des cas, l’habile homme / honnête homme parvient à contrecarrer cette perte identitaire, puisque l’un « se découvre » (maxime 125) et que l’autre « s’expose » (maxime 206).

Tout comme la « fausseté », chez l’honnête homme, semble perpétuellement rechercher son pendant de « vérité », il ne paraît alors guère surprenant que la « finesse », chez l’habile homme, recherche elle aussi son complément.  La maxime 125 nous y prépare, non seulement avec son antanaclase finale, mais aussi avec sa précision initiale.  Il faut rappeler, en effet, que ce n’est pas simplement la « finesse » qui est condamnée par l’énonciateur, mais plutôt « [l’] usage ordinaire » que l’on en fait.  Ainsi, serait-il vraiment si difficile pour l’habile homme de concevoir une forme « extraordinaire » de cette « finesse » ?  Apparemment pas, puisque cette forme existe déjà, quelques sentences auparavant, dans la maxime 117 dont la proposition majeure nous livre la déclaration suivante : « La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les pièges que l’on nous tend ».  Si, pour La Rochefoucauld,  la « finesse » de l’habile homme peut sembler paradoxalement « grossi[è]r[e] » (maxime 129), lorsqu’elle s’associe aux « petit[s] esprit[s] » (maxime 125), aux « trahisons » (maxime 126) ou autres tromperies (maximes 127 et 129),  c’est parce qu’il lui manque ce complément de « subtilité » qu’elle trouve dans la sentence 117[41].  « Subtilité » qui lui accorde ici une valeur superlative (« [l]a plus subtile de toutes ») dès lors comparable au superlatif de la sentence 124 où seuls « [l]es plus habiles » semblaient avoir maîtrisé l’art d’une telle « finesse », mais « subtilité » qui devra par ailleurs surveiller de près son équilibre, car au-delà du superlatif de la perfection, même la plus grande « finesse » finit par retomber, et comme par hasard, dans la « fausseté » : « La trop grande subtilité est une fausse délicatesse » (maxime 128).

Il y a donc effectivement connivence, dans les Maximes, entre la « finesse » de l’habile homme et la « fausseté » de l’honnête homme, et nulle part, sans doute, plus visiblement que dans la comparaison entre les sentences 117 et 282[42].  Comment ne pas remarquer, en effet, l’étrange similarité, d’une part, entre « [l]a plus subtile de toutes les finesses » et « des faussetés déguisées qui représentent si bien la vérité », et d’autre part, entre « feindre de tomber dans les pièges » et « s’y laisser tromper » ?  D’un côté, La Rochefoucauld nous invite à lexicalement polariser les extrêmes de la « finesse » / « fausseté » et de la « subtilité » / « vérité ».  De l’autre, il nous rappelle qu’il n’y a, logiquement cette fois, aucune contradiction à vouloir rapprocher ces pôles, et dès lors aucune honte à s’abandonner à la « tromper[ie] » et aux « pièges ».  Pourquoi jouer un tel jeu ?  Parce que ne pas « feindre de tomber » ou de « s’y laisser tromper » serait, du côté de l’habile homme, une faute de « savoir » (sentence 117), et du côté de l’honnête homme, une faute de « juge[ment] » (sentence 282).  Autrement dit, l’important, pour l’habileté comme pour l’honnêteté, reste certes dans la poursuite du « bien » suprême, qu’il soit « subtilité » ou « vérité », mais à condition que cette poursuite reste nécessairement teintée de « finesse » et de « fausseté ».  Car de même que sans le risque de la « finesse », l’habile homme ne parviendrait sans doute jamais à la récompense de la « subtilité » ; de même, sans le danger de la « fausseté », l’honnête homme ne trouverait sans doute jamais, lui non plus, le repos de sa « vérité ».

 Ainsi, là encore, le propre de l’ironie des Maximes consiste non pas à se réfugier une fois pour toutes dans la résolution antiphrastique d’un problème, ici celui du duel identitaire entre honnêteté et habileté, mais plutôt à révéler les multiples aspects de certaines dualités conceptuelles de sorte à dynamiser l’ambivalence de leur rapport.  L’ironie finale, à laquelle je faisais précédemment allusion comme à un coup de baguette magique, peut bien se manifester sous forme de concept unique, comme par exemple celui de la « finesse », mais seulement dans la mesure où ce concept finit à son tour par se dédoubler sous forme d’apparition bicéphale.  D’une part, la « finesse » peut effectivement se rapprocher de la « fausseté », tout comme l’habile homme peut effectivement se rapprocher de son honnête rival ;  d’autre part, elle doit se distancer aussi « habilement », pourrait-on dire, de la « subtilité » que la « vérité » ne doit « honnêtement » se distancer de la « fausseté ».  D’une part comme de l’autre, la « finesse » dépend d’un dédoublement conceptuel, soit par rapprochement, soit par éloignement, et c’est en ce sens que La Rochefoucauld continue à nous jouer ses tours de magie ironiques.  Dans le microcosme gnomique du modèle réduit, aucune autre créature ne saurait vraiment sortir du chapeau que cette étrange chimère bicéphale, pourtant si familière.  Chimère d’autant plus familière, en fait, qu’on reconnaît en elle le Janus bifrons de l’honnête homme, et pourtant chimère plus étrange encore, puisqu’au lieu de révéler une créature dont le double visage appartiendrait à une seule et même tête, c’est ici une créature à double tête et potentiellement donc au quadruple visage qui surgit.  D’un côté, l’honnête homme et son double « déguisement » de « fausseté » et de « vérité » ; de l’autre, son habile compère et sa double « feinte » toute en « finesse » et en « subtilité ».  Entre les deux ?  Un tête-à-tête à géométrie variable où les participants, toujours plus similaires entre eux qu’ils ne voudraient l’admettre, finissent certes par se méprendre et se confondre, mais apparemment jamais au point d’en perdre eux-mêmes la tête.

Car si l’honnête homme de La Rochefoucauld souffre sans doute d’un « complexe de Gourville » qui lui fait quelque peu tourner la tête, fort heureusement pour lui, ce rapprochement plutôt terre-à-terre ne l’empêche pas de garder la tête haute.  Si l’on accepte qu’à cette géométrie spatiale correspond celle de l’habileté qui, elle aussi, se satellise autour de la « finesse » et de la « subtilité », et si l’on concède, par ailleurs, qu’il existe également le même type de satellisation entre l’honnêteté et l’habileté, on reconnaît alors la nécessité d’une structure elliptique, non plus à deux centres, comme on pouvait encore le croire auparavant, mais bien à quatre.  Ainsi, lorsque l’honnête homme se trouve attiré dans l’orbite des « finesses » par une habileté qui l’insulte, il n’en revient que plus facilement, et comme pour mieux se consoler, dans l’orbite de sa propre « vérité ».  Inversement, quand il entre dans l’orbite privilégiée de la « subtilité » qui lui rend l’habileté beaucoup plus attrayante, c’est comme par scrupule qu’il s’en retourne à l’orbite de la « fausseté »[43].  L’ellipse de l’honnêteté, que l’on croyait assez simple à l’origine, puisque réduite au double centre de sa « vérité » et de sa « fausseté », s’allonge alors de telle manière à non seulement englober l’ellipse de l’habileté (« finesse » et « subtilité »), mais aussi se dédouble en sorte que les centres opposés de chaque ellipse (« vérité » / « finesse » et « subtilité » / « fausseté ») peuvent alors dessiner leur propre ellipse.  De loin, il semblerait que l’honnête homme soit désormais satellisé entre les pôles de son honnêteté et de son habileté.  De plus près, toutefois, on s’aperçoit que cette ellipse reste double, afin sans doute de permettre à l’honnêteté de toujours revenir sur ses bases (« vérité » et « fausseté »), sans jamais avoir à y rester plus longtemps que la durée d’une attraction orbitale.  L’honnête homme des Maximes reste donc plus que jamais sur orbite, et c’est en ce sens, quel que soit le nombre de têtes que lui invente son magicien, qu’il se retrouve avec la tête perpétuellement dans les étoiles.

Figure 1:

Figure 1

 

 

 

Conclusion : les ellipses de l’honnêteté

Quel bilan tirer de cette figure elliptique que dessine l’honnête homme de La Rochefoucauld ?  D’abord, la figure elliptique tracée par l’honnête homme des Maximes évoque la notion de distance entre les centres, et donc de trajet orbital effectué dans le silence d’un espace interstellaire.  Sans doute pas dans « [l]e silence éternel de ces espaces infinis » qui avaient angoissé Pascal, mais certainement dans ce « silence » dont rêvait le mathématicien clermontois pour ne jamais à avoir à imposer son jugement à autrui, tout au moins verbalement[44].  Silence moins métaphysique que purement rhétorique, mais silence d’autant plus représentatif de la pensée gnomique et de ses blancs typographiques que La Rochefoucauld lui-même se considère comme un grand timide, et qu’il préfère soi-disant  se taire, plutôt que de diriger la « conversation ».  Le courtisan des Maximes se fait elliptique non seulement par satellisation sociale, mais aussi par silences sémantiques, et c’est ce sens, qu’il nous permet de redécouvrir une définition souvent négligée de l’ « honnête homme » comme celui « qu’on ne connaît pas ou dont on ne veut pas dire le nom » (première édition du Dictionnaire de l’Académie française)[45].  Les silences elliptiques de La Rochefoucauld seraient-ils alors ceux d’un honnête homme qui préfèrerait presque ne pas se faire connaître ?  Hypothèse assez douteuse pour un aristocrate si friand de reconnaissance sociale, mais hypothèse dont la validité augmente dès lors que l’on se souvient à quel point le courtisan des Maximes souhaite se faire valoir avant tout par sa discrétion.  Contrairement au courtisan de Faret qui, quant à lui, ne montre aucun scrupule à déballer son bagout, l’honnête homme chez La Rochefoucauld préfère encore rester du côté elliptique de ceux « qu’on ne connaît pas » assez, plutôt que de passer du côté arriviste de ceux qui se seraient peut-être un peu trop fait connaître et « dont on ne veut pas dire le nom ».  C’est ainsi, sans doute, que l’ « honnête homme » des Maximes incarne le plus élégamment l’idéal classique de l’honnêteté ; là où l’honnête bourgeois prétendrait mettre la musique des sphères au diapason de sa voix, seul l’honnête aristocrate (en tout cas celui de La Rochefoucauld) saurait « vraiment » apprécier la « subtilité » du silence.

Finalement, la figure elliptique dessinée par l’honnête homme évoque surtout l’illusion optique.  Tout comme, de loin, la quadruple ellipse résumée schématiquement dans la figure précédente ressemble à une seule ellipse englobant les centres de la « vérité » et de la « subtilité », de près, on remarque également la présence d’une autre ellipse potentielle, celle qui réunirait les centres de la « fausseté » et de la « finesse ».  Or, pas plus qu’il ne pourrait évoluer exclusivement entre les sphères un peu trop parfaites de la « vérité » et de la « subtilité », l’honnête homme ne saurait non plus s’astreindre à l’orbite entre les deux imperfections de la « fausseté » et de la « finesse ».  En effet, ce n’est pas parce que, comme le démontre impitoyablement Coulet dans son article éponyme, la seule peur de La Rochefoucauld se résume effectivement à « la peur d’être dupe », que l’honnête homme lui-même s’enferme nécessairement dans une fuite perpétuelle entre les pôles les plus exaspérants de son parcours orbital.  Au contraire, au nom de cet amour-propre omniprésent dans les Maximes, l’honnêteté tend à contrebalancer ses faiblesses intimidantes (la « fausseté » et la « finesse ») en leur opposant ces forces de résistance rassurantes que sont la « vérité » et la « subtilité ».  Ainsi, en partant des deux ellipses internes de la « vérité/fausseté » et de la « subtilité/finesse », puis en les faisant communiquer entre elles, tantôt par l’opposition de leurs pôles (faibles et forts), tantôt par l’assimilation (faibles ou forts), on parvient alors à un système elliptique composé non pas de quatre ellipses, mais de six. 

En ce sens, l’idéal de l’honnêteté classique n’a presque rien à voir avec l’absolutisme d’une esthétique immuable et donc éternelle.  Ici, l’idéal plutôt baroque de La Rochefoucauld, il faut bien le concéder, c’est celui du relativisme d’une esthétique en trompe-l’œil, aussi mobile que fragile.  L’honnête homme des Maximes serait alors toujours le produit de ces formules lapidaires qui tomberaient comme autant de sentences d’une Grande Inquisition, mais seulement dans la mesure où ces mêmes formules résonneraient, à leur tour, du murmure à la fois sidéré et sidérant d’un Galilée fameusement ironique qui, fouetté dans son amour-propre après avoir dû rétracter ses théories hérétiques, se serait éloigné silencieusement, tout en jurant dans sa barbe : « E pur si muove…e pur si muove…e pur si muove. »

University of Vermont

Ouvrages cités

Attal, Pierre. “Emplois de ‘on’ chez La Rochefoucauld.” L’information grammaticale 32 (1987): 12–16.

Bakhtine, Mikhaïl. Esthétique et théorie du roman. Trad. D. Olivier et M. Aucouturier. Paris: Gallimard, 1978.

Bury, Emmanuel. Littérature et politesse. Paris: PUF, 1996.

Coulet, Henri. “La Rochefoucauld ou la peur d’être dupe.” Hommage au doyen Etienne Gros. Gap: Faculté des Lettres et Sciences Humaines d’Aix-en-Provence, 1959. 105–12.

Descartes, René. Œuvres et lettres. 1628–49. Paris: Gallimard, 1966.

Faret, Nicolas.  L’honnête homme; ou l’art de plaire à la court. 1630. Paris: PUF, 1925.

Furetière, Antoine. Dictionnaire universel. 1690. Rotterdam: Leers, 1701.

Gourville, Jean Hérault de. Mémoires. Paris: Ganeau, 1724.

Jankélévitch, Vladimir. L’ironie ou la bonne conscience. Paris: PUF, 1950.

La Fontaine, Jean de. Fables. 1668–93. Paris: LGF, 1972.

La Rochefoucauld, François de. Réflexions ou sentences et maximes morales. Ed. Laurence Plazenet. Paris: Champion, 2005.

Maloux, Maurice. Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes. Paris: Larousse, 1980.

Mazère, Alain. La Rochefoucauld: le duc rebelle. Paris: Le Croît vif, 2007.

Minois, Georges. La Rochefoucauld. Paris: Tallandier, 2007.

Pascal, Blaise. Pensées et opuscules. 1670. Ed. L. Brunschvicg. Paris: Hachette, 1955.

Perelman, Chaïm et Lucie Olbrechts-Tyteca. Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique. Paris: PUF, 1958.

Richelet, César-Pierre. Dictionnaire françois. Genève: Widerhold, 1680.

Rohou, Jean. “La Rochefoucauld, témoin d’un tournant de la condition humaine.” Littératures classiques 35 (1999): 7–35.

Sarduy, Severo. Barroco. Buenos Aires: Sudamericana, 1974.

Schoentjes, Pierre. Poétique de l’ironie. Paris: Seuil, 2001.

Stanton, Domna. The Aristocrat as Art. New York: Columbia UP, 1980.



[1]Hypothèse beaucoup plus vraisemblable pour Richelet que Furetière puisque, d’une part, ce dernier avait déjà connu le succès littéraire avec la publication de son Roman bourgeois et que, d’autre part, le premier s’était, en son temps, distingué presque autant pour son érudition (le volume de Richelet étant, après tout, le premier dictionnaire de langue française) que pour ses diverses polémiques avec ses rivaux, notamment Furetière.

[2]La citation exacte, aussi bien chez Richelet que chez Furetière se limite en effet à dire que « l’honnête homme est celui qui ne se pique de rien », d’où l’abstraction dans les deux de l’adjectif « vrai » attribué à La Rochefoucauld.

[3]Ironie polyphonique dans son sens premier, c’est-à-dire dans le sens que lui donna Bakhtine dans Esthétique et théorie du roman : « L’ironie permet d’exprimer une distanciation du narrateur par rapport à un discours qui n’est pas le sien, et cette distanciation peut être plus ou moins explicite » (119). Sens repris encore plus élégamment par Jankélévitch dans sa propre réflexion sur l’ironie, qui a de surcroît le mérite d’escamoter les concepts narratologiques, devenus problématiques, de narrateur et de focalisateur : « n’avoir pas de ‘point de vue’, ou mieux encore ; c’est adopter tour à tour une infinité de points de vue, en sorte qu’ils se corrigent mutuellement » (30).

[4]Avec tout le respect que je dois à la synthèse magistrale de Schoentjes, pour qui l’ironie de situation devrait occuper une place comparable en poétique à l’ironie verbale, je me permettrai ici de rappeler deux distinctions établies par le rhétoricien belge lui-même pour justifier mon propre choix ; d’une part, l’ironie de situation est fondée sur un discours moins rhétorique que dramatique, d’où son moindre intérêt pour l’analyse d’un texte non-théâtral ; et d’autre, la figure dominante de cette ironie dramatique (ou ironie du sort) n’est donc pas celle de l’antiphrase mais de la péripétie, figure superflue, là encore, dans l’analyse du discours gnomique (26).

[5]Illustre inconnu que ce Gourville dont je sais gré à Mazère et à Minois de m’avoir révélé l’existence dans leurs biographies  de La Rochefoucauld, et dont les Mémoires, malheureusement sans grand intérêt littéraire, révèlent  tout le génie politique et économique qui manquèrent  si cruellement à l’auteur des Maximes.  Je reviendrai bien sûr plus en détail sur ce personnage, ultérieurement dans ce chapitre, mais seulement à titre de figure symbolique, c’est-à-dire de repoussoir contre lequel se détacherait un profil de l’honnête homme bien plus ambivalent.

[6]Le premier, Louis-Alexandre de La Rochefoucauld d’Anville (1743–1792) en tant que traducteur de la Constitution américaine, et le second, François-Alexandre-Frédéric de La Rochefoucauld-Liancourt (1747–1827) en tant que président de l’Assemblée nationale et partisan de l’abolition de l’esclavage.

[7]Référence à l’origine, bien sûr, aux ellipses de Kepler, mais surtout à celles de Sarduy qui voit en elles la métaphore idéale pour symboliser l’excentricité d’une écriture de type baroque.

[8]Maxime 202 : « Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes.  Les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent. »

[9]Je rappelle, toutefois, que le néologisme de Bakhtine (« hétéroglose » ou « autre langue ») avait à l’origine été conçu pour dépasser les limites du formalisme russe en ouvrant la voie à une sorte de sociologie culturelle, mais que ce dépassement s’appliquait avant tout au roman.  Je ne prétends donc pas savoir si Bakhtine aurait jugé approprié d’appliquer son concept à d’autres genres, comme celui de la maxime, par exemple.

[10]C’est dans Irony’s Edge (1994) que Hutcheon développe à l’origine son concept de « communauté discursive » dont la traduction en français apparaîtra ultérieurement dans son essai pour Schoentjes.  Concept même à cette époque quelque peu éculé, puisque l’on en retrouve les origines dans le Traité de l’argumentation de Perelman et Olbrechts-Tyteca (1958), mais concept que la critique canadienne aura eu le mérite d’associer pour la première fois à une étude sur l’ironie : « Ce n’est pas tant l’ironie qui crée des communautés ou des groupes d’initiés ; au contraire, l’ironie survient en raison de l’existence préalable de ‘communautés discursives’ qui fournissent le contexte tant pour l’encodage que pour l’attribution de l’ironie » (297). 

[11]Hutcheon donne ainsi, comme illustration de ce phénomène de marginalisation ironique, le double exemple de son propre sentiment d’exclusion, non seulement en tant qu’intellectuelle nord-américaine culturellement aliénée par la satire politique de ses collègues européens, mais aussi en tant que femme indépendante marginalisée au sein de sa propre société par le discours des mères de famille (Schoentjes, 297).  Elle n’accorde certes pas grande importance à l’immense réservoir d’empathie qui permettrait, surtout à une personne plus éduquée, de transcender ces barrières culturelles, mais son argument rappelle en tout cas la réalité incontournable d’une constante balkanisation sociolinguistique des groupes humains.

[12]Pour le rejet des stoïciens : « La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir, mais les maux présents triomphent d’elle » (maxime 22), et pour celui des cyniques : « Le mépris des richesses était dans les philosophes un désir caché de venger leur mérite de l’injustice de la fortune, par le mépris des mêmes biens dont elle les privait ; c’était un secret pour se garantir de l’avilissement de la pauvreté ; c’était un chemin détourné pour aller à la considération qu’ils ne pouvaient avoir par les richesses » (maxime 54).  Seul Caton d’Utique, stoïcien célèbre pour son suicide en réponse au triomphe de César, mérite apparemment le droit de cité chez La Rochefoucauld (maxime 504), mais seulement pour subir une dégradation encore plus humiliante face au vulgaire « laquais » qui aurait poussé son effronterie jusqu’à « danser sur l’échafaud ».

[13]Non point que La Rochefoucauld ne s’intéresse pas à l’histoire, comme en témoigne sa réflexion intitulée « Des événements de ce siècle », mais son intérêt semble se porter plus vers l’histoire contemporaine colportée dans les salons que vers l’histoire antique chroniquée par les Gréco-romains.

[14]Maxime 191 : « On peut dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie comme des hôtes chez qui il faut successivement loger ; et je doute que l’expérience nous les fît éviter s’il nous était permis de faire deux fois le même chemin » ; maxime 405 : « Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, et nous y manquons souvent d’expérience malgré le nombre des années. »

[15]Faret intitule en effet toute la quatrième section de son manuel « Des qualités de l’esprit », et La Rochefoucauld reprend cette même expression dans les maximes 80 et 425.  Ni chez l’un ni chez l’autre, toutefois, ne s’engage-t-on à spécifier en quoi consistent exactement ces fameuses « qualités ».  Faret, comme à son habitude, s’échappe dans une énumération plutôt quantitative que qualitative des « moyens pour acquérir [la vertu] » nécessaire à guider « l’esprit » (24).  Quant à La Rochefoucauld, toujours aussi évasif que sa forme gnomique le lui permet, il se contente d’abord de nous affirmer qu’il est « facile de connaître » ces fameuses « qualités de l’esprit » (maxime 80), avant de nous confirmer ensuite qu’il n’en connaît qu’une seule, et incidemment, la plus grivoise d’entre toutes, à savoir la « pénétration » (maxime 425).  D’un côté, les « qualités » se résument à une simple question de quantité, et de l’autre, l’ « esprit » se glisse, de manière caricaturalement pinéale, dans le corps.

[16]Maxime 99 : « La politesse de l’esprit consiste à penser des choses honnêtes et délicates » ; maxime 100 : « La galanterie de l’esprit est de dire des choses flatteuses d’une manière agréable. »

[17]« Jugement » quelque peu plus raffiné chez La Rochefoucauld que chez Faret, il faut quand même le signaler, puisque là où le bourgeois semble accepter ce « jugement » comme une valeur brute et donc inutile à remettre en question, l’aristocrate, pour sa part, n’hésite pas à en suggérer elliptiquement les limites, comme dans la maxime 89 : « Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement. »

[18]Inutile d’énumérer les multiples déconvenues politico-sociales essuyées par La Rochefoucauld aussi bien avant qu’après la Fronde, quand l’affaire du tabouret, à elle seule, résume l’humiliation chronique du grand aristocrate qui, pour mieux asseoir son autorité de duc auprès du roi, dut consacrer une grande partie de sa vie à obtenir le privilège d’asseoir le postérieur de son épouse sur un des tabourets de la reine.

[19]« On ne veut point perdre la vie, et on veut acquérir de la gloire : ce qui fait que les braves ont plus d’adresse et d’esprit pour éviter la mort, que les gens de chicane n’en ont pour conserver leur bien » (maxime 221).

[20]Maxime 155 : « Il y a des gens dégoûtants avec du mérite, et d’autres qui plaisent avec des défauts. »  « [D]égoûtant », bien entendu au sens privatif par rapport à l’ineffable « bon goût » de la culture classique, mais également au sens gustatif, puisqu’aussi bien la première édition des Maximes que la version antérieure de Hollande, rappellent que c’est par une comparaison  gastronomique que La Rochefoucauld est parvenu au concept du « dégoût » : « Comme il y a de bonnes viandes qui affadissent le cœur, il y a un mérite fade et des personnes qui dégoûtent avec des qualités bonnes et estimables ».  Assez curieusement d’ailleurs, même lorsque l’idée du « dégoût » ne reflue pas entre les avatars de la maxime 155, la définition de ce qui deviendra en fin de compte le « mérite », pour sa part, fluctue considérablement.  Plazenet affirme en effet qu’il existe, entre la version de Hollande et le « 2e état » de la première édition des Maximes, un « 1er état » de cette sentence qui aurait tout simplement renversé l’adjectif final pour transformer « estimables » en « inestimables ».  La Rochefoucauld aurait donc hésité entre un « mérite » qui pouvait s’avérer à la fois propre et impropre à recevoir de l’ « estime », et de là à penser que la résorption de cette contradiction ait fini par le « dégoûter » lui-même, il n’y a qu’un pas.

[21]Maxime 455 : « Quelque disposition qu’ait le monde à mal juger, il fait encore plus souvent grâce au faux mérite qu’il ne fait injustice au véritable. »

[22]Maxime 145 : « Nous choisissons souvent des louanges empoisonnées qui font voir, par contrecoup, en ce que nous louons, des défauts que nous n’osons découvrir d’une autre sorte » ; maxime 148 : « Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui médisent » ; maxime 198 : « Nous élevons la gloire des uns pour abaisser celle des autres, et quelquefois on louerait moins Monsieur le Prince et M. de Turenne si on ne les voulait point blâmer tous deux » ; maxime 320 : « Louer les Princes des vertus qu’ils n’ont pas, c’est leur dire impunément des injures. »

[23]Maxime 143 : « C’est plutôt par l’estime de nos propres sentiments que nous exagérons les bonnes qualités des autres, que par l’estime de leur mérite : et nous voulons nous attirer des louanges lorsqu’il semble que nous en donnons » ; maxime 144 : « On n’aime point à louer, et on ne loue jamais personne sans intérêt.  La louange est une flatterie habile, cachée et délicate, qui satisfait différemment celui qui la donne, et celui qui la reçoit.  L’un la prend comme une récompense de son mérite ; l’autre la donne pour faire remarquer son équité et son discernement. »

[24]Car il arrive parfois, comme dans le cas de la fausse modestie, que le joueur récolte effectivement le double de ce qu’il escomptait : « Le refus des louanges est un désir d’être loué deux fois » (maxime 149).  Même logique du redoublement  à la fin de la sentence 144 : « l’un la prend [la louange] comme une récompense de son mérite ; l’autre la donne pour faire remarquer son équité et son discernement ».  Dans l’économie verbale de l’honnêteté selon La Rochefoucauld, on apprécie certes la reconnaissance du « mérite » que nous accordent les autres, mais faute de pouvoir toujours compter sur celle-ci, on apprécie encore plus la double reconnaissance de l’ « équité » et du « discernement » que l’on s’administre soi-même.

[25]Le goupil (ou renard) de la fable, pourrait effectivement paraître anachronique par rapport au courtisan de Faret, mais en tant que protagoniste du « Livre I » de La Fontaine, paru en 1668, il s’avère tout à fait contemporain de l’honnête homme de La Rochefoucauld.

[26]Maxime 139 : « Une des choses qui fait que l’on trouve si peu de gens qui paraissent raisonnables et agréables dans la conversation, c’est qu’il n’y a presque personne qui ne pense plutôt à ce qu’il veut dire qu’à répondre précisément à ce qu’on lui dit.  Les plus habiles et les plus complaisants se contentent de montrer seulement une mine attentive, au même temps que l’on voit dans leurs yeux et dans leurs esprits un égarement pour ce qu’on leur dit, et une précipitation pour retourner à ce qu’ils veulent dire : au lieu de considérer que c’est un mauvais moyen de plaire aux autres ou de les persuader, que de chercher si fort à se plaire à soi-même ; et que bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu’on puisse avoir dans la conversation. »

[27]Dans son autoportrait, là encore, La Rochefoucauld insiste certes que : « La conversation des honnêtes gens est un des plaisirs qui me touchent le plus. »  Toutefois, quelques lignes plus loin, dans la phrase suivante, il confesse également qu’il ne se considère pas nécessairement comme le plus inspiré des beaux esprits : « si je ne dis pas beaucoup de petites choses pour rire, ce n’est pas du moins que je ne connaisse bien ce que valent les bagatelles bien dites, et que je ne trouve fort divertissante cette manière de badiner où il y a certains esprits prompts et aisés qui réussissent si bien. »

[28]Rappel de la maxime 202 : « Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes ; les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement, et les confessent. »

[29]Maxime 199 : « Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir. »

[30]Maxime 208 : « Il y a des gens niais qui se connaissent, et qui emploient habilement leur niaiserie. »

[31]D’après la récente biographie de Mazère, le baron de Gourville (né Jean Hérault en 1625) nous est plus objectivement décrit en ces termes : « Orphelin de père très jeune, sa mère lui fit apprendre à écrire et, à 17 ans, le mit en pension chez un procureur d’Angoulême.  Il y demeura six mois puis revint à La Rochefoucauld où l’abbé Louis de La Rochefoucauld, futur évêque de St-Jean-d’Angély, frère de François VI, l’employa comme valet de chambre », et ce fut en 1646 qu’il passa au service du futur auteur des Maximes (102).  Plus subjectivement, toutefois, Mazère renforce l’image du « manipulateur ingénieux », en citant la double antonomase d’un confrère biographe qui avait, pour sa part, résumé le caractère roublard de Gourville de la manière suivante : « roublard Scapin mâtiné de Turcaret » (246).  Et Minois de renchérir de façon encore plus explicite, dans sa propre biographie, en caractérisant l’homme de main de La Rochefoucauld comme : « une sorte de préfiguration de Figaro, en ce qui concerne la débrouillardise uniquement.  Car Gourville […] n’a aucune velléité de critique sociale » (167).

[32]La version de Hollande ainsi que les différents manuscrits (Liancourt, Barthélémy et Gilbert) minimisaient certes cet affront en affirmant qu’ « [i]l n’y a que Dieu qui sache […] », mais comme La Rochefoucauld préféra, par la suite, effacer les instances de l’intervention divine dans ses Maximes, il ne resta, dans la première édition en tout cas, littéralement « personne » qui puisse démêler l’ « honnête[té] » de l’ « habileté ».

[33]Peu importe, d’ailleurs, si le pronom « le » se réfère à l’ « honnête homme » ou au « rang de ses intérêts », comme me l’avait très justement indiqué un lecteur particulièrement attentif.

[34]Rappel du texte de la maxime 66 avec la syllepse marquée en italique : « Un habile homme doit régler le rang de ses intérêts et les conduire chacun dans son ordre ; notre avidité le trouble souvent en nous faisant courir à tant de choses à la fois que, pour désirer trop les moins importantes, on manque les plus considérables. »

[35]Le texte de la première édition suffira ici à démontrer l’uniformité de l’usage du « nous », indiqué en italique ci-dessous,  et donc l’absence de toute syllepse avec un « on » jusque-là encore inexistant : « Un habile homme doit savoir régler le rang de ses intérêts, et les conduire chacun dans son ordre ; notre avidité le trouble souvent, en nous faisant courir à tant de choses à la fois, que pour désirer trop les moins importantes, nous ne les faisons pas assez servir à obtenir les plus considérables. »

[36]Pour ouvrir plus encore la problématique de cette discussion grammaticale, je rappellerai l’existence, parmi d’autres, de la très synthétique analyse d’Attal, dans les « Emplois de ‘on’ chez La Rochefoucauld ».

[37]« Finesse » qui, par principe, se démarque de l’ « esprit de finesse » pascalien, puisque là où, comme nous allons le voir, la « finesse » de La Rochefoucauld pourrait effectivement évoquer la « fausseté » des autres maximes sur l’honnête homme, celle de Pascal empêche catégoriquement une telle association : « les esprits faux ne sont jamais […] fins » (Pensées, numéro 1).

[38]Cette position d’objet pour l’ « habileté », dans la sentence 126, semble d’ailleurs être le résultat d’un travail stylistique concerté, puisque, dans la première édition des Maximes, l’adjectif « habile » maintenait une position d’attribut par rapport au sujet : « Si on était toujours assez habile, on ne ferait jamais de finesses, ni de trahisons. »

[39]Rappel : « Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes.  Les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent » (maxime 202) ; « Le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien » (maxime 203) ; « C’est être véritable honnête homme que de vouloir toujours être exposé à la vue des honnêtes gens » (maxime 206).

[40]Maxime 125 in extenso : « L’usage ordinaire de la finesse est la marque d’un petit esprit, et il arrive presque toujours que celui qui s’en sert pour se couvrir en un endroit, se découvre en un autre. »

[41]Maxime 127 : « Le vrai moyen d’être trompé, c’est de se croire plus fin que les autres » ; maxime 129 : « Il suffit quelquefois d’être grossier pour ne pas être trompé par un habile homme. »

[42]J’ai cité la « proposition majeure » de la maxime 117 au paragraphe précédent, et je citerai ici l’intégralité de la maxime 282 : « Il y a des faussetés déguisées qui représentent si bien la vérité, que ce serait mal juger que de ne s’y pas laisser tromper. »

[43]On trouvera l’un des exemples les plus probants du scrupule de l’honnête homme dans la proposition mineure de la maxime 117 que j’avais jusqu’à présent passée sous silence : « on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres. »  Autrement dit, même quand l’honnête homme jouit de sa propre « subtilité », il n’en oublie jamais que celle-ci n’est qu’une forme extrême de la « finesse », et que celle-là finit toujours par se prêter à un retour du bâton.

[44]  « Il vaut mieux ne rien dire et alors il [autrui] juge selon ce qu’il est, c’est-à-dire selon ce qu’il est alors, et selon que les autres circonstances  dont on n’est pas auteur y auront mis.  Mais au moins on y aura rien mis, si ce n’est que ce silence n’y fasse aussi son effet » (Pensées, numéro 105).

[45]Définition d’ailleurs si peu courante que ni Richelet ni Furetière n’y font la moindre allusion, mais dont l’usage, aussi discret fût-il, semble apparemment avoir mérité d’être normalisé dans la langue française.

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From Aesthetic to Ethical Cosmopolitanism in Scudéry's Le Grand Cyrus

Article Citation
XIV (2012): 37–54
Author
Ellen R. Welch
Article Text

Printable PDF, Welch, 37–54

 

The eponymous protagonist of Madeleine de Scudéry’s Artamène, ou Le Grand Cyrus (1649–1653) is an unusual kind of hero. A fictionalized version of the sixth century BCE Persian emperor Cyrus the Great, Scudéry’s Cyrus builds an empire not only through valiance in battle but also through his prodigious capacity for empathy and his ability to create fast friendships with individuals hailing from regions quite distant from his own. Indeed, the novel’s narrator and characters repeatedly highlight the hero’s cultural fluency as one of his distinguishing qualities. In the first volume, we learn that Cyrus was educated to converse freely with ambassadors visiting his father’s kingdom.[1] As an adult, he speaks multiple languages and is familiar with the “coutumes” and “lois” of countries throughout Asia Minor.[2] One character sums up Cyrus’s unique comfort in engaging with foreigners:

les Conquérants comme vous, ne sont étrangers en nulle part; et je pense pouvoir dire, qu’après avoir asujetti tant de Royaumes, vous n’êtes pas plus de Persépolis, que de Babilone, de Sardis…. et qu’ainsi je crois pouvoir assurer, que vous êtes du Pays de tout le monde (8: 339–40).

“Nowhere a stranger,” inhabitant of “the country of the whole world,” the Cyrus described in these passages appears, at least to modern readers, as a model cosmopolitan. Even though the term “cosmopolite” never appears in the novel,[3] the depiction of Cyrus echoes Enlightenment definitions of the cosmopolitan, most notably Diderot’s characterization of the figure as “un homme qui n'est étranger nulle part.”[4] In addition, by characterizing Cyrus as an open-minded, polyglot ruler, Scudéry follows the example of ancient historians, particularly Xenophon, who underlined the importance of the emperor’s tolerant attitude toward his diverse subjects.[5] But while ancient authors examined Cyrus’s “cosmopolitanism” as a strategic key to his success as a builder and leader of empire, Scudéry largely sidesteps the troubling complicity between cultural fluency and conquest.[6] Instead, she analyzes Cyrus’s cosmopolitanism as a key component of the hero’s exemplarity: a moral trait worthy of imitation by all individuals, even those outside the political realm. By following Cyrus’s example of studying languages and cultures, listening to strangers’ stories with sympathy, and extending hospitality and even friendship to all comers, the reader too might build an affective “empire” as broad as the hero’s Asian kingdom.[7]

Scudéry’s treatment of tolerance, hospitality, and extensive knowledge of foreign cultures as a matter of morality and ethics makes her novel an especially interesting historical counterpoint to twenty-first-century discourses on cosmopolitanism in which ethical concerns also tend to take center stage. As today’s thinkers look back to Antiquity or the Enlightenment for models on which to build new theories of cosmopolitanism, they are often disappointed by what they perceive as ethical failings or “blind-spots” on the part of these earlier “citizens of the world.”[8] Put in its philosophical and historical context, for example, the original cosmopolitanism – that of the third century Greek Cynics – appears as a negative “rejection of the polis” rather than a positive embrace of the cosmos (Moles 106).[9] Seventeenth- and eighteenth-century forms of political cosmopolitanism may omit slaves, women, or non-Christians from legal protections on the basis of “natural” rights.[10] A careful examination of the writings of the self-proclaimed cosmopolites of the Enlightenment reveals that, for them, the term often served as a sign of belonging in a rarefied philosophical community that transcended state borders but was definitely not coterminous with the mass of all humanity.[11] Other early modern intellectuals viewed cosmopolitanism as a type of armchair travel par excellence: the ability to “tout savoir, tout voir, et ne rien ignorer” without ever leaving the library or interacting with actual foreigners (Naudé 23). Far from outlining an ethical position on the correct way to relate with fellow inhabitants of the cosmos, this attitude might be better characterized as an intellectual or aesthetic cosmopolitanism focused on the breadth of learning of the cosmopolite himself.[12]

Against the backdrop of these “imperfect” pre-modern cosmo­politanisms, Scudéry’s characterization of Cyrus as a cosmopolitan hero contributes an original, unique reflection on the moral dimension of such a universal worldview. Throughout the novel, Cyrus’s prodigious knowledge of cultures beyond Persia as well as his compassionate acceptance of strangers into his circle of friends constitute key factors in his unique form of heroism. In addition, by framing Cyrus’s cosmopolitanism as a trait worthy of imitation by readers, the novel launches an examination of the individual’s ability or responsibility to know and accept the world’s diversity especially when face-to-face with foreigners. With its emphasis on the individual’s personal, ethical relation to foreigners, the novel echoes many tenets of Stoic cosmopolitanism, in particular the concept of oikeiōisis or the mental exercise through which alien persons or objects are assimilated into the realm of the familiar.[13] The notion that the novelist Scudéry imported Stoic wisdom into her fiction is not new. John Lyons has beautifully illustrated how she works with Stoic theories of imagination in Clélie, histoire romaine, adapting them to her own moral agenda of improving social interactions.[14] Similarly, in Le Grand Cyrus, Scudéry updates the classical model of cosmopolitanism first by translating the Stoic theory of perception into a seventeenth-century aesthetic vocabulary and second by emphasizing the importance of sociability within the cosmopolitan community as a means to reinforce harmony and cohesion. By adapting Stoic thought to her own culture in these two ways, Scudéry developed a cosmopolitan ideal distinguished from those of her contemporaries for its emphasis on the social rather than the purely intellectual.

This essay aims to illuminate Scudéry’s original perspective on cosmopolitanism through an analysis of the passage that most clearly outlines the concept: a long section of the eighth volume of Artamène which we might call the “conversation on foreigners.” At this point in the novel, Cyrus has been reunited with his beloved Mandane after many adventures that separated them and has resolved to end his imperial campaign in favor of enjoying a peaceful life with her. The hero is relaxing in a courtly setting with Mandane and a group of their noble friends when their tranquility is interrupted by the arrival of a group of envoys from Péranius, the Prince of Phocée, who has helped to found the city of Marseille. These strange visitors with their alien clothing, language, and manners intrigue and astound all the characters, including the well-traveled conqueror himself. Their astonishment leads to a lengthy discussion about the appropriate way to treat foreigners, a conversation that eventually leads to the conclusion that “il y avait beaucoup d'injustice, à n'avoir pas beaucoup d'indulgence pour les Etrangers” (8: 345). This statement in favor of tolerance may well strike modern readers as bland and facile. It is significant in the context of early modern discourses on cosmopolitanism, however, because it frames cultural tolerance not as an idealized attitude but rather in practical terms of “justice” and ethics. As I will show, the conversation not only debates the question of whether cultural tolerance is desirable but also examines exactly what that tolerance might entail. In this way, Scudéry shifts the parameters of the early modern understanding of cosmopolitanism away from a purely abstract, intellectual notion of open-mindedness and toward a more practical, moral stance on the correct way to treat strangers both personally and politically.

In recent years, critics have given increasing recognition to Scudéry’s status as a moralist, philosopher, and even political theorist of seventeenth-century France.[15] Typically, though, it is not her novels but her later works, Conversations morales and Conversations sur divers sujets, that are considered in this light. The conversations on abstract topics such as “De l’air galant” or “Du mensonge” update the classic genre of philosophical dialogue through allusion to salon culture: They incorporate multiple voices, rather than the dialogue’s stark pair of interlocutors, to elaborate many facets of a topic before reaching a conclusion.[16]They also privilege wit and a refined style in their language, bringing the rhetorical arts to bear on the pursuit of moral or philosophical truth. Although the volumes of Conversations may be the most obvious place to seek Scudéry’s moral and ethical meditations, the novels should not be overlooked as an equally rich source. Nathalie Grande notes the “grande continuité entre les romans et les œuvres morales scudériennes” (40). Indeed, several of the “conversations morales” had originally appeared in her novels.[17] The “conversation on foreigners” was never extracted from Le Grand Cyrus for publication as a moral conversation. Yet, it shares many of the characteristics of those novelistic passages that later made their way into Scudéry’s volumes of moral writing.[18] A “set piece” discussion among characters (Goldsmith 48–9), it is digressive from the primary narrative and relatively self-contained. Like many of Scudéry’s other moral conversations, it is led by a wise female character, Mandane, who seeks to correct a flawed belief held by another character. Through discussion, Mandane persuades not only the character in error but also the rest of their assembled friends to adopt her view. The conversation concludes on a note of consensus and harmony as the narrator articulates the moral “finding” of the participants.

In fact, the initial presentation of the conversation immediately signals to the reader that this section of the novel constitutes a moralizing digression from the main narrative. The arrival of Périanus’s envoys at Cyrus’s court establishes what Delphine Denis calls the “fonction intra-fictionelle” of the discussion—that is, it is motivated by and enables the continuation of the plot (La muse galante 48). Yet, these foreigners appear not so much as characters in their own right as figures of absolute alterity. The novel’s presentation of the emissaries highlights their radical foreignness, describing their strange clothing in some detail. While the leader of the embassy, Thryteme, can communicate with Cyrus and Mandane in Greek, the lingua franca of Cyrus’s territory, his two companions do not speak any of Cyrus’s languages and therefore remain uncannily silent throughout their visit. Finally, Cyrus admits he is completely unfamiliar with the kingdom the envoys represent, placing them literally off the map of the known world. As Cyrus’s friend Artamas marvels, “à ce que je vois, il y a encore des Peuples que le vainqueur de l'Asie ne connaît pas” (8: 336). Inspired by these representatives of the unknown and utterly foreign, Cyrus, Mandane, and their friends embark on a discussion of the proper response to such radical otherness.

Doralise, a female companion of Mandane, launches the conversation with a provocative response of disgust for the visitors. According to the narrator, she “trouvait je ne sais quoi de Barbare, à l'air de ces Etrangers” (8: 337). She then congratulates Cyrus on his decision to limit the extent of his empire to the eastern part of the Mediterranean. Mocking the strangers’ dress and manners, she affirms that Cyrus and Mandane are right “de ne vouloir pas de pareils Sujets” (8: 337). Doralise’s “agréable raillerie” at the expense of the envoys prompts Mandane to come to their defense. She takes charge of the conversation in order to “corriger” Doralise’s xenophobia and their friends’ complicity with her ridiculing of them. Presenting two opposite views with only occasional interjections by other voices, this conversation may be classified as an example of the “agonal” type of conversation, strongly influenced, according to Delphine Denis, by the Aristotelian version of dialectic and aimed at convincing the incorrect party to adopt the correct perspective (La muse galante 66–7). The goal of the conversation is essentially persuasive and pedagogical, leading the reader as well as the fictional interlocutors to accept the community’s moral and aesthetic code.

Foreshadowed in this way by the form and structure of the conversation, Mandane’s triumph at the conclusion of the discussion comes as no surprise. The richness of the conversation lies instead in its exposé of the terms used to address foreignness and tolerance in seventeenth-century France, gradually shifting the debate from a matter of individual judgment toward one of positive action. Throughout much of the conversation, the interlocutors reflect the kind of intellectual or aesthetic cosmopolitanism seen in contemporary discourses, relying on a vocabulary of vision, appreciation, and judgment to address the place of difference and diversity in the world. Doralise, for example, explains that her aversion to the foreign visitors derives from the injury their appearance and manners cause to her aesthetic sensibilities.

Ce que je veux…est qu'un Etranger se conforme en effet autant qu’il peut, aux coutumes des Pays où il est: et qu'il ne surprenne pas les yeux par ces habillements bizarres, où l’on n'est point accoutumé, si ce n’est en quelque magnifique Entrée, où il soit mêlé dans une grande Troupe. Je veux encore qu’il parle peu, s'il n'est assuré de parler bien: je veux de plus qu’il se contente de paraître libéral, et magnifique, sans prétendre de passer pour poli, ni pour Galant: puis qu'il est vrai que la politesse, et la galanterie, sont des choses de mode et d’usage, et qui ont leur bienséance particulière en chaque Nation, dont un Etranger n’est guère souvent capable hors de son Pays. (8: 343)

For Doralise, foreignness consists of “habillements bizarres,” “la politesse, et la galanterie … des choses de mode et d'usage,” surface appearance and behavior. Foreign clothes are disruptive because they “surprise the eyes.” Silence is preferable to foreign accents. A foreigner should do his best to “appear” virtuous and noble – worthy of his hosts’ company – but should not attempt a poor imitation of local manners which might only result in an uncanny or grotesque spectacle. Doralise’s objection to foreigners, in other words, is an aesthetic response to their incongruous appearance in her social landscape.

In fact, the language Doralise employs to articulate her distaste for foreigners echoes the terms used in seventeenth-century aesthetic discourses to discuss the appropriate representation of foreign peoples and places in works of visual art and literature. Many of the period’s prescriptive texts on fiction or painting frame the depiction of foreigners in terms of bienséance and vraisemblance. Seventeenth-century thinkers accepted the notion, articulated by Doralise, that each “Nation” had its own laws, customs, and manners, its own “bienséance particulière.” To create a representation of these peoples that respected the imperative of verisimilitude, therefore, it was necessary and appropriate to depict their “coutumes” as accurately as possible. To cite one pertinent example, in her preface to Ibrahim ou l’Illustre Bassa (1641), Scudéry explains the importance of realistically describing foreign settings and people: “entre toutes les règles qu’il faut observer, en la composition de ces Ouvrages, celle de la vraisemblance, est sans doute la plus nécessaire…. J’ai donc essayer de ne m’en éloigner jamais: j’ai observé pour cela, les mœurs, les coutumes, les loix, les religions, et les inclinations des peuples” (n. pag.). She goes on to suggest that to adapt representations of foreigners to the sensibilities of the target readers—to name a Turkish character “Antoine,” for example—would be ridiculous. A plausible, and thus aesthetically pleasing, depiction of Turks required that those Turks behaved “like Turks.”[19]

In seventeenth-century aesthetics, then, it is appropriate (bienséant) that foreigners should conform to their own country’s standards of propriety (bienséances). This is precisely the argument that Mandane first employs to counter Doralise’s criticism of foreigners. Like Doralise, Mandane subscribes to the notion that bienséances are regionally specific. She asks: “N’est-il pas vrai encore, que non seulement chaque Nation, et chaque Royaume, a ses coutumes particulières, mais que même chaque Province, et chaque Ville, a ses bienséances différentes?” (8: 341–2). Mandane argues that these differences are correct, even positive: “Celui qui est né à Athènes,” she states, “ne peut pas être né à Babilone” (8: 341). Because it is natural and proper for an individual to practice the customs of his birthplace, Mandane concludes that expecting foreigners to assimilate to the customs of the countries they visit is grotesquely inappropriate:

N’est-ce pas être déraisonnable de vouloir qu’un Egyptien soit Persan, lors qu'il sera à Persépolis ; qu’un Persan soit Egyptien quand il sera à Memphis ; et que se changeant de Ville en Ville, il fasse ce qu'on dit que fait cet Animal qui prend toutes les couleurs sur quoi il passe ? (8: 342)

By comparing an Egyptian who attempts to conform to Persian manners in Persian company to a kind of “animal” like a chameleon, Mandane depicts assimilation as monstrous, inappropriate, an affront to bienséance in the broadest sense of that term. Mandane’s argument for tolerance here echoes the reasoning contained in the preface to Ibrahim: an Egyptian should behave like an Egyptian, a Turk like a Turk. The key difference is that Mandane uses the idea of cultural appropriateness not to prescribe a way of representing fictional foreigners but rather to justify an ethical stance toward real ones, even when they travel outside of their proper landscapes.

This subtle shift from a purely “aesthetic cosmopolitanism” to something approaching an “ethical cosmopolitanism” becomes a theme of the conversation, coming under closer scrutiny as the discussion unfolds. Doralise responds to Mandane’s reproaches by insisting on the utterly aesthetic nature of her reaction to the foreign guests. “C’est cette différence, qui par sa nouveauté, et par sa bizarrerie, me surprend, et me divertit, sans que pour cela je fasse injustice à cet Etranger qui sert à mon divertissement” (8: 342). She contends that she only mocked the strangers for exterior, superficial traits. Foreignness, for Doralise, resides in these “petites choses extérieures” which are quite separate from the essential nature, the “spirit and soul” of the alien guest. Moreover, her “mistreatment” of foreigners is expressed in a gallant vocabulary of ridicule rather than in terms of real injury: The foreigners are “plaisants à voir” and provoke an “envie de rire” (8: 338). Furthermore, she contends:

Si on examine bien, de quelle nature est le rire qui me surprend en ces occasions, on trouvera qu’il n’est pas si malicieux que celui dont presque tout le monde se trouve capable, lors qu’à quelque Course de chevaux, on voit quelques fois le cheval du meilleur de ses Amis, broncher lourdement, et renverser par terre: car enfin, il y a bien plus de malignité à rire de ces sortes de choses, qui font très souvent un grand mal...que de se divertir comme je fais, d’un Habillement bizarre. (8:344)

Diminishing the “malignité” of her reaction to the foreign visitors, Doralise characterizes her “anti-cosmopolitanism,” if we can call it that, as a matter of aesthetic judgment. Her laughter is not mean-spirited ridicule but an appropriate response to a ridiculous tableau—one that may even demonstrate her good taste. Consequently, she denies that her prejudice has any ethical or moral ramifications.

Mandane, too, seems to subscribe to the notion that cultural difference consists for the most part of exterior practices and visual signs such as dress, manners, and comportment. She affirms that difference consists of “les habillements pour les cérémonies ; pour les civilités ; pour la grâce du corps ; et pour toutes ces petites choses extérieures qui frappent les yeux, et qui ne tiennent point du tout, ni à l'âme, ni à l'esprit” (8: 342). Early in the dialogue, Mandane chides Doralise: “vous ne leur pouvez reprocher que la forme de leur Habillement, et je ne sais quel air qui est différent de celui des Gens que vous voyez tous les jours” (8: 339). Her language, like Doralise’s, privileges the visual, focusing not merely on foreigners’ clothes but on the “form” of their dress.[20] Yet, Mandane shows how the perception and appreciation of foreignness must lead to thoughtfulness rather than laughter. She describes a mental process through which the surprising sight of foreignness allows for an adjustment or expansion of vision. First, she asks Doralise to try to see the world through the eyes of the guests she ridicules: “Comme ils vous trouvent sans doute aussi différente des Dames qu’ils ont accoutumé de voir, que vous le trouvez différents des hommes que vous voyez, il peut être que toute aimable que vous êtes, ils pensent de vous ce que vous pensez d'eux” (8: 339). This relativist stance follows logically from Mandane’s earlier affirmations of the appropriateness of cultural difference. Just as individuals naturally practice the customs of their own country, it is to be expected that people distinguish between what seems normal and what seems strange based what they are “accustomed” to seeing.

The expectation and acceptance that such judgments are culturally specific allows Mandane to ask her interlocutor to project herself imaginatively into the others’ shoes, to see herself as a stranger through their eyes. This recommendation is familiar enough from sixteenth- and seventeenth-century skeptics and relativists who concluded that “il n’y a vertu qui ne soit prise pour un vice, ni vice qui ne tienne lieu de vertu ailleurs” (La Mothe Le Vayer 52). In this conversation, however, acknowledging the culturally-bound nature of aesthetic and moral judgments is neither an end in itself nor a means of criticizing one’s own society. Rather, Scudéry demonstrates how a relativist perspective might serve as the basis for a practical ethics. Building on Mandane’s statement, Cyrus advises Doralise that she could change her perspective in more concrete ways. Familiarity with foreigners, he suggests, will eventually overcome her distaste for their alterity. Offering their own friendship as an example, he notes:

Comme je suis né en Perse, et que vous êtes née à Sardis, je puis dire que ces Etrangers ne vous ont pas dû paraître plus Etrangers que moi, la première fois que vous m'avez vu : c’est pourquoi je vous conjure de me dire sérieusement, combien il y a que vos yeux sont accoutumés à me voir. (8: 339)

In this way, Scudéry begins to suggest how an aesthetic approach to cosmopolitanism—adjusting one’s vision to see and appreciate difference in its appropriate context—might serve as the basis for an ethics of tolerance and hospitality toward actual foreign people.

The argument that an intellectual tolerance or appreciation for foreigners might lead to deeper “mental, psychological, and ethical dispositions to bear and accept other persons” in the flesh mirrors an element of Stoic cosmopolitanism that Cheikh Mbacké Gueye calls “integration” (5–6). Scudéry comments and builds on this theory by having her characters debate the ability of ordinary mortals to perform this exacting mental task. The characters note that Cyrus’s optimistic contention that the eyes can grow “accustomed” to sights foreign to their native culture reflects the hero’s own journeys, experiences, and “cosmopolitan” nature. Indeed, as he has repeatedly demonstrated throughout the novel, Cyrus embodies the Stoic ideal of world citizenship, practicing a form of the “concentric circles” model of ever expanding relations, by forging friendships with strangers from increasingly distant realms of his expanding empire. The question for the conversation then becomes: Is Cyrus singular in his capacity to relate to foreigners—i.e., does this quality constitute part of his unique heroism—or, rather, should Cyrus be considered an exemplar of cosmopolitanism, a model to be imitated? Doralise subscribes to the former view. In response to Cyrus’s suggestion that she can grow used to foreigners as he himself has done, she praises Cyrus’s admirable tolerance but resists the notion that others might be able to follow suit: “vous êtes du Pays de tout le monde,” she acknowledges, “mais … tout le monde n’est pas du vôtre” (8: 339–40). Mandane, on the other hand, figures Cyrus as an imitable model of tolerance toward strangers. At last she declares:

Pour ces Etrangers qui vous ont tant fait rire, je les prends en ma protection: et je vous déclare de plus, que s’il vient des Ethiopiens, des Indiens, ou des Scithes à Ecbatane, quand nous y serons, je les défendrai contre vous, avec une fermeté étrange: car je vous avoue que je ne puis souffrir cette espèce d'injustice, quoiqu’elle soit presque universelle. (8: 340)

Depicting herself as defender and protector of foreigners, Mandane rhetorically occupies Cyrus’s role as the imperial guardian of his diverse subjects. While Cyrus has demonstrated a preternatural ability to relate to strangers throughout the novel, here Mandane shows her interlocutors that any human can and should follow the conqueror’s example, a conclusion which has perhaps already been suggested by the novel’s intertextual relation to the mirror for Princes genre. Indeed, Mandane goes on to state that it constitutes “quelque inhumanité à railler d'un Etranger, seulement parce qu’il est étranger” (8: 340), extending the obligation to defend foreigners to “humanity” itself.

In its evocations of “protection” and “defense” against “injustice,” a human requirement to prevent the suffering caused by intolerance and mockery, the rhetoric of this passage exhibits what Denis has termed the “vocabulary of the Tribunal” (La muse galante 70–1). It also echoes or prefigures the “legalistic” discourse of human rights that emerged in the Enlightenment (Schlereth 119–20). Yet, the kind of “justice” toward foreigners articulated in the conversation is situated outside the realm of the strictly legal or political. Indeed, the novel makes a point of the fact that the envoys who prompt the discussion hail from a place beyond Cyrus’s current or projected empire. The purpose of the envoys’ visit—to elicit Cyrus’s help as a “character witness” for their Prince, to confirm his nobility in advance of his marriage – has a distinctly personal rather than traditionally diplomatic quality. The requirement to treat foreigners with respect and magnanimity is a moral imperative for the individual and for the community defined not according to political structures but rather according to affective bonds.

The form of the conversation both performs and reinforces this ideal of a moral community that exists beyond superficial regional differences as well as beyond politics. Agreement is achieved through affectionate discussion rather than through force. Mandane frequently uses rhetorical questions or interrogatio, a style of speech that implicates the audience in order to demonstrate that her view is or should be self-evident and widely shared. Secondary characters chime in to show that her persuasive tactics are having their desired effects. One character concedes, for example, “cette opinion est si équitable … qu’il ne semble pas qu’on en puisse avoir d’autre” (8: 340–1).[21] Eventually, these rhetorical and narrative gestures of agreement culminate in true consensus, and the narrator informs the reader that “toute la Compagnie tomba pourtant d'accord” (8: 345). By reaching this “accord,” moreover, the conversation’s participants come closer to the ideal represented by the novel’s hero. At the end of the conversation, the characters represent a “utopian” community in which every voice counts and yet everyone (eventually) agrees.[22]

In this sense, in the conversation on foreigners, the subject of “difference” thus becomes an opportunity for the reinforcement of “sameness”—both within Cyrus’s group of friends and beyond it, through Mandane’s proposal that every human being is capable of respecting the humanity of strangers.[23] In the final reiteration of the conversation’s moral, this ideal of sameness appears in a new light in the narrator’s re-articulation of the connection between the initial “aesthetic” approach to foreigners and “ethical” conclusions. At the end of the discussion, the narrator reports that all the characters agree with Mandane that: 

 [I]l y avait beaucoup d'injustice, à n’avoir pas beaucoup d’indulgence pour les Etrangers; et à faire passer quelquefois les bienséances de leurs Pays pour des incivilités, ou pour des marques de défaut d’esprit: concluant tout d'une voix, que puisqu'on pouvait être fort peu honnête homme, quoiqu’on fût admirablement habillé; qu’on fît bien la révérence à la mode de son Pays; et qu’on eût l’accent de la Cour extrémement pur; il pourrait être aussi qu’un Etranger qui n'aurait rien de toutes ces petites choses, qui ne changent ni le cœur, ni l’esprit, ne laisserait pas de pouvoir mériter beaucoup d'estime, et beaucoup de louange, quoique son habillement parût bizarre; que sa révérence fût contrainte; et que son accent fût mauvais et qu'ainsi il fallait toujours faire grâce aux Etrangers, de tout ce qu'ils ne pouvaient pas acquérir facilement: et se donner la peine de chercher dans leur esprit, et dans leur âme, leurs bonnes qualités, ou leurs défauts, pour en pouvoir juger avec equité. (8: 345–46)

The passage, like the conversation as a whole, acknowledges real, material, and meaningful differences between individuals hailing from different parts of the world. It constructs these differences, however, as largely superficial traits: habits and customs unrelated to the “spirit” or “soul” of the individual. Cultural difference again takes the form of an aesthetic category, consisting of surface trappings, inviting judgments on the basis of taste. Most important, according to the logic of the passage, the alienating appearance of foreigners should not pose an obstacle to perfect understanding, as long as individuals possess the patience and acuity to “penetrate” the surface to perceive the universal good and bad qualities within each other in order to make a moral rather than aesthetic judgment. 

Although the conversation finally makes the universalist assumption that “spirit” and “soul” translate legibly across the outer shell of cultural differences, at the same time it destabilizes the perceived universality of courtly traits. Scudéry’s characters come to realize that an individual who has mastered the “accent” and manners of the best society may not in fact be inherently worthy of esteem, and that the same perspicacity required to judge a foreigner must also be employed to assess a fellow countryman. The conversation thus displaces a notion of community based on language, etiquette, and other external signs in favor of an ideal, cosmopolitan society born out of shared moral and spiritual qualities—the kind of community forged by the conversation itself.

In the “conversation on foreigners,” the form of the Scudérian moral conversation thus serves as a template for the cosmopolitan attitude it valorizes. Individual participants confront different perspectives and work to achieve the best synthesis capable of convincing all interlocutors. Disagreements are aired in a context of mutual respect and even affection. The diversity of voices—diverse both in the views they express and in their subtleties of style—are gradually, pleasantly socialized and brought into greater harmony. The aesthetic of the conversation ultimately brings about and reinforces a particular ethics of relation founded on friendship, spiritual as well as intellectual insight, and the desire to create a harmonious community that transcends the bounds of any state. In this way, Scudéry’s work reveals how the art of rhetoric – particularly when employed in the sociable setting of the conversation – might serve as an effective supplement to pure thought in the development of a cohesive ethical framework.[24] Philosophy, Scudéry implies, must be social, especially when addressing topics of tolerance, friendship, and community. Ironically, the social character of Scudéry’s work may be responsible in large part for its exclusion from the canon of early modern philosophical writing. At the same time, this quality makes it a particularly rich potential model for today’s cosmopolitan thinkers who are themselves turning to “conversation” as the most appropriate form for ethical discourse.[25]

University of North Carolina, Chapel Hill

 

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[1] In the novel’s first volume we learn that “Cambise avait voulu que le Prince son Fils sçeut les langues des Nations les plus célèbres qui soient au monde : lui semblant, disait-il, étrange, qu’un Prince n’entende pas le langage de ceux dont il doit un jour recevoir des Ambassadeurs” (1: 313). I have modernized the spelling of this and all subsequent quotations from the novel.

[2] During Cyrus’s campaign, for example, an international group of “deputies” joining the conqueror before his attack on Cresus were surprised “qu’un Prince de l’âge de Cyrus, fût instruit de toutes leurs Coutumes, et de toutes leurs Lois” and that he “leur parla à tous chacun en leur langue” (6: 301).

[3] The term “cosmopolite” or “cosmopolitain” appears only rarely in sixteenth- and seventeenth-century French texts and is largely absent from the period’s dictionaries. For an overview of the history of the word cosmopolite, see Hazard. 

[4] This comes from the Encyclopédie entry for “Cosmopolitain ou Cosmopolite.”

[5] On Xenophon’s characterizations of Cyrus the Great as a tolerant or cosmopolitan leader, see Gera (22) and Hirsch (15). For a detailed analysis of Scudéry’s use of Xenophon’s Cyropaedia in her depiction of Cyrus, see Hepp.

[6] Van der Veer discusses cosmopolitanism’s role in facilitating imperialism or colonialism. Other approaches to accounting for the “imperial pedigree of cosmopolitanism” are listed in Scott L. Malcolmson (234–7).

[7] Elsewhere, I analyze how the novel “confounds the language of geographical and affective conquest” in its narration of Cyrus’s travels (46).

[8] See, for example, Timothy Chappell’s criticism of characterization of Socrates as a cosmopolitan (17–33).

[9] On the “negativity” of Cynical cosmopolitanism, see also Marie-Odile Goulet-Cazé’s commentary on Diogenes Laertius (195–200).

[10] For discussions of the limits of early modern cosmopolitanisms see Cavallar (esp. 2–9) and Heater.

[11] See the characterization of Enlightenment cosmopolitans in Schlereth (1–24).

[12] Larry Norman proposed the distinction between aesthetic and ethical cosmopolitanism in his talk “Temporal Cosmopolitanism and the Critique of Cultural Narcissism under Louis XIV.” See also his The Shock of the Ancient (132–36). On more recent forms of “aesthetic cosmopolitanism,” see also Vertovec and Cohen (6–7).

[13] F. H. Sandbach helpfully summarizes: “oikeiôsis is the process of making a thing belong, and this is achieved by the recognition that the thing is oikeion, that it does belong to you, that it is yours” (32). Classicists credit the second-century CE Stoic thinker Hierocles with having first developed the concept of oikeiōsis as a form of perception of a person or object as contiguous with the self and as the basis for an ethics. See the translation of Hierocles’s fragments and commentary in Ramelli (xxx–xlvii). See also Obbink (178–95).

[14] Lyons shows that Clélie reflects the Stoic idea, filtered through Montaigne, that the imagination may be used to overcome fears and other obstacles to the good life. Scudéry’s unique perspective on this concept stems from her emphasis on its potential to foster a good like for the community and not just for the individual. As Lyons notes, Scudéry “was unusual in her day in proposing a secular education of the mind to improve social interaction” and to “forg[e] a common vision in a variety of organized groups” (163).

[15] Some examples of scholarship that explicitly approaches Scudéry as a philosopher as well as a novelist include Burch (115–71) and Hogg. 

[16] On the influence of salon culture on the form of the conversation, see Goldsmith (44–6). 

[17] Delphine Denis notes that conversations play an increasingly important role in Scudéry’s novels over the course of the 1650s, with a significant jump in the number of intercalated conversations occurring in volumes 9 and 10 of Le Grand Cyrus (La muse galante 41).

[18] Further support for the “continuity” of Scudérian conversations may be found in Delphine Denis’s recent collection of those on topics related to galanterie which includes both conversations published in the late seventeenth-century recueils and conversations never before excerpted from the novels. Denis notes the “unité de l’ensemble” (“De l’air galant” 15).

[19] A more in-depth analysis of how Scudéry uses allusions to foreignness to articulate her theory of vraisemblance may be found in Welch (22–4).

[20] Her evocation of a “je ne sais quel air” of strangeness slightly complicates the view of difference as exterior and superficial. The phrase echoes both the novel’s earlier description of the envoys’ “je ne sais quoi de Barbare” and the expression “je ne sais quoi,” which typically designates those intangible, indefinable qualities that, despite our inability to locate or articulate them, play a significant role in the formation of taste and attraction. The two “je ne sais” in the conversation add ambiguity and complexity to the passages’ construction of difference as a set of conventional habits proper to a particular country, pointing toward the possibility of a more essentialist view of culture even as they continue to draw from an aesthetic vocabulary normally associated with questions of taste.

[21]Goldsmith discusses the importance of “social sameness” and harmony in Scudéry’s conversations (43). 

[22]Grimm argues that the novel reflects a “utopian” polity that invites the participation of all its noble subjects (447). The importance of participation and consensus in the societies depicted by Scudéry is also highlighted by Bannister who notes that Cyrus’s heroism stems from his “socialized” status. As Bannister remarks, Cyrus is “admirable because he reinforces the social norms, not because he transcends them” (181). DeJean analyzes the harmonious form of the conversation in Scudéry’s novels as a reflection of the collaborative practices used to write them and as a model for a new form of “civic virtue” (82–93).

[23] Once again, the conversation parallels Stoic ideals such as an “overriding concern for concord” (Schofield 26) and the preference for a voluntary “community founded on common acceptance of social norms” over formal polities governed by oppressive laws (Schofield 73).

[24] Michel Meyer emphasizes the ethical character of rhetoric in defining the art as the “négotiation de la distance entre individus” (293).

[25] I am thinking particularly of Kwame Antony Appiah who writes that conversation provides a way of establishing “harmony” (71) even in the absence of agreement, showing that “we can live together without agreeing on what the values are that make it good to live together; we can agree about what to do in most cases, without agreeing about why it is right” (78).

 

 

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L'anticritique de _La Princesse de Clèves_

Article Citation
XIV (2012): 22–36
Author
Wilson Goss
Article Text

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La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette est un de ces romans énigmatiques auxquels on est inexplicablement attiré ; comment aborder un livre qui semble dire tant en disant si peu ? Sans l’aide de repères, une oeuvre dense comme celle-ci résiste à nos efforts de la déchiffrer ; il faut donc examiner l’oeuvre par rapport aux contextes sociaux et historiques ainsi que les convictions personnelles de l’auteur pour comprendre les significations de ce qu’on trouve entre les mots. Il est indéniable que le texte traite essentiellement de la lutte entre la passion et le devoir, mais quel en est la signification ? Pour presque tous les personnages du livre, le maintien d’un équilibre entre passion et devoir n’est pas seulement possible, mais obligatoire ; en vrai, la structure de la politique de la Cour en dépend. C’est une réalité à double face où rien n’est comme il semble. Qui conviendrait mieux que Madame de Lafayette pour nous le décrire : Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci [. . .] vous serez souvent trompée : ce qui paraît n’est presque jamais la vérité » (71). Rien ne peut être connu de ce qu’on trouve à la surface seule ; c’est un milieu où l’absence indique la présence et la présence indique l’absence : tout se compose de ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas. Le roman est une bataille de la dualité : tout doit avoir son contraire. Que faut-il donc penser de la seule chose qui est déséquilibrée, qui se manifeste seulement par son absence ? Dans une oeuvre qui s’intéresse tant à la vertu chrétienne, pourquoi y a t-il une absence quasi-complète de la religion et de Dieu ? Je soutiens que La Princesse de Clèves est une critique de l’extravagance et l’impiété de la Cour, une critique d’une vie profane et obsédée par les passions de la chair, en examinant l’absence de la religion à la Cour comme une sorte de présence constante : une anti-critique, une critique silencieuse.

L’étude du dualisme de l’absence et la présence de La Princesse de Clèves n’est pas nouvelle. Michel Butor, dans son essai célèbre, « Sur La Princesse de Clèves » apporte un bon exemple de comment cette dualité fonctionne. En particulier, il examine le moment où Nemours regarde la princesse par la fenêtre du jardin à Coulommiers : Nemours la voit avec des rubans colorés qui correspondent aux couleurs qu’il a portées au tournoi et également la princesse a l’occasion de contempler, d’une rêverie passionnée, son portrait en forme de portrait dans le tableau Le Siège de Metz. Déjà, le duc lui est présent dans son absence par l’image et les objets qui le lui rappellent. Ensuite, le duc essaie d’entrer par la fenêtre, mais il fait du bruit et fait peur à la princesse qui fuit à son tour. Butor explique : « […] elle ne peut savoir si c’est fantôme ou réalité […] elle est véritablement hantée par lui … » (78). La présence et l’absence se mélangent ici au point que l’on ne puisse plus les distinguer l’une de l’autre à la manière de l’inquiétante étrangeté de Freud : la princesse porte l’existence du duc avec elle ; il lui est présent tout le temps et partout. Pourtant, elle n’est pas seulement hantée par une confusion entre la présence et l’absence de Nemours, mais aussi par le manque de son mari : «  […] elle ne peut plus voir M. de Nemours sans que la mort de son mari soit présente à ses yeux, et si M. de Nemours devenait son mari, c’est sa mort à lui qui la hanterait » (78). Pour la princesse, et pour nous aussi, l’absence indique la présence, non seulement comme la possibilité permanente de voir Nemours, mais même après la mort, quant à son mari défunt. Butor note aussi que cette scène de la hantise se répète plusieurs fois au cours du livre, dans « […] les pavillons, dans les jardins, les fenêtres, les magasins de soieries   […]  » (78). Cette présence d’absence devient un problème inhérent pour les personnages principaux du livre. De cette manière, la structure du récit rappelle sans cesse que l’absence peut facilement se substituer pour la présence.

Pour appliquer ce problème de l’absence et de la présence à une critique de la Cour, il faut chercher le mobile derrière cette critique : on doit d’abord comprendre le milieu social duquel Madame de Lafayette s’est inspirée. Bien que le roman ait lieu au seizième siècle, il est largement reconnu comme un commentaire sur sa propre époque[1]. Le dix-septième siècle en France était une époque de la ferveur religieuse intense. Les guerres de religion entre les catholiques et les Huguenots protestants vient de terminer et la société française était beaucoup plus pieuse que la génération précédente (Maland 176). On assistait à la messe plus régulièrement, la bible s’étudiait minutieusement et les roturiers partaient en retraite plus fréquemment en quête d’un ressourcement spirituel (179). Cette manière de vivre se trouvait surtout parmi ceux qui menaient une vie quasi-monastique près du couvent de Port-Royal (179). Il est également bien connu, grâce à des témoignages individuels, que Louis XIV assistait à la messe quotidiennement (Ziegler 147).

Manifestement la religion jouait un assez grand rôle dans le quotidien de la noblesse. Il vaut donc la peine d’examiner la religion de Madame de Lafayette pour comprendre la position qu’elle prenait dans une société aussi religieuse. On sait que Lafayette passait beaucoup de temps parmi « […] le cercle des amis de Port-Royal », y compris La Rochefoucauld, Madame de Sévigné, Madame de Sablé et Madame de Scudéry (Lesaulnier 187). Quand sa santé a commencé à se détériorer, en 1692, elle a élu domicile à Port-Royal et passait ses dernières années à défendre la communauté des Jansénistes contre la persécution de l’État et l’église catholique (Strayer 49). Étant donné qu’elle était constamment sous la menace ambiante d’un État jaloux de ses prérogatives fermées à la critique, il semble peu probable que Lafayette eût consacré les dernières années de sa vie à la protection d’une secte religieuse sans être une janséniste elle-même.

Le jansénisme était une menace directe au pouvoir absolu de la monarchie et l’Église : cela avait pour but de  « niveler les hiérarchies » et de rendre personnel « la religion, non seulement dans son principe de vie mais dans les détails de l’existence quotidienne » (Taveneaux 147). L’idée de l’individualisme janséniste, qui apportait plus de pouvoir à l’homme individuel, menaçait la légitimité de l’église catholique toute puissante et par extension la hiérarchie nobiliaire. Il serait donc clair que Louis XIV avait une aversion particulière pour les jansénistes et il fermait les portes des écoles de Port-Royal de 1664 à 1668 (Maland 189).

Le jansénisme insistait sur la modestie des apparences et des actes, ce qui était en contradiction  à la grandeur et au libertinage de la Cour de Louis XIV (Tavenaux 148). Le jansénisme enseignait aussi qu’il fallait « concevoir une sainte haine de sa propre chair et de celle des autres » ; la glorification de la beauté était comprise comme de la vanité (159). Tavenaux remarque que pour les jansénistes, « […] le monde apparaît sans doute comme le lieu de la concupiscence, le théâtre constant de l’incarnation du mal et spécialement du péché de la chair » (160). La Cour, effectivement, était un lieu de perdition et le jansénisme « […] taught that the few who were privileged to receive God’s grace should immediately renounce the world that their salvation be not impaired.  » (Maland 180). Le monde, et en particulier celui de la noblesse resplendissante, se présentait comme un lieu de perdition. Il était presque impossible, selon les jansénistes, de vivre à la Cour et d’atteindre le salut : ils croyaient à l’incapacité de l’homme de résister à la tentation sans grâce divine (Maland 182). Hildesheimer expose bien la situation du jansénisme vers la fin du siècle et les problèmes que cela posait au pouvoir :

Le Moyen Âge concevait le salut comme une affaire collective. Le développement de l’augustinisme rouvre la voie du salut individuel et permet au chrétien d’accéder par là à une individualisation qui concernait le domaine de la vie religieuse et spirituelle […] Le problème du salut individuel est la véritable obsession du siècle […] à cela correspondent les débats sur la grâce, la foi, les oeuvres, la vertu des sacrements. De la solution apportée à ces questions dépendait la place accordée à une Église hiérarchique, voie unique et nécessaire du salut si celui-ci dépend de l’observation des lois, moins nécessaire si elle dépend d’une grâce gratuite (98).

Vue à travers les yeux d’une janséniste comme Madame de Lafayette, la Cour posait un obstacle au salut. Kaps décrit le milieu social du livre comme « the well ordered social hierarchy accompanied by moral anarchy » (48). Pour Madame de Lafayette, bien alignée sur les préceptes des jansénistes, la Cour est le lieu de la tentation, de la contagion, de la perversion et de la corruption (Leiner 146). C’est un monde à double face, religieux et libertin, qui n’est pas entièrement ni l’un, ni l’autre. C’est un endroit où il semble que la religion puisse s’absenter quand cela devient nécessaire, mais ce qui est pratique ne mène que rarement au salut. Même pour la princesse, une femme comme aucune autre, il est impossible de fréquenter la Cour sans être prise dans ce monde amoral.

Madame de Lafayette appartenait à une minorité religieuse qui constituait une vraie menace au statu quo. Face à un public qui était contraint de mener une vie double, pieuse et libertine, et face au pouvoir du roi et de l’Église qui étouffaient chaque menace à leur pouvoir, le seul choix qu’avait Lafayette pour s’exprimer sans qu’elle en soit reprochée, en plus du fait de publier dans l’anonymat, était d’écrire de manière oppositionnelle, de manière subversive. Dans son livre sur des récits oppositionnels, Ross Chambers soutient que des auteurs, pour inspirer au public un changement social qu’ils jugent nécessaire, cherchent à provoquer un changement des idées ou plutôt un changement de désir, qui peut à long terme susciter le changement de la structure sociale : « […] oppositionality appears as a way of thinking, a politics of change without destructive social confrontations » (xii). L’opposition apparaît dans un texte implanté dans le statu quo, il n’attaque que clandestinement, dans l’ironie, dans une lecture ou une écriture duplice. Le changement s’introduit sans contester le système en place : l’oppositionnel utilise les structures du système pour d’autres buts et d’autres intérêts ; c’est un usage appropriatif qui emploie le pouvoir dominant pour l’attaquer. « Oppositionality taps the strength of power in ways that produce deflections in desire, and hence a certain mode of change. »(xvi). L’oppositionnel est donc de la duplicité, il dépend de la lecture et du lecteur ; l’oppositionnel est autant une manière de lire qu’une manière d’écrire.

Avec l’oppositionnel, Madame de Lafayette peut alors critiquer la décadence et l’impiété de la Cour en louant ces caractéristiques et en excluant la vie religieuse de la vie des nobles qu’elle trouvait fausse et faible. Le début de l’oeuvre établit les thèmes qui se manifesteront au cours du texte :

The novel’s opening sentence […] characterizes the ambiance  which is maintained throughout the work, one of majesty and magnificence such as prevailed at the court of Louis XIV. And yet the world of the novel is by no means a simple reproduction of reality : it is rather a stylized version in which the real court is pushed to the extreme of its own idéal (Kaps 2).

La vision de la Cour de Madame de Lafayette est une exagération qu’elle emploie pour souligner cette magnificence, pour y attirer l’attention. Elle n’imite pas la magnificence dans les images ou dans la métaphore, elle l’exprime explicitement : en mettant cette idée en relief, l’accent est mis sur la grandeur de cette vie désacralisée. Le roman commence ainsi : « La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second. Ce prince était galant, bien fait et amoureux […]  » (37). Ce sont les valeurs qui dominent ce monde : ce ne sont pas la piété et la dévotion qui caractérisent cette époque. Bien que la préoccupation de la religion fût en réalité le contraire, comme Maland nous le révèle, ceci est l’image que Madame de Lafayette a choisi de nous montrer. Il nous faut demander pourquoi. L’attention est sur le corps, la chose que le bon janséniste doit haïr et non sur l’âme, la seule chose qui existe toujours : « Comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps... » (37). Encore, « Jamais Cour n’a eu tant de belles personnes et d’hommes admirablement bien faits » (38–39).   Les jours se remplissaient de diversions, de distractions, de passe-temps, de récréations ; on s’amusait, on oubliait les soucis  : « C’était tous les jours des parties de chasse, de paume, des ballets, des courses de bagues, ou de semblables divertissements […]  » (37). Elle met l’accent sur le fait que les gens de la Cour négligent, en vrai, leurs devoirs divins. Le lecteur voit tous les divertissements, leurs joies temporaires, mais il ne voit aucune mention d’obligation religieuse. L’existence de l’être humain est réduit au remplissage du temps avec quelque occupation, « […] afin d’éviter d’avoir à penser à lui-même et à la condition humaine » (Mathieu, 67).  Il n’est pas possible que ce soit une coïncidence dans une époque autant dominée par la religion. Kaps prétend que le respect et la bienséance qu’avait Madame de Lafayette l’ont empêché d’inclure « […] matters unsuitable by their extreme dignity     […]   » (25). Encore une fois, Francis Mathieu est d’accord :

Il n’est donc pas innocent que Mme de Lafayette décrive les courtisans comme des individus constamment occupés, de manière à ne jamais souffrir de cette maladie de l’âme que Pascal nomme l’ennui (68).

 Toutefois, la manière à laquelle l’auteur évite toute mention de la pratique religieuse semble aller plus loin que la bienséance : même quand les personnages meurent, on ne voit ni de prêtre, ni d’extrême onction. On ne voit la religion qu’aux moments où elle se mêle à la politique comme quand la Cour se rend à Reims pour le sacre. Mais encore une fois, on ne voit que la mention de la présence du cardinal, on ne voit toujours pas de cérémonies.

En vrai, le début du texte ne présente aucune mention de vertu, ni même le moindre indice d’un sentiment moral, jusqu’à l’introduction de Madame de Chartres. Elle est ainsi présentée :

...Madame de Chartres […] dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la Cour (46).

 En remarquant que Madame de Chartres partait en retraite après la mort de son mari, Madame de Lafayette souligne le fait que ses priorités ne sont pas celles de la Cour, mais celles d’un devoir supérieur. Ensuite, on voit le mot vertu une fois de plus :

Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l’éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté, elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable (46–47).

L’auteur souligne l’importance du don de la vertu : non seulement a-t-elle appris à sa fille l’esprit et la beauté, mais la vertu aussi. Il semble qu’en précisant ce fait l’auteur souligne l’impiété des autres à la Cour : il faudrait que la vertu soit étrangère à la Cour s’il est remarquable qu’une mère l’enseignerait à sa fille. Malgré son désir d’inculquer la vertu à sa fille, Madame de Chartres sait que le jeu de la bienséance fait une partie intégrale de la vie à la Cour ; on ne peut guère l’éviter :

… le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité... et elle lui faisait voir, d’un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d’une honnête femme, et combien la vertu donnait d’éclat et d’élévation... mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu … (47).

En présentant cette dualité on note combien c’est atypique d’avoir une honnête femme à la Cour.

Jusqu’à l’introduction de la princesse, le roman s’occupe à louer des qualités humaines et non religieuses des individus de la Cour : les liens familiaux, les mariages politiques, la beauté et la grandeur des personnages, les passions et les amours. L’auteur les introduit ainsi : « Ceux que je vais nommer étaient, en des manières différentes, l’ornement et l’admiration de leur siècle » (39). Voilà l’état dans lequel on est, elle semble nous dire, un monde misérablement profane. Son usage du mot ornement[2] résume les profils qui suivent : ce sont des éléments qui décorent, des éléments non indispensables, uniquement introduits pour des raisons d’esthétique. Ils ne sont que des décorations, sans substance véritable. En dépit de sa restriction de « en des manières différentes », ils sont  tous pareils dans leurs manières et leurs comportements ; les seules personnes qui se distinguent des autres sont Madame de Chartres et sa fille.

C’est au début du roman qu’on peut bien voir le rôle qu’occupera le narrateur. Le narrateur ne juge pas les personnages dans leur milieu : ce qu’ils font est propre à leur nature selon le fonctionnement de la société et sa structure. Lafayette nous donne plutôt l’occasion d’interpréter le livre selon le point de vue que nous adoptons. C’est ici que fonctionne l’oppositionnel, dans l’espace que le narrateur n’occupe pas. John Campbell, dans son article « Round Up the Usual Suspects : The Search for an Ideology in La Princesse de Clèves », remarque que le narrateur est un :

[…] hesitant interpreter of appearances and possibilities […] [a] faithful recorder of unspoken feelings and intimate, often contradictory, thought processes […] The absence of any privileged source of truth only intensifies the apparently unassailable ambiguity attaching to major questions of interpretation (438).

En se laissant sur leurs fautes morales, le narrateur donne la parole au lecteur. Kaps explique :

The narrator’s indulgent attitude toward court life is matched by his tolerance for the faults of the characters. He finds much to praise and nothing to blame — not only in their physical attributes, but in character and personality. Their actions, although not always praiseworthy, are never censured by the narrator (Kaps 48).

Les présenter tout nus permet au lecteur de soit les condamner soit les accepter comme des produits de leur milieu. Pourtant, sans la présentation de leur vie religieuse leur vacuité morale occupe le devant de la scène.

Comme Wolfgang Leiner note dans son article « The Princess and Her Spiritual Guide : On the Influence of Preaching on Fiction », Madame de Lafayette évite toute mention de la pratique de la religion (139). Cette absence est également soulignée par l’utilisation fréquente de certains mots. Des mots qui font allusion à la vie profane et l’extravagance de la Cour apparaissent très souvent : la passion, 111 fois ; la beauté, 50 fois ; l’amour, 49 fois ; maîtresse, 42 fois ; la galanterie, 22 fois ; la Cour, 93 fois ; la magnificence, 8 fois (Leiner 140). Le mot Dieu, contrairement, n’apparaît que trois fois. Il vaut la peine d’examiner ces moments. La première énonciation du mot vient de la bouche du vidame de Chartres quand il admet que les accusations de Nemours ne sont pas fausses : « […] et plût à Dieu qu’ils le fussent » (Lafayette 139). Il mêle ce mot dans ses affaires amoureuses et iniques ; il désacralise le mot en demandant à Dieu de l’aider, de le justifier, le défendre contres les accusations de ses vrais péchés. Il est clair que le vidame n’a pas d’intérêt pour la religion. Les deux autres usages du mot viennent de la princesse. Deux fois elle prononce les mots « Au nom de Dieu », mais contrairement à son oncle le vidame, c’est une véritable prière qu’elle émet pour demander de la force ; elle demande de l’aide à Dieu pour conserver sa vertu, pour éviter un mauvais résultat. Ce contraste en usage souligne ce que Madame de Lafayette veut dire en évitant la présence de la religion : la princesse est la seule qui est digne, à cause de ses choix et ses actions, de la grâce de Dieu. À part la princesse, toute la Cour est corrompue, personne n’a de respect ni pour la religion ni pour Dieu.

Au premier regard, c’est une oeuvre qui semble s’occuper plus de la vie profane que des questions de comportement moral et chrétien. Toutefois, dans le article « The Christianity of Madame de Lafayette » de William Marceau on découvre que le livre est bien un texte chrétien. Le roman présente sur presque toutes les pages des idées sur la tentation, le devoir, le progrès spirituel, la charité, la vertu, et l’importance des voeux d’humilité, d’obéissance et de la prudence (177). Marceau note que

[…] it would have been impossible for Mme de Lafayette not to have known the works on these subjects, so that when references to them are found in the novel they must be read with their full theological import (185). 

C’est donc un livre chrétien qui ne mentionne pas le christianisme. L’absence de la religion doit alors indiquer une évasion intentionnelle. Dans un texte où l’absence et la présence jouent de tels grands rôles, comme on a vu dans l’étude de Butor, ce ne serait pas sans signification, ce ne pourrait pas être l’effet du hasard. L’absence explicite de la moralité de l’Église ne l’empêche pas de se manifester et l’absence de Dieu ne fait qu’indiquer qu’Il se cache derrière des mots. Le lecteur voit tout le malheur et toute la douleur qui arrivent aux gens qui se comportent d’une mauvaise manière : l’absence de religion et de Dieu révèle le décuplement de l’angoisse, de la souffrance et des ennuis que leurs conduites leur apportent.

Comme sa fille, Madame de Chartes est à l’opposé de tous ces personnages. Les valeurs qu’elle chérit sont la vertu et le devoir (Leiner 143). Sa moralité est idéologiquement chrétienne, et on peut la considérer le porte-parole de l’auteur : c’est essentiellement par elle que la religion envahit le texte. Au début, elle est la seule qui incarne les vertus chrétiennes ; sa philosophie la met à part. Elle est la femme de la résistance.

De même, la princesse de Clèves est une femme sans égale à la Cour. Elle est le personnage auquel tous les autres personnages  doivent se comparer. Pour le lecteur, elle sert de miroir : ses actions mettent les actions des autres en relief, sa vertu souligne le manque de vertu chez les autres et sa repentance finale accentue le manque de repentance chez les autres. C’est en face d’elle que la critique des autres se présente. La princesse se met à part : « il n’y a pas dans le monde une aventure pareille à la mienne ; il n’y a point une autre femme capable de la même chose » : elle a une vertu inimitable, alors que les autres n’en ont aucune (Lafayette 187). Ses actions ne s’inspirent que de la vertu, alors que les actions des autres viennent de la passion. Elle précise qu’elle est sans reproche : « Moi, des crimes ! s’écria-t-elle ; la pensée même m’en est inconnue. La vertu la plus austère ne peut inspirer d’autre conduite que celle que j’ai eue » (225). Elle s’établit, comme sa mère, comme la femme à imiter : aussi difficile qu’il soit de rejeter le monde profane et ses passions pour le salut, elle n’a pas d’autres choix : « je sais bien qu’il n’y a rien de plus difficile que ce que j’entreprends […] je me défie de mes forces au milieu de mes raisons » (244). Quant à la mort de son mari, la princesse dit à Nemours : « je suivrai les règles austères que mon devoir m’impose » (239). Elle fuit, non parce qu’elle est meilleure que tous les autres, mais plutôt parce qu’elle se rend compte qu’elle est comme tous les autres : comme eux, elle pourrait devenir l’esclave de la jalousie et les passions ; ce n’est qu’en choisissant une nouvelle piste qu’elle peut éviter la chute finale (Marceau 187). Elle se comportera de la manière dont se comportent les bonnes veuves. Selon un sermon du prédicateur connu de l’époque, Bossuet, la veuve chrétienne doit se retirer de la vie même : lors de la mort de son mari, la veuve doit ensevelir son amour « dans le tombeau » de son mari, y enterrer « tout amour humain avec des cendres chéries […] et [passer] les nuits et les jours dans la prière […] Voilà l’état d’une veuve Chrétienne » (Leiner 149). En dépit du fait qu’il n’y a aucun d’obstacle social qui l’empêche à se marier à Nemours, les règles de l’église l’interdisent :

To marry her husband’s assassin would not only be personally repugnant, but specifically forbidden by church law—a law which was formalized in the Middle Ages and which must certainly have been before the minds of the aristocracy of the seventeenth century... (Kaps 21)

Le lecteur verra un contraste avec Madame de Tournon qui fait le contraire de ce qu’elle doit faire. Madame de Tournon termine sa retraite et son deuil pour se remarier et recommencer sa vie à la Cour. Cette histoire, racontée à la princesse, révèle l’hypocrisie de Madame de Tournon, une femme noble et bien respectée. Les deux sont mises en opposition pour mettre en lumière cette différence entre celle qui est à l’extérieur de la Cour et celle qui peut préserver sa vertu et de celle qui est à l’intérieur de la Cour qui la perd. L’action juste serait celle de Madame de Chartres, de ne jamais se remarier. La mort de Madame de Tournon souligne le danger d’un tel choix : de mourir en négligeant son devoir à son ancien mari, hors de la bienséance chrétienne. 

La mort en général fonctionne dans le roman comme un enseignement par l’exemple qui démontre la fragilité et la fugacité de la vie et l’inutilité des passions et divertissements passagers et qui oriente la princesse et le lecteur vers la contemplation de l’éternité, vers la vie après la mort. Le narrateur voit la vie comme une épreuve : on peut réussir de deux manières qui se manifestent dans les personnages de Madame de Chartres et la princesse de Clèves : soit maintenir la vertu et vivre au sein de la Cour, soit maintenir la vertu et vivre à l’extérieur de la Cour. Quoi qu’on choisisse, ce qui importe est la vertu, et la mort nous rappelle l’importance des valeurs. À la mort de sa mère, la princesse reconnaît la réalité de la Cour : un lieu où les femmes tombent au sens biblique du terme. À la mort de son mari, elle apprend que les passions de la chair peuvent non seulement ruiner l’âme et la vertu, mais elles peuvent aussi tuer, laissant ainsi la personne dans un état de péché éternel. Enfin, sa propre maladie renforce la position qu’elle a prise:

Cette vue si longue et si prochaine de la mort fit paraître à Mme de Clèves les choses de cette vie de cet oeil si différent de celui dont on les voit dans la santé. La nécessité de mourir, dont elle se voyait si proche, l’accoutuma à se détacher de toutes choses et la longueur de sa maladie lui en fit habitude […] Enfin, elle surmonta les restes de cette passion qui était affaiblie par les sentiments que sa maladie lui avait donnés […] Les passions et les engagements du monde lui parurent tels qu’ils paraissent aux personnes qui ont des vues plus grandes et plus éloignées […] les autres choses du monde lui avaient paru si indifférentes qu’elle y avait renoncé pour jamais ; qu’elle ne pensait plus qu’à celles de l’autre vie et qu’il ne lui restait aucun sentiment que le désir de le voir dans les mêmes dispositions où elle était (250–251).

La princesse a une plus grande perspective de la vie et de la mort. La vie à la Cour donne de l’excitation, du divertissement, de la passion et de l’amour, mais tout cela ne dure pas. Ce qui lui est important est la vertu qui assure l’entrée au paradis, l’entrée à la paix éternelle. La princesse contemple cette vie après la mort et elle choisit ses douceurs et ses récompenses plutôt que celles de cette vie.

Pour le narrateur il n’y a que deux choix : choisir entre cette vie ou celle d’après. La princesse a donc choisi la retraite, une sorte de mort sociale, plutôt que de suivre ses passions à la Cour. Selon l’échelle d’importance du chrétien le salut et la vie après la mort ont la priorité sur tout. Après tout, l’éternité est beaucoup plus longue que la vie. La Rochefoucauld nous rappelle : « La durée de nos passions ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie » (27). Ce choix est, à la base, le refus de toute alliance avec la Cour. La Cour représente tout ce qui est fugace et profane, tout ce qui ne concerne pas Dieu.

Ce que le roman nous apprend n’est pourtant pas exclusivement la renonciation de la vie, mais plutôt qu’il faut lâcher la prise sur une vie qui réduit la possibilité d’atteindre le salut et qui opprime la recherche de Dieu. La princesse doit se retirer de la vie de la Cour parce qu’elle n’est pas capable d’y trouver la force qui lui serait nécessaire de combattre les tentations de la chair. Avant la mort de Madame de Chartres, elle trouvait du soutien chez sa mère, mais après sa mort et la mort de son mari, il ne lui restait aucun choix sauf de se retirer du monde parce qu’elle n’avait plus de force. Elle devait alors partir chercher un lieu sûr pour s’assurer de ne pas s’égarer du chemin du salut. « Elle se retira […] dans une maison religieuse […] elle ne pensait plus [qu’aux choses] de l’autre vie […] » (Lafayette 251) Elle n’avait pas la capacité qu’avait sa mère de maintenir un équilibre entre les devoirs sociaux de la Cour et les devoirs religieux, elle avait besoin d’un soutien religieux dans sa vie. Toutefois elle ne s’est pas complètement retirée de cette vie :

Elle passait une partie de l’année dans cette maison religieuse et l’autre chez elle ; mais dans une retraite et dans les occupations plus saintes que celles des couvents les plus austères ; et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables (252).

Que la princesse n’entre pas complètement dans la vie d’une religieuse souligne l’idée janséniste que les gens profanes, eux aussi, peuvent atteindre le salut ; la retraite complète de la vie n’est pas nécessaire, il ne faut qu’éviter les lieux dangereux. La vie sainte n’est pas reléguée exclusivement aux couvents ou aux monastères : la vie la plus sainte pourrait être menée dans le monde. Le texte ne soutient pas le point de vue extrême que le salut ne peut pas être atteint sans une retraite ; l’homme véritablement pieux n’a pas besoin de fuir le monde entier. En revanche, il serait presque impossible de mener une vie vertueuse à la Cour. Au début de cette discussion j’ai soutenu que les gens de la Cour maintenaient un équilibre entre les devoirs et la passion, mais après ces révélations, on voit que ce n’est que l’illusion d’un équilibre : la passion règne et le devoir n’est que politique ; la religion est négligée. Effectivement, ce que Madame de Lafayette écrit est très à propos : « […] ce qui paraît n’est presque jamais la vérité » (71). Cependant, ce que fait la princesse suggère qu’on puisse vivre dans le monde et en faire partie, mais il faut la modération et la bonne conduite. Ce que Lafayette nous propose est que le monde de la Cour n’est pas très convenable à quelqu’un qui veut atteindre le salut.

Cette idée de la modération, du chemin du milieu, avait ses traces dès l’introduction de la princesse à la Cour. Sa mère avait les bonnes priorités, mais elle savait qu’un noble ne pouvait pas négliger ses devoirs à la Cour. Madame de Chartres était bien respectée, malgré ses, ou peut-être à cause de ses, fortes valeurs. Elle savait comment exister dans ces deux mondes en respectant les règles et les obligations de chacun. Monsieur de Clèves présentait aussi cette idée de la nécessité de vivre dans les deux mondes : « Il est temps que vous voyiez le monde, et que vous receviez ce nombre infini de visites dont aussi bien vous ne sauriez vous dispenser », et on voit encore l’absurdité de cette vie de la Cour avec l’hyperbole du mot infini (104). Vers la fin du roman, la princesse exprime cette idée elle-même : « J’avoue […] que les passions peuvent me conduire ; mais elles ne sauraient m’aveugler » (242). Le but de la vie, selon le narrateur, n’est pas de se retirer de la vie entièrement, mais d’habiter le monde, d’éprouver les émotions, tout en se comportant selon les devoirs et les règles de Dieu. C’est pour cela que la princesse ne s’enferme pas dans un couvent, mais qu’elle n’y passe qu’une moitié de l’année.

Nemours et les autres à la Cour trouvent la décision de la princesse difficile à comprendre : absurde et folle. Mais, sa décision n’est qu’un choix pour la vie après la mort. C’est la dernière critique du narrateur : les gens de la Cour ne peuvent pas  comprendre ainsi la décision. Ils ignorent leurs actions, leur situation et l’hypocrisie qui marque la Cour. Marceau parle aux nobles et au lecteur quand il écrit :

It is this spiritual dimension of the novel that remains imperceptible to the individual who has little or no spiritual dimension in himself/herself  (178).

C’est ici qu’on trouve la rupture ; le statu quo a été rejeté, l’espoir d’un nouveau monde naît. C’est la naissance d’un nouveau héros, mais c’est aussi la naissance du désir de quelque chose de nouveau : c’est l’opposition en marche ; la promesse d’un nouveau lendemain, d’un nouveau choix. Serge Doubrovsky observe aussi cette naissance : il voit le livre comme « une transition entre deux générations différentes » (38). Le livre peut être compris, il écrit, « par rapport à la décadence et à la disparition du moi aristocratique […] elle est liée au déclin de la noblesse en tant que force et idéal historiques » (50). Madame de Lafayette espérait changer son monde à elle en présentant une sensibilité nouvelle, une idéologie plus libératrice que celle de l’église catholique.

Il est incroyable de trouver une condamnation de la vie à la Cour dans un livre qui semble exalter cette vie, mais il est aussi inévitable : l’absence de la religion et de Dieu dans un texte si influencé par la moralité crie pour l’attention. La position et les convictions de Madame de Lafayette ne pouvaient pas s’absenter de son livre, mais ils pouvaient être cachées. Comme on a vu, l’absence de la religion souligne la dépravation de la vie de la Cour, et cette cour était très proche de l’auteur. Le monde de Madame de Lafayette était semblable à celui de la princesse : elles luttaient toutes les deux entre la passion et le devoir. Comme la princesse, Madame de Lafayette avait aussi une obligation à la Cour, elle ne pouvait pas la critiquer directement parce que ses intérêts étaient en jeu, mais ses croyances étaient en même temps en train d’être attaqué par Louis XIV. C’est dans cette situation de contrainte que l’oppositionnel se trouve : l’oppositionnel existe dans les ruptures où le narrateur prend du recul et laisse l’interprétation des choses curieuses au lecteur. Alors, comme la princesse, Madame de Lafayette a trouvé une manière de s’échapper de ses obligations à la Cour. Elle savait ce que c’était de maintenir un équilibre entre deux mondes ; elle en a créé au moins deux dans son roman : l’un qui critique la Cour débauchée et l’autre qui se lit autrement et ils existent tous les deux dans un équilibre de présence et d’absence. Comme la vie à la Cour, son roman joue le jeu de double face : il dit une chose avec les mots sur la page et il en dit une autre avec les mots qui n’y sont pas.

 

 

Ouvrages cités ou consultés

Butor, Michel. « Sur La Princesse de Clèves. » Répertoire I. Paris : Les éditions de Minuit, 1968. 74–78.

Campbell, John. « Round up the Usual Suspects : The Search for an Ideology in La Princesse de Clèves. » French Studies : A Quarterly Review. 60.4 (2006 October) : 437–452.

Chambers, Ross. Room for Maneuver: Reading (the) Oppositional (in) Narrative. Chicago, IL : University of Chicago Press, 1991.

Doubrovsky, Serge. « La Princesse de Clèves : une interprétation existentielle. » La Table Ronde. 138 (1959) : 36–51.

Hildesheimer, Françoise. Le Jansénisme en France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris : Éditions Publisud, 1991. 

Kaps, Helen Karen. Moral Perspective in La Princesse de Clèves. Eugene, Oregon : University of Oregon Books, 1968.

La Rochefoucauld. Maximes choisies. Paris : Classiques Larousse, 1935.

Leiner, Wolfgang. « The Princess and Her Spiritual Guide: On the Influence of Preaching in Fiction. » An Inimitable Example: The Case for La Princesse de Clèves, Ed. Patrick Henry. Washington D.C.: Catholic University of America Press, 1992. 139–155.

Lesaulnier, Jean. Images de Port–Royal. Paris, Éditions Nolin : 2002.

Madame de Lafayette. La Princesse de Clèves. Paris : Éditions Gallimard (Folio Classique), 2000.

Maland, David. Culture and Society in Seventeenth-Century France. New York : Charles Scribner’s Sons, 1970.

Marceau, William C. and Patrick G. Henry. "The Christianity of Madame de Lafayette." Papers on French Seventeenth Century Literature. 17.32 (1990) : 171–188.

Mathieu, Francis. « Mme de Lafayette et la condition humaine : Lecture pascalienne de La Princesse de Clèves. » Cahiers du dix-septième : An Interdisciplinary Journal. 12.1 (2008) : 61–85.

Strayer, Brian E. Suffering Saints : Jansenists and Convulsionnaires in France, 1640–1799. Portland, Oregon, Sussex Academic Press : 2008.

Taveneaux, René. La vie quotidienne des Jansénistes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, Hachette Littérature : 1973.

Ziegler, Gilette.At the Court of Versailles: Eye-witness Reports from the Reign of Louis XIV. New York : E. P. Dutton & Co., Inc., 1966.



[1]Pour quelques considérations détaillées, veuillez voir : Barbara Woshinsky, La Princesse de Clèves : The Tension of Elegance (Paris : Mouton:,1973), 10–13 ; Janet Raitt, Madame de Lafayette and La Princesse de Clèves (London : Harrap, 1971), 152–155 et Laurence A. Gregorio, Order in the Court : History and Society in La Princesse de Clèves (Saratoga, CA : Anma Libri, 1986), 26–30.

[2] Classiques Garnier Numérique. « Ornement. » Dictionnaires des 16e et 17e siècles : Dictionnaire de l’Académie Française, 1ère éd (1694). Howard Tilton Memorial Library Research Guides, Tulane University. Web. 7 Avril 2010.

 

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Lafayette Rewrites History, Murat Rewrites Lafayette: the Novel and the Transfiguration of the Social Sphere in Old-Regime France

Article Citation
XIV (2012): 1–21
Author
Allison Stedman
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Scholars agree that two of the French Enlightenment’s most radical examples of intellectual innovation and modernization—the eighteenth-century transfiguration of the public sphere and the rise of the concept of individual identity—are intricately linked to the evolution of reading and writing practices during this same period.  As Jürgen Habermas describes in The Structural Transformation of the Public Sphere, the evolution of the public sphere from an extension of state-governance into a public composed of private individuals making collective use of their reason, was only able to occur because “the public sphere in the world of letters [was] equipped with institutions of the public and with forums for discussion.”[1]   Likewise, as Geoffrey Turnovsky has shown in The Literary Market:  Authorship and Modernity in the Old Regime, the impact that the struc­tural transformation of the public sphere had on the modernization of intellectual identities in general was only made possible because of changes initially effected on authorial identities.  As the literary field transformed from a patronage economy to a market economy at the end of the eighteenth century, so also high Enlightenment authors transformed the way they self-fashioned and self-presented.  This shift in turn modeled a new way for all individuals to conceive of identity, self-hood and place in society.[2]

The transformations in the public sphere and in notions of modern identity that scholars observe during the eighteenth century were not only visible during the French Enlightenment, however.   Similarly, during the reign of Louis XIV, a diverse community of authors and readers relied in­creasingly on the production, consumption and circulation of literary texts both to create individualized social identities, and to engage one another on important social issues.  As such, one can say that by the turn of the eighteenth century, the spatially mediated social field—in which social interaction took place primarily through face to face conversation and which required individuals to be physically present in the same space—was already ceding important socio-political influence to a rapidly ex­panding textually mediated social field—where social interaction took place primarily through the production, reception and circulation of liter­ary texts, and where common physical presence in a given locale was no longer necessary.[3]

Louis XIV’s attempts to dominate the social field by increasing the importance of spatially mediated modes of social interaction have been widely studied.[4]  Less well-known is the degree to which, during the same period, a dialectic resistance to the king’s policies was also taking place as authors frustrated with the crown’s increasing monopolization of physical space began to explore alternative modes of social interaction.  This explo­ration simultaneously gave way to new definitions of social identity and rules of decorum.  While in the spatially mediated social field, one’s iden­tity and capacity for interaction were limited by such external signifiers as rank, age, gender, religious affiliation and regional origin; in the textually mediated social field, individuals of diverse backgrounds could interact with one another irrespective of such differences.  Provided that they had access to a common corpus of literary texts, artisans could engage aristo­crats, Protestants could engage Catholics, and young, unmarried women could interact with older, married men.  The increasingly centrifugal na­ture of the textually mediated social field during the second half of the seventeenth century was arguably the foundational impulse behind the rise of generically heterogeneous novelistic production during this same pe­riod.[5]  As Henri Coulet has observed, the “period of confused searching” that characterized the novel during the final decades of Louis XIV’s reign (1690–1715) constitutes an anomaly in the history of the French novel where overall trends between 1650 and 1850 move from long, digressive, anecdotal and action-oriented to short, linear, analytical and psychologi­cally realistic.[6]

In the emerging textually mediated social field, authors and readers used generically heterogeneous novelistic production to communicate with one another in a variety of ways.[7]  Sometimes they used prefaces to ad­dress one another directly.  Other times they dialogued with one another through the plots of their texts using metaphor, synecdoche and intertextu­ality to call up associations between their own texts and those of their predecessors.  At the turn of the eighteenth century, Henriette-Julie de Castelnau, Countess de Murat provided a notable example of this kind of intertextuality in her travel narrative, the Voyage de campagne (1699), re­writing both the famous “avowal” and “reverie” scenes that had earlier taken place in Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, Countess de Lafayette’s seminal historical novel La Princesse de Clèves (1678).[8]  In doing so, Murat capitalized on a technique that earlier novelists, and even Lafayette herself, had used during the 1660s when they rewrote history in the form of the nouvelle historique.  As we shall see, when Murat’s re­writing of Lafayette is read against Lafayette’s own rewriting of sixteenth-century history, the degree to which the old-regime social sphere was evolving from a reliance on spatial mediation to a reliance on textual me­diation at the turn of the eighteenth century is apparent on the level of plot.

Revising History:  Lafayette Rewrites Coulommiers

Set at the court of Henri II between October of 1558 and November of 1559, the plot of Lafayette’s novel traces the psychological and sentimen­tal evolution of Mademoiselle de Chartres, a wealthy heiress whose wid­owed mother strives to give her an exemplary education by sheltering her from superficiality and forbidding her to appear at court until she is fifteen years old.  At court, the young woman rapidly becomes exposed to the vi­cissitudes of its treacherous socio-political network and learns the impor­tance of dissimulating one’s true feelings.   In contradiction to her mother’s teachings that “the only thing that can secure a woman’s happi­ness …[is] to love one’s husband and to be loved by him (10)”[9]  (“ce qui seul peut faire le Bonheur d’une femme…est d’aimer son mari et d’en être aimé” [260]),[10] de Chartres finds herself constrained to an arranged mar­riage with the Prince de Clèves, the second son of the Duke de Nevers, a man several years her senior for whom she feels no particular inclination.  She goes on to fall in love with the gallant and handsome Duke de Ne­mours, receives assurance that he returns her affections, grieves over the death of her mother, and finally, fearing that she will succumb to her ex­tra-marital passion for Nemours, begs her husband permission to retire from court to the country chateau they are in the process of building at Coulommiers.  Suspecting that the princess is not completely forthright about the motivations behind her desire for retreat, Monsieur de Clèves presses her unceasingly until his wife responds with an act of unprece­dented sincerity:  kneeling before her husband, she avows to him that she does indeed wish to retire from court to avoid being exposed to dangers to which women her age sometimes fall victim, and which would threaten to make her unworthy of him as a wife.  

This singular declaration, which captivated critics and sparked lively debate among Lafayette’s contemporaries, drives Monsieur de Clèves to despair.[11]  Suspecting a connection between the vague “dangers” to which his wife alludes and the Duke de Nemours, Monsieur de Clèves eventually grants his wife permission to return to Coulommiers, all the while having Nemours followed by one of his footmen.  Nemours does indeed turn up in the moonlit park surrounding the chateau de Coulommiers on the fol­lowing evening, and in what Joan DeJean describes as a “Chinese box of voyeurism,” the footman spies on the Duke de Nemours who in turn spies on the Princess de Clèves by crouching in the palisades beside the win­dows of her garden pavilion.[12] They observe the following scene: 

She was reclining on a day bed, with a table in front of her, on which there were several baskets full of ribbons.  She picked out some of these, and M. de Nemours noticed that they were of the very colours that he had worn at the tournament.  He saw that she was tying them into bows on a very unusual malacca cane which for a while he had car­ried around with him and which he had then given to his sister; it was from her that Mme de Clèves had taken it without showing that she recognized it as having belonged to M. de Nemours.  She completed this task with such grace and gentleness that all the feelings in her heart seemed reflected on her face.  Then, she took a candlestick and went over to a large table in front of the painting of the siege at Metz that contained the likeness of M. de Nemours.  She sat down and began to gaze at it with a musing fasci­nation that could only have been inspired by true passion (128).
[Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans, elle en choisit quelques-uns, et M. de Nemours remarqua que c’étaient des mêmes couleurs qu’il avait portées au tournoi.  Il vit qu’elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu’il avait portée quelque temps et qu’il avait donnée à sa sœur, à qui [Mme] de Clèves l’avait prise sans faire semblant de la reconnaître pour avoir été à M. de Nemours.  Après qu’elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandai[ent] sur son visage les sentiments qu’elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s’en alla, proche d’une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de M. de Nemours, elle s’assit et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner (386).]

Overjoyed at the sight of his beloved passionately occupied with so many things connected to him, Nemours futilely attempts to make the princess aware of his presence, and eventually alludes to his voyeurism a few days later.  His overtures are ultimately refused, however.  Madame de Clèves remains faithful to a self-imposed, austere conception of virtue even after her husband’s untimely death leaves her free to remarry.  She declines to return to court and lives out the rest of her short, exemplary life in semi-seclusion, spending half the year in a convent and the other half chez elle (“at her own home”).[13]

Although critics across the centuries have viewed this scene from the violating perspective of the triangulated male gaze, in which two “desir­ing” male subjects observe the princess as desired object, as Joan DeJean has demonstrated, the princess’ carefully premeditated reverie of passion can also be said to constitute a radical refashioning of triangulated male desire.[14]  In transferring her own desire for Nemours onto a selection of meticulously chosen objects, the Princess de Clèves in fact asserts herself as a unique, desiring subject who in turn triangulates the object of her de­sire, supplanting the authentic Duke de Nemours with a convergence of signifiers that allow the duke as desired object to function simultaneously in both reality and reverie.  As such, the princess is able to displace the power that the actual Nemours holds over her by redirecting that power onto a series of objects that she alone has acquired and that she alone can manipulate.[15]

*****

As Faith E. Beasley points out in Revising Memory:  Women’s Fic­tions and Memoirs in Seventeenth-Century France, the care that Lafayette’s heroine, the Princess de Clèves, took in building, landscaping and decorating the interior of her country house at Coulommiers provides in many ways the fictional counterpoint to the care that the author herself took as a historian when she constructed the novel’s historical context.  This care, as Beasley describes, is evident throughout the novel, but is particularly apparent in the author’s decision to situate her story’s most controversial scenes at the anachronistic chateau de Coulommiers.[16] According to the land-title transfer records of the Department of Seine and Marne, which are reproduced in Rouget’s 1829 Notice Historique sur la ville de Coulommiers, although the chateau at Coulommiers was not built until 1613, the feudal estate, or seigneury, was indeed presided over by the Clèves family throughout the majority of the sixteenth century.  These lands had become the Clèves’ property as part of a dowry agreement in 1505 when Marie d’Albret, Duchess de Nivernois married Charles de Clèves, Count de Nevers.  Upon the duchess’ death in 1549, she passed the estate to her son François de Clèves, Duke de Nevers, who retained control of it until his death in 1562.[17]  Although François de Clèves was the first son of the Count de Nevers, as opposed to the second son of the Duke de Nevers as Lafayette’s historical prelude attests, and although he did not die without an heir as Lafayette’s Monsieur de Clèves did, a Mon­sieur de Clèves, himself the Duke de Nevers, would nonetheless have been in control of the Coulommiers estate between 1558 and 1559, the years in which Lafayette’s novel takes place.

The association of the title “princess” with the Clèves family estate conveys yet another testimony to Lafayette’s intimate familiarity with the history of Coulommiers and with the genealogy of the Clèves family.  In one of the more intriguing marriage contracts of the late sixteenth century, François de Clèves’ second daughter, Catherine de Clèves and de Nevers acquired the title “princess” in 1560 upon her marriage to Antoine de Croÿ, Prince de Porcien.   Widowed at the age of nineteen, she went on to marry Henri I, Duke de Guise in 1570 and became involved in a very public title dispute over the Coulommiers estate with her sister Henriette de Clèves the following year, usurping its title for half a year before her sister and her brother-in-law managed to reassert their legitimacy.[18]  Upon exchanging her title of Princess de Porcien for Countess d’Eu and Duchess de Guise in 1564 and 1570, respectively, Catherine de Clèves would go on to become one of the most politically influential women of the late six­teenth and early seventeenth centuries.  Following her husband’s assassi­nation in 1588 during the War of the Three Henris (1584–1598), she took over as matriarch of the powerful and influential de Guise family, fur­thering the interests of all fourteen of her children, including the ambitions of her son Charles, Duke de Guise for the French throne.  Through her in­volvement in the Catholic League, she helped to bring an end to the French Wars of Religion by encouraging the assassination of King Henri III in 1589.  In 1593, upon her cousin King Henri IV’s conversion to Catholicism, she reconciled with the royal family, assumed an honorable position in the retinue of Henri’s wife, Marie de Medicis, and continued to support the Queen throughout the remainder of Henri IV’s reign and dur­ing the minority of Louis XIII between 1610 and 1617.[19]  In bestowing upon her heroine the title of “princess,” and in associating this princess with the chevalier de Guise,[20] who figures as one of the Princess de Clèves’ most ardent suitors in the context of the novel, Lafayette creates the first of a series of implicit associations between her fictional heroine and a historically-verifiable, political heroine of recent French history.

As Beasley has demonstrated, for seventeenth-century readers, the contemporary historical connotations of the chateau de Coulommiers would have continued to echo its sixteenth-century legacy with images of powerful, innovative and unintimidated women who were champions of worldly society, who constructed the chateau as a monument to female glory, and who made use of the chateau as a retreat from court life and from revolutionary activities.[21]   The widowed Catherine de Gonzague de Clèves, Duchess de Longueville,[22] who built the chateau in 1613, caused a stir among her contemporaries when she had it decorated as what Mich­eline Cuénin has described as a veritable shrine to female achievement, filling it with busts, sculptures and reliefs of illustrious women from his­tory and mythology.[23]  Upon her death in 1629, Catherine de Gonzague de Clèves left the chateau to her son Henri II d’Orléans, Duke de Longueville, who in turn bequeathed its title to his wife, Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, Duchess de Longueville upon his own death in 1663.[24]

This particular Duchess de Longueville would have needed little intro­duction to Lafayette’s worldly, seventeenth-century contemporaries.  Born in the prison of the Chateau de Vincennes, where her father and mother had been incarcerated for their opposition to Marie de Medici’s favorite, the Maréchal d’Ancre, she went on to become the star of the Marquise de Rambouillet’s salon during the 1630s and 40s.  She married the widowed Duke de Longueville, son of Catherine de Gonzague de Clèves, in 1642 and quickly distinguished herself as the guiding spirit of the first Fronde and the unequivocal leader of the second Fronde, rallying her husband, as well as the Viscount de Turenne, and both of her brothers (the Princes de Condé and Conti) to the front lines of the revolution.  In 1652, during the last year of the war, she allowed the Duke de Nemours[25] to accompany her into the battle of Guyenne, and her intimacy with Nemours caused her fa­mous lover, the Duke de la Rochefoucauld, to abandon her.  Heartbroken and disgraced, Longueville retired to her country estate in Normandy until her husband passed away, at which point she returned to Ile-de-France and devoted herself to religious activities until her death in 1679, taking ad­vantage of the solitude of her numerous country chateaux and ultimately dividing her time between the convent of the Carmelites in the faubourg Saint-Jacques, where she had been educated as a young girl, and a house she had built for herself near the Jansenist monastery of Port-Royal.[26]  At the time of La Princesse de Clèves’ publication, the historical chateau de Coulommiers would thus have been entitled, if not inhabited, by a woman whose reputation as a femme forte (“strong woman”) revolutionary would still have amply preceded her.[27]

Reading the avowal and reverie scenes that take place at Coulommiers in the context of Lafayette’s novel against the contemporary historical context of the novel’s first readers causes these scenes to resonate with multiple additional layers of signification. Since Lafayette’s fictional heroine resembles the historical Catherine de Gonzague de Clèves both onomastically and in the sense that both women meticulously oversaw the construction of a chateau at Coulommiers, the Princess de Clèves’ subse­quent redefinitions of both marriage and passion, which take place at this chateau in the context of the novel, are implied to be analogous to Gon­zague de Clèves’ transformation of the historical Coulommiers into a pub­lic, visually striking monument to female glory during the early part of the seventeenth century.  The Princess de Clèves’ innovations in the realm of the sentimental are thus implied to be the contemporary equivalent of the previous owner’s innovations in the realm of interior décor; whether of a visual or a verbal nature, both women’s innovations pay testament to fe­male exceptionality.

By the same token, the role of Lafayette’s Princess de Clèves as the actual proprietorof the chateau in the context of the novel begs a second implicit association between the novelistic heroine and the chateau de Coulommiers’ contemporary titleholder at the time of the novel’s publica­tion:  the Duchess de Longueville.  This additional association implies that the princess’ socio-sentimental innovations, which take place in the pri­vate context of her country chateau, can serve as a contemporary equiva­lent to the revolutionary, socio-political innovations initiated in the public context of military heroism during the earlier part of the century.  The fact that both the Princess de Clèves and the Duchess de Longueville retire to Coulommiers after experiencing heartache over their supposed intimacy with a certain Duke de Nemours[28] only lends further impetus to the implication that Lafayette’s heroine can be said to constitute a new brand of femme forte, one who draws strength from the private, architectural spaces she constructs in order to amass an arsenal of emotional resolve with which to defend her psychological and sentimental independence.  The Princess de Cleves’ association with the Duchesse de Longueville thus tangentially implies that her retreat from court life, desire for sincerity in marriage, and rejection of non-mediated passion can provide modern equivalents for the roles that military action and overt political revolution had played in the past.  If Lafayette’s heroine represents the modern day equivalent of the Duchess de Longueville, then a modern femme forte who wishes to emulate her exceptional military achievements must likewise turn inward, defending her psychological and emotional independence by reaching into the deepest recesses of her inner resolve and by embracing a largely private existence with as much tenacity as her exceptional female predecessors had displayed when they turned outward, rallying military allies from among their families and friends to defend their very public desire for social and political autonomy.[29]

In choosing the chateau de Coulommiers as the setting for her hero­ine’s most exceptional gestures of originality and independence, Lafayette’s novel ultimately both reflects and revises the Old Regime so­cial field’s increased dependence on spatial mediation in the decades fol­lowing the Fronde.  During the Fronde years, common political philosophies and visions of government had forged social ties among di­verse members of the aristocratic community and defined them socially both in relation to one another and in opposition to those who did not share their perspectives.  In the years following Louis XIV’s victory, how­ever, both monarchists and revolutionaries began to turn increasingly to the mediation of physical, geographic space to define and secure their so­cial identities.  While the crown developed the majestic, almost mytho­logical space of Versailles as a means of mediating the social interactions of royal subjects by traversing this space with elaborate systems of court ritual, the rise of the salon as a social haven for disgraced Frondeurs and members of the likeminded worldly community similarly relied on the common association of an individual’s social identity with their presence in a particular geographic locale.  Literary production of the 1660s and 70s reflects this rise in the importance of space as a social mediator.  While at court, such production largely took the form of performative genres such as theatre and opera, which depend on the physical presence of its in­tended audience in order to be enjoyed; in the salon the new reliance on physical space as a social mediator gave way to a form of novelistic pro­duction whose composition was collective, and thus dependent on the physical presence of a variety of interlocutors for its ultimate realization. 

In using the common geographic space of Coulommiers to imply a social connection between the Princess de Clèves, the Duchess de Longueville, and a host of illustrious female predecessors associated with the same estate, Lafayette demonstrates a revolutionary new conception of the spatially-mediated social sphere, a conception that, while it still relies on the mediation of physical space to forge connections among individuals, no longer relies on the common physical presence and interface of these individuals within such a space to forge socially-identifiable associations.  For Lafayette, the social field remains spatially mediated, but the identity of an individual with a particular locale is no longer defined in relation to the common presence of other individuals within the same space.  The use of commonly identifiable geographic spaces for the purposes of solitary retreat, rather than as loci of social in­teraction, thus becomes a revolutionary new option for the definition of one’s social identity; an identity that is grounded in absence rather than presence.  In giving individuals the capacity to construct geographic spaces for the purpose of solitude rather than interaction, Lafayette in fact forges an alternative form of social community among Coulommiers’ di­verse proprietors, both fictional and historical, in which the association with a common geographic space as a place of anti-social retreat becomes a new common denominator among a diverse and disparate community of exceptional women.  

Revising Fiction:  Murat Rewrites Lafayette

At the turn of the eighteenth century, Murat’s decision to set the Voy­age de campagne at the fictional chateau de Selincourt, rather than at a historically verifiable location, provides an indication of the degree to which an even more radically different conception of the social sphere was already emerging in the literary imagination of the late 1690s.  Although at the time of the novel’s publication, there was a seigneury by the name of Selincourt located in Picardy,[30] in the context of Murat’s novel an eponymous estate provides the setting for a sumptuous aristocratic resi­dence, about a day’s drive from Paris, located on the banks of the river Seine, and complete with fountains, a labyrinth, an orangerie and a series of statue-lined walkways capable of rivaling those of Louis XIV’s court at Versailles.  Unlike Lafayette’s novel, which focuses on the socio-sentimental evolution of a singular individual, the Voyage de campagne details the daily activities of a select group of Parisian aristocrats who decide to spend the summer together at the home of the Count de Selincourt in order to take advantage of the pleasant weather and of the brief period of peace following the end of the War of the League of Augsburg.[31]  Thanks to the relaxed chaperoning presence of the Duke de…, Selincourt’s elderly uncle, the six young, unmarried protagonists are quickly able to pair off, Selincourt with the narrator’s dear friend Madame d’Arcire, with whom he has been involved for several years; the count’s friend the Chevalier de Chanteuil with the young widow Madame d’Orselis; and the narrator herself with the Marquis de Brésy, a military comrade of Selincourt’s who joins the group shortly after their arrival.  Written as a first-person account in the form of a letter, the Voyage is addressed to an anonymous “Madame” who is reportedly a member of the same social circle as the novel’s protagonists, and who has not been invited to join the group as the result of an amorous falling out that she has had with Selincourt some years prior.  During their stay in the country, the characters pass the time by entertaining houseguests, mocking their provincial neighbors, arranging gallant parties in one another’s honor, taking daytrips and telling stories. Although Selincourt’s attempts to make the Marquise d’Arcire jealous by feigning an amorous attachment to the narrator initially cause a lengthy misunderstanding to develop, the narrator’s persistent refusal to sacrifice her friendship with Madame d’Arcire for the sake of her own vanity eventually restores order, and the narrator pairs up with the Marquis de Brésy.  By the time the characters return to Paris at the end of the novel, Selincourt and d’Arcire are engaged to be married, as are the narrator and the Marquis de Brésy.  Only the rocky love affair between the Chevalier and Madame d’Orselis dwindles away with the summer season. 

Just as Lafayette created the illusion of historical fidelity at the beginning of La Princesse de Clèves with the meticulously researched description of the court of Henri II, so also the Countess de Murat opens the Voyage de campagne by cultivating the illusion that her novel will remain faithful to the novelistic tradition of the previous century, created in large part by Lafayette and by her predecessors Marie-Catherine Desjardins (Madame de Villedieu) and Madeleine de Scudéry. This tradition not only includes accounts of amorous adventures enlivened by interpolated portraits and personal anecdotes (Scudéry), but also the in-depth analysis of the private and public motivations behind well-known historical events (Villedieu), and of the psychological effects of such events on the individuals involved (Lafayette).  As Murat’s narrator announces to the novel’s intended recipient: 

You ask me, madam, for the story of the trip that I took to Selincourt; I found it too agreeable for its recollection not to give me pleasure; my only fear is to make it too long; but since you desire an exact account, I am obliged, with your permission, to follow the example of our novelists, acquainting you with the conversations that we had, and with the stories that were recounted there (25).[32]
[Vous me demandez, Madame, le récit du Voyage que j’ai fait à Selincourt; il m’a été trop agréable pour que le souvenir ne m’en plaise pas: toute ma peur est seulement de le faire trop longue.  Mais puisque vous le voulez exact, il faut bien, s’il vous plait, qu’à l’exemple de nos romanciers, je vous apprenne les conversations que nous y avons eues, et les histoires qu’on y a contées (I. 1).][33]

As the Voyage de campagne unfolds, however, Murat’s departure from the novelistic tradition established by her predecessors becomes immediately apparent.  While the Voyage does include portraits and interpolated autobiographical accounts of almost all of the novel’s seven main protagonists,[34] it largely overshadows these more traditional novelistic subgenres with the rampant interpolation of three significant generic innovations, the literary ghost story, the literary anti-fairy tale, and the proverb comedy.[35]  As such, the novel in fact reveals itself to be an extension, not of traditional novelistic production, but rather of an alternative mode of hybrid literary fiction that persisted virtually undocumented and uncontested throughout the seventeenth century before gaining mainstream popularity in the 1690s—a popularity it would retain throughout the 1700s.[36]  In proffering the work of her novelistic predecessors as a tradition to be revered rather than as a complacent trend to be revolutionized, Murat in fact employs the same strategy of novelistic exposition as Lafayette’s earlier work, professing fidelity to a generally accepted set of novelistic norms in order to present a radical revision of this same tradition on the level of plot, just as Lafayette proposed to create a narrative faithful to official history only in order to undermine this very same official version of political events by subsuming the monarch and his entire court within the less official realm of gallantry.[37]

Murat’s tenacious investment in engaging and revising the novelistic tradition that Lafayette in large part had helped to establish does not stop with her novel’s introduction, however.  When, in the context of an interpolated autobiographical story, the Chevalier de Chanteuil’s former lover Madame d’Arsilly confesses to him that she desires to take on a second lover, and asks Chanteuil to wait for her to come back to him after the novelty of her latest passion has worn off, he exclaims in disgust: “Ruin yourself, madam, ruin yourself, I no longer want to be involved in this:  you are a very flawed imitation of the Princess de Clèves: your crime is more complete and more outrageous and your remorse is not as real as hers” (76) (“Perdez-vous, Madame, perdez-vous, lui dis-je, je n’y veux plus prendre d’intérêt:  vous êtes une copie bien imparfaite de la princesse de Clèves:  votre crime est plus entier et plus outrageant et votre remords ne l’égale pas” [Murat I: 135]).  The characters of the novel who listen to the chevalier’s story are shocked by d’Arsilly’s sincerity regarding her ongoing infidelity much in the same way that the fictional members of Henri II’s court, and even Lafayette’s own contemporaries had been shocked by the Princess de Cleves’ sincerity about a passion she endeavored to avoid.

In exploiting the shocking sincerity of both d’Arsilly and the Princess de Clèves’ confessions, Murat in fact undertakes a significant revision of Lafayette’s earlier re-conception of female heroism and exceptionality.   If a woman as flighty and inconstant as Madame d’Arsilly can use sincerity to excuse ongoing acts of infidelity taking place beyond the bounds of an already extramarital relationship, then sincerity, at the turn of the eighteenth-century, can no longer constitute a quality uniquely associated with women of exceptional moral virtue.  Although both confessions distinguish themselves by their unprecedented sincerity, the exceptionality of Madame d’Arsilly’s confession lies not in its contribution to an innovative strategy of preserving moral virtue, but rather in its gall, its brazen disregard for moral codes, and its unrepentant self–righteousness. Those who learn of d’Arsilly’s exceptional confession in the context of Murat’s novel do not puzzle over her motives or marvel at her singular approach; rather they dismiss her as everything from une personne bien particulière (I: 141) (“a very peculiar person” [78]) to une folle (I:130) (“a madwoman” [74]) unworthy of the chevalier’s attentions.

In eliminating the link between virtue and exceptionality, Murat’s revision of Lafayette’s confession does more than revise the terms of female heroism, as Lafayette had done when revising recent history.  More importantly, it calls into question the basic premise of female heroism under the old regime:  the notion that virtue, whether moral or military, provides an absolute barometer of social distinction.  In distinguishing herself by her eccentric and idiosyncratic behavior, rather than by her ability to exceed the expectations of a publically-recognized standard of social excellence, Madame d’Arsilly inserts herself into the worldly, late seventeenth-century social field in a remarkably autonomous manner, accruing an exceptional identity based on her own intrinsic, individual uniqueness, rather than through the radical interpretation of a publicly recognized social ideal, as the Princess de Clèves had done when she used sincerity as a pathway to virtuous inimitability.  In refusing both the universal and the elitist implications inherent in the old-regime relationship between virtuous behavior and social exceptionality, Murat’s rewriting of Lafayette thus ultimately calls into question the degree to which such absolute barometers of social distinction can continue to function in the emerging Age of Enlightenment, an age in which many old-regime social signifiers, previously reserved for an elite few, would either become accessible to the masses or eliminated entirely.

An emerging reconception of the old-regime social field’s most prevalent social signifiers is perhaps even more apparent in Murat’s revision of Lafayette’s carefully constructed reverie of passion, which follows the declaration scenes both in La Princesse de Clèves and in the Voyage de campagne.  In Murat’s rewriting of this famous scene, the distressed heroine in question, the Marquise d’Arcire, seeks out a clearing in the garden of a country house near the Selincourt estate, where she and the other main characters have decided to take a day trip, to indulge her emotions at the height of her jealous misunderstanding with the Count de Selincourt.  Just as Nemours had observed the princess in her pavilion at Coulommiers, so also Selincourt crouches in the palisades surrounding the clearing where the marquise sits and strains to glimpse clues as to his lover’s true feelings by scrutinizing her actions and expressions.  Due to a few alterations in the objects that the marquise chooses to stage her reverie, however, the Count de Selincourt is not able to achieve the same positive sense of satisfaction as his novelistic predecessor, the Duke de Nemours.[38]  Here is the scene as Murat’s narrator, accompanied by the Count de Selincourt, observes it:

While we were having that conversation, we made our way, without realizing it, toward the wood:  I had never seen it before; and since it is delightful, owing to the fountains of various shapes, and to the marvelous marble statues located at the end of all the walkways, I traversed a part of this agreeable place with the count; but while crossing it from one side to the other, I spotted the marquise reclining on a grassy area adjacent to the palisade on the side where we were.  “Come, count,” I whispered to Selincourt, “behold an adventure out of a novel; come see your beloved in a posture of distress.”  He did indeed approach, and looking through the hedge, he saw that she was playing with a cane in a fountain located at her feet, and that she was holding in her other hand a little portrait, the features of which he could not recognize because the branches were too thick (79–80).  
 [En nous entretenant ainsi, nous tournâmes insensiblement nos pas vers le bois :  je ne l’avais jamais vu ; et comme il est délicieux par des fontaines de diverses figures, et par des statues de marbre merveilleuses qui en terminent toutes les allées, je parcourus avec le comte une partie de cet agréable endroit ; mais en traversant d’un côté à l’autre, j’aperçus la marquise couchée sur un lit de gazon qui tenait à la palissade du côté où nous étions. Venez, comte, dis-je tout bas à Selincourt, voyez une aventure de roman ; venez voir votre maîtresse dans une attitude désolée.  Il s’approcha en effet ; et regardant au travers de la palissade, il vit qu’elle badinait avec une canne dans une fontaine qui était à ses pieds et qu’elle tenait de l’autre main un petit portrait dont il ne put connaître les traits, à cause de l’épaisseur des branches (I : 144–5)].

Seated on a lit de gazon [“bed of grass”] as opposed to a lit de repos [“day bed”] the Marquise d’Arcire likewise occupies her restlessness by manipulating a cane.  However, instead of choosing une canne des Indes, fort extraordinaire [“a very unusual malacca cane”], which Nemours had easily recognized as previously belonging to him, the marquise grasps a decidedly nondescript cane whose origin and history are unknown.  Similarly, instead of weaving ribbons around the cane, which, in the context of Lafayette’s novel had enabled Nemours to recognize his own tournament colors, the marquise instead uses the cane to make rivulets in the clear surface of a fountain at her feet.  Finally, instead of gazing at a portrait of her lover that situates him in a larger public context, as the Princess de Clèves had done with the portrait of Nemours embedded in the larger depiction of the royal siege of Metz, the marquise gazes longingly at a miniature portrait so small that Selincourt is unable to tell whom it represents.  The resulting effect of the marquise’s mediated desire on the observing lover is thus one of despair, rather than elation.  In removing the public frame of reference from the objects she chooses to stage her reverie, the marquise similarly removes the ability of onlookers to read and interpret her private emotions.  At stake in this rewriting of the Princess de Clèves’ reverie of passion is thus a simultaneous redefinition of how the old-regime public sphere is constituted.  While the Princess de Clèves had understood the public sphere only in terms of its spatial delineations, and thought to shield herself from it by removing herself from it geographically, the Marquise d’Arcire understands the public sphere as an abstract convergence of common cultural signifiers and ideals.  In choosing objects whose referential significance is of a personal rather than a public nature, the marquise is thus able to conceal her emotions from the metaphorical “public eye” of her lover, even while remaining on the grounds of the same country home.

 The revolutionary understanding of the social sphere inherent in this scene anticipates the well-known restructuring of the public sphere over the course of the French Enlightenment, a restructuring that would ultimately result in the liberation of both the individual and the literary field from traditional venues of spatially-mediated social interaction, emerging instead as components of a diasporic, international republic of letters constructed and perpetuated by the production and circulation of texts.[39]  In the reverie of passion that Lafayette constructs at the height of political absolutism, the princess’ spectacle of mediated desire comes to an abrupt end when the Duke de Nemours, heartened by the certainty of being the object of her desire, seeks to enter the pavilion and to engage the princess in a face-to-face conversation—a strategy whose reliance on spatial mediation ultimately backfires when Nemours’ scarf becomes entangled in a window and the startled princess quickly retreats into a different room.  In Murat’s version of the scene, the Count de Selincourt makes no such attempt to penetrate the space in which marquise’s reverie takes place, settling instead for the procurement of her writing tablets, which the narrator pulls through the bushes as unobtrusively as possible, and which the count immediately seizes upon, exclaiming: “here is the means to enlighten us” (80) [“Voici de quoi nous éclaircir” (I: 146)], before making off with them into the wood.  Although the poem that the tablets contain is not specific enough to confirm or deny Selincourt’s conclusion that the marquise has been unfaithful to him, the fact that he seeks an explanation of the marquise’s behavior by turning to her writing, rather than by trying to engage her in a face-to-face conversation, suggests the degree to which texts were already replacing physical space as the preferred mediator of social interaction at the turn of the eighteenth century.

The Question of Genre

A final point of commonality between Lafayette and Murat is the nature of the genres they choose to manipulate when revising their respective socio-political contexts.  As Beasley points out, Lafayette’s decision to innovate upon the genre of official history, or Histoire, in many ways capitalizes on the chaos of this genre during the early decades of Louis XIV’s personal reign, a time in which history was becoming increasingly synonymous with both monarchical propaganda and popular consumption.[40] Lafayette’s appropriation of history for non-absolutist ends can thus be said to constitute a form of resistance to the absolutist political project in and of itself, an innovation that is similar to the Princess de Clèves’ subtle redefinition of the spatially-mediated social field, a field that in the late 1670s was increasingly succumbing to the pressures of monarchical manipulation as Louis XIV sought to exert control over his aristocratic subjects by constraining to them to live at court.

At the time when Murat published the Voyage de campagne, the French novelistic tradition established by Scudéry, Villedieu and Lafayette during the earlier part of the century is well documented to have been in a similar state of chaos.[41]  In capitalizing on the permeability of the novel at the turn of the eighteenth century, Murat’s work can thus be said to advocate for a similar degree of cultural reform within the socio-political institution most invested in her genre of choice.  In Murat’s case, however, the institution is not the court, but rather the salon, a socio-discursive network that, like the Princess de Clèves’ confession and reverie of passion, was similarly predicated both on a generally accepted relationship between elitism and exceptionality, and on the geographically-mediated spatial limitations of the salon itself as a guarantor of exclusivity.  In revamping the relationship between elitism and exceptionality, and in modeling the advantages of non-spatially-mediated social interaction, Murat’s rewriting of Lafayette likewise urges her salon contemporaries to renegotiate the parameters of socio-cultural autonomy in the face of impending cultural change.  In modeling the liberation of the literary field from traditional venues of aristocratic sociability such as the salon, Murat’s text encourages her contemporaries to turn to literary production as a primary form of mediation among a newly emerging diaspora of likeminded individuals united by ideals rather than by an association with a particular geographic space.  Although the ends that Lafayette and Murat hope to achieve through their innovative literary creations are drastically different, their common strategy of novelistic hybridization and revision nonetheless attests to literature’s crucial role in creating and mediating cultural change, both at the height of political absolutism and at the dawn of the Age of Enlightenment.

University of North Carolina, Charlotte



[1] Jürgen Habermas, The Structural Transformation of the Public Sphere:  An Inquiry into a Category of Bourgeois Society, trans. Thomas Burger (Cambridge, MA: The MIT Press, 1991), 51.  See also, Roger Chartier’s chapter “The Public Sphere and Public Opinion,” in The Cultural Origins of the French Revolution, trans. Lydia G. Cochrane (Durham, NC: Duke University Press, 1991) 20–37. 

[2] Geoffrey Turnovsky, The Literary Market:  Authoship and Modernity in the Old Regime (Philadelphia:  University of Pennsylvania Press, 2009), 1–23.  See also Roger Chartier, Culture écrite et société:  L’ordre des livres (XIVe–XVIIIe siècle) (Paris: Albin Michel, 1996) especially pages 45–106.

[3] For a description of this phenomenon in the eighteenth century, see Roger Chartier, “Do Books Make Revolutions,” in The Cultural Origins of the French Revolution, 67–91, and Culture écrite et société, Ibid. 

[4] Louis XIV’s most innovative absolutist political policies relied on the perception that the social field was spatiotemporally constructed.  In moving the entire court to Versailles, for example, the king exerted control over the social field by making social visibility synonymous with one’s ability to “appear” at court.  Similarly, he exploited the premise that physical banishment was equal to social annihilation by making use of exile as one of his most effective and prominent political tools.   For more on the king’s social policies at Versailles, see Norbert Elias, The Civilizing Process:  Sociogenetic and Psychogenetic Investigations, trans. Edmund Jephcott (Oxford:  Blackwell, 1982) 344–447; Norbert Elias, The Court Society (Oxford:  Blackwell, 1983); and Louis Marin, Portrait of the King, trans. Martha Houle (Minneapolis:  University of Minnesota Press, 1988) especially pages 180–205.  For more on the king’s use of exile, see Juliette Cherbuliez, The Place of Exile: Leisure Literature and the Limits of Absolutism (Lewisburg, PA: Bucknell University Press, 2005).

[5] For a survey of generically heterogeneous literary production during the 1600s, see Allison Stedman, Rococo Fiction in France, 1600–1715: Seditious Frivolity (Lewisburg, PA:  Bucknell University Press, 2012).  As Maurice Lever’s bibliography of seventeenth-century French prose fiction reveals, the publication of French novels during the 1690s would increase by at least 22% from the 1670s, from approximately 136 novels during the 1670s to 175 during the 1690s.   See Maurice Lever, La Fiction narrative en prose en XVIIe siècle (Centre National de la Recherche Scientifique, 1976), 529–58.  These figures do not include novels published in Jean Donneau de Visé’s contemporary literary magazine Le Mercure galant

[6] Henri Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution (Paris: Armand Colin, 1967–8) I: 288.  For more on the “identity crisis” of the late seventeenth-century novel, see also English Showalter, The Evolution of the French Novel 1614–1782 (Princeton: Princeton University Press, 1972), 5; René Godenne, La Nouvelle française (Paris: Presses Universitaires de France, 1974),29; Frédéric Deloffre, La Nouvelle en France à l’âge classique (Paris: Didier, 1968), 53.

[7] See Stedman, Rococo Fiction in France, chapters 3 and 4.

[8] According to Maurice Laugaa, eighteenth-century readers were so familiar with Lafayette’s La Princesse de Clèves (1678) that the novel could be said to represent an item of common cultural currency for the Enlightenment literary public.  As such, during the eighteenth century, La Princesse de Clèves can be said to have provided a similar narrative function to that of history during the 1650s, 60s and 70s with respect to the rise of the short novel in the decades following the mid-century aristocratic rebellion known as the Fronde (1648–1653).  See Maurice Laugaa, “Réception des romans et nouvelles de Madame de Lafayette au dix-huitième siècle,” Œuvres et critiquesXII (1987): 121–32.  In Before Fiction:  The Ancien Regime of the Novel (Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 2011), Nicholas D. Paige calls into question the seminal nature of Lafayette’s novel. 

[9] All translations of the Princesse de Clèves are taken from Terrence Cave’s Madame de Lafayette, The Princesse de Clèves (Oxford: Oxford UP, 1992) References are to this edition.

[10] Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, Countess de Lafayette, Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, trans. Terence Cave (Paris: Bourdas, 1990).  References are to this edition.

[11] For contemporary debate surrounding the Princesse de Clèves, see Jean-Antoine, Abbé de Charnes Conversations sur la critique de la Princesse de Clèves (1679), ed. François Weil et al. (Tours: Université de Tours, 1973); and Jean-Baptiste Trousset de Valincour, Lettres à Madame la Marquise de *** au sujet de la Princesse de Clèves (1678), ed. Jacques Chupeau et al. (Tours: Université de Tours, 1972).  For the debate that took place over the Princesse de Clèves in the Mercure Galant  (May 1678), see Gérard Genette, “Vraisemblance et Motivation,” Figures II (Paris: Seuil 1969).

[12] Joan DeJean, “Female Voyeurism:  Sappho and Lafayette,” Rivista di letterature moderne e comparate 40, no. 3 (1987): 210.

[13] This decision has often been linked to Lafayette’s alleged Jansenist sympathies.  See further Simone Guers, “La Religion dans La Princesse de Clèves,” Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal 2, no. 1 (1988): 133–141.  As Christian Biet describes in “De la Veuve joyeuse à l’individu autonome,” XVIIe Siècle 187, 2 (avril-juin 1995): 307–30, however, there may have been other factors involved in what made a widow’s choice typical or unusual.  See also, Jacques Poumarède:  “Le droit des veuves sous l’Ancien Régime (XVIIe–XVIIIe siècles) ou comment gagner son douaire,” in Femmes et pouvoirs sous l’ancien régime, ed. Danielle Haase-Dubosc and Eliane Viennot (Paris: Rivages, 1991). 

[14] DeJean, “Female Voyeurism,” 213.

[15] For arguments concerning the princess’ agency in procuring the large painting of the siege of Metz, in which Nemours’ portrait figures, see DeJean, “Female Voyeurism,” 213 and François Gebelin, “Sur une nouvelle edition de La Princesse de Clèves,” Plaisir du bibliophile VI (1930): 154.

[16] Faith E. Beasley, Revising Memory:  Women’s Fiction and Memoirs in Seventeenth-Century France (New Brunswick, NJ:  Rutgers UP, 1990), 225.

[17] Rouget, Notice historique sur la ville de Coulommiers, Département de Seine-et-Marne, depuis sa fondation jusqu’à ce jour (Paris:  Tourneux, 1829), 67–9.

[18] Rouget, Notice historique, 69.  Upon his death in 1562, François de Clèves had passed the estate to his oldest son, François II de Clèves, who died the following year.  The estate would subsequently pass through the hands of almost all of his children: to Henri de Clèves in 1563, to Jacques de Clèves later that same year, and to sisters Marie de Clèves and Henriette de Clèves in 1564. Upon Marie’s death in 1571, Catherine de Clèves disputed Henriette for the estate but acquired only a temporary victory. See Rouget, Notice historique, 67–9. 

[19] Following the death of her daughter, the Princess de Conti, Catherine de Clèves retired to her chateau at Eu and remained there until her death in 1633.  For all accounts of the de Guise family, see Henri Forneron, Les ducs de Guise et leur époque: étude historique sur le seizième siècle (Paris: E. Plon, 1877), and Réné de Bouillé, Histoire des ducs de Guise (Paris:  Amyot, 1850).  

[20]According to Alain Niderst’s notes, the “chevalier de Guise” refers to François de Lorraine, chevalier de Guise (1534–1563), the paternal uncle of Catherine de Clèves’ second husband. See Lafayette, Mme de Lafayette Romans et Nouvelles, 446.

[21] Beasley, Revising Memory, 225–7. 

[22] Louis de Gonzague, Duke de Nivernois and Henriette de Clèves gave the Coulommiers estate to their eldest daughter Catherine de Gonzague de Clèves in 1588 as a wedding gift upon her marriage to Henri d’Orléans I, Duke de Longueville (Rouget, Notice Historique, 69). 

[23] Micheline Cuénin, “Châteaux et romans au XVIIe siècle,”  VIIe siècle 118–9 (1978): 118. 

[24] Rouget, Notice historique, 67–71.

[25] Charles-Amédée de Savoie, 6th Duke de Nemours (1624–1652), a well-known womanizer, was killed in a duel shortly after entering the revolution.

[26]Joan DeJean, Tender Geographies:  Women and the Origins of the Novel in France (New York: Columbia University Press, 1991), 233.  A second commonality between the historical Duchess de Longueville and Lafayette’s fictional heroine the Princess de Clèves is thus the unconventional manner in which these women choose to spend their widowhood.  Choosing a convent as a secondary residence would have been highly unusual.  See futher, Geneviève Reynes, Couvents de femmes:  la vie des religieuses cloîtrées dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles (Paris:  Fayard, 1987). 

[27] For the seventeenth-century evolution of the femme forte, see Ian Maclean, Woman Triumphant:  Feminism in French Literature, 1610–1652 (Oxford: Oxford University Press, 1992), 64–87. For the Duchess de Longueville’s role in the Fronde, see DeJean, Tender Geographies, 37.   For her role as an icon of female heroism, see Maclean, Woman Triumphant, 214, 268.  For general information on the Fronde, see Oreste Ranum, The Fronde: A French Revolution (1648–1653) (New York:  W. W. Norton, 1993). 

[28] Cuénin, “Châteaux et romans,” 119.  Cuénin also emphasizes the importance of the coincidence of the names Clèves and Nemours in the context of Lafayette’s novel.  However, she cites this coincidence only in reference to the Duke de Longueville’s daughter from a previous marriage, Marie d’Orléans-Longueville (1625–1707), who acquired the title of “Duchess de Nemours” when she married Henri de Savoie, 7th Duke de Nemours in 1657.  Like her stepmother Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, duchesse de Longueville, Marie d’Orléans-Longueville was also actively involved in the first Fronde.  Although Marie d’Orléans-Longueville did not inherit Coulommiers until 1694, she was in the process of contesting her stepmother over its inheritance at the time of La Princesse de Clèves’ publication.  The onomastic coincidence of the names Clèves and Nemourswould thus indeed have resonated on multiple levels of signification for seventeenth-century readers.

[29] For women’s military heroism during the Fronde, see DeJean, Tender Geographies, 19–45.  For the political implications of these interventions, see Nina Rattner Gelbart, Feminisim and Opposition Journalism in Old Regime France (Berkeley:  University of California Press, 1987), 16–21. 

[30] At the turn of the eighteenth-century, the Selincourt seigneury belonged to the family of Charles-Nicolas Manessier, Viscount de Selincourt, an infantry captain in the king’s army. The chateau, which had been destroyed in a fire, was not rebuilt until 1734.  See “Château de Selincourt,” Monuments historiques, last modified June 26, 2006, http://www.culture.gouv.fr.

[31] The period of peace lasted from 1697–1702, between the end of the war of the League of Augsburg and the beginning of the War of Spanish Succession.  The summer in question is likely either the summer of 1698 or 1699. 

[32] Henriette-Julie de Castelnau, Countess de Murat, A Trip to the Country by Henriette-Julie de Castelnau, Comtesse de Murat, ed. and trans. Perry Gethner and Allison Stedman (Detroit: Wayne State University Press, 2011).  References are to this edition.

[33] Henriette-Julie de Castelnau, Countess de Murat, Voyage de campagne par Madame la Comtesse de M*** Avec les Comédies en Proverbes de Madame D*** (Paris:  Prault Père, 1734).  References are to this edition.  Quotes have been checked for accuracy against the novel’s original 1699 edition (Paris: Veuve de Claude Barbin, 1699).  

[34] Excepted from this is most notably the novel’s main character, the female narrator addressed on one occasion as Mademoiselle de Busansai, who not only refuses to entertain her anonymous reader with a self-portrait, but also refuses to entertain her companions with a story of her past.  Instead, she uses her turn to create an insulting narrative designed to scandalize a female rival whose attentions to the narrator’s suitor, the Marquis de Brésy, had become increasingly unpalatable.

[35] For the history of these genres see Stedman, Rococo Fiction, Chapter 4.

[36] For the evolution of this alternative tradition, see Stedman, Rococo Fiction, pages 2–5 and chapters 2 and 3. 

[37] For Lafayette’s revisions of sixteenth-century French history, see Beasley, Revising Memory, 192–224.

[38] Murat is not the first author to rewrite this particular novelistic scene.  As Armine Kotin points out in “La Canne des Indes: Madame de Lafayette Lectrice de Villedieu,” XVIIe siècle 31 (1979): 409–11, a similar scene appears in Madame de Villedieu’s Cléonice ou le Roman Galant (Paris: Claude Barbin, 1669).

[39] This concept of the Enlightenment public sphere has emerged as the result of much significant, recent work on the part of literary historians, cultural historians, revisionist historians of the French Revolution and historians of ideas.  For a summary of the convergence of these fields of research on both sides of the Atlantic at the turn of the twenty-first century, see Elena Russo, “Editor’s Preface to Exploring the Conversible World: Text and Sociability from the Classical Age to the Enlightenment,” Yale French Studies 92 (1997): 1–7. 

[40] Beasley, Revising Memory, 20–31.

[41] For more on the chaos of the French novel at the turn of the eighteenth century, see Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution, I. 288; Showalter, The Evolution of the French Novel 1614–1782, 5; Godenne, La Nouvelle française, 29; Deloffre, La Nouvelle en France à l’âge classique, 53; and Georges May, Le Dilemme du roman au XVIIIe siècle:  Étude sur les rapports du roman et de la critique (1715–1761) (New Haven, Yale University Press, 1963), 1.


http://se17.bowdoin.edu/files/StedmanACahiers17_14(2012)1_21.pdf

Site Sections (SE17)

Review of Wallis, Andrew. Traits d’union : L’anti-roman et ses espaces. Tübingen : Narr Verlag, 2011. ISBN 978-3-8233-6605-8. Pp. 142.

Article Citation
XIII, 2 (2011): 211–213
Author
Nathalie Freidel
Article Text

 

L’étude d’Andrew Wallis parvient à cerner un corpus imposant, depuis les “trois œuvres maîtresses du siècle” que sont, d’après Serroy, les romans de Sorel, Scarron et Furetière, en passant par le récit largement autobiographique de Tristan L’Hermite sans oublier des textes moins connus comme Le Gascon extravagant ou Le Parasite mormon. La veine des histoires comiques a déjà fait l’objet d’études d’envergure mais la perspective novatrice ici consiste à mettre en évidence un genre anti-romanesque, défini comme un espace hybride, un entre-deux littéraire. Alors qu’il est commun de dire que ces auteurs ont ouvert la voie au roman moderne, l’approche de Wallis consiste à montrer qu’ils se positionnent encore par rapport au romanesque “traditionnel”, construisant un pont entre deux états de l’histoire du genre.

La démonstration selon laquelle ces textes s’inscrivent en faux par rapport au roman héroïque dominant, ses longueurs, son invraisemblance, son esthétique idéalisante, en particulier en brisant l’illusion mimétique, est tout à fait convaincante. Ce travail est d’autant plus nécessaire que, comme les grands romans en vogue au XVIIème siècle nous sont à présent relativement mal connus, on risque de passer à côté de la parodie et de l’intention subversive qui motive le roman “comique”. Wallis se livre ainsi à des comparaisons particulièrement productives entre les personnages figés et immuables des romans traditionnels, et des héros “parés d’un certain devenir” (19) comme Francion ou le narrateur des Fragments d’une Histoire comique. On regrette cependant que les procédés de réécriture ne soient pas plus systématiquement mis en évidence : le premier chapitre se clôt sur une définition de l’anti-roman qui tient insuffisamment compte de l’hétérogénéité du corpus.

On comprend toutefois qu’une des intentions de l’auteur a été de dépasser l’impression de foisonnement et d’éclatement qui se dégage de cette veine romanesque en mettant en lumière une architecture commune. Un point fort de l’étude est l’analyse de la représentation de l’espace, en particulier à travers la métaphore du palais et la démystification des lieux romanesques, visible dans les frontiscipes des anti-romans. Wallis fait ainsi apparaître “un réseau symbolique d’où jaillissent des espaces en opposition” (60) tout en se livrant à des lectures fines de certains passages (la caverne dans le rêve de Francion). L’attention au détail est d’ailleurs une des grandes qualités de cet ouvrage, qui fait utilement le point sur des personnages secondaires et des épisodes peu commentés.

On suit moins Wallis par contre dans son développement sur les héros fous, appuyé sur une histoire de la folie au XVIIe siècle qui ne nous semble pas particulièrement éclairer ces textes. Prendre la folie de Lysis, dans le Berger extravagant, au pied de la lettre, c’est négliger qu’il s’agit encore là d’un ressort de la satire, le rire devant sanctionner, à travers ces extravagances, les romans de bergerie qui empoisonnent l’esprit de leurs lecteurs. L’argument de la folie s’inverse ainsi en un appel au bon sens. Wallis constate que “par la digression, par les histoires intercalaires, par les interventions des narrateurs et d’autres procédés, les auteurs anti-romanesques invitent le lecteur à la coproduction de leurs textes”. Cette liberté apparente dissimule pourtant un pacte de lecture particulièrement contraignant, visant à remplacer l’immersion fictionnelle, génératrice de crédulité, par l’ironie et la distance critique.

En somme, la perspective adoptée par Wallis a le mérite de sortir des catégorisations traditionnelles (visant par exemple à distinguer dans ces romans une dimension sociale et une dimension philosophique) pour porter le débat sur un terrain extrêmement productif, celui d’une pratique subversive de la littérature conçue comme une machine à réformer le lecteur. Cette approche aurait sans doute gagné à être plus systématiquement problématisée. Ainsi, la notion essentielle de parasitage, développée dans le dernier chapitre, nous semble délayée dans un discours critique qui juxtapose l’analyse rhétorique, structurale et psychanalytique sans parvenir à dégager une unité.

Enfin, l’ouvrage pâtit assurément d’une relecture insuffisante, qui a laissé passer un grand nombre d’erreurs syntaxiques, grammaticales et lexicales. Ce déficit du style mis à part, l’étude de Wallis propose une perspective stimulante et innovante dans un domaine  qui mérite tout notre intérêt.

Nathalie Freidel, Wilfrid Laurier University

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Review of Brazeau, Brian. Writing a New France, 1604-1632: Empire and Early Modern French Identity. Ashgate, 2009. ISBN: 978-0-7546-6112-2. Pp. 142.

Article Citation
XIII, 2 (2011): 209–211
Author
Katherine Ibbett
Article Text

 

Brian Brazeau’s first book makes a series of useful connections between fields that too often have remained hermetically separated from each other. Instead of reading early modern Canada largely in terms of later Canadian national development, Brazeau seeks to understand how metropolitan French concerns about identity and history were played out across the Atlantic; thus, the project of settling new territory is presented in the context of the years following the Wars of Religion. Brazeau asks how French debates with which many readers will be familiar might be imagined differently in the context of new world realities, and in so doing pushes us all to think farther afield.

Brazeau’s book gives a precise account of developments in New France; it would serve as a well-structured introduction for anyone eager to learn more about France’s missions and settlements in the new world. The book carefully delineates its historical remit, addressing the first period of French writing about North America, taking in authors such as Samuel de Champlain, Marc Lescarbot, and the early years of the Jesuit Relations. Brazeau describes how Nouvelle France could be imagined as just that, a new version of the old, and sets out a number of ways in which the relation between self and other were understood, both more broadly in this period and in the writings that first introduced the territories of Nouvelle France to a readership back home.

The book consists of an introduction and four chapters, all of which raise engaging questions. The first chapter addresses the French insistence that Canada was an appropriate territory for viniculture. Faced with the surprise of bitter winters, French settlers described the potential for winemaking in order to make the colonial project seem more viable. This chapter provides a wealth of charming material; I particularly liked Lescarbot’s account of those on the journey who were too sick to sip at their wine and instead had it brought to them in hosepipes. Though I would have appreciated a more historically engaged reading of French viticulture, this chapter is impressive for its careful reading of the language of conversion and community evinced by these early modern assessments of wine.

The second chapter addresses the French evaluations and translations of indigenous languages such as Gabriel Sagard’s Huron dictionary, serving as a useful correction of platitudinous assumptions about French respect for Amerindian cultures. It gives a solid account of French/Amerindian dictionaries and grammars and the problems of translation, putting this linguistic work into the context of mid seventeenth-century debates about language in metropolitan France.

The third chapter reads Marc Lescarbot’s Histoire de la Nouvelle-France in relation to Renaissance historiography, showing how the “new” France was understood in relation to a particular vision of French history and progress. If both the Gauls and the Amerindians could be imagined to have Noah as a common ancestor, then, as Brazeau deftly puts it, the project of New France could be said to be a form of family reunion.

The fourth chapter takes up the relation between missionaries and merchants in New France, and though it is strong on specifics (setting Lescarbot and Champlain in dialog with contemporary mercantilist theory) ventures into rather uncertain territory in making claims about the relation between religion and commerce, arguing that “France…traditionally insulated the religious from the economic.” I found this argument rather less convincing than those in other chapters, but I appreciated the comparative elements of this chapter, which deftly contrast English approaches in the New World with those of the French.

Brazeau’s book will open up an area that remains opaque to many readers, and it takes the important step of indicating the complex relations, imaginary and economic, between the two Frances, “old” and “new.”

Katherine Ibbett, University College, London

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Review of Postert, Kirsten. Tragédie historique ou Histoire en Tragédie? Les sujets d’histoire moderne dans la tragédie française (1550-1715). Tübingen: Narr Verlag, 2010. ISBN 978-3-8233-6553-2. Pp. 440.

Article Citation
XIII, 2 (2011): 206–209
Author
Perry Gethner
Article Text

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This study of French tragedies based on modern (defined as post-1492) history provides a systematic overview of a subgenre that has typically been viewed as anomalous and inconsequential. Kirsten Postert demonstrates that the phenomenon was not really rare (she has found 32 such tragedies from the period under review) or viewed at the time as unacceptable (some theorists deem them legitimate and discuss the feasibility of writing them). She goes beyond previous studies by formulating a categorization for the plays based on such factors as the author’s explicitly stated motivation for writing, the privileging of either character study or of historical causality, and the attempt (or lack thereof) to make the text conform to literary conventions. She also situates the discussion of the subgenre within the broader context of how thinkers of the classical era understood the intersection of history and drama.

The opening chapter provides a theoretical underpinning for the new critical approach by juxtaposing overviews of the development of historiographic theory and poetic theory in France during the period in question and by showing how in the seventeenth century the two were not as far apart as we might imagine today. Given that the most widely read historians emphasized aesthetic excellence and moral instruction, along with an emphasis on what is timeless, rather than erudition and emphasis on factual accuracy, the principle of vraisemblance overlaps the two realms. The discussion of how the latter principle functioned in classical dramatic theory retraces familiar ground, but the collation of texts referring to the writing of tragedy based on French and/or recent history brings to light many unfamiliar texts.

Postert logically divides the analytical chapters into three groups based on geography: the episodes from modern history chosen by writers of tragedy were derived almost exclusively from France, England and the Orient (mainly Turkey). Each chapter consists of two parts: a general treatment of the corpus as a whole, followed by a detailed analysis of two tragedies deemed to be especially significant or representative. This allows her to avoid the pitfall of providing little more than a catalogue of plot synopses. The chapter on France is prefaced by an intriguing analysis of plays based on French history or current events in the periods just preceding 1550 and just following 1715. The former group of works, labeled as moralities, reveal one of the tendencies that will also dominate some of the later tragedies: they feature a polemic or propagandistic perspective, trying to shape popular perception of events.

Given that one of the practical difficulties in writing tragedies about modern history, as often noted at the time, is the lack of distance, which tends to restrict the poet’s freedom of invention and may prevent the characters from attaining the heroic elevation associated with the remote past, writers resort to a variety of strategies. For France, where geographical proximity is unavoidable, this was especially tricky. Writers of propagandistic plays often used onomastic semi-disguise: the names of easily recognizable persons are replaced by anagrams or initials or by Greek names that hint at their roles. Another method was to introduce supernatural events or personages, such as a representative of God or Satan, thus deemphasizing the psychological dimension (the characters are mere puppets of cosmic forces). For non-French subjects, aesthetic distance was based on both geographic distance and radical differences in mores: in fact, authors played on popular stereotypes of the countries as barbaric. England was widely viewed as both isolated (being an island) and filled with harsh, cruel inhabitants. The Ottomans, alien in far more ways than the English, were an object of both fascination and fear.

The analyses of individual plays make for interesting reading and contain much new material. In some cases the comprehensive review of possible historical sources for the plays includes works not considered by previous scholars. However, Postert goes beyond the usual inquiry into the degree of fidelity to the historical sources at the playwright’s disposal to try to determine how each playwright viewed history in general and how and why he manipulated the factual material. Among the elements she studies is local color (the number and importance of references to the geography of the country where the action is set and to relevant historical events outside the basic plot); these are often far fewer than we might expect. Non-propagandistic authors from the Renaissance tended to treat their material in a highly abstract fashion, using the specific historical event merely as an exemplum in order to teach philosophical and moral lessons: even the powerful are subject to forces beyond human control (fate or divine providence). In plays from the last third of the seventeenth century the notion of “secret history,” which likewise dominated the fictional production of the time, led to a privileging to love plots and purely psychological motivations at the expense of political considerations.

Postert also provides plausible hypotheses about why certain types of subject matter were chosen. In the case of plays dealing with France, the focus tends to be on periods of civil war or other national dangers: the denouement typically points to a resolution of the crisis in which the monarchy is preserved and peace is restored. If tragedies based on English history are limited to the period of the Tudors, with most featuring Elizabeth I, it is mainly because that was the era when England suffered several phenomena that France was spared, including the official triumph of Protestantism and the presence on the throne of a woman (and one thought to be dominated by passion and caprice). At the same time, the most reused subjects seemed to resonate with French audiences in special ways. Mary Stuart, of course, had been Queen of France, and many French writers believed that she was persecuted for that very reason. The Earl of Essex seems to have embodied for the French public the spirit of aristocratic resistance to absolutism found in works like Le Cid. Thomas More was viewed as a Catholic martyr who resisted both earthly tyranny and religious heresy. The Turks, with their sumptuous lifestyle and reputation for excessive passion, especially violence, were especially appealing to baroque sensibilities. Moreover, the Ottoman royal family was especially suitable for the type of plot recommended by Aristotle (conflicts between close relatives) because of the constant and bloody power struggles within families. Both societies could serve either to criticize flaws in the “other” or to make veiled criticism of France itself.

Another of Postert’s strong points is the problematizing of the concept of history. She notes the degree and varieties of bias found in historical materials of the time, including an obvious pro-French attitude in dealing with non-French lands, a pro-Catholic attitude in dealing with Protestant rulers, and a general abhorrence of the mores of “orientals.” Historians, no less than playwrights, sometimes added material of their own invention. Moreover, dramatists treating historical subjects frequently relied on fictional sources for their plots. On the other hand, tragedies composed at the time of the events they dramatize or shortly thereafter could be seen as a part of the historical record, documenting how people perceived recent events and trying to set down for posterity what the author deemed the correct interpretation.

The main flaw of this book is the lack of careful proofreading. There are numerous errors involving everything from typography to grammar and punctuation to misspelled names to facts (Mary Stuart was born “cinq ans après la mort de son père”). In some passages sentences or paragraphs do not flow well, or information seems to be in the wrong place. But despite those minor deficiencies, this is a useful study that goes beyond the scope of existing scholarship and proves that a largely neglected group of tragedies deserves renewed attention.

Perry Gethner, Oklahoma State University

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