Journal

La représentation du peuple dans les Mémoires du règne de Louis XIV

Article Citation
Cahiers II, 1 (1988) 1-13
Author
Pierre Ronzeaud
Article Text

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En souvenir de Michel de Certeau

 

Le peuple, si justement nommé «L'absent de l'Histoire», par notre ami trop tôt disparu, traverse pourtant épisodiquement les brillants récits de vie des mémorialistes, silhouette furtive qui se cache, comme pour ne pas obombrer tant d'éclat par tant d'obscurité. Je vais donc tenter de figer cette échappée perpétuelle des humbles hors de la mémoire culturelle collective en vous proposant quelques «arrêts sur image», stoppant le glorieux déroulement d'un passé en majesté pour isoler quelques instantanés, ou même quelques négatifs, où s'inscrive cette figure populaire sur laquelle ont porté mes recherches.

 

Réduire ainsi une problématique plus amplement développée dans ma thèse d'Etat1 à quelques aperçus généraux et à quelques exemples symboliques risque encore de diminuer la part du pauvre dans le discours historiographique et littéraire sur le Grand Siècle et de transformer son portrait en une épure par trop schématique et incomplète. Pour que cette image précaire ne se dissolve pas en une myriade d'esquisses parcellaires je vais devoir opérer des choix dans cet immense corpus. Abandonnant les Mémoires de la guerre des Cévennes (Vilîars, Cavalier...), ceux des protestants (Jean de Rou, Marteilhe...), ceux, passionnants, de Mme de la Guette, de Mme de Staal-Delaunay et le monument saint-simonien (objets d'autres publications), je m'en tiendrai donc à des cas typiques, arbitrairement désignés selon des appellations thématiques approximatives: Mémoires de la cour, Mémoires de la France «profonde», Mémoires d'«opposants», Mémoires d'hommes du peuple.

 

Je commencerai par faire quelques constatations d'ensemble. Ce qui frappe d'emblée, à la lecture de ces milliers de pages, c'est la très faible fréquence des allusions au peuple, et leur caractère redondant et stéréotypé illustrant la présence, dans l'imaginaire du temps, de cette «imago» référentielle dépréciative sur laquelle ont porté l'ensemble de mes recherches. La vision des mémorialistes recoupe en effet celle de leurs contemporains, peu soucieux de se pencher sur la vile populace: la prégnance d'une topique sociale héritée informe ainsi l'imagerie commune, par delà ia diversité des récits autobiographiques. Mais certains aspects spécifiques de l'écriture des Mémoires ajoutent en outre à la censure de la représentation des indignes ou des ignobles. L'auteur, on le sait, reconstruit le passé à partir du moment où il écrit, imposant à sa recomposition des incidences optiques liées à sa destinée personnelle (vécue ou fantasmée) et à son point de vue particulier (à prétention objective ou à destination polémique, justificatrice, compensatoire etc.), mais, s'il bâtit cet édifice original avec des matériaux empruntés à la réalité événementielle extérieure, il les lie avec un ciment culturel mêlant idées reçues sur la société et lieux communs définissant la nature humaine et les orne avec une rhétorique conventionnelle héritée de la tradition du genre de textes auxquels il se réfère. La conception fixiste de l'anthropologie contemporaine exclut toute annonce d'une évolution de l'être populaire; le décalage chronologique entre temps du vécu et temps de l'écriture, si capital dans l'autoportrait de l'auteur, ne joue aucun rôle dans la peinture figée de l'histoire immobile des masses, sauf dans les cas exemplaires où le scripteur, d'extraction misérable, a bénéficié d'un ascencion sociale que traduit son récit de vie. Nous sommes en effet confrontés ici à une perception de la causalité historique où ce sont toujours, dans une combinaison horizontale des possibles, les Grands qui font l'événement ici-bas, avec l'arbitrage de la Fortune ou de la Providence. Le peuple ne pèse pas sur des destins mus par des tempéraments et des passions nobles.

