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Ducharme: Deux noms pour une muse: Melpomène et Thalia, ou Madeleine de Scudéry: une écriture romanesque, source de théâtre

Article Citation
Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal XI, 1 (2006) 81–105.
Author
Isabelle Ducharme
Article Text
*/ Deux noms pour une muse, Melpomène et Thalia 1, ou Madeleine de Scudéry :
une écriture romanesque source de théâtre2

«Des discours, des présents frivoles, Certes n’ont rien de décevant, Et des plumes et des paroles, Autant en emporte le vent.»

Jean-Georges de Donneville 3

... Les lectures faites à haute voix s’envolent,
devenant de sourds bruits qui souvent résonnent
en écho dans le silence d’une autre lecture ...

Au XVIIe siècle, la lecture commune est envisagée comme une activité mondaine et salonnière, dans un pur esprit de sociabilité 4. Les magistrales œuvres romanesques de Madeleine de Scudéry, avec leurs diverses conversations intercalées, ont vraisemblablement été pensées à cette fin. Appréciées par des lecteurs grégaires (et d’autre solitaires), ses ouvrages ont habité l’air du temps et ont fait parler d’eux. Artamène ou le Grand Cyrus (1649–1653) a fait les délices d’un lectorat charmé dont l’abondance a sacré le roman de plus grand succès de librairie du XVIIe siècle. Pour sa part, Clélie. Histoire romaine (1654-1660) a ravi «mélancoliques» et «enjoués»5 à un point tel que le rythme des rééditions en fut précipité. D’ailleurs, la populaire taquinerie/mesquinerie de l’abbé Cotin au sujet de Scudéry confirme l’ampleur de l’engouement (voire de la dévotion)...

Les écrits de Sapho menèrent tant de bruit Que cette nymphe en devint sourde 6.

2 juin 1701. Avec le dernier souffle de cette nonagénaire (1607–1701), c’est un grand nom de la littérature française qui s’efface simultanément du grand tableau de l’histoire. Pendant les siècles subséquents, Madeleine de Scudéry devient l’une des trop nombreuses minores qui n’intéressent quasi plus personne. Lecteurs, critiques et historiens, tous délaissent une auteure dont l’œuvre a néanmoins, et très certainement, marqué les esprits de son temps. Son importance, son influence dans l’histoire littéraire ainsi que ses écrits ont alors été banalisés, moqués. Depuis quelques trente ans toutefois, certains commentateurs ont entrepris la tâche périlleuse, vu son gigantisme7 , de dépoussiérer l’œuvre impressionnante et quantitativement surprenante de cette oubliée, une œuvre qui renaît donc lentement de ses cendres et à laquelle on s’efforce de restituer la valeur déterminante de son rôle dans la perspective du Grand Siècle littéraire.

Aujourd’hui, nul n’oserait plus contester l’idée attestant le caractère d’exception de Madeleine Scudéry au XVIIe siècle. Sa vie ne calque guère le modèle traditionnel, loin s’en faut. Après s’être désinféodée du joug d’un frère étouffant, cette célibataire fait de son indépendance, à tous points de vue (social, économique, littéraire, affectif), une vertu. Tout en entretenant de vieilles amitiés, elle tisse alors un nouveau réseau de relations, en tenant ses fameux Samedis, des relations dont certaines survivront aux épreuves de toute une vie. En parallèle d’une existence mondaine bien remplie, qui paraît être de tout instant, Scudéry se consacre diligemment aux tâches de l’écrivain. Sa fertile plume donne en cascade des romans-fleuves, des nouvelles, des conversations morales, des entretiens, des poésies et même des lettres. Un décompte qui semble toucher la perfection. Mais un vide subsiste : le théâtre est-il réellement un genre délaissé par Scudéry ?

Les pièces de théâtre du XVIIe siècle sont truffées de figures féminines «panachées». De célèbres comédiennes du siècle, pensons aux Madeleine Béjart et Marie-Thérèse Du Parc, ont ainsi incarné sur scène d’indomptables souveraines, d’aguichantes frivoles, d’éplorées amoureuses. Mais que dire de l’écriture théâtrale féminine au XVIIe siècle ? Peu de femmes s’y sont adonnées. Mentionnons les Mesdames de Saint-Bardon, de Gomez, de Sainctonge et Madame Deshoulières, Mlle de LaRoche-Guilhen, Marthe Cosnard, Françoise Pascale, Marie-Catherine Desjardins et Catherine Bernard. Ces dernières ont rédigé des pièces qui, si elles connurent un jour un quelconque succès, sont aujourd’hui devenues des pièces rares et étrangement «muettes». Quant à Madeleine de Scudéry, bien qu’elle n’ait guère écrit pour le théâtre, elle en inspira, dans une certaine mesure, certains fragments. Son nom flotte comme un murmure en arrière-fond de plusieurs pièces de la seconde moitié du siècle.

Tandis que Madeleine de Scudéry fut familière avec la presque totalité des genres littéraires, l’histoire ne fait état d’aucune contribution possible de sa part en ce qui a trait au théâtre. Vu cet apparent «désistement» scudérien, il peut alors paraître particulièrement audacieux de chercher à raccrocher son nom à l’histoire du théâtre du XVIIe siècle. Et pourtant. À la lecture de certaines pièces publiées et jouées dans la seconde moitié du XVIIe siècle transparaît de manière évidente une filiation entre ces dernières et les romans de Scudéry. Ces pièces sont farcies de renvois, de parallélismes étroits et d’échos forts en lien avec Artamène ou le Grand Cyrus et Clélie. Histoire romaine, des marques qui témoignent de l’influence de cette écrivaine sur l’esprit de certains créateurs d’œuvres en actes au XVIIe siècle, qu’elles aient été tragiques, tragi-comiques ou simplement comiques. Dans cette perspective, il devient possible d’inscrire Madeleine de Scudéry au cœur de l’histoire du genre théâtral romanesque par le truchement de lecteurs attentifs, eux-mêmes hommes de lettres. C’est très souvent par l’allure que prennent ces œuvres théâtrales, par le ton qu’elles affichent, par le style qu’elles développent, par les sentiments qu’elles exposent, par les personnalités qu’elles construisent, qu’elles rappellent à maints égards les écrits de la romancière.

L’hétérogénéité du public scudérien n’est plus à questionner. Il fut composé d’aristocrates, de bourgeois, de savants, de lettrés8 , entre autres. Jusqu’à Louis XIV qui lui versa une pension jusqu’à sa mort et à Mme de Maintenon qui mit ses œuvres morales à l’étude à Saint-Cyr. Adulée de certains donc (dont nombre de ses pairs), vilipendée par d’autres évidemment, Scudéry n’entendit pas les propos satiriques de Boileau qui vinrent après sa mort et qui lui valurent de verser dans le monde de l’oubli. Ainsi, de son vivant, elle combla les attentes de son lectorat tout en ne perdant jamais de vue l’évolution de ses intérêts de lecture en constants changements. Au nombre des figures littéraires du XVIIe siècle qui ont lu ses ouvrages, nous pouvons notamment mentionner les dramaturges Philippe Quinault et Thomas Corneille, frère de l’autre, et le comique Molière. Afin de mettre en lumière le lien qui rattache discrètement Scudéry au théâtre du Grand Siècle et, par là même, éclairer l’attention de ses contemporains pour ses compositions, nous cherchons dans le présent article à témoigner principalement de l’importance d’Artamène ou le Grand Cyrus sur l’écriture et la structuration de quelques-unes des pièces de ces trois auteurs. Nous retenons de Philippe Quinault La Mort de Cyrus (1656) et Astrate, ou le roy de Tyr (1665), de Thomas Corneille, Bérénice (1657), et enfin, de Molière, Mélicerte (1666) et Le Misanthrope 9(1666).

Dans le but de rendre à Madeleine de Scudéry la part qui lui revient lorsqu’on prend connaissance de ces pièces de théâtre et pour mettre en relief son ascendance littéraire sur ces dramaturges et comique du XVIIe siècle, nous orientons notre réflexion suivant trois principaux axes d’étude, à savoir les emprunts de personnages, la reproduction et l’adaptation pour la scène de quelques histoires du Grand Cyrus et, enfin, une succincte mise au point quant au développement d’idées chères à Scudéry auxquelles ces hommes de théâtre ont continué de réfléchir.

Des figures réincarnées : une nouvelle vie sur scène

Artamène ou le Grand Cyrus regorge de personnages, correspondant le plus souvent à des types. Mais nous n’y retrouvons pas exclusivement des personnages bienséants, aux mœurs réglées, aux passions contrôlées et à la personnalité quelque peu «frelatée». Nous y croisons également quelques personnages vifs, plus singuliers, qui se détachent des autres par la vigueur qui les anime. L’intensité qui les caractérise, dans ce qu’elle présente de dramatique, d’enflammé et de nouveau, leur a assuré une seconde vie sur les planches dans certaines des pièces de Quinault, Corneille et Molière. La figure de Thomiris, reine des Massagettes, en constitue un exemple éclairant.

Inspirée de l’Histoire d’Hérodote, Madeleine de Scudéry travestit la figure de Thomiris, captive de Cyrus qui en est éperdument amoureux, en une amante déchaînée, cherchant à tout prix à vaincre l’insensibilité de Cyrus à son égard. Le texte opère ainsi une réelle réversibilité des caractères. Si Thomiris était elle-même insensible à l’amour avant de voir pour la première fois Cyrus, elle se trouve dès lors pervertie par l’effet d’une brûlante passion, sans pouvoir se maîtriser. Définie à partir de cet instant «maudit» comme une figure de fatalité, Thomiris n’agit plus que dans l’unique but de gagner le cœur de Cyrus. La gloire elle-même en arrive à céder le pas devant une passion trop forte, ce qu’avoue l’amoureuse:

je sçay bien que je devrois plus aimer la Gloire que Cyrus : mais il y a bien long temps que j’ay fait voir, que j’aime plus Cyrus que la Gloire. (X, 3, 766)

Au dernier tome du Grand Cyrus, la passion a finalement raison de tout effort déployé par Thomiris pour l’apaiser. Éveillant en elle la colère, la cruauté et une impitoyable soif de vengeance, la passion qui l’assaille la contraint à faire choisir Cyrus entre un amour réciproque envers elle ou l’exécution de son amante Mandane, qu’elle tient prisonnière.

La pièce de Quinault intitulée La Mort de Cyrus reprend les grands traits de l’histoire de Thomiris et de Cyrus mise en scène par Madeleine de Scudéry. Thomiris, qui en est l’héroïne principale, confère à la pièce sa coloration tragique. Toutefois, pour saisir significativement la complexité de cette figure féminine, du moins dans les deux premiers actes, la lecture du roman scudérien s’avère essentielle. Les propos échangés par les personnages de Quinault tirent sans détour leur origine des dialogues composés par Scudéry dans Le Grand Cyrus. De surcroît, parce que les gestes et le caractère de l’irascible amante sont minutieusement dépeints dans le roman scudérien, Quinault évite la répétition fâcheuse, optant pour une simple mise au point de quelques vers. La Thomiris qu’il met en scène n’agit plus en direct, avec cet emballement passionnel qui répugne au lecteur de Madeleine de Scudéry. Quinault conserve à celle-ci le soin du détail terrifiant qui fait fi de toute bienséance. En fait, par le truchement de ses personnages, il privilégie une évocation plus atténuée, moins criante, des horreurs entreprises par Thomiris. C’est donc par respect des convenances, de la bienséance et de la juste mesure que le confident de Thomiris, l’hypocrite Odatirse, lui rapporte en peu de mots ses excès de rage, sous une forme interrogative qui penche vers l’affirmation contenue plus que vers le pur questionnement (lequel serait suivi de certaines précisions qu’il vaut mieux passer ici sous silence) :

d’entre les morts par une erreur extrême, Un des chefs de Cyrus fut tiré pour lui-même, Ne fites-vous pas plonger par des ordres pressans Sa Teste en un vaisseau plein du sang des Persans ?
(La Mort de Cyrus, I, 5)

L’extrait, malgré sa brièveté, tient en lui le nécessaire de l’information dont a besoin le spectateur/lecteur. Le dramaturge laisse le rappel des événements antérieurs et subséquents en suspens, dans un silence qui interpelle le recours au texte-source pour saisir l’ampleur réelle de la scène. Quinault témoigne ici de son talent à aller à l’essentiel sans se perdre dans un dédale d’ajouts qui s’enracinent au cœur du Grand Cyrus, où ils y sont déjà parfaitement étayés. Par conséquent, l’explication de la scène se retrouve exclusivement dans Le Grand Cyrus où il est écrit :

dés que ce Capitaine des Gelons eut plongé cette Teste par trois fois dans ce vase plein de sang, la fiere Thomiris qui vit sur le visage de tous les siens, que l’action qu’elle faisoit leur donnoit de l’horreur, en eut elle mesme. (X, 2, 644)

Tout en mêlant «de façon inextricable le galant et l’héroïque 10» dans La Mort de Cyrus, Quinault emprunte à Scudéry sa cruelle et sanguinaire Thomiris sans sentir le besoin de dépeindre sa personnalité bouillante par le biais d’un historique répertoriant dans les moindres détails l’éclat de ses actions, ses attitudes ou ses gestes, parce que le lecteur en a déjà pris connaissance ultérieurement11 , tout comme lui, chez Madeleine de Scudéry . Même sans évocation descriptive, La Mort de Cyrus de Quinault représente habilement le combat des passions qui tiraille Thomiris, un trouble déjà exploité chez Scudéry12

.

La romancière ne camoufle guère la préoccupation et la tourmente de la reine lors que ses troupes capturent Cyrus lors d’un combat, ce qui lui fait avouer

j’ay de la haine pour luy [...] Mais helas, ces momens ne durent guere! [...] que ne doit point penser une Reine qui aime (X, 3, 764/767).

Si le déchirement intérieur de Thomiris s’étend sur plusieurs lignes dans Le Grand Cyrus, l’épanchement de la reine dans la pièce de Quinault est concentré en quelques alexandrins seulement :

Sous le nom de la haine, avec toute la flame L’Amour s’introduisit jusqu’au fond de mon ame; Et je crus beaucoup faire, en me laissant toucher, Ne le pouvant plus fuir, de le pouvoir cacher. (La Mort de Cyrus, I, 5)

Si la langue de Thomiris se délie pour laisser libre cours à de longues tirades chez Scudéry, les états d’âme de l’amoureuse de Quinault donnent plutôt lieu à des confidences ramassées et synthétiques. Au détriment de l’abondance (de l’enflure sentimentale même), Quinault préfère la force de l’aveu direct. Tout en se montrant fidèle à la reprise de la thématique scudérienne portant sur «la légitimité et la bienséance des passions13 », Quinault s’efforce de résumer la pensée scudérienne en peu de mots pour lui insuffler la vigueur de l’écriture théâtrale 14. C’est dans cette perspective que «le roman de Mlle de Scudéry offre une théâtralité implicite que Quinault a exploité et [...] cette théâtralité dans le roman s’articule déjà autour des passions15 », de souligner Nathalie Pierson, dans son étude récente vouée au spectaculaire tragique. À ce titre, pensons à la prise de Cyrus par ses ennemis, permettant un éclaircissement concernant le sentiment de Thomiris, comme le note Madeleine de Scudéry :

[elle] eut plus de joye de voir Cyrus en sa puissance, que si elle eust gagné cent Batailles, & conquis cent Royaumes. (X, 3, 749)

L’aveu de Thomiris, chez Quinault, se fait dans un même esprit :

Lors que pour terminer cette guerre funeste, Des ennemis vaincus vous défîtes le reste, Et livrâtes Cyrus vivant en mon pouvoir, Je sentis tout-à-coup tous mes sens s’émouvoir. (La Mort de Cyrus, I, 5)

La figure de Thomiris est sans doute l’une des figures les plus originales du Grand Cyrus de Scudéry. Elle représente le déséquilibre, elle figure l’excès, elle incarne l’intensité non réfrénée. Bref, elle se donne comme l’antithèse de la figure féminine idéale dans la tradition du roman héroïque. Pourrait-on voir en elle une ancêtre de la Phèdre de Racine, soumise aux ballottements d’une insondable fatalité ? Par ses emportements irrépressibles, ses décisions (cruellement) passionnées, sa personnalité flamboyante et ses sentiments incontrôlables qui tournent au spectaculaire romanesque, Thomiris confère une dimension théâtrale déterminante au roman scudérien, une dimension que Quinault a certes entrevue, assez à tout le moins pour construire son œuvre comme un lieu de résonances du Grand Cyrus, étant lui-même la clé pour saisir avec justesse l’aura de la pièce et éclairer en nuances ses non-dits 16 .

Thomiris n’est toutefois pas l’unique personnage du Grand Cyrus à avoir suscité l’intérêt des hommes de théâtre. Pensons à ses coquettes Artelinde et Dorinice. Toutes deux amantes infidèles et frivoles, volages et feuillantines, Artelinde et Dorinice se délectent dans Le Grand Cyrus à entretenir des relations amoureuses simultanées au grand dam de leur plus fidèle amant. Elles aiment sans aimer, elles donnent leur cœur sans le donner. Elles se glorifient à l’idée d’avoir conquis un nouvel amoureux et d’être le centre d’attention des honnêtes gens autour d’elles. On lit au sujet de Dorinice :

il faut que vous sçachiez que cette Personne qui ne fut jamais capable d’amour, & qui ne le sera de sa vie, est la plus grande Coquette d’amitié qui soit au monde [...] Mais elle a pourtant cela de particulier [...] qu’il y a des bornes dans son cœur, au delà desquelles personne ne sçauroit aller : car on est aussi bien aupres d’elle en trois mois, qu’on y peust estre en trois ans. (X, 3, 659–660).

La présentation d’Artelinde s’échafaude également autour de la notion de coquetterie. D’ailleurs,

[il] n’a jamais esté une Personne plus Coquette que celle là. Car non seulement, elle vouloit gagner des Amants par sa beauté et son esprit, mais encore par ses soings, par sa complaisance, et par sa civilité (IV, 3, 408).

En contrepoint de ces deux figures féminines au cœur léger, Scudéry construit le personnage de Cléonice, quelque peu casanière, préférant la tranquillité à l’énervement amoureux, désireuse de conserver sa liberté, qui simplement

prenoit les divertissements mais ne les cherchoit pas
avec empressements (IV, 3, 407–408).

Cléonice est dite comme une figure féminine plaçant ses seules espérances en l’amitié et tâchant de préserver son cœur de toute attache amoureuse. Elle peut d’ailleurs être vue, dans cette optique, comme une des premières manifestations de préciosité insérées dans les romans de Madeleine de Scudéry. Si Cléonice condamne Artelinde pour sa légèreté papillonne, cette dernière, en retour, blâme la sévérité, voire l’austérité de Cléonice.

Dans le Misanthrope de Molière, ces blâmes réciproques de la prude à la coquette et de la coquette à la prude sont fidèlement repris du texte de Scudéry. Nous constatons une parenté incontournable entre la Célimène de Molière et l’Artelinde de Scudéry et, en parallèle, entre l’Arsinoé de Molière et la Cléonice du Grand Cyrus. Seul suffit de citer à la suite un extrait du Grand Cyrus lors duquel Cléonice critique Artelinde et l’échange qui se tient entre la prude et la coquette dans Le Misanthrope pour y voir confirmée l’hypothèse d’une filiation entre le roman et la pièce. Nous lisons dans le Grand Cyrus :

Car enfin, lui disait Cléonice, vous ne me ferez point croire que cette multitude qui vous suivent, & qui vous obsedent eternellement, & aux Temples; & dans les ruës; & aux promenades; & aux Maisons où vous allez; vous suivent sans espérer : & vous ne me ferez pas croire non plus, qu’ils puissent tous espérer si vous n’y contribuyez rien. (IV, 3, 412)

Chez Molière, les propos de la prude s’orientent de même manière :

Hélas ! Et croyez-vous que l’on se mette en peine de ce nombre d' amants dont vous faites la vaine, et qu'il ne nous soit pas fort aisé de juger à quel prix aujourd’hui l’on peut les engager ? Pensez-vous faire croire, à voir comme tout roule, que votre seul mérite attire cette foule ? Qu’ils ne brûlent pour vous que d' un honnête amour, et que pour vos vertus ils vous font tous la cour ? (Le Misanthrope, III, 4)

De même qu’Artelinde dans Le Grand Cyrus qui s’efforce de justifier son attitude légère en tournant en dérision l’attitude «solitaire» de Cléonice, la Célimène de Molière use d’une stratégie identique :

Là, votre pruderie et vos éclats de zèle ne furent pas cités comme un fort bon modèle : cette affectation d’un grave extérieur, vos discours éternels de sagesse et d’honneur, vos mines et vos cris aux ombres d’indécence que d’un mot ambigu peut avoir l’innocence, cette hauteur d' estime où vous êtes de vous, et ces yeux de pitié que vous jetez sur tous, vos fréquentes leçons, et vos aigres censures sur des choses qui sont innocentes et pures, tout cela, si je puis vous parler franchement, madame, fut blâmé d’un commun sentiment. (Le Misanthrope, III, 4)

Les Artelinde, Dorinice et Cléonice de Scudéry, Molière les lui emprunte, voyant en elles des figures-types, des caractères susceptibles de servir efficacement la comédie. De leur personnalité, de leur manière d’être, de se dire et de dire, Molière a tiré un réel comique de situation en rédigeant une pièce au cœur de laquelle ces figures scudériennes ont pris un souffle frais tout en s’affichant sous de nouveaux noms17.

Quant à son misanthrope Alceste, Molière le rapproche étrangement du personnage de Méréonte, amant de Dorinice, chez Scudéry. Leurs aspirations sont les mêmes. Leur passion pour une coquette, qu’ils savent comme telle, les force, en dernier recours, à l’exil. Dans le Grand Cyrus, Méréonte a beau reproché à Dorinice ses trop nombreuses relations, en demandant

pensez vous effectivement qu’il n’y ait point quelque espece d’honneste coquetterie, à en avoir tant ? (X, 3, 682),

Dorinice se refuse à lui promettre l’exclusivité de son cœur. L’Alceste de Molière ne réussit guère dans sa tentative auprès de Célimène lorsqu’il lui demande de partir en quelque lieu isolé avec lui passer le reste de sa vie. Sa volage amie lui répond simplement, tout bonnement :

La solitude effraye une âme de vingt ans : je ne sens point la mienne assez grande, assez forte, pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte. (Le Misanthrope, V, 4)

Molière ne s’inspire pas seulement de quelques personnages construits par Scudéry pour établir les grandes lignes de son Misanthrope. Quelques éléments du plan de sa pièce correspondent habilement au développement narratif de l’histoire de Cléonice et d’Artelinde dans Le Grand Cyrus. Mentionnons sa reprise de la lettre galante envoyée par la coquette à plusieurs de ses amants ou encore l’épisode ultérieur lors duquel la supercherie, découverte, entraîne son lot de railleries. Étant là l’essence en quelque sorte de l’intrigue du Misanthrope, l’influence de l’écriture scudérienne sur l’écriture moliéresque prend tout son relief, comme l’a noté Alain Niderst en concluant que «[Molière] admire et imite Madeleine de Scudéry; il lui emprunte ses analyses psychologiques [et quelques-unes de ses idées de construction narrative] [...]. Mais il tente de rendre cette nouvelle plus théâtrale et plus émouvante18 ».

La multitude d’histoires force le choix...

L’histoire de Cléonice et Artelinde est une parmi combien d’autres. Le Grand Cyrus de Scudéry regorge d’histoires, constituant un réservoir abondant où se juxtapose un lot considérable d’histoires plus ou moins succinctes où les hommes de théâtre ont su puiser la matière première de quelques-unes de leurs pièces. Pensons, par exemple, à l’histoire des amoureux Sésostris et Timarète au sixième tome du Grand Cyrus 19 . La méprise sur l’identité des personnages est l’élément focal de l’histoire et catalyse son dénouement. Sésostris n’y est pas le simple berger qu’il croit être. Il est fils d’Apriez, le prédécesseur de l’actuel roi d’Égypte. De même, Timarète n’est pas une bergère mais plutôt la fille de l’actuel roi égyptien Amasis. Entre un amour possible, puis impossible, puis à nouveau possible, la narration scudérienne navigue en eaux troubles. Cette histoire, par ses revirements continuels de situations, a été adaptée maintes fois pour le théâtre. Qu’on pense à l’Astrate de Quinault, à la Bérénice de Corneille, ou encore à la Mélicerte de Molière, une comédie pastorale héroïque inachevée. Ces pièces ont toutes comme principal sujet les fausses identités révélées à la fin du dernier acte.

Au Sésostris de Scudéry correspond d’abord l’Astrate de Quinault, fils survivant du roi assassiné et auquel la couronne doit revenir; correspond aussi le Philoxène de Corneille, lequel est roi de Phrigie et non celui de Lydie, ce qu’il croit être; enfin, correspond le Myrtil de Molière, qui se découvre comme fils héritier du roi légitime d’Égypte.

À la Timarète de Scudéry correspond d’une part la Bérénice de Corneille, laquelle n’est pas la fille du gentilhomme de cour Araxe mais plutôt la fille de Léarque, qui occupe le trône de Phrigie; d’autre part, correspond la Mélicerte de Molière, reconnue pour fille d’Amasis, roi d’Égypte.

Au-delà des noms qui ont été modifiés d’un texte à l’autre, la vie de ces personnages ressemblent étrangement à celle des Sésostris et Timarète du Grand Cyrus. Sans aucun doute, l’exemple le plus achevé et ressemblant à l’égard de l’histoire de la fausse bergère et du faux berger amoureux l’un de l’autre n’est autre que la Bérénice de Thomas Corneille. C’est en extirpant les deux amants scudériens de leur cadre pastoral en les faisant d’emblée de sang royal de manière à les fondre dans l’univers du tragique théâtral, que Corneille fait de Bérénice le condensé de l’histoire élaborée par Madeleine de Scudéry.

Thomas Corneille importe dans son théâtre les personnages scudériens, les situations-clés (dont les fausses identités) auxquelles ces derniers sont confrontés et, par conséquent, les sentiments qu’ils doivent gérer. De ceci résulte un parfait alliage de parallélismes et de renvois. Sa composition suit les grands axes de l’intrigue structurée par Scudéry. Dans cette perspective, cinq correspondances peuvent être énumérées. La première réside dans l’alternance de condition du jeune cavalier Philoxène, reconnu comme prince, redevenu simple sujet, puis enfin rétabli dans sa condition véritable. La deuxième correspondance devient perceptible dans la reconnaissance de la jeune Bérénice comme simple sujette qui recouvre finalement sa véritable identité de fille de roi. La similitude suivante se rattache à l’évocation de tablettes perdues et retrouvées où sont inscrites les confessions d’une reine-mère agonisante, morte depuis longtemps, servant d’objets-preuves pouvant confirmer la nature des véritables identités interchangées. Un autre lien réside dans les aveux tardifs d’un ancien confident de la reine décédée, tout repentant d’avoir observé si longtemps le silence. Enfin, la dernière correspondance est notoire à travers les combats de générosité qui s’engagent entre les deux amants à chaque changement d’identité, le plus favorisé du sort souhaitant toujours, mus par un amour sincère, associer l’aimé(é) à son bonheur, lequel ou laquelle se dérobe inlassablement par excès de délicatesse. En usant d’une matière aussi fertile, la tragi-comédie de Corneille est devenue une pièce romanesque, imprégnée de l’atmosphère qui habitait le texte scudérien.

Les rapprochements sont étroits et nombreux entre les passages du roman et les différents actes de la pièce. Une résonance est toutefois particulièrement frappante à la lecture de la 3e scène du 4e acte de Bérénice, une scène qui traduit l’échange amoureux de la princesse Bérénice et du sujet Philoxène. Leurs confidences constituent l’écho vivant de celles de Timarète et Sésostris dans Le Grand Cyrus lorsque celle-ci promet à son amant de ne jamais l’oublier, peu importe sa condition :

ne me demandez rien davantage : je fais sans doute peu, pour la Bergere Timarète: mais je fais peut estre un peu trop, pour la Princesse d’Egipte (VI, 504).

Seront remises dans la bouche de Bérénice les mêmes paroles, alors versifiées, cette fois-ci adressées à Philoxène :

Sois seur, si mes ennuis soulagent ton malheur, Que mon dernier soûpir marquera ma douleur. Je sçay q’après deux ans d’un aveugle service Borner là ton espoir c’est peu pour Berenice, Mais à jetter les yeux sur ce que je me doy, C’est peut-estre beaucoup pour la Fille d’un Roy. (Bérénice, IV, 2)

Un simple effet du hasard ne peut tout expliquer… Nous pouvons croire que Corneille a délibérément cherché à adapter l’histoire de Scudéry pour le théâtre. Dès cet instant, la prose s’est faite vers, le roman est devenu théâtre. Corneille s’est ainsi approprié un texte romanesque à succès pour en faire une pièce qu’il a signé, une signature derrière laquelle les lecteurs attentifs dépisteront également celle de la romancière Madeleine de Scudéry .

Une réflexion qui se poursuit

Les idées que les œuvres romanesques de Madeleine de Scudéry ont exploitées, véhiculées, mises de l’avant, notamment en ce qui a trait à la femme, à son indépendance, à sa formation intellectuelle, à la préciosité, à l’amitié tendre et au saphonisme ont été reprises à bon compte par un certain nombre d’auteurs de théâtre du XVIIe siècle. Évidemment, le nom de Molière ne peut être passé sous silence à cet égard, car comme le conclut J. H. Withfield, «Mlle de Scudéry anticipated some attitudes of Molière20 ». À l’image d’autres, ce dernier a vu dans Artamène ou le Grand Cyrus et dans Clélie (ce qui est généralement plus connu) des sources d’inspiration. Par exemple, tout comme Scudéry, Molière a vivement plaint les jeunes filles tyrannisées par leurs parents, mariées contre leur gré, soumises au joug d’époux contrôleurs/contrôlants. Molière, à l’instar de Scudéry, n’a pas hésité à pourfendre la jalousie des maris et l’ambition excessive des familles.

En fait, Madeleine de Scudéry n’est pas une des Précieuses ridicules de Molière; elle appartient plutôt au groupe d’«indépendantes d’esprit et de vie» qui les a précédées (si, bien sûr, nous endossons la thèse voulant que les précieuses ont déjà formé une communauté distincte, ce dont plusieurs doutent aujourd’hui et remettent en question 21 ). Désireuse de repousser la grossière ignorance et les effets opaques de surface, Scudéry s’est elle-même moquée de l’afféterie de la seconde «génération» de Précieuses. Elle s’est désolée de leurs lassantes mignardises et de leur superficialité, notamment en opposant Sapho et Damophile dans le dernier tome du Grand Cyrus22 , et en a longuement discuté dans les conversations parsemées dans la Clélie. Par conséquent, si c’est à titre de poète comique à la plume joyeuse qu’écrit Molière, toujours enclin à mettre au jour les excès et insuffisances du ridicule social, la plume de Scudéry trahit quant à elle un esprit «engagé» et un savoir que la femme de lettres met subtilement en mots 23 .

Les études sont nombreuses lorsqu’il est question d’établir un rapprochement idéologique (une connivence, si elle est possible) entre Scudéry et Molière, plutôt que de voir en eux deux irrémédiables ennemis. La question de Victor Cousin en 1858 était déjà à-propos: «En quoi donc peut-il [Molière] être en guerre avec mademoiselle de Scudéry, qui veut et qui dit absolument la même chose?24 » Il faut certes éviter de soutenir l’idée d’un reproche adressé à Scudéry lorsque Molière fait référence à ses romans ou à ses personnages25 . Pour en être convaincu, il suffit de consulter les études de Roger Duchêne26 ou d’Alain Niderst27 par exemple, lequel va même jusqu’à proposer l’idée d’une «alliance parfois explicite de la romancière et du dramaturge 28 » :

Madeleine de Scudéry est une humaniste comme Molière. C’est-à-dire qu’elle repousse, fièvreusement ou ironiquement, tout ce qui “déforme la Nature”. Pas plus que Molière, elle n’a l’idée d’opposer la nature et la culture, ni de rêver sur les balbutiements prélogiques. La Nature, c’est l’homme complet, et l’épanouissement de son esprit ne doit pas contrarier celui de son corps, ni de sa sensibilité. [...] comme Molière, Madeleine de Scudéry exprime, au sein d’une réalité sordide et tourmentée, la persistance des rêves humanistes d’équilibre, d’amour et d’amitié29 .

Que ce soit dans une perspective tragique ou comique donc, Artamène ou le Grand Cyrus a retenu l’attention de certains écrivains de théâtre du XVIIe siècle. Ils ont fait monter certains de ses personnages sur les planches. Ils leur ont permis de revivre leur histoire sous d’autres noms, dans des cadres littéraires différents. Ce roman scudérien (ou du moins certaines parties) n’a pas seulement été avidement lu, il a été vu et chaudement applaudi. Une hypothèse plausible peut être soulevée : considérant l’immense succès qu’a connu Artamène ou le Grand Cyrus, certains habiles y ont probablement vu une avenue sécuritaire à explorer, où s’aventurer, et un contenu intéressant à s’approprier pour satisfaire le goût des spectateurs, à cette époque encore fervents lecteurs de longs romans héroïques et galants. C’est ainsi ce qui a semblé assurer le succès de La Mort de Cyrus, entre autres, alors que Maurice Magendie soutient que la pièce «laisse bien loin derrière elle tous les soupirs, toutes les langueurs d’Artamène. La tragédie est une exagération et une aggravation du roman30 », et qui plus est, d’un roman à succès. En somme, si Madeleine de Scudéry ne s’est pas taillée une place ouvertement au creux du genre théâtral, c’est toutefois par le truchement de ses énormes romans un jour fort primés qu’elle laisse sa marque et des traces de son génie en filigrane dans l’histoire d’un genre combien masculin au XVIIe siècle.

Université de McGill

NOTES

1Nous rappellerons ici que Melpomène est la muse de la tragédie alors que Thalia est celle de la comédie.
2Nous tenons à remercier le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture pour son soutien financier. Nos remerciements vont également à Michel Ducharme pour ses précieux commentaires à la lecture de ce texte.
3Dernière strophe d’un poème intitulé «Vers de Méliante sur des plumes» figurant dans les Chroniques du Samedi. Suivies de pièces diverses (1653–1654) [Alain Niderst, Delphine Denis et Myriam Maître (dir.), Paris, Honoré Champion, 2002, «Sources classiques», p. 156–157].
4Avec l’émergence du roman, la lecture collective devient un phénomène littéraire et social en elle-même : on lit les textes avec d’autres, on les écoute, on en cause, on s’en inspire. Comme le souligne Somaize, «ces ouvrages lus en public, soumis au jugement des ruelles avant d’être livrés à l’impression, devenoient en quelque sorte une œuvre collective» (Antoine Baudeau de Somaize, Dictionnaire des Précieuses, P. Jannet Libraire, Paris, 1660, p. xxv). D’ailleurs, «[l]a pratique de la lecture est un phénomène social et culturel qui se réfère à des normes et valeurs partagées par la société tout entière mais aussi à des normes et valeurs spécifiques aux différents groupes sociaux» (Chantal Horellou-Lafarge et Monique Segré, Regards sur la lecture en France. Bilan des recherches sociologiques, France, L’Harmattan, 1996, p. 315). Voir également Marie Gabrielle Lallemant, La Lettre dans le récit. Étude de Mlle de Scudéry, Tübingen, Gunter Narr Verlag, coll. “Biblio 17", 2000, p. 16. Voir P. Dumonceaux, «La lecture à haute voix des œuvres littéraires au XVIIe siècle», in Littératures classiques, no 12, janvier 1990, p. 117–125 et de R. Chartier, «Loisir et sociabilité : lire à haute voix dans l’Europe moderne», in Littératures classiques, no 12, janvier 1990, p. 127–147.
5Les termes ici employés («mélancoliques» et «enjoués») font référence aux deux catégories de personnages dépeints dans la Clélie, laquelle présente même une conversation sur le sujet.
6Nicole Aronson, Mademoiselle de Scudéry ou le voyage au pays de Tendre, Paris, Fayard, 1986, p. 57.
7Les dix tomes d’Artamène ou le Grand Cyrus totalisent quelque 13 095 pages alors que Célie. Histoire romaine, publiée également en 10 tomes, approche les 7 300 pages... des quantités qui ont fait dire à plusieurs qu’il s’agissait d’une œuvre-monstre.
8En vérité, le lectorat des œuvres de Madeleine de Scudéry est ressemblant à la société qui évolue dans l’entourage de la romancière. À ce chapitre, Victor Cousin note, dans Le Journal des Savants de juin 1858 : «On connaît maintenant les divers personnages qui composaient cette société, les hommes et les femmes, les visiteurs d’élite et les habitués, les grands seigneurs et les grandes dames, les lettrés, les bourgeois et les bourgeoises de rang différent, depuis la roture opulente jusqu’aux plus médiocres conditions.» (p. 355)
9J. H. Whitfield a déjà mis en lumière le lien possible à établir entre Molière et Scudéry. Voir «A Note on Moliere and Mlle de Scudéry», Le Parole e Le Idee : Rivista internazionale di varia cultura, no 5, 1963, 175–187.
10Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Paris, Albin Michel, «Bibliothèque de l’Évolution de l’Humanité», 1997 [1948], tome 2, 354.
11Les dix tomes d’Artamène ou le Grand Cyrus furent publiés entre 1649 à 1653 alors que La Mort de Cyrus est parue en 1656.
12Nathalie Pierson explique le choix de Quinault d’omettre le détail des éléments sanguinaires de la scène par «la règle aristotélicienne [visant à] rejeter tout sentiment d’horreur dans la constitution de la catharsis et ne retenir que celui de crainte ou de pitié» («Madeleine de Scudéry et Philippe Quinault : du romanesque au spectaculaire tragique», dans Delphine Denis et Anne-Elisabeth Spica (dir.), Madeleine de Scudéry : une femme de lettres au XVIIe siècle, Actes du Colloque international de Paris, Arras, Artois Presses Université, 2003, «Études Littéraires», 257).
13Adam (1997 [1948]), 692.
14Toutefois, il arrive que ni l’un ni l’autre ne donne dans l’effusion. Alors que Thomiris se méfie de ses sentiments chez Scudéry en disant : «Il faut renvoyer promptement ce dangereux Ambassadeur, que nous voudrions pourtant qu’il ne partist jamais d’icy : il le faut, je le dois, & je le veux, mais je ne sçay si je le puis» (II, 1, 231), la reine de Quinault confie simplement :
«Je sais ce que je dois, mais consultant mes feux Je ne sais pas trop bien encore ce que je veux» (V, 4).
15Pierson (2003), 255–256.
16Étienne Gros écrit : «Quinault est né à la vie en 1635; mais il est né au théâtre en 1653. Il a été “mis au monde” par une précieuse [...] il a vu lire les romans, discuter les romans et exalter les romans. À son tour, il les a lus et s’en est nourri. On l’a dit très justement : son théâtre sort du Grand Cyrus et de la Clélie» (Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre, Genève, Slatkine Reprints, 1970, 346).
17Dans son court article visant à éclairer quelques-unes des similitudes existant entre Artamène et Le Misanthrope, Anne Reese Pugh note : «it is interesting to find that the same woman who has often been supposed to have been the target of the malicious shafts lanced by Molière against prudes, has painted a coquette having much in common with Celimène, and that a prude can say agreeably the disagreeable speeches of Arsinoé» («Note Upon Somme Similarities between Le Grand Cyrus and Le Misanthrope», Modern Language Notes, vol. XI, no 3, mars 1896, 87).
18Alain Niderst, «Une source du Misanthrope (Mlle de Scudéry, Le Grand Cyrus)», dans Missions et démarches de la critique. Mélanges offerts au professeur J.-A. Vier, Paris, Klincksieck, 1973, 365.
19Concernant l’inspiration de cette histoire présente dans Artamène ou le Grand Cyrus de Scudéry, on se reportera à l’article de Francis Barton intitulé «The Sources of the Story of Sesostris and Timarète in Le Grand Cyrus», Modern Philology, vol. XIX, no 3, février 1922, 257–268.
20Whitfield, (1963) 86. Barbara Cison va dans le même sens : «Even if Molière might not have agreed with all that Madeleine de Scudéry said and did, he chose to subscribe to the basic philosophy which she espoused by incorporating it into his own work» (1967)166–167.
21Par exemple, selon Roger Duchêne, la précieuse n’est pas une figure ayant une existence réelle. Elle correspond plutôt à une création imaginaire. À ce titre, il écrit que «Les Précieuses ridicules ne sont ni une représentation caricaturale de vraies précieuses, ni une satire de leurs maladroites imitatrices. Comme l’a senti d’emblée le gazetier Loret, ce sont des précieuses imaginaires» (Les Précieuses ou comment l’esprit vint aux femmes suivies de Antoine Baudeau de Somaize (Les Véritables Précieuses, Les Précieuses ridicules mises en vers, Le Grand Dictionnaire des Précieuses ou la Clé de la langue des ruelles (1660), Le Grand Dictionnaire des Précieuses (1661), Paris, Fayard, 2001, 212).
22On peut lire : «Il n’y a rien [...] de si ridicule ni de si ennuyeux qu’une femme sottement savante» (Artamène ou le Grand Cyrus, Genève, Slatkine Reprints, 1972 [1656], X, p. 352). Molière, quant à lui, dans les Femmes savantes (1673), fera dire à son Clitandre :
Je consens qu’une femme ait des clartés de tout, Mais je ne lui veux point la passion choquante De se rendre savante afin d’être savante; Et j’aime que souvent, aux questions qu’on fait, Elle sache ignorer les choses qu’elle sait; De son étude, enfin, je veux qu’elle se cache, Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache. (I, III)
23Au sujet de l’idéal féminin tel que l’expose Scudéry, Madeleine Alcover ajoute que «For Molière, as for Scudéry, the ideal of the honnête femme consists of a tempering of the two extremes of the excessively learned and the ignorant woman, and this concept necessarily encompasses responsability for the household» («The Indecence of Knowledge», Rive University Studies, vol. LXIV, no 1, hiver 1978, 29)
24Cousin (1858) 360. Pour sa part, bien qu’il tire principalement les preuves de son argumentation de la Clélie, J. H. Whitfield précise que «Molière is not hostile to her, rather stands by her side in a particular attitude» (179).
25On lira l’article de Nicole Aronson «“Je vois bien que c’est un Amilcar” : Mlle de Scudéry et les Précieuses ridicules» (Papers on French Seventeenth Century Literature, vol. XX, no 38, 1993, 85–95).
26Duchêne (2001), 568 pages.
27Niderst (1973) 359–365.
28Niderst, Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leur monde, Paris, Presses universitaires de France, 1976, «Publications de l’Université de Rouen», 302.
29Niderst (1976) 543–544.
30Maurice Magendie, La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté, en France au XVIIe siècle, de 1600 à 1660, Paris, Librairie Félix Alcan, tome 2, [1925], 703. Yves Guiraud, dans sa présentation de Thimocrate de Thomas Corneille, écrit : «La même année que Timocrate, Quinault donnera lui aussi une tragédie, d’après Mlle de Scudéry, La Mort de Cyrus. Les pièces tirées de romans à succès sont relativement nombreuses : ces scénarios, ces découpages théâtraux d’épisodes romanesques en conservent les caractères. La surabondance de ces éléments estompe le tragique; la vision précieuse du monde ignore même le tragique, puisque l’héroïsme ne s’y applique qu’à la galanterie» (Thomas Corneille, Timocrate, tragédie, texte établi et présenté par Yves Guiraud, Paris/Genève, Minard/Droz, 1970, «études littéraires françaises», 35).

Ouvrages Cités

Adam, Antoine. Histoire de la littérature française au XVIIe siècle. Paris, Albin Michel, «Bibliothèque de l’Évolution de l’Humanité», 1997 [1948], 3 tomes.

Alcover, Madeleine. «The Indecence of Knowledge». Rive University Studies, vol. LXIV, no 1, hiver 1978, 25–39.

Aronson, Nicole. Mademoiselle de Scudéry ou le voyage au pays de Tendre. Paris: Fayard, 1986.

———. «“Je vois bien que c’est un Amilcar” : Mlle de Scudéry et les Précieuses ridicules». Papers on French Seventeenth Century Literature, vol. XX, no 38, 1993, 85–95.

Barton, Francis. «The Sources of the Story of Sesostris and Timarète in Le Grand Cyrus». Modern Philology, vol. XIX, no 3, février 1922, 257–268.

Chartier, Roger. «Loisir et sociabilité : lire à haute voix dans l’Europe moderne». Littératures classiques, no 12, janvier 1990, 127–147.

Chroniques du Samedi. Suivies de pièces diverses (1653-1654). Alain Niderst, Delphine Denis et Myriam Maître (dir.), Paris, Honoré Champion, 2002, «Sources classiques».

Cison, Barbara. The Samedis of Mademoiselle de Scudéry. New York: Fordham University, 1967.

Corneille, Thomas. Bérénice dans Théâtre de T. Corneille. partie 2, Amsterdam: Frères Châtelain, 1709 [1657].

———. Timocrate, tragédie. texte établi et présenté par Yves Guiraud, Paris/Genève: Minard/Droz, 1970, «études littéraires françaises».

Cousin, Victor. «Mademoiselle de Scudéry et sa société, d’après le Grand Cyrus». Journal des Savants, avril 1858, 238–259; mai 1858, 304–325; juin 1858, 345–364.

Duchêne, Roger. Les Précieuses ou comment l’esprit vint aux femmes suivies de Antoine Baudeau de Somaize (Les Véritables Précieuses, Les Précieuses ridicules mises en vers, Le Grand Dictionnaire des Précieuses ou la Clé de la langue des ruelles [1660], Le Grand Dictionnaire des Précieuses [1661]). Paris, Fayard, 2001.

Dumonceaux, Pierre. «La lecture à haute voix des œuvres littéraires au XVIIe siècle». Littératures classiques, no 12 (janvier 1990) 117–125.

Gros, Étienne. Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre. Genève: Slatkine Reprints, 1970.

Horellou-Lafarge, Chantal et Monique Segré. Regards sur la lecture en France. Bilan des recherches sociologiques, France: L’Harmattan, 1996.

Lallemant, Marie Gabrielle. La Lettre dans le récit. Étude de Mlle de Scudéry. Tübingen: Gunter Narr Verlag, coll. «Biblio 17», 2000.

Magendie, Maurice. La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté, en France au XVIIe siècle, de 1600 à 1660. Paris, Librairie Félix Alcan, 2 tomes, 1925.

Molière. Mélicerte dans Chefs d’œuvre de la littérature française. Œuvres complètes de Molière, tome 8. Lietchtenstein: Kraus Reprint [Paris: Garnier Frères, 1882 [1666]], 1976.

———. Le Misanthrope dans Œuvres complètes françaises. Œuvres de Molière, tome 5. Paris : Hachette, 1880 [1666].

Niderst, Alain. Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leur monde. Paris: Presses universitaires de France, 1976, «Publications de l’Université de Rouen».

———. «Une source du Misanthrope (Mlle de Scudéry, Le Grand Cyrus)». Dans Missions et démarches de la critique. Mélanges offerts au professeur J.-A. Vier. Paris: Klincksieck, 1973, 359–365.

Pierson, Nathalie. «Madeleine de Scudéry et Philippe Quinault : du romanesque au spectaculaire tragique». Dans Delphine Denis et Anne-Elisabeth Spica (dir.), Madeleine de Scudéry : une femme de lettres au XVIIe siècle, Actes du Colloque international de Paris. Arras: Artois Presses Université, 2003, «Études Littéraires», 255–268.

Quinault, Philippe. La Mort de Cyrus dans Le Théâtre de Mr. Quinault contenant ses tragédies, comédies et opéra, tome 1. Paris: Pierre Ribou, 1715 [1656].

———. Astrate , ou le roy de Tyr dans Le Théâtre de Mr. Quinault contenant ses tragédies, comédies et opéra, tome 3. Paris: Pierre Ribou, 1715 [1665].

Reese Pugh, Anne. «Note Upon Somme Similarities between Le Grand Cyrus and Le Misanthrope», Modern Language Notes, vol. XI, no 3, mars 1896, 85–87.

Scudéry, Madeleine de. Artamène ou Le Grand Cyrus, 10 volumes. [Paris: Augustin Courbé, 1649-1653, 10 volumes], Genève: Slatkine Reprints, 1972.

———. Clélie. Histoire romaine, 10 volumes. [Paris: Augustin Courbé, 1654–1660], Genève: Slatkine Reprints, 1973 [2e édition de 1658–1662].

Somaize, Antoine Baudeau de. Dictionnaire des Précieuses. Paris: P. Jannet Libraire, 1660.

Whitfield, J. H. «A Note on Moliere and Mlle de Scudéry», Le Parole e Le Idee : Rivista internazionale di varia cultura, no 5, 1963, 175–187.

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Gregoire: La mainmise des jésuites sur la Nouvelle-France de 1632 à 1658: l’établissement d’un régime théocratique?

Article Citation
Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal XI, 1 (2006) 19–43
Author
Vincent Gregoire
Article Text

A Rick Lockwood

La Nouvelle-France est un pays de mission pris en charge par les jésuites après sa restitution à la France par les Anglais au traité de Saint-Germain-en-Laye en 1632. Ces religieux, après avoir travaillé de concert avec les récollets jusqu’à la prise de Québec par l’Angleterre en 1629, se voient attribué, à leur retour dans la colonie, le monopole des missions; et, très rapidement, ils établissent un régime religieux contraignant. Les jésuites occupent un maximum de fonctions en ces premières décennies de la toute jeune implantation: missionnaires, confesseurs, chapelains, directeurs de conscience mais aussi linguistes, interprètes, enseignants, colonisateurs, administrateurs, explorateurs, ethnographes, géographes …

Ils représentent l’encadrement spirituel mais aussi, pour une bonne part, temporel de la colonie: prohibant la vente de l’alcool aux Amérindiens, renvoyant les indésirables et établissant une morale rigoureuse qui doit assurer que la Nouvelle-France ne tombera pas dans les « vices » de l’ancienne (guerres de religion qui ont divisé et dévasté la métropole, déchristianisation de certaines provinces qu’il faut rechristianiser au moyen de missions intérieures). L’historien Georges Goyau écrit que « la discipline de Genève sous Calvin […] n’était pas beaucoup plus stricte que la censure qui existait à Québec sous les jésuites. » (252)

Tandis que leurs investissements, près de 20% du budget colonial de 1630 à 1655, aident au développement et font passer la toute nouvelle implantation, selon les mots de Dominique Deslandres, de « simple comptoir » en « vraie colonie » (287), les jésuites se sont aussi « transformés en grands propriétaires détenant près d’un septième [du territoire] » (Meyer 90). Ce pouvoir économique renforce leur pouvoir spirituel et établit très fermement leur autorité sur la colonie.

Nous allons, dans cette étude, observer comment s’exerce, dans les faits, ce contrôle religieux. Quelles en sont les conséquences, l’une d’entre elles étant, comme l’explique l’ursuline Marie de l’Incarnation (1599–1672), cofondatrice et longtemps supérieure du couvent de Québec, que ce contrôle débouche sur une contrainte des consciences. Peut-on enfin parler d’un «régime théocratique» pour caractériser les premières décennies de la colonie? Ou le mot est-il trop fort, auquel cas il doit être nuancé.1

Plusieurs historiens ont qualifié l’entreprise missionnaire des jésuites en Nouvelle-France de tentative d’établissement d’un ré¬gime théocratique (Blain 330, Delâge 129, Lanctôt 403, 406).2 Dominique Deslandres résume bien ce point de vue dans son ouvrage: Croire et faire croire. Les missions françaises au XVIIème siècle (1600-1650) (paru en 2003): les jésuites jouent au Canada «un rôle crucial, jugé par la suite exorbitant. En fait, le cas des Jésuites est toujours cité comme un exemple moderne d’autoritarisme théocratique» (287). Replaçons cette expérience religieuse dans son contexte. Le clergé, au début du XVIIème siècle, est bien engagé dans les affaires civiles parce que la distinction civil-religieux n’existe pas de façon claire et bien établie à l’époque. Ainsi, ce clergé, premier ordre du royaume, débat des affaires publiques aux Etats Généraux. Richelieu, aidé de son conseiller le père Joseph Le Clerc du Tremblay, puis Mazarin vont, eux, mener la vie politique française.

C’est le cardinal de Richelieu qui, par édit royal, établit en 1627 la compagnie des Cent Associés dont le but est à la fois commercial et missionnaire. Cet édit interdit toute émigration protestante en Nouvelle-France et accorde la «naturalité» française aux Amérindiens convertis et francisés. La compagnie des Cent Associés doit favoriser le passage de missionnaires et de colons de manière à développer la colonie naissante.

Si les récollets et les jésuites ont été originellement invités, au début du siècle, à participer au travail d’évangélisation (avec les capucins en Acadie), seuls les jésuites (et les capucins, toujours en Acadie) reviennent en 1632, après le départ des Anglais. Ce retour, la compagnie de Jésus le doit à ses appuis à la cour: Richelieu, le père Joseph, et à un de leurs amis et futur gouverneur de Québec: Jean de Lauzon, administrateur de la compagnie des Cent Associés.

Ce monopole religieux par les jésuites doit être vu dans le contexte d’une Église naissante qui cherche à se développer au moyen de la conversion de la population indigène et par l’installation de colons « de bonne vie », de bonnes mœurs.3 Toute une mystique missionnaire d’une nouvelle « Église primitive » devant favoriser l’établissement d’une « ‘Jérusalem bénite de Dieu, [et] composée de citoyens destinés pour le Ciel’ » (Deslandres 287) est ainsi mise en avant.

Cette « Église de mission » en terre hostile et inhospitalière (du fait de la menace iroquoise, des difficultés de la vie dans la nature, des longs hivers rigoureux) doit ainsi se donner les moyens de réussir: cela par un contrôle des populations française et amérindienne et un droit de regard sur la vie économique, politique et sociale. Tant qu’il n’y aura pas d’Église coloniale structurée dans un cadre diocésain, les jésuites chercheront à conserver leur influence sur la toute jeune colonie, non tant par goût du pouvoir que par pragmatisme religieux: le salut des âmes des Amérindiens, leur raison d’être en Nouvelle-France, est en jeu.

Comment s’affirme cette influence des missionnaires dans la vie de la colonie? En matière économique, les pères jésuites ont grandement aidé, en janvier 1645, à l’établissement de la Communauté des Habitants de la Nouvelle-France, une organisation qui permet aux directeurs de la Communauté de reprendre en main l’exploitation de la traite des fourrures très déficitaire dans le cadre de la Compagnie des Cent Associés, et permet aussi à la ville de Québec de bénéficier d’une partie des revenus de cette traite. Ce succès revient pour une bonne part aux jésuites, comme ils le rapportent dans leur Journal: cela s’est fait « agente regina & nobis impellentibus » (par le biais de l’action de la reine et sous notre impulsion) (Journal des Jésuites 4).

En matière politique, les jésuites sont très proches des premiers gouverneurs (Champlain, Montmagny, d’Ailleboust et Lauzon), leur faisant partager leurs vues, leurs dispensant leur avis et bénéficiant de leur action. Ainsi, de 1647 à 1657, le supérieur de la compagnie de Jésus siège ex officio avec le gouverneur, tout ancien gouverneur encore présent au Canada, et deux notables (élus pour trois ans mais sans droit de vote), au Conseil de Québec. Ce Conseil exerce des pouvoirs spécifiques mais aussi généraux en matière de commerce, de police et de diplomatie. Le père Druillettes est ainsi envoyé par le Conseil à Boston pendant le printemps 1650 pour négocier un traité de commerce et d’assistance mutuelle avec le gouverneur Dudley.

Le supérieur des Jésuites, Jérôme Lallemant est, lui, envoyé en France la même année, après avoir reçu la haute surveillance des finances du pays dans la métropole.4 Certains notables n’apprécient guère cette ingérence de l’Église missionnaire dans les affaires de la colonie. Godefroy, Tilly, des membres importants de la Communauté de Québec, et Maheux, le syndic de cette ville, sollicitent alors le retour des récollets en Nouvelle-France, expliquant qu’ils y sont « ‘de plus en plus souhaité[s] par la plus grande partie des Habitants Français, leurs consciences se trouvant trop genées d’avoir affaire aux mêmes gens, tant pour le spirituel que pour le temporel’ » (Lanctôt 258). Cette requête va échouer du fait des bonnes relations des Jésuites en métropole, en particulier avec le futur gouverneur Lauzon.

Pour ce qui est du contrôle de la qualité de l’émigration, le père Le Jeune écrit à la fin des années 1630 qu’aucune femme de moralité douteuse ne peut venir s’établir en Nouvelle-France. A la rumeur de l’arrivée d’émigrantes indésirables, il répond que c’est un « faux bruit » et qu’ayant « vu tous les vaisseaux » à leur arrivée, « Pas un n’était chargé de cette marchandise. » (Lanctôt 214). Cette affirmation sera répétée en 1654 par le père Le Mercier (Lanctôt 392). 5 Même si nous ne pouvons accorder une totale crédibilité à ces propos, il est certain qu’un contrôle minutieux est assuré par les pères missionnaires à l’arrivée des vaisseaux.

Il en est de même de l’émigration protestante presque inexistante à l’époque, et cela depuis 1627. Presque inexistante, mais non pas totalement: ainsi, quelques protestants vont rester dans la colonie au fil des années comme matelots, commis et même colons, souvent au su et vu des missionnaires jésuites qui s’efforcent de les convertir. Ainsi s’égrènent les abjurations au cours des ans: une en 1635, deux en 1646 … Les jésuites imposent donc avec vigueur et rigueur leur magistère moral dans les premières décennies de la colonisation de la Nouvelle-France, à l’image du contrôle de nombre de communautés par les autorités puritaines dans les colonies de Nouvelle-Angleterre.

Parfois, commerce et religion sont liés. C’est ainsi qu’au Canada, le commerce des fourrures et la vente des armes sont in¬fluencés par la politique d’évangélisation des jésuites. Pour ce qui est de la traite des fourrures, dès 1632, et d’une façon plus renforcée encore après 1640, deux prix de vente sont proposés aux Indiens pour les marchandises de traite: « un prix païen » plus élevé et un « prix chrétien » plus bas. Comme l’explique Denys Delâge: « pour une même quantité de fourrures, le néophyte rapportera davantage de marchandises de traite en Huronie que ne le fera le ‘traditionnaliste’ [le non converti] ». (129) Le « commerce privilégié » est ainsi un vecteur efficace dans la stratégie d’évangélisation par les jésuites, surtout dans les premières années.

Il en est de même de la vente des armes, encouragée par les autorités de la ville de Québec. La lettre d’un père jésuite, publiée dans la Relation de 1643–44, loue cette pratique:

L’usage des arquebuses refusé aux infidèles, par Monsieur le Gouverneur, & accordé aux Néophytes Chrétiens est un puissant attrait, pour les gaigner: il semble que le Seigneur se veuille servir de ce moyen, pour rendre le Christianisme recommandable en ces contrées. (Thwaites [vol. 25] 26)
Cette politique sélective de vente d’armes ne se fera cependant que de façon sporadique, étant donné les risques encourus par les missionnaires mais aussi par les colons si les armes tombent en de mauvaises mains. Ce n’est pas la confiance qui règne. 6

L’influence des jésuites s’exerce encore, dès 1633, dans la condamnation régulière des boissons enivrantes, avant que le vi¬caire apostolique, l’évêque « in partibus » Mgr de Laval, qu’ils ont choisi7 , en arrive à excommunier en 1660 les contrevenants, à la colère du gouverneur d’Argenson qui estime que l’Église empiète sur l’autorité civile, ce délit relevant de la juridiction royale. Le mandement épiscopal que les jésuites appuient totalement pose un temps d’arrêt au commerce illicite de l’alcool vendu aux Amérindiens, une boisson qui désintègre les communautés indigènes8. Mais bientôt, le commerce reprend. C’est alors que le nouveau gouverneur, d’Avaugour, en bons termes avec Monseigneur de Laval et les missionnaires, publie en 1661 une ordonnance interdisant toute traite d’alcool aux Indiens sous peine des châtiments les plus sévères. Les 7 et 11 octobre 1661, deux violateurs de l’ordonnance (les sieurs Voil et Laviolette) sont exécutés par arquebuse cependant qu’un troisième est fouetté en place publique. La peur fait son effet et le vicaire apostolique peut suspendre son excommunication. La crise des boissons enivrantes n’est cependant pas finie, loin de là, qui va opposer par la suite, d’un côté les jésuites et l’évêque en faveur de l’interdiction, et de l’autre les gouverneurs successifs puis l’intendant Talon, en faveur d’une permission réglementée. C’est le pouvoir civil qui va finalement, après 1665, l’emporter pour de bon.

En matière d’éducation, de francisation et d’évangélisation enfin, les jésuites vont créer une école pour garçons dès 1636, une école qui va se voir aussi et aussitôt prêter un rôle politique dans ce contexte de colonisation de la Nouvelle-France. Le père Le Jeune développe en 1634 son projet d’école, de « séminaire » (pour reprendre le mot de l’époque) pour les petits « Sauvages »:

si l’on tient ici les petits Hurons, ou les enfans des peuples plus esloignez, il en arrivera plusieurs biens: car nous ne serons pas importunés ny destournés des peres, en l’instruction des enfans; cela obligera ces peuples à bien traitter, ou du moins à ne faire aucun tort aux François qui seront en leur pays (Relation de 1634, Thwaites [vol. 6] 153–54).
En résumé, ces « séminaristes » seront non seulement des élèves mais des otages. Le Jeune poursuit sur ce thème en 1636:
un Séminaire [… sera] une chose très importante au salut de ces Nations, & au bien de Messieurs de la Compagnie [des Cent Associés]; car leurs enfans nous seront autant d’ostages, pour l’asseurance des François qui sont parmy eux, et pour l’affermissement du commerce. ( de 1636, Thwaites [vol. 9] 282) 9
Les missionnaires sont certes de fins politiques mais de piètres pédagogues des enfants amérindiens qui ne supportent pas l’autorité, le monde fermé des « pensionnats » et de la salle de classe, et les châtiments corporels.

Jusqu’à l’arrivée de Mgr de Laval en 1658 et le début de l’établissement d’une « Église des colons » organisée d’une façon régulière (évêché, diocèse, paroisse…), les jésuites dominent la vie de la Nouvelle-France dans le cadre de « l’Église de mission » dont ils sont les moteurs. C’est ainsi que, pendant plus de 25 ans (1632–1658), ils vont assumer des responsabilités non seulement religieuses mais civiles, comme nous l’avons vu, suppléant par là même la faiblesse de la représentation de l’administration royale. Et l’influence du clergé colonial ne repose pas seulement sur le nombre de ses membres qui est bien supérieur à celui des officiers civils, mais découle aussi du fait que c’est un groupe très structuré et extrêmement bien organisé. Les missionnaires s’immiscent ainsi dans la justice, le commerce, la gestion des finances de la colonie… non tant par volonté d’établir un pouvoir théocratique que pour atteindre leur but officiel: l’évangélisation de la Nouvelle-France qui passe par le développement économique de la colonie.

Comme l’écrit Cornelius Jaenen dans «Church-State Relations in Canada»: « Political power was not distasteful to the Jesuits, but open assumption of political office was undesirable.» (15) Preuve en est que les jésuites quittent en 1657, à leur propre demande, le Conseil de Québec10 ; de même que le Général de la Compagnie de Jésus à Rome, le père Goswin Nickel, va refuser l’attribution de l’évêché de Nouvelle-France à un jésuite, comme le désirait pourtant la reine.

Certes, des dérives n’ont pu être évitées. Ainsi, quelques jésuites se sont par trop engagés dans les affaires civiles et politiques de la toute jeune colonie. L’exemple du père Ragueneau en est une excellente illustration. Comme l’explique l’historien Camille de Rochemonteix, lui-même jésuite, dans son ouvrage: Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIIème siècle, quatre pères missionnaires firent parti du Conseil de Québec de 1647 à 1657: Lalemant, Ragueneau, Le Mercier et Le Quen.

Parmi eux, [écrit Rochemonteix], le P. Ragueneau seul y a occupé une grande place, beaucoup trop grande, à notre avis. Les Pères [jésuites de Québec: Poncet, Vimont, Le Quen, Le Mercier] écrivirent à leur Général que le vice-recteur se mêlait beaucoup des affaires publiques du pays et des intérêts privés des colons. […] Aussi le Général Nickel ordonna-t-il au Provincial de Paris d’éloigner le P. Ragueneau de Québec. (vol. 2, 184)
Le Père Le Quen, un temps le supérieur des jésuites de Nouvelle-France, explique précisément ce dont il est fait grief au père Ragueneau: «sed saecularibus negotiis plus aequo implicatus quam Societatem nostram decet et multarum in nos querelarum causa et odiorum.» (mais il «s’engage dans les affaires publiques plus qu’il ne convient à notre société [Société de Jésus], soulevant contre nous de multiples querelles et haines.») (Lettre datant d’octobre 1656 citée par Rochemonteix [vol. 2] 184)11 . Pour punition, il est envoyé dans la mission de Trois-Rivières puis chez les Iroquois.

L’ironie est que, avec la venue du nouveau gouverneur, Pierre d’Avaugour, en 1661, le supérieur des jésuites est à nouveau tenu de siéger au Conseil. Comme le père Lallemant fait tout ce qu’il peut pour ne pas s’immiscer dans les affaires publiques, le gouver¬neur, eu égard à son expérience, opte pour le père Ragueneau qu’il va d’ailleurs placer à la tête du Conseil!

Autre critique faite aux jésuites: « la gêne des consciences » de la part de ces missionnaires qui ont le monopole de la religion à Québec tant qu’une «Église des colons» n’a pas été établie. Chrétien Le Clercq écrit, dans son Premier Etablissement de la Foy dans la Nouvelle France (publié en 1691), qu’en 1650, des habitants de Québec se plaignent des jésuites et désirent voir le retour des récollets: «Il y avoit près de trente ans que l’on se plaignoit en Canada de la genne des consciences, à mesure que la Colonie augmentoit, les clameurs des habitans se multiplioient, & se faisoient entendre avec plus de force. » (vol. 2, 85) Et Le Clercq d’expliquer que les Canadiens n’ont cessé de demander le retour des récollets depuis la rétrocession de la colonie à la France en 1632.

L’ursuline québécoise Marie de l’Incarnation écrit, quant à elle, tout d’abord, en 1646, que les jésuites doivent rester le seul ordre à Québec et que l’établissement d’un évêché, soit d’un diocèse, et donc d’un cadre religieux supplémentaire essentiellement destiné aux colons, n’est pas encore nécessaire:

Pour moy, mon sentiment est que Dieu ne veut pas encore d’Evêque en Canada, le païs n’étant pas encore assez fait: et nos Réverends Pères ayant planté le Christianisme, il semble qu’il y a de la nécessité qu’ils le cultivent encore quelque temps, sans qu’il y ait personne qui puisse être contraire à leurs desseins. [Mis en italiques par nous] (Correspondance, lettre du 11 octobre 1646, 295)
Dix ans plus tard, elle se ravise, quoiqu’elle le fasse en termes très diplomatiques et d’une manière édulcorée, parce qu’elle a eu des problèmes avec certains pères jésuites (le père Vimont en particulier12 ) sur la constitution que devait adopter la communauté des ursulines de Québec:
Ces personnes qui disent que les Jésuites gênent les consciences en ce païs, se trompent, je vous as¬sure; car l’on y vit dans une sainte liberté d’esprit. Il est vray qu’eux seuls ont la conduite des âmes, mais ils ne gênent personne […] Il pourroit néanmoins arriver de certains cas où l’on auroit besoin de recourir à d’autres; et c’est pour cela en partie que l’on souhaite icy un Evêque [Mis en italiques par nous] (Correspondance, lettre du 24 août 1658, 597)13 .
Les dissensions naissent donc au sein même de la communauté religieuse de Québec lorsque des membres de certains ordres (ursulines, hospitalières) commencent à avoir du mal à accepter l’autorité des jésuites auxquels elles sont soumises.

Cette accusation de « gêne des consciences » ne va cesser de revenir, même après le retour de la Nouvelle-France au domaine royal en 1663, soit, dans les faits, après la démission de la Compagnie de la Nouvelle-France et le rattachement direct de la colonie à l’administration royale. Et elle va perdurer, portée aux oreilles de Louis XIV et de Colbert par l’intendant Talon, le représentant de l’autorité royale arrivé dans la colonie en 1665.

Jean Talon écrit ainsi, en 1667, dans un « Mémoire sur l’état présent du Canada »:

On a lieu de soupçonner que la pratique dans la¬quelle ils [l’évêque et les jésuites] sont qui n’est pas bien conforme à celle des Eclésiastiques de l’ancienne france, a pour but de partager l’autorité temporelle, qui, jusques au temps de l’arrivée des troupes du Roy en Canada [en 1665] résidoit principalement en leurs personnes.
A ce mal qui va jusques à gehesner, et contraindre les consciences et par là desgouster les Colons les plus attachez au pays, on peut donner pour remède l’ordre de balancer avec adresse et modération cette autorité par celle qui réside ez personnes envoyées par Sa Majesté pour le gouvernement (cité dans Rapport de l’archiviste de la Province de Québec 64).
Et l’intendant du roi préconise de renvoyer un ou deux jésuites, de ceux qui reconnaissent le moins l’autorité temporelle et troublent le « repos de la colonie », et de faire venir quatre ecclésiastiques autorisés à administrer les sacrements de façon à ne pas être dépendants de l’évêque ultramontain Laval 14. Colbert va accéder à sa requête et accepter l’envoi de quelques récollets (qui n’arriveront pas avant 1670) sans, cependant, rappeler de jésuites.

En 1669, c’est Colbert qui évoque la contrainte des consciences prétendument causée par les missionnaires, tandis que, cette fois-ci, c’est l’intendant qui le rassure sur l’attitude de l’évêque [projésuite] et des révérends pères de la compagnie de Jésus, lui expliquant qu’ils ne dépassent pas les bornes de leur autorité ecclésiastique. Les instructions envoyées par Colbert et le roi à Talon, en mars 1665, sont désormais appliquées en 1669:

il est absolument nécessaire de tenir dans une juste balance l’authorité temporelle, qui réside en la personne du Roy et en ceux qui le représentent, et la Spirituelle, qui réside en la personne dd.s. Evesque et des Jésuites, de manière toutefois que celle cy soit inférieure à l’autre. [Mis en italique par nous] (Rapport de l’archiviste […] 11)
L’équilibre à atteindre doit être à l’avantage du pouvoir civil au dépens du pouvoir religieux. Ce but est accompli à la fin des années 166015.

Peut-on pour autant parler d’une orientation théocratique adoptée par les missionnaires jésuites entre 1632 et 1658 dans la conduite, en commun avec le gouverneur, de la toute jeune colonie? Il ne faut pas oublier que les affaires coloniales sont sujettes, à l’époque, à une confusion entre pouvoirs religieux et civil: évangélisation et développement de la colonie sont intimement liés. De plus, dans le contexte des toutes premières décennies de la colonisation de la Nouvelle-France, la mission porte la colonie. Le Canada est en effet, au tout début, un pays de mission pris en charge, dans une large mesure, par les missionnaires jésuites, rapidement secondés par les ordres religieux féminins aidés de leurs bienfaiteurs respectifs, du fait de l’échec de la compagnie des Cent Associés.

Nous pouvons illustrer, par l’exemple suivant, la confusion: autorités religieuse et civile évoquées ci-dessus, une confusion apparemment plus marquée encore dans ce contexte de début de colonisation. Ainsi, en matière de code de moralité, l’Église, en France comme à Québec, est secondée par le pouvoir monarchi¬que: que ce soit pour la censure des écrits licencieux, l’observance des jours religieux, la répression des actes de sorcellerie ou de blasphémie 16… A Québec, l’Église missionnaire condamne de plus le commerce de l’alcool aux Amérindiens, jusqu’à l’excommunication des contrevenants français si nécessaire: autre culture, autre contexte, autres mesures.

Ce pouvoir religieux pesant, s’il semble plus oppressant encore en cette terre de mission qu’est la Nouvelle-France, dans le contexte d’établissement de la toute jeune colonie, l’était en réalité probablement moins: du fait — du genre de vie de nombre de colons souvent très en phase avec la nature (par les activités de chasse et de traite, de pêche, et d’exploration pratiquées), — de la grande distance séparant ces gens d’une France au tout autre mode de vie, — et finalement de l’assez grande liberté de mouvement et d’esprit des colons, surtout parmi les jeunes. C’est que les colons ont plus tendance à « s’indianiser » au contact des Amérindiens que ces derniers à devenir français, à « être francisés ». Comme l’écrit Cornelius Jaenen, «There was an independence of spirit and an expression of individualism in New France which appeared incongruous with royal government and established church.» («Church-State […]» 28) Cet esprit d’indépendance est plusieurs fois évoqué par Marie de l’Incarnation dans sa correspondance.

Les filles des colons (pensionnaires ou externes), qui fréquentent ainsi le couvent des ursulines dans le cadre de leur éducation, sont difficiles à contrôler, épris de liberté et souvent plus avancées dans la connaissance de «certains sujets» que les jeunes filles françaises: (Lettre du 1er septembre 1652) «les filles Françoises seroient de vraies brutes, sans l’éducation qu’elles reçoivent de nous, et de laquelle elles ont encore plus besoin que les sauvages» (476); (Lettre du 19 août 1664) « il est certain que si Dieu n’eût amené des Ursulines en ce païs, elles seraient aussi sauvages, et peut-être plus que les sauvages mêmes. » (735) La citation suivante, en date du 9 août 1668, est cependant la plus éloquente:

L’on est fort soigneux en ce païs de faire ins¬truire les filles Françoises; et je vous puis assurer que s’il n’y avoit des Ursulines elles seroient dans un danger continuel de leur salut. […] [L]es filles en ce païs sont pour la pluspart plus sçavantes en plusieurs matières dangereuses, que celles de France. Trente filles nous donnent plus de travail dans le pentionnaire que soixante en France. (801–02)17 Il n’y a pas de doute que, dans cette culture de Nouvelle-France, au contact des Amérindiens et des coureurs des bois, les filles, souvent plus libres qu’en France, sont initiées plus tôt à la sexualité. De fait, on se marie plus tôt qu’en France et les enfants sont nombreux, des enfants qui ont « un esprit assez bon, mais [sont] un peu libertins » explique un contemporain (cité par Lanctôt 395). Nous ne sommes plus en présence de Français mais de « Canadois », désormais 18.

Nos conclusions concordent donc avec celles de Jaenen (voir « Church-State […] » 28) pour affirmer que les premières décennies de la Nouvelle-France ne sont pas caractérisées par une théocratie. Mais il est clair que nous avons affaire à une hypertrophie de la représentation religieuse (une cinquantaine de jésuites, d’ursulines et d’hospitalières pour une population européenne de 650 personnes vers 1650!) dominée par la compagnie de Jésus 19.

Si théocratie il y a, c’est peut-être au niveau des « réductions », « villages pour indiens » établis au Québec par les missionnaires jésuites pour favoriser la sédentarisation, l’évangélisation et la protection des Amérindiens. Ces villages prennent pour modèles les « réductions » d’Amérique du sud mises en place par la même Compagnie de Jésus dès 1610. Le père Le Jeune écrit ainsi en 163720:

si celuy qui a escrit cette lettre [faisant l’éloge de l’effort missionnaire en Nouvelle-France] a leu la Relation de ce qui se passe au Paraquais, […] il a veu ce qui se fera un jour en la nouvelle France […]. La Religion Chrestienne (moiennant la grace de Dieu) florira en ce païs cy, comme elle fait en celuy-là, notamment aux Hurons. (Relation de 1637, Thwaites [vol. 12] 221)
Si Montesquieu parle de ces « réductions » comme de « républiques », plus par l’esprit qui les a vu naître que par la réalité des pratiques qui y sont observées, Jean Lacouture, dans son ouvrage Jésuites, les qualifie, justement selon nous, de « confédération de théocraties coopérativistes autonomes. » (vol. 1, 507),

Les « réductions » de Nouvelle-France, dont la plus célèbre est celle de Sillery, sont généralement administrées par deux chefs indigènes: l’un, responsable de l’ordre dans le village, le « capitaine », l’autre, chef des affaires religieuses, le « dogique », tous deux élus par la communauté amérindienne. En fait, les jésuites qui supervisent ces villages peuvent faciliter (et le font) l’élection de certains convertis. A Sillery, il semble que les néophytes aient peu à peu laissé la nomination des chefs à la discrétion des pères. Comme l’explique Marc Jetten dans son ouvrage Enclaves amérindiennes: les « réductions » du Canada (1637–1701): « En quelques années, […] les jésuites s’arrogent le pouvoir de nommer les chefs qui leur sont favorables. » (49)

Ce sont aussi les jésuites qui instituent les punitions corporelles, des pratiques qui n’existent pas entre Indiens d’une même famille ou communauté mais qui sont très rapidement adoptées et appliquées par les néophytes les plus zélés. C’est ainsi que l’exposition aux intempéries, le jeûne et la flagellation sont les châtiments infligés aux villageois reconnus coupables, avec l’approbation des pères missionnaires qui pensent que la punition physique ramènera les pêcheurs dans le droit chemin 21. Ces réductions sont, pour l’historien Denys Delâge, de « véritables institutions totalitaires » (298), où les jésuites détiennent quasiment tous les pouvoirs. Si donc il y a théocratie en Nouvelle-France, dans la première moitié du XVIIème siècle et encore après, c’est dans le cadre de ces « villages pour Indiens »22.

Le pouvoir religieux en Nouvelle-France, dans les trois premières décennies de la colonisation, relève en résultat d’une domination conjuguée des congrégations religieuses sur la petite colonie et se concentre pour une bonne part, sinon essentiellement, dans les mains des jésuites qui exercent un fort ascendant sur la communauté. Les missionnaires veulent en effet établir une « terre de catholicisme » libre de l’hérésie protestante, et libérée, autant qu’il est possible, du paganisme amérindien. La Nouvelle-France, dans l’esprit de ces missionnaires, doit être l’antithèse religieuse de l’ancienne, ce que l’«Ancienne France » n’a pas pu être.

L’«Église de mission » en terre canadienne, si elle a parfois pu donner l’impression qu’elle cherchait à établir un régime théocrati¬que pour mieux arriver à ses fins d’évangélisation, ne visait en réalité qu’à imposer un ordre sur lequel elle pourrait, grâce à son magistère moral et sa forte autorité, guider le développement de la colonie. Les réalités de la colonisation, aussi bien sur le terrain que, par la suite, depuis la France, s’y sont opposées. Mais cette influence religieuse, si elle s’est affaiblie à partir du moment où l’«Église de mission » a laissé la place à l’«Église des colons », au début de la seconde moitié du XVIIème siècle, est encore restée puissante jusqu’à la fin de l’«époque française » et a nettement marqué l’Histoire de la Nouvelle-France.

Berry College

NOTES
1 Nous avons décidé de limiter notre étude aux années précédant l’arrivée du vicaire apostolique, Monseigneur François de Laval, en 1659 (lui qui va devenir le premier évêque de Nouvelle-France en 1674), bien que les premières années de son séjour à Québec (surtout de 1663 à 1665) puissent aussi relever de la même problématique. En effet, Laval règne en maître presque absolu, «brûlant» trois gouverneurs en six ans (D’Argenson, D’Avaugour, Mésy). Comme l’écrit Jean Blain dans L’Église de la Nouvelle-France: «Avant tout homme d’Église, l’évêque [évêque de Pétrée ‘in partibus’ — vicaire apostolique, soit Mgr de Laval] a tendance à confondre dans une même vision ses responsabilités religieuses et son exceptionnel mandat civil. […] Administrateur colonial sans aucune expérience quand il arrive en Nouvelle-France en 1659, il se met naturellement - et encore une fois [étant déjà passé, enfant, dans les salles de classe de la Compagnie de Jésus] — à l’école des Jésuites qui connaissent bien la colonie pour avoir eux-mêmes, et souvent avec le plein accord de la Cour, exercé une influence directe ou indirecte sur son destin. » (251) Rapidement se forment, pour défendre des intérêts économiques et politiques liés au développement de la colonie, des groupes privilégiés que domine, entre 1659 et 1665, le vicaire apostolique qui a pris la succession des jésuites. C’est ainsi que Blain va intituler la période 1663–1665: « Les belles années de la théocratie » (212). Cette période particulièrement riche réclame une étude particulière.
2 Pour éviter toute équivoque possible sur le terme “théocratie”, nous l’entendons, dans cette étude comme « la doctrine selon laquelle l’Église détient la souveraineté dans les affaires temporelles » d’après la définition qu’en a donné Marcel Pacaut dans La Théocratie (7).
3James Ronda écrit très justement, dans « The European Indian: Jesuit Civilization Planning in New France »: « In the eyes of the Jesuits [driven by the moral puritanism of the Counter-Reformation], New France was to be a ‘holy Europe’ — one free of sin and vice. » (393)
4 Les membres du Conseil de Québec remettent au supérieur des jésuites, pour les représentants de la Communauté des Habitants en France, ordre « de ne rien faire dans la poursuite et détermination des affaires, dans l’emprunt des deniers et quoique ce soit d’importance, sinon par l’advis, ordre et direction du R. Père Hiérome Lallemant. » (Lanctôt [vol. 1] 257)
5Denys Delâge écrit en ce sens: « c’est l’Église catholique, par l’entremise des Jésuites principalement, qui prend l’initiative du peuplement à des fins missionnaires. […] Evidemment, on exige des arrivants une probité morale exemplaire, autrement dit qu’ils soient bons catholiques. En 1658, le gouverneur d’Argenson [sur avis des religieux] retourne en France une fille-mère débarquée d’un bateau de La Rochelle. » (308)
6Cette pratique sélective de vente d’armes cessera en 1644; et l’interdiction de ce commerce aux Amérindiens favorisera l’extermination des Hurons alliés des Français par les Iroquois armés, eux, par les Hollandais.
7« En janvier 1657 [écrit Jean Blain], on s’est mis d’accord en France comme en Nouvelle-France sur la nécessité d’un évêque à Québec. Au moment où l’Assemblée du Clergé de France a fait l’unanimité sur le choix de Monsieur de Queylus [un sulpicien] comme futur évêque avec l’assentiment de Mazarin, c’est le nom de François de Laval [un de leurs anciens élèves au collège de La Flèche] qui est proposé à tous. Toute l’affaire a été menée par les Jésuites qui tiennent à s’assurer le concours d’un évêque qui leur sera sympathique. Passant outre aux vues et aux décisions de l’Assemblée du Clergé, c’est à la Cour directement qu’ils s’adressent en utilisant l’influence du père Annat sur le roi et celle du père Le Jeune sur Anne d’Autriche, régente du royaume. » (128–29) Finalement, Louis XIV va choisir Laval.
8Les Amérindiens, explique la Sorbonne à qui Mgr de Laval a demandé l’avis, doivent être protégés des mauvaises influences parce que ce sont encore des enfants: « les sauvages sont quasi par toute l’Amérique censés comme Pupilles et Mineurs […]. C’est pourquoi on défend aux Français et aux autres Européens de leur vendre de ces boissons. » « Délibération de la Sorbonne sur les boissons enivrantes [en date de février 1662]. » Mandements […] 41. Sur le thème de la perception des Amérindiens par les missionnaires, consulter notre article: « ‘Pensez-vous venir à bout de renverser le pays?’: la pratique d’évangélisation en Nouvelle-France d’après les Relations des jésuites. »
9Les ursulines, ordre enseignant installé depuis 1639 à Québec, désirent recevoir de petites pensionnaires amérindiennes pour les même raisons: éducation, évangélisation, et « levier politique » pour garantir la sécurité des jésuites en mission. Marie de l’Incarnation, l’auteur d’une abondante correspondance adressée à son fils, Claude Martin, qu’elle a eu très jeune, écrit ainsi dans une lettre du 12 octobre 1655: « Ah! qu’il nous tarde que nous ne voyons une troupe d’Hiroquoises en notre Séminaire: ô combien nous les chéririons pour l’amour de celuy, qui a répandu son sang pour elles aussi bien que pour nous! Il est important que nous en aions pour servir d’hostage, à cause des Réverends Pères qui sont à leur païs. » (Correspondance, 566)
10Jaenen explique, dans The Role of the Church in New France: « in 1656, they appealed to the home government to be relieved of their administrative responsibilities (that is, of their seat on Council), in order to pursue without distraction their missionary activities. »
11Traduction de Lanctôt, Histoire du Canada, vol. 1, 407. Rochemonteix explique encore que, dans sa relation très particulière avec le gouverneur, au milieu des années 1650, le père Ragueneau, représentant au Conseil de Québec, « exerçait […] une influence considérable sur M. de Lauzon, dont il obtenait tout ce qu’il voulait. Il était l’ami, le conseiller intime du gouverneur, dont il dirigeait la conscience: situation très délicate, dont il ne sut pas tirer le bon parti pour le bien général de la colonie » (vol. 2, 184).
12Consulter notre article intitulé « Le passage de l’Atlantique: une traversée pleine de ‘traverses’ » (spécifiquement 23–24) en ce qui concerne l’évolution des rapports entre Marie de l’Incarnation et le père Vimont. Marie passe ainsi de la confiance et estime la plus absolue pour le père au sentiment d’avoir été trahie.
13Marie décrit ainsi à la supérieure des ursulines de Tours, pendant l’été 1656, le conflit qui l’a opposée aux jésuites: [J’ai montré aux pères jésuites] « que je n’etois pas si flexible en un point si important [la Constitution de ce couvent] qu’on se l’étoit imaginé. Je me comporté dans tous les respects possibles, mais toujours avec vigueur et fermeté […] [A]voir des démêlez avec des saints pour qui l’on a toute la créance et toute l’affection possible; ne pas acquiescer à leurs raisons capables d’ébranler à cause de leur solidité; en un mot, se voir dans un état actuel et dans une obligation précise de leur résister, c’est une croix non-pareille et d’un poids insuportable. » (Correspondance 576–77) Et pourtant, elle ne va pas hésiter à le faire et l’emporter contre ces « saints hommes ».
14Talon désire que les ecclésiastiques envoyés de France soient des récollets, les premiers missionnaires de Québec: "Plus nous aurons de Récollets [écrit-il dans un mémoire à Colbert], mieux sera contrebalancée l’autorité trop enracinée des autres." (Cité par Rochemonteix, vol. 3, 88) Il est ironique, comme l’écrit Joseph Cossette dans « Jean Talon, champion au Canada du gallicanisme royal », que l’intendant dénonce l’empiètement de l’Église sur le temporel, et n’hésite pas lui-même à empiéter sur le pouvoir religieux, à s’ingérer « dans la juridiction strictement spirituelle de Mgr de Laval. » (341)
15Thomas Chapais explique, dans Jean Talon, intendant de la Nouvelle-France (1665–1672), que « De 1670 à 1672, Talon n’eut point de conflit avec l’Église. Mais il était toujours animé des mêmes préjugés, du même esprit gallican, et, sous la courtoisie des formes, il conservait des dispositions peu sympathiques envers l’évêque, les Jésuites et les prêtres séculiers. » (386) Chapais présente Talon en victime du gallicanisme, soit « de son époque, de son milieu, de sa formation administrative. » (201)
16Comme l’explique Joseph Cossette, « [à l’époque] le pouvoir séculier lui-même punissait rudement les délits contre la morale et les ordonnances ecclésiastiques. » (341)
17En ce qui concerne l’enseignement prodigué aux jeunes filles amérindiennes et françaises dans le cadre du couvent des ursulines de Québec, lire notre étude: « L’éducation des filles au couvent des ursulines de Québec à l’époque de Marie de l’Incarnation (1639–1672) ».
18Marie utilise ce terme de « Canadois » pour parler des Français nés au Canada et qui ont grandi dans une culture moins contraignante, plus « libre ». L’ursuline écrit ainsi le 16 octobre 1666: « Nos nouveaux Chrétiens Sauvages suivent l’armée Françoise [dans la guerre menée contre les Iroquois] avec nos jeunes François-Canadois qui sont très vaillants, et qui courent dans les bois comme des Sauvages. » (768) Les jeunes « Canadois » se sont « indianisés ».
19Autre exemple de l’hypertrophie de cette représentation religieuse, en ce qui concerne les jésuites cette fois: 54 pères de cette compagnie viennent en Nouvelle-France entre 1632 et 1637! (cf. Delumeau, 158) L’historien Pierre Chaunu a dénoncé le monopole religieux des jésuites sur la colonie: "L’implantation de la compagnie de Jésus en Nouvelle-France est la principale cause de l’échec à long terme d’une Amérique française." (Cité par Hamelin dans Histoire du Québec, 111). Ce propos est exagéré. Il est certes vrai que, si les Huguenots avaient pu s’y établir avant et après 1685, la population de la colonie se serait considérablement accrue mais aussi les rivalités religieuses, pour ne pas dire la menace de guerre entre catholiques et protestants. C’est exactement ce que Richelieu et ses successeurs au pouvoir en France ne voulaient pas voir se reproduire en Nouvelle-France.
20Les « réductions » d’Amérique du sud seront au nombre d’une trentaine regroupant jusqu’à 200.000 Indiens guaranis entre 1610 et 1767 (sur les pays que sont présentement l’Argentine, le Paraguay et le Brésil). Sur le sujet des « réductions » en Nouvelle-France, lire notre article intitulé: « Les ‘réductions’ de Nouvelle-France: une illustration de la pratique missionnaire jésuite ». Consulter aussi les excellentes études d’Alain Beaulieu: « Réduire et instruire: deux aspects de la politique missionnaire des jésuites face aux Amérindiens nomades (1632–1642) » et de Marc Jetten: Enclaves amérindiennes: les « réductions » du Canada (1637–1701), deux travaux que nous ne connaissions pas lors de la rédaction de notre article sur ces mêmes réductions.
21Lire, par exemple, le récit fait par Marie de l’Incarnation de la flagellation par des néophytes d’une jeune Amérindienne condamnée à tort. Le père De Quen, qui officie à Sillery, approuve la flagellation de la jeune femme sans savoir de quoi il en retourne: « Lui sans sçavoir ce qui s’étoit passé ni jusqu’où la chose devoit aller, repartit que ce seroit bien fait, puis il se retira. » (Lettre du 29 septembre 1642, 164) L’Amérindienne, après un sermon donné par le néophyte zélé qui va faire office de bourreau, commence à être fouettée. Au troisième coup, « le Père De Quen, entendant qu’on ne cessoit point et qu’on y alloit fort rudement sortit et fit faire le holà au zélé exécuteur. » (164) L’épilogue de cette histoire est ainsi raconté par Marie de l’Incarnation: « je me pensé fâcher contre lui [le père] d’avoir laissé fouetté cette pauvre innocente sans arrêter la ferveur inconsidérée des Sauvages, mais enfin comme le tout s’étoit passé innocemment de part et d’autre, il fallut se rire de la simplicité des Sauvages, et demeurer édifiez de la patience de la femme. » (164)
22Les « réductions », selon le père Le Jeune en 1637, doivent permettre de sédentariser, de franciser et de « réduire » à la foi les Amérindiens, mais aussi, comme il l’écrit dans la Relation, de former des réserves d’«hotages pour asseurer la vie de nos François au païs des Hurons, & pour conserver le commerce qu’ils ont avec tous ces peuples & nations plus esloignées. » (Relation de 1637, Thwaites [vol. 12] 78) Une fois de plus, le développement de la colonie et le réflexe de sécurité se profilent derrière les impératifs religieux, à l’instar de la fondation de « séminaires » ou écoles pour enfants amérindiens, des « séminaires » ayant aussi pour but d’être des réserves d’otages. Ouvrages cités Beaulieu, Alain. « Réduire et instruire: deux aspects de la politique missionnaire des jésuites face aux Amérindiens nomades (1632-1642). » Recherches Amérindiennes au Québec17, nn. 1–2 (1987), 139–154. Blain, Jean. L'Eglise de la Nouvelle-France (1632-1675). La mise en place des structures. Thèse de doctorat d'histoire (thèse soutenue le 13 octobre 1967). Université d'Ottawa, faculté des Arts, 1967. Chapais, Thomas. Jean Talon, intendant de la Nouvelle-France (1665-1672). Québec: S.-A. Demers, 1904. Cossette, Joseph. « Jean Talon, champion au Canada du gallicanisme royal, 1665-1672 (d'après sa correspondance avec la Cour de France). » Revue d'Histoire de l'Amérique Française 11.3 (décembre 1957), 327–352. Delâge, Denys. Le Pays renversé. Amérindiens et Européens en Amérique du nord-est (1600-1664). Québec: Boréal Express, 1985. Delumeau, Jean et Monique Cottret. Le Catholicisme entre Luther et Voltaire. Paris: Presses Universitaires de France, 1996. Deslandres, Dominique. Croire et faire croire. Les missions françaises au XVIIème siècle. Paris: Fayard, 2003. Goyau, Georges. Les Origines religieuses du Canada. Paris: Grasset, 1924. Grégoire, Vincent. « L'éducation des filles au couvent des ursulines de Québec à l'époque de Marie de l'Incarnation (1639–1672). » Seventeenth-Century French Studies 17 (1995), 88–98. ———. « Le passage de l'Atlantique: une traversée pleine de 'traverses'. » (7–35) Publié dans Femme, mystique et missionnaire. Marie Guyart de l'Incarnation. Sous la direction du professeur Raymond Brodeur. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 2001. ———. « Les 'réductions' de Nouvelle-France: une illustration de la pratique missionnaire jésuite. » Dix-septième siècle 196.3 (1997), 519–529. ———. «'Pensez-vous venir à bout de renverser le pays?': la pratique d'évangélisation en Nouvelle-France d'après les Relations des jésuites. » Dix-septième siècle 201, n.4 (1998), 681–707. Guyart, Marie, dite de l'Incarnation. Marie de l'Incarnation Ursuline (1599–1672). Correspondance. Nouvelle édition de Dom Guy Oury. Sablé-sur-Sarthe: Abbaye Saint-Pierre de Solesmes, 1971. Hamelin, Jean (sous la direction de). Histoire du Québec. Québec: France-Amérique, 1977. Jaenen, Cornelius. "Church-State Relations in Canada (1604-1685)." CCHA Study Sessions 34 (1967), 9–28. ———. The Role of the Church in New France. New York-Montreal : McGraw-Hill Ryerson Ltd, 1976. Jetten, Marc. Enclaves amérindiennes: les "réductions" du Canada (1637–1701). Québec: Septentrion, 1994. Lacouture, Jean. Jésuites. 2 vol. Vol. 1: Les Conquérants. Vol. 2: Les Revenants. Paris: Seuil, 1991. Lanctôt, Gustave. Histoire du Canada. 2 vol. Vol. 1: Des Origines au régime royal. Montréal: Librairie Beauchemin, 1964. Laverdière, et Casgrain, Abbés. Le Journal des Jésuites. Québec: Léger Brousseau, 1871. Le Clercq, Chrestien. Premier Etablissement de la Foy dans la Nouvelle France. (2 vol.) Paris, 1691. Le Grand Larousse de la langue française. 7 vol. Paris: Larousse, 1971–1978. Meyer, Jean. Première partie de L'Histoire de la France coloniale: « Des origines à 1763 » (13–97). Publié dans vol. 1: Des origines à 1914. Paris: Armand Colin, 1990. Ouellet, Réal (sous la direction de). Rhétorique et conquête missionnaire: le jésuite Paul Lejeune. Québec: Septentrion, 1993. Oury, Dom Guy. Marie de l'Incarnation (1599–1672). Québec-Sablé-sur-Sarthe: Les Presses de l'Université Laval-Abbaye Saint-Pierre de Solesmes, 1973. Pacaut, Marcel. La Théocratie. L'église et le pouvoir au moyen âge. Paris: Aubier, 1957. Rapport de l'archiviste de la Province de Québec pour 1930–1931. Québec: Rédempti Paradis, 1931 Rochemonteix, Père Camille de. Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIIème siècle. Paris: Letouzey et Ané, 1896. 3 vol. Ronda, James. « The European Indian: Jesuit Civilization Planning in New France . » Church History 31 (1972), 385–95. Têtu, Mgr H. et Abbé C.-O. Gagnon (sous la direction de). Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec. vol. 1. Québec: Coté et Cie, 1887. Thwaites, Reuben Gold. The Jesuit Relations and Allied Documents. Cleveland, The Burrows Brothers Company, 1896–1901 (73 vols.).
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Hubert: Accounting for Critical Displacements

Article Citation
Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal, XI (2006), 1–17
Author
Judd Hubert
Article Text

As a Fulbright research fellow back in 1956, one of my assignments consisted in consulting Sorbonne professors in my field of research. Antoine Adam, in those days a highly respected scholar in seventeenth-century French literature, asserted that my critical approach suffered from the fact that, living far away from the Bibiothèque Nationale and other serious sources I had no other recourse than to indulge in subjective interpretation. My colleague at Harvard, René Jasinski, engaged at the time in composing his Vers le vrai Racine, originally entitled Le Vrai Racine, complained that, having received seven erroneous explications de textes from his seminar students, he regretfully had to supply the eighth, the only valid commentary. However, I met many other distinguished Sorbonne professors, notably Jean Pommier, Albert-Marie Schmidt, Frédéric Deloffre, Octave Nadal, Raymond Picard who did not voice objections to unorthodox methods. Of course, my open-minded teachers at Columbia accepted any approach within reason.

Literary studies have evolved during the last half-century thanks to Anglo-American new criticism, structuralism, deconstruction, psychoanalysis, feminism, and post-colonialism. Today, all approaches have become acceptable, though somewhat reluctantly, to “dix-septièmistes” who may have remained more faithful than scholars in later fields to traditional methods by insisting on historically based close readings of texts.

I still find it surprising that in spite of new ways of analyzing and deconstructing literary works without worrying unduly about historical and biographical details most scholars continue to specialize in centuries. Perhaps hiring practices help to keep the centuries alive. I.A. Richards had shown, merely by eliminating dates and typographical clues, that for lack of a proper historical framework, students felt at a loss in dealing with specific poems. During the years I spent at Columbia, I enjoyed most of all a summer course taught by a visitor from Yale, Henri Peyre, a brilliant scholar and teacher skilled in revealing the mysteries of poetic texts. Because of his influence, reinforced by my discovery of William Empson’s Seven Types of Ambiguity, a book familiar at that time to graduate students in English, but unknown to those in French, I developed a strong interest in analyzing literary texts. Previously, as a student at the French lycée in Brussels and at Middlebury College in Vermont, I had a marked preference for philosophy thanks mainly to Emmanuel Mounier, the founder with Jacques Maritain of the Personalist movement in France. Instead of assigning the standard manual in preparing us for the “Baccalauréat” in philosophy, Mounier had us read complete texts by Bergson, Nietzsche, and Whitehead. As a result, we all passed without difficulty. As a graduate student, my enthusiasm for philosophy hardly abated for I insisted on taking Jacques Maritain’s seminar in epistemology instead of courses in French literature useful in preparing comprehensive exams. Years later, when so many scholars with minimal training in philosophical speculation, metamorphosed overnight into theorists, I nonetheless refrained from immediately participating in the new venture. I have to admit, however, that my very first article, “Esbozo de una critica ontological de la poesia,” published in an avant-garde Peruvian journal, pertained to literary theory. I endeavored, in my doctoral thesis, to apply Empson’s method to Baudelaire, my favorite poet. As this resulted in L’Esthétique des Fleurs du mal: Essai sur l’ambiguïté poétique (1953), I willy-nilly started my career as a nineteenth-century new critic, if not necessarily as a scholar. Baudelairean scholars had privileged biographical and source criticism, for instance in matching the poems with the women who had allegedly inspired them or in finding every line of poetry that Baudelaire may have remembered. However, gifted scholars such as Jean Pommier had preferred to place the Flowers of Evil in a meaningful historical context.

I looked for double meanings, for instance in etymological puns, realizing that Baudelaire, a lexical purist, would hardly countenance the outrageous puns favored by more recent poets. “Danse macabre” provides a good example of Baudelaire’s method in “L’élégance sans nom de l’humaine armature” where “sans nom” means both “nameless” and “extreme.” In the condemned poem “A celle qui est trop gaie” synesthesia predominates. Words involving both light and sound such as “claire,” “éclatantes, ” “retentissantes” combine with joyful colors in opposing the persona’s so-called satanic aggression and “atonie.” Nor did I limit myself to purely verbal ambiguities. Form plays a major part in “Bien loin d’ici,” a reversed sonnet in which the sextet precedes. While in so many of his poems, Baudelaire associated “souvenir” with perfumes, here he dwells on the origin of memory: “De haut en bas, avec grand soin,/Sa peau délicate est frottée/ D’huile odorante et de benjoin.” By turning the sonnet form upside down, he has shown the origins of memnonic poems such as “La Chevelure,” triggered by perfume. Although I closely followed Empson, I differed in some respects from several other new critics, notably I.A. Richards who, hoping that semantic polyvalence would enable him to uncover the source and secret essence of a poet’s creativity, relied on a highly sophisticated biographical approach based on wordplay rather than events. I felt that the writer’s life, secret or overt, only superficially accounts for his work. In writing a poem, a play, a novel, a writer goes beyond personal experience. Indeed, the work of art transcends personal experience and leads an independent existence.

I considered Baudelaire the first modern poet. His Romantic predecessors in France had, in one way or another, maintained a physical presence in their poems. Lamartine often favors a recumbent position while Vigny, seated upright, expresses a stoic dignity. Moreover, he versified texts that he had originally written in prose. The great Victor Hugo, who composed standing up, vigorously moves about in his poems. Even in his numerous confessional texts, Baudelaire’s presence in his poetry remains operational insofar as by giving no more importance to his body and his emotional makeup than to other aspects of his subject matter he subordinates everything to a functional structure. In short, he completely devoted himself to his creative task and, as a result, reduced the barrier separating the self from the outside world, an accomplishment characteristic of modernity. Later French poets followed suit, notably Rimbaud with his “Je est un autre” and Eluard in whose works the barrier separating the inner from the outer world has completely disappeared.

My interest in philosophy made its presence felt in the opening chapter in which I attempted to elaborate a theory about literary research that may have alienated more readers than my interpretations of the poems themselves. Inspired by the epistemologies of Hans Vaihinger and Emile Meyerson, I pointed out the assumptions of all critical and scholarly approaches to literature including those of new critics such as I.A. Richards. I also revealed my own assumptions including the distinction between poetic function and semantic plurality. In short, I tried to show the cognitive presuppositions of literary studies that I regarded not as a science but as a discipline and an art. However, I stubbornly privileged the literary text unlike some later critics who considered theory self-sufficient. Looking back at L’Esthétique des Fleurs du mal, I realize that I had undertaken a semantic deconstruction of the texts in order to reveal their poetic functions.

While teaching seventeenth-century French literature at Harvard, I spent more time explicating drama than discussing moralists, novelists, and poets, wondering whether a method derived from Anglo-American new criticism might lead to the discovery of hidden meanings in tragedies noted for clarity of expression. By applying a similar sort of close reading with modifications to Racine I entered the field of seventeenth-century French literature to which I still belong in spite of lengthy excursions into French symbolist poetry, Shakespeare, and, in collaboration with Renée Hubert, contemporary artists’ books. I treated Racine’s tragedies as poems, substituting inner coherence for poetic function. Interrelating metaphors mattered much more to me than studying plots and characters or showing the dramatist’s success in representing mythological or historical events. Nor did it matter too much whether a protagonist or a minor character uttered a speech for all words in the play belonged to the same poem and thus could reveal its inner coherence. After all, the great Leo Spitzer needed only to analyze a single paragraph to reveal the entire system of a text.

My approach consisted in trying to show that leading characters, for instance Pyrrhus, Oreste and Hermione in Andromaque, dissatisfied with their past actions or present situation, vainly tried to attain perfection. The brutal Pyrrhus wanted to become Hector, the rejected Hermione tried to ”launch a thousand ships,” while Oreste, too young to have joined the Greek forces, envied his father’s prestige as leader of the Greek armies. I thus saw the tragedy as a sort of ghost story in which Hector set the Trojan war in reverse by punishing the Greeks for their crimes and giving the power in Epirus to his widow. Though I still consider Hector the occult protagonist of the play I have misgivings about my reliance on perfection as a means to explain the behavior of Racine’s leading women and men. In a second edition of Essai d’Exégèse racinienne: les secrets témoins (1985), described as “edition augmentée” even though it contained commentaries on only three tragedies, precisely those assigned that year for the “agrégation,” I supplied a “postface” that provided a more theatrical orientation. Dismissing the search for perfection—a moral value—as a means to account for a character’s conduct, I advocated a performative reading. Leaving perfection aside, Pyrrhus, Hermione, and Oreste, dissatisfied with their roles, vainly seek a different casting and in so doing fail also as dramatists. In “Les Ecarts de Trézène” (1986), I provided a more theatrical reading of Phèdre than in the Essai d’éxégèse by focusing on the unity of place—on the tranquil and ordered Trézène, invaded by evil forces. No longer able to sustain his part as follower of Venus, Hipppolyte wants above all to leave the city or rather the stage while Phèdre, pursued by Venus, refuses to make an appearance. Nevertheless, Hippolyte shows reluctance in admitting his transformation and in following in his womanizing father’s footsteps. Phèdre, unable to sustain her part as a mean mother-in-law and ashamed of her role as lover, leaves the function of dramatist to Œnone. The peaceful order of Trézène, an ally of the Sun, has turned against her. Thus, I contrasted the orderly framework of classical drama with the violent state of disorder taking place within it.

Neither poetic function nor inner coherence can account for Molière’s masterpieces, featuring brilliant (dis)connections. After all, laughter arises from forcing together incompatible scenarios. Nonetheless, my approach in Molière and Comedy of Intellect did not undergo a radical change in spite of my growing awareness of the importance of theatricality for I continued to minimized those historical, moral, and psychological considerations that have made so many studies of the comedies so serious in tone that Molière might as well have composed essays. Although his plays may lack the obvious metaphorical unity and poetic coherence of Racine’s, they possess, however, a theatrical unity featuring entertainment at all costs. And they do provide more than enough material for verbal analysis. Indeed, his one and only tragic-comedy, Don Garcie de Navarre, requires as searching a metaphorical study as any tragedy of Corneille and Racine. Intellectual terms involving perception, self-deception, illusion, and subversion of established values appear in practically all the works. Even in Don Juan, a play seemingly lacking in continuity, the interplay of movement, immobility, wordiness, and testing give it an undeniable coherence. While treating Molière’s comedies in much the same way I had analyzed Racine’s tragedies, I discovered that theatricality and entertainment prevailed over all other considerations. In spite of my critical intentions, Molière and the Comedy of intellect revealed the overriding importance of theatricality in all successful works written for the stage. Unfortunately, I did not become aware of this truth until about twenty years later when, in collaboration with Franco Tonelli, I wrote “Theatricality: The Burden of the Text.”In the meantime, I remained more or less faithful to my usual new critical approach in writing about Molière’s two burlesque styles as well as in several articles on Corneille and other seventeenth-century dramatists such as Longepierre. Nor did I neglect poetry: Malherbe, seventeenth-century burlesque parody, Baudelaire, Malherbe, Rimbaud, and Nerval. In addition, I finally ventured into historical scholarship. Although I had spent many hours at the Bibliothèque Nationale and at the far more appealing Arsenal, my scholarly publiations stemmed mainly from collecting antiquarian books, an inexpensive habit in the 1950s and 1960s. Indeed, books in your personal collection to which you can return at leisure can provide greater rewards than volumes consulted in research libraries. In this manner, I discovered the source of Jean de Schélandre’s tragedy, Tyr et Sidon, rewritten as a tragicomedy, in Les Fantasies amoureuses (1601), an exceedingly rare anonymous novel of considerable merit containing excellent poetry. Ownership of several “recueils collectifs” enabled me to show in “Le Mystère des deux Acante,” how La Fontaine had imitated and improved upon his friend Pellisson’s clever verse, much of which had appeared anonymously but that I easily managed to restore to him. Both of these articles appeared in La Revue d’Histoire Littéraitre de la France where I would probably have had difficulty at that time in placing my more interpretative pieces. I had also acquired Voltaire’s 1764 edition of Corneille’s Théâtre, at a very low price because somebody had written in the margins. It turned out that a “philosophe,” Pierre-André Le Guay de Prémontval, rather than a vandalizing freshman had penned all the annotations for the edification of his pupils, nephews of the great Frederic of Prussia. A devotee of Racine, Premontval had so little respect for “le grand Corneille” that he considered Voltaire’s strictures far too lenient. Fortunately, Voltaire included Racine’s Bérénice so as to establish a belittling comparison with Corneille’s Tite et Bérénice. Prémontval’s impressive notes on Racine’s tragedy appeared in “Une Appréciation inédite sur Racine en 1764” in which I suggested that Prémontval, a remarkably original friend of Diderot and Lessing, deserved further study and perhaps a doctoral dissertation.

I departed from this safe kind of research by the risky attribution of anonymous poems appearing in Emile de la Bédollière’s Les Industriels to Baudelaire at an early stage in his career. Major Baudelaire scholars such as Bandy and Pichois strongly resisted this attribution, but Jean Pommier, a literary historian who really understood poetry, agreed with me. I also thought that La Rochefoucauld had produced, in addition to his maxims and memoirs, an essay entitled La Justification de l’amour. As hardly anybody deigned to take notice of this problematic attribution, I gathered that scholars hardly ever object when you restore an anonymous work to a minor author such as Paul Pellisson but that you had better not attribute a minor work to a major writer.

I also became concerned with the problems of translation. In teaching stylistics at UCLA and Irvine, I occasionally asked the graduate students to operate both as ”theme” and “version translators. I had them translate a passage from “The Fall of the House of Usher” without consulting Baudelaire’s rendition. While Poe’s prose in this tale suggests aggression with a blunt instrument, Baudelaire’s has much more in common with a rapier. The students’ translations fell somewhere in between. And we all agreed that French style favors spatial relations far more than does English. My interest in translation as a pedagogical tool resulted in articles comparing Baudelaire’s “La Cloche fêlée” and Mallarmé’s “Ses purs ongles très haut déployant leur onyx” to various English renditions whose inevitable shortcomings helped to reveal the hidden meanings of the poems.

The article composed in collaboration with Franco Tonelli showed at the very least that I had finally succumbed to the critical theory contagion by invoking authorities such as Michel Foucault, Roland Barthe, Merleau-Ponty, and Jacques Derrida. The theatrical method we developed—and that I expanded in the introductory chapter of Metadrama: the Example of Shakespeare and reduced to more manageable proportions in Corneille’s Performative Metaphors— probably did not require so abstruse a discourse. Consisting essentially of close readings of plays as plays rather than narratives or poems, a theatrical approach can probably thrive without theorizing about metadrama. A performative reading depends on a certain number of interpretive techniques. In studying the language of a play, the reader focuses on words and metaphors relevant to the stage, words and metaphors that often go unnoticed particularly when they fit unobtrusively into the mimetic aspects of the play, notably the psychological, moral, and historical behavior of the speaker. For instance, lines concerning Macbeth’s costuming show his inability to fit into the role of king. He fails not only as an actor but also as a dramatist, for the witches with the help of Lady Macbeth have imposed upon him their evil scenario. As certain twists in the plot advance the action while others serve mainly to retard it, a performative interpretation may profit from a careful examination of this alternation of forward and backward movements. I have referred to the former as illusion and the latter as elusion. Without the protagonist’s procrastinations, Hamlet would have lasted little more than a single act while Phèdre would not figure in the repertory if Hippolyte, as promised, had immediately left Trézène or if Phèdre herself had persisted in her refusal to appear on stage. In Renaissance tragedy, Jean de la Taille’s Saül le furieux, the mad protagonist whose ranting about God and the prophet Samuel takes up most of the play, dwells on the past instead of joining his sons in resisting the Philistines. While illusion consists in building up the plot and in focusing on action, elusion, by retarding the unfolding of the play, creates, so to speak, suspended time. Seventeenth-century French dramatists, in avoiding violent action on stage, required narratives, often spoken by a minor character, to inform the on-stage and off-stage audience of what hasd happened. Naturally, all such narratives mark a momentary step back into the past instead of progression toward the future.

By treating the text as a score, a performative approach postulates that a play, however accurately it may portray people and events, represents even more successfully its own theatrical manipulations. The play within the play in Hamlet provides an overt manifestation of this process, ever present in less obvious form throughout the tragedy. It so happens that dramatists tend to make their characters conform to the requirements of the stage in order to represent them more convincingly. Among Hyppolyte’s first words we find the highly theatrical: “Je me suis applaudi quand je me suis connu” while the reluctant Phèdre complains about her hairdresser and costumer thus introducing early in the play the idea of spectacle in addition to stage directions. By such means dramatists succeed in bridging the gap between the persons and events they purport to represent and the framed artificiality of saging. Although a theatrical approach cannot completely dispense with mimetic interpretations of drama, it emphasizes the self-referential aspects of plays. It so happens that displacement provides a useful tool in showing transitions from the mimetic to self-referential theatricality.

Having discovered in Molière—actor, writer, producer, playwright—the overwhelming importance of theatricality, I tackled another master of the stage: Shakespeare. I had previously written a book about Racine and devoted several articles to Pierre Corneille, dramatists considered so different from one another that many scholars with a preference for the former have shown little inclination to write about the latter. The still greater gap between Shakespeare and Racine has discouraged Elizabethan and Jacobean scholars from interpreting classical French theater and prevented specialists in classical French theater from devoting time to Shakespeare. Among the few exceptions, I must single out Jean Dubu who has provided excellent historical studies on both Racine and Shakespeare. I could write without qualms about both Corneille and Racine perhaps because I did not worry about the incompatibility between the semblance of heroic behavior and sense of honor predominating in Corneille’s dramas and the fatal weaknesses displayed by so many of Racine’s protagonists. Because of my preoccupation with theatricality, all plays, whether classical, Elizabethan, or modern became grist for my mill. Their performative aspects diminished all mimetic differences insofar as characters, however true to life or myth, tend to function at one time of another as actors, dramatists, and spectators. In no way did I invent this inevitable displacement from a so-called imitation of reality to theatricality. James Calderwood, for one, had discussed metadrama in all his studies of Shakespeare and Kenneth Burke provided the initial justification for this approach in his Grammar of Motives. Having taught a course in comparative literature on early modern theater in which I had included both French and English dramatists, I decided to apply a theatrical approach to Shakespearean tragedy by writing an article on King Lear and Macbeth, both of these plays belonging to my century if not exactly to my field. I thus tackled two of the most complex and least classical plays in the English repertory but certainly among the most theatrical. In the abdicating and verbalizing Lear I saw a king who had willfully ceased to function as a dramatist and had thereby reduced himself to acting in scenarios imposed by others before becoming the miserable spectator of his own downfall. Edgar, his successor, successfully performed the parts of madman, of villager, and of knight according to his own scenarios before acceding to the throne. By continually overreaching himself, Macbeth never could succeed in establishing a reliable scenario and fitting into a part. His failures contrast with Banquo’s endless pageant of successors including King James I who probably enjoyed the play at its first performance. He must have strongly approved of this distant ancestor, for Jean de Schélandre, during his sojourn at the English court, composed for his benefit three cantos of an epic poem entitled La Stuartide, featuring Banquo’s son, Fleance. Both Shakespeare and Schélandre found devious ways to exculpate Banquo , an active accomplice in Duncan’s assassination.

Metatheater: The Example of Shakespeare followed several years later. I limited my study to six plays. Rather than psychological verisimilitude and a realistic story, Much Ado about Nothing features country dancing with its numerous permutations and reliance on fashion. For this reason, the comedy provides displacements far different from the dramatic mimeticism of other plays. Twelfth Night features spatial displacements in keeping with the scenic divisions of the Elizabethan stage. Three sets of characters produce their own kind of illusions and elusions without too much interference from the outside apart from the enterprising mobility of Viola and the entertaining clown Feste. From a theatrical point of view, the comedy reaches a climax in the imprisonment of Malvolio. Separations also mark Measure for Measure where Duke Vincentio, the protagonist, functions as chief dramatist, director, and spectator while featuring inauspiciously in scenarios created by lesser dramatists.

Instead of including King Lear and Macbeth, I chose Othello and Hamlet. In Othello, I dwelled on the discrepancy between his stage presence as a Moor and his prestige as general and governor, a discrepancy epitomized in Iago’s referring to him as “his Moorship.” Having transformed his military tribulations and ultimate triumphs into the inevitably fictionalized narratives that Desdemona found so appealing, he becomes the victim of Iago’s story telling. Moreover, he moves from an epic style to a manner of speech closer to Iago’s demeaning language. In Hamlet, I saw a sophisticated actor unwilling to star in an outmoded revenge play rather than the victim of complexes or a person incapable of taking a decision. Basing myself on the first quarto of the tragedy, I displaced the famous “To be or not to be” from soliloquy to reading and the following scene to a comic interlude in which Hamlet, carrying the volume from which he had just read a passage, makes fun of Ophelia, a submissive non-reader who displays a prayer book no doubt handed to her by her father. In addition to the comedies and tragedies, I included The Winter’s Tale, a romance or tragicomedy based on a novel. Shakespeare’s skill in bridging the sixteen-year gap separating the first from the second part interested me most of all. I discovered that the play consisted of far more gaps than the one in time. In the first part, the paranoid Leontes imposes upon his skeptical courtiers a dismal drama in which he casts himself in the shameful role of cuckold. In the second part, the con artist Autolycus imaginatively concocts self-serving shows as false but far less harmful than Leontes’ dismal drama while Perdita, the jealous king’s cast away daughter, playing the part of Flora, entertains the audience with a poetic pastoral. Playing the part of statue, Queen Hermione comes back to life and rejoins de cast. In brief, everyone performs or serves as an audience including Time itself, transformed into a dramatist and an actor.

I had to reduce a gap of my own making in order to give a semblance of continuity to Corneille’s Performative Metaphors. David Rubin had encouraged me to publish in book form the various articles I had published on Corneille from 1958 until 1993, an abeyance more than twice as long as that of The Winter’s Tale. And like the famous romance, it consisted of two quite separate parts. Having published between 1958 and 1971several articles in which I treated various plays of Corneille as poems, I started in 1984 to interpret some of his other dramas from a theatrical point of view. Realizing that a book length study requires a minimum of continuity, I rewrote and augmented the earlier articles, left the most recent with only minor changes, and added several chapters dealing with plays I had not previously discussed. As a result, the book, far from limiting itself to previously published articles, consists for the most part of new material. I must admit, however, that while emphasizing the theatrical aspects of drama, I did not neglect whatever I may have gleaned in treating plays as poems. As these revisions consisted in blending, as best I could, a poetic with a theatrical bias, I inevitably had to conjure away their mimetic aspects, considered by many critics as essential. Completeness tends to elude scholars who often suffer from the same limitations as the ghost of King Laios in Cocteau’s La Machine infernale. Unable to a make himself visible and audible at the same moment, he fails to warn Jocasta of impending dangers.

In the ”The Greatest Roman of Them All: Corneille’s Sertorius,” I dwelled on the metaphors of division and divorce, matrimonial as well as political, while stressing the importance of greatness as resulting from moral values rather than power. In the book, a considerably expanded commentary on Sertorius stresses in addition role-playing and displacement while personified greatness functions as an actant capable of creating scenarios of its own. One of Sertorius’s problems arose from his reluctance to assume the part of foreign potentate in which Viriate insisted on casting him. Interestingly enough, the Spanish Queen, unlike our present leadership, felt little need to free other nations, including Rome itself, from tyranny: ”Affranchissons le Tage, et laissons faire au Tibre,/La liberté n’est rien quand tout le monde est libre” (1333–35). In brief, she wishes to enjoy, in the company of Sertorius, the protracted spectacle of an independent and thriving Spain.

In le “Réel et l’illusoire dans le théâtre de Corneille et celui de Rotrou,” an article stressing the importance of reasoning in French seventeenth-century literature, I contrasted the use of analogy in Le Véritable saint Genest with reliance on the concepts of “volonté” and “efficacité” in Polyeucte. While stressing the metadramatic qualities, worthy of Pirandello, of Rotrou’s religious tragedy, I failed to discuss the less obvious theatricality of Polyeucte. I made up for this lack in the book by insisting that although the Armenian prince’s rush to martyrdom overtly resulted from the power of grace it depended even more on the dramatist’s skillful use of the unity of time. Thus, divine grace required the even greater efficiency of theatricality. In short, the play favored its own operations in the course of representing a religious event. In addition, I discussed the importance of ostentatious performance, particularly on the part of Néarque and Polyeucte himself.

In recent years, I collaborated with Renée Hubert on The Cutting Edge of Reading: Artists’ Books and on several articles involving related subjects. After completing her Ph.D. at Columbia University, Renée, tired of writing about Dreyfus and the novel, published in France several volumes of poetry including Le Berceau d’Eve in 1956 at the Editions de Minuit. However, her enthusiasm for avant-garde poetry and painting eventually reconciled her with scholarship. In addition to two volumes on Surrealism and The Cutting Edge, she produced some 180 articles on a variety of subjects. Shortly before her death, she completed Cultural (dis) Connections: Memoirs of a Surrealist Scholar appearing in April, 2005, at Black Apollo Press. I naturally shared her interests. Instead of adding to our collection of rare antiquarian volumes, I joined her in acquiring Surrealist “livres de peintres” and, later on, even more recent artists’ books that pose as many questions as metadrama even though they obviously require a far different kind of reading particularly when they display only graphics. Thanks to Louis Marin and others, reading paintings has become a fixture in recent art history. Renée, an expert in Surrealist art and in relating texts and images, played the main part in treating the visual aspects of our enterprise while I contributed particularly to the verbal side. In any case, we wrote and rewrote our analyses of these hybrid works situated in the no-man’s-land between literature and art. We met many book artists both in this country and in Europe. A young artist to whom we had devoted a chapter expressed astonishment when we met him. He thought that The Cutting Edge of Reading owed its existence to youthful critics rather than to octogenarians. Perhaps he did not realize that close reading, hardly dependent on age, can deal with all sorts of creative endeavor. Actually, the study of artists’ books fits into our previous research, Renée’s far more obviously than mine insofar as The Cutting Edge of Reading provides a sequel to Surrealism and the Book. Inner coherence obviously plays a more important part in bookwork than in ordinary book production. Indeed, artists strive for cohesion among the various parts of the book by giving equal status to its various aspects such as images, typography, paper, binding, page setting, folds, collages… And while traditional volumes, whether illustrated or not, rely mainly on readability, artists’ books feature performance.

University of California, Irvine

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(2006) Volume XI, 1

Note du rédacteur

C’est avec des sentiments divers que j’assume ce poste de rédacteur en chef des Cahiers du dix-septième : de gratitude, tout d’abord et inévitablement, envers Francis Assaf de m’avoir confié cette responsabilité; de soulagement aussi d’avoir deux collègues aussi compétents que possible en Rose Pruiksma pour la gestion électronique et la mise en page et en Andrew Wallis pour les comptes-rendus; de reconnaissance envers mon prédécesseur John Boitano, qui a mis en état de publication trois numéros de cette revue.

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