 

La finalité édificatrice des Mémoires amène en outre souvent les auteurs à se chercher des ascendants valorisants, à titre soit familial (Saint-Simon), soit exemplaire (Turenne pour Villars, César pour Retz). Ces fondateurs héroïques et les modèles littéraires sous-jacents (empruntés autant au Grand Cyrus qu'à Plutarque) interdisent le rappel d'une origine basse et éliminent toute analogie positive avec les figures mythiques populaires sollicitées dans la pastorale ou la fable morale: berger galant ou bon laboureur. Enfin la tendance à privilégier les explications par le «dessous des cartes»; interdit même que l'on prenne en compte les peuples comme témoins des événements: si le passé doit servir à fonder le présent, il faut qu'il soit noble. Comme sur le plan esthétique le vulgaire s'oppose aux archétypes grandioses auxquels se réfèrent les Mémoires, le peuple ne peut donc figurer dans ceux-ci que comme antithèse à l'intérieur d'un gigantesque oxymore culturel, à titre de repoussoir, sa différence soulignant la «distinction»; (au sens de Bourdieu) de l'auteur et de ses semblables.

 

Pourtant dans ce corpus si conformiste à cet égard, les prémices d'un discours de l'hétérologie, supposant donc la conscience de l'existence de l'Autre, s'inscrivent parfois, comme involontairement, sous le coup de force d'une réalité se plaisant à faire violence aux édifices idéologiques les plus solidement fortifiés. Et alors le peuple fait irruption sur la scène de l'Histoire. Significativement, ses principales apparitions ont lieu quand la normalité socio-politique est bousculée: soit qu'il se manifeste dramatiquement par des séditions, soit qu'il sorte tragiquement de l'ombre en période de misère pour crier famine: en gros quand il tue et quand il meurt. Son surgissement sur le théâtre public est donc le symptôme d'une maladie du corps étatique. Ces moments d'émergence maximale se situent dans les relations de la Fronde, dans le récit de la meurtrière construction de l'aqueduc de Maintenon dans les allusions à la révolution d'Angleterre ou à la guerre des Camisards, et dans le tableau hallucinant (chez Challe, Saint-Simon ou Jamerey-Duval) des graves disettes de la fin du siècle et des années 1710. Deux maïeutiques, liées à la violence et la souffrance, président donc à la naissance textuelle d'une image du peuple qui engendre elle-même des connotations opposées, grosses de peur ou fécondes en commisération.

 

Rares sont les autres inscriptions de l'être populaire dans ces Mémoires. Quelques-unes ont une source collective et renvoient à une thématique répétitive: passages théoriques sur les relations roi-sujets, considérations économiques ou morales sur le travail, appels à la charité, à la conversion ou à la résistance (lors de la Révocation), descriptions des cérémonies monarchiques où le peuple peut intervenir comme spectateur (Entrées royales) ou comme acteur (fêtes, feux de joie). D'autres ont une origine privée liée à la vie quotidienne de hobereaux de campagne (Dumont-Bostaquet, madame de la Guette), ou à la sortie de l'environnement habituel (Choisy habillé en femme donnant le spectacle de sa générosité séduisante aux jeunes grisettes du marché, Fléchier écoutant les paysans plaideurs des Grands Jours d'Auvergne, Forbin emprisonné avec les corsaires de Jean-Bart, ou Villars en butte aux «fanatiques» des Cévennes).

 

Tentons, maintenant, de quitter les généralités, pour nous attarder sur certaines de ces images collectives ou particulières, en usant d'une sorte de critère de sélection différentiel nous permettant de nous attacher à chaque fois, et seulement, aux réprésentations les plus caractéristiques de la vision propre à chaque mémorialiste.

 

Partons de la Cour: les Souvenirs de madame de Caylus nous font pénétrer dans le vécu intérieur du groupe dirigeant, où figure majestueusement sa tante, madame de Maintenon, mais ils ne nous offrent aucune image de ce peuple si éloigné du sérail versaillais. Prenons le terrible hiver de 1692, après la glorieuse mais coûteuse prise de Namur, elle écrit: «Les hivers ne se ressentaient point de la guerre: la cour était aussi nombreuse que jamais, magnifique et occupée à ses plaisirs...»(102), ce qui scandalise justement Challe ou Saint-Simon et se trouve même contredit par le plat Dangeau, dans son Journal, le 17-11-1692. Seule présence (si l'on peut dire!) des humbles, cette notation anecdotique: «le carrosse de madame de Montespan passa sur le corps d'un pauvre homme sur le pont Saint-Germain» (103).

 

Madame de La Fayette qui tient registre pour les années 1688 et 1689, insiste au contraire beaucoup sur un événement qui sera surtout invoqué par les contempteurs de la coûteuse politique de grandeur monarchique: l'hécatombe liée à la construction de l'aqueduc de Maintenon, en 1676. Dès la première page de ses Mémoires, elle note le contraste entre le projet du Roi que cherche à remodeler la nature pour y inscrire le sceau de sa puissance et le drame vécu par les soldats et les ouvriers employés à cette oeuvre démiurgîque. Mais là où Saint-Simon ferait appel aux châtiments divins pour punir l'Ubris d'un nouveau Nabuchodonosor, elle ajoute seulement: «cet inconvénient ne paraissait digne d'aucune attention dans le sein de la tranquillité dont on jouissait»(12), la paix rendant la perte de trent mille hommes sans gravité. La mémorialiste regarde de très haut la suspension de la partie d'échecs militaire qu'elle a pour charge de narrer, n'accordant aucune importance à la destruction de pions qui ne figurent pas dans le jeu héroïque de l'Histoire. Derrière ce masque de greffier enregistreur on ne découvre pas les sentiments de l'auteur si sensible de La Princesse de Clèves à l'égard des morts qu'elle couche sur les pages glacées de sa relation. Pour clore ce tableau réduit au diagnostic de l'usure d'un outil, une dernière mention: «On voulut aussi faire marcher deux bataillons qui étaient à Versailles et qui revenaient de travailler à Maintenon, mais ils étaient en si mauvais état qu'il fut impossible des les y envoyer, car on ne put jamais trouver que cent hommes qui pussent marcher» (28): s'il n'y avait le mot «hommes», on pourrait croire qu'il s'agit d'instruments détériorés. Plus loin, elle reproche à Vauban sa parcimonie en la matière: «Monsieur de Vauban n'était occupé que d'épargner du monde et craignait extrêmement les actions de vigueur» (20). Entre le déplorable gaspillage de matériel des travaux de Maintenon et l'économie paralysante du Maréchal, on peut supposer qu'il y a un point d'équilibre efficace suggéré, un rapport de rentabilité entre profits et pertes à trouver, car on ne fait pas l'Histoire sans casser des hommes. Les confidences intimes de madame de Caylus et la chronique froidement événementielle de madame de La Fayette se rejoignent dans la même vision d'un peuple n'existant qu'à l'état de cadavre anonyme.

 

L'abbé de Choisy, considéré comme un esprit brouillon tant à cause du désordre de sa conduite qu'à cause de la désinvolture de sa narration, est un mémorialiste à métamorphoses qui se présente à nous comme historien dans ses Mémoires pour servir à l'Histoire de Louis XIV et comme autobiographe fabulateur et pervers dans ses délicieux Mémoires de l'abbé de Choisy habillé en femme, mais qui, dans les deux cas, témoigne d'une grande sympathie pour le peuple. S'il part conventionnellemenî de la relation d'amour roi-sujets dans son ouvrage officiel, il n'hésite pas à dédoubler son constat: le couple se soude d'abord dans une affection d'autant plus intense que la maladie de l'un (la fistule) ou que la misère de l'autre (les famines) la dramatise, puis il résiste aux coups de la guerre, du gaspillage, de l'imposition excessive, ces désastres étant imputés exclusivement aux ministres et aux financiers. Choisy donne donc à voir l'interrélation du mythe et de l'Histoire dans l'élaboration de l'image ambiguë d'un vécu paradoxal. Apprend-on la naissance du duc de Bourgogne: «le bas peuple paraissait hors de sens: on faisait des feux de joie de tout; les porteurs de chaises brûlaient familièrement la chaise dorée de leur maîtresse» (110), craint-on pour la vie du Roi: «les moindres du peuple quittaient leur travail pour dire ou pour redire: on vient de faire au Roi la grande opération» (116-117) et, réciproquement, c'est parce qu'il fut «fort fâché d'apprendre que les maladies populaires s'étaient mises dans les troupes» que Louis XIV fit abandonner les travaux de Maintenon (152). Il n'y a donc pas de solution de continuité entre la notion de couple idyllique roi-sujets et la constatation de la misère du peuple, accident de parcours conjoncturel dans le devenir d'un modèle politico-économique qui repose sur une structure d'échange sentimentale etvitale, comme chez La Bruyère.

 

Le journal intime de Choisy travesti offre par contre une vision plus originale du peuple, même si le facteur ludique, le plaisir du déguisement et le goût du scandale l'emportent sur toute autre motivation. II fréquente les parents corroyeurs de la jolie Charlotte qu'il nomme «mes cousins» (302), des «porteuses d'eau» et des «fruitières» qui rendent grâce à ses aumônes en lui répondant, pour son plus grand ravissement «voilà une bonne dame, Dieu la bénisse». Une marchande de pomme es'extasie devant une charité, bien coquine et coquette pourtant (304): le peuple contribue ainsi, cas rarissime, à l'élaboration de l'image du moi du mémorialiste. Ce n'est pas par philantropie qu'il se mêle aux petites gens, mais par narcissisme. Il cherche dans les quartiers populaires un public naïf et facilement émerveillable, des proies que le luxe de ses atours et de ses bijoux, que la noblesse de ses grandes manières suffisent à séduire. C'est sa marginalisation de travesti qui conduit Choisy a abandonner épisodiquement son environnement naturel pour s'immerger dans une foule populaire très féminisée où les valeurs martiales de la noblesse d'épée n'ont pas la même puissance sociale que dans le monde qu'il quitte. Transgression des codes moraux et sociaux vont de pair, sans rupture idéologique pour autant, même si le peuple qui l'acclame peut aussi monter sur scène pour lui donner la réplique, comme dans cette chanson qu'il cite avec une savoureuse jubilation: «Tout le peuple de Saint-Médard / Admire comme une merveille / Ses robes d'or et de brocard, / Ses mouches et ses pendants d'oreille, / Son teint vif et ses yeux brillants...». Etonnant jeu spéculaire où le peuple devient «son petit miroir / dont il s'idolâtre lui-même» (304). L'acteur déguisé et le peuple complice collaborent pour créer une fête joyeuse, qui vise à combler quelle solitude, quels fantasmes, je ne sais, mais où le sentiment d'irréalité et celui de sincérité, comme dans tout univers onirique, ne se contredisent pas, et contribuent paradoxalement, par surcharge égotiste, à donner une image réelle et altruiste de cet Autre exclu: le peuple.

 

Il faut un tout autre contexte pour trouver l'équivalent: les Mémoires d'un gentilhomme campagnard, Isaac Dumont Bostaquet. Là, le peuple accompagne intimement chaque événement de la vie familiale de l'auteur, participe à ses deuils (53, 73), sauve ses enfants d'un incendie, le suit dans son dangereux exil en Hollande. Une chaîne de solidarité lie ce soldat au courage, fût-il ancillaire, et l'image qu'il donne de ses paysans est animée de la chaleur des échanges vitaux. Il peut citer, malgré le recul du temps, les noms de ces humbles dont la présence, si proche, était comme consubstantielle à sa propre existence: Marie Lubias, Antoine Dubosc, Renout, Jehanne Mayeu (78, 118). C'est la communauté des destins et non une option philosophique qui cimente l'union entre des êtres socialement aussi éloignés, mais l'écho si peu classique des patronymes de ces oubliés de l'histoire du Grand Siècle, donne à l'épopée familiale du hobereau normand, une musicalité exceptionnelle qui avait déjà frappé l'oreille de Michelet (Demont-Bostaquet, Introduction 20) et qui restitue surtout à l'homme du peuple sa dignité d'individu.

 

Les Mémoires d'opposants à Louis XIV offrent un tableau polémique de la réalité historique où le peuple tient une grande place, à titre de martyr collectif, sans qu'il y ait toujours, par delà le procès idéologique intenté à l'absolutisme louis-quatorzien, une vérité affective du témoignage aussi sensible que dans les cas précités. Deux exemples suffiront à le montrer. La Fare, plus préoccupé de satisfactions matérielles hédonistes que de spéculations politiques, voulait pourtant faire de ses Mémoires une somme anthropologique et philosophique.

 

Malgré l'inachèvement du projet, le peuple apparaît à la fois comme partie d'un corps politique idéal, équilibré et heureux (reflet de l'éthique antique de la médiocrité dorée permettant la quête épicurienne de la félicité personnelle) et comme partie d'une nation particulière, ruinée et écrasée, victime de la démesure royale. Le témoignage dénonce donc une rupture d'harmonie, mais il porte plus sur l'Ubris monarchique que sur les souffrances endurées par les pauvres affamés, pièces à conviction dans un réquisitoire plus qu'objets de réelle compassion, comme l'atteste cette réflexion concernant la paix de Nimègue: «Le roi, dont l'autorité était sans borne, s'en servit pour tirer de ses peuples tout ce qu'il pouvait tirer pour le dépenser en bâtiments aussi mal conçus que peu utiles au public... Imitateur des rois d'Asie le seul esclavage lui plut...»(La Fare, 186).

 

Challe est un romancier, habile à typer des caractères, sachant particulariser des événements publics: quelques protagonistes populaires sont donc les héros de véritables petites nouvelles intercalées dans ses Mémoires, tel ce savetier accusé de concubinage qui déchaîne l'hilarité des juges en plaidant préférer «faire gobine» (boire) plutôt que payer la taxe sur la publication des bans (105). Sinon son utilisation du peuple s'avère tout aussi polémique: les malheurs de celui-ci servent à illustrer ce jugement porté dès le premier chapitre: «Il aurait été fort avantageux à la mémoire de Louis XIV qu'il fût mort trente ans plus tôt.» (17) Devant les tribunaux de la postérité et du jugement dernier il réclame la punition de son bourreau: «Il n'a point été foudroyé, mais si la voix du peuple est bien la voix de Dieu, la place où il est à présent ne doit pas être enviée» (7) écrit Challe à la mort du roi. La plainte des pauvres constitue un leitmotiv dramatique que relaie même la voix du pape affirmant que Louis XIV «n'aurait pas dû s'en prendre à Jésus-Christ lui-même en le persécutant dans ses membres, et que Dieu, tôt ou tard se vengerait de tant d'excès», (192) ce qui n'est pas sans étonner chez un auteur pour le moins déiste. Le constat est accablant: «il a fallu augmenter les tailles et en faire supporter l'imposition aux pauvres dont la quote part a été si fort outrée que les provinces en sont absolument ruinées, surtout le bas peuple». (20) Challe exhibe de multiples preuves de l'injustice royale: un rapport officiel de l'intendant du Poitou représentant «avec sincérité la misère du peuple, l'impossibilité où il était de cultiver la terre, faut de grains et d'animaux de labour qu'on lui enlevait» (42), l'augmentation du prix du pain en 1697 (216-217), la misère des hôpitaux qui conduit, faute de lits, à laisser mourir les gens «sur des tas de boue, en pleine rue»; (168). Si l'on ajoute à ce terrible panorama l'horizon tragique des guerres présentées comme de véritables boucheries (179), les lueurs inquiétantes que projettent les révoltes alimentaires (217-218), on aboutit à une effrayante représentation de la condition populaire en ces temps de despotisme. Mais, pour proche qu'il soit des Lumières, Challe n'en reste pas moins très éloigné d'une vision démocratique de type rousseauiste. Dés qu'il sort de la polémique contre Louis XIV, ses jugements propres trahissent son mépris très élitiste de la nature populaire basse, grossière et serville. L'homme du peuple peut souffrir, on peut le défendre, il ne saurait être un égal. Challe décrit un combat naval désespéré: il note qu'il faut pour surmonter la terreur «une élévation d'âme dont les matelots et les soldats sont incapables... C'est un degré d'héroïsme où des gens de vile et basse naissance ne peuvent pas atteindre» (187).

 

Ces distorsions entre image politico-économique et image socio-anthropologique du peuple sont fréquentes: les plus saisissantes se rencontrent chez Saint-Simon mais on en trouve aussi, paradoxalement, chez les mémorialistes d'origine populaire: Cavalier, Marteilhe, Jamerey-Duval (que je prendrai comme seul exemple).

 

Je focaliserai mon analyse de ses Mémoires sur le seul récit de son évasion hors du milieu paysan aliénant: là se lit le mieux l'opposition entre son dynamisme et l'immobilisme des autres enfants de la campagne. Ainsi se découvrira la distanciation culturelle qui sépare l'appréhension du moi et du monde qu'avait un petit gamin inculte et celle qu'a un adulte cultivé, doté d'un tout autre idiolecte et d'un tout autre sytème référentiel. Le narrateur met manifestement en perspective son point de départ misérable et son point d'arrivée magnifique: son itinéraire constitue ainsi une sorte de parcours initiatique ponctué d'épisodes symboliques. Au moment où il décide de s'éloigner de sa «déplorable famille», Valentin tombe dans un trou plein de boue et pense y mourir. Le vocabulaire utilisé (fosse, tombeau), la nature du piège (argile, limon), le processus de résurrection («je recouvray figure humaine»), la fonction lustrale de l'eau, le réveil baigné de soleil, tout fait de cette première fuite du milieu paysan originel, de l'émergence hors de cette matrice terrienne (114-115), une nouvelle naissance ouvrant sur l'univers de la liberté et des lumières. Devenu berger, il connaît une aventure parallèle qui va lui permettre d'échapper au statut de garçon de ferme. Tombé dans un puits avec un agneau (signe analogique de la glèbe précédente), il manque encore de succomber, puis se fait chasser par le fermier qui l'employait pour avoir organisé avec ses «ouailles» un carrousel: activité contre nature et référée à l'univers noble qui a valeur propitiatoire. Le monde de la terre-mère et le monde des moutons-frères (il dit «les deux animaux» pour son compagnon ovin et lui-même) sont ainsi dramatiquement quittés pour que s'ouvre le «chemin pavé» qui conduit à la ville (129).

 

En face de cette ouverture miraculeuse Jamerey-Duval souligne la clôture «naturelle» de l'univers des autres paysans, rivés à leur lieu de naissance et au rôle immuable qu'ils doivent y jouer, «rustres» qui répètent «comme un axiome» ce «proverbe trivial»: «là où la chèvre est attachée, il faut qu'elle y broute» (133). Sa rupture est dite significativement par un rejet des stéréotypes les plus fréquemment rencontrés dans mon étude des images du peuple: l'être «englébé» et l'animal domestiqué. Elle sera confirmée par d'autres épisodes structurellement identiques (enfoui dans le fumier auprès de pauvres moutons agonisant comme lui, il préférera être Lazare que Job, puis s'élèvera à la contemplation des étoiles et entamera une réflexion sur l'astronomie qui débouchera sur une forme de théologie naturelle le renouvelant complètement comme la fièvre l'a purgé de son identité antérieure (165), tandis que ses malheureux voisins mourront sans avoir regardé plus haut que le toit de leurs «tristes chaumières») (164). Comme contre-épreuve, je rappellerai seulement que lorsqu'il verra, bien plus tard, en l'opulente Lorraine où il sera devenu un savant académicien, passer des paysans français, il les peindra comme «des figures humaines dégradées par des visages de moribonds» (168), marquées du sceau de la misère et de la servitude. Ainsi la dissémination et les retournements des images de la mort opèrent, dans ces Mémoires, une série de clivages symboliques distinguant à jamais Valentin, plusieurs fois «mort» pour apprendre à vivre de ces «morts-vivants» que sont ses compatriotres prisonniers de leurs sabots de torture.

 

Le propos de Jamerey-Duval est donc bâtard et à double tranchant: d'un côté il détruit le mythe de la supériorité noble en offrant l'image d'un autodidacte ayant accédé à la noblesse vraie, celle du savoir, par son propre mérite; de l'autre côté, il conforte la représentation de la stupidité populaire en opposant la passivité végétative des siens à son autocréation spirituelle. Parlant des paysans auxquels il ne ressemble plus, il raconte avant tout sa différence, il retrouve le langage discriminatoire de ces aristocrates qu'il méprise pourtant, et il reprend involontairement ces topoï dont il conteste la valeur: comme si l'on ne pouvait dire l'Autre, l'inférieur, le dissemblable, en échappant aux images convenues, aux imagines qui informent la représentation sociale, quel que soit le point d'observation d'où l'on se situe, quelle que soit la finalité de son observation, quels qu'aient été les modes de construction de sa vision.

 

En conclusion j'insisterai sur le paradoxe des Mémoires où, en ce qui concerne mon champ d'investigation, l'écriture se joue de l'idéologie. Bien sûr le bilan global fait apparaître des facteurs de variation de l'image du peuple liés à la conjoncture (séditions, famines), mais ceux-ci opèrent différemment suivant que le mémorialiste «voit» ou non le peuple réel par delà les stéréotypes qui informent sa perception de la société. La peur, la charité, la reconnaissance du labeur utile jouent dans mon corpus un rôle moindre que la marginalisation qui permet à quelques individus de se sentir occasionnellement rejetés, donc «peuple» (par déviance morale, religieuse ou affective), même si ces représentations subjectives ne modifient pas fondamentalement l'imago culturelle dépréciative de l'être populaire. En effet, le mémoraliste découpe à chaque fois dans la masse du peuple une catégorie spécifique qu'il considère non pour elle-même, mais d'un point de vue réflexif, comme un moyen d'épiphanie personnelle, comme un accessoire dans la mise en scène de soi. La mise au jour des humbles procède d'une redécouverte narcissique du monde et non d'une vision objective de la réalité sociale; elle est instrument ou reflet de l'affirmation de la présence de l'auteur dans l'Histoire. Et pourtant, comme dans les tableaux de Le Nain, cet éclairage latéral et secondaire illumine mieux l'homme du peuple que les discours théoriques philanthropiques contemporains.

 

Il est vrai que le peuple, que ces Mémoires ont le mérite de faire exister, reste en deçà, en dessous et à côté de l'histoire autobiographique de l'auteur et, a fortiori, de l'Histoire de la France sur laquelle il témoigne. Mais, par rapport aux traités philosophiques ou politiques du temps qui véhiculent des représentations séculaires figées, ces textes, par la coloration du style, par la dramatisation de la narration, esthétisent de façon originale la peinture de l'individu populaire.

 

Parler d'hommes du peuple dans ses Mémoires, c'est déjà les sortir de l'oubli où ils sont généralement confinés ou de la réduction conceptuelle où les emprisonne l'idée de «peuple»; c'est encore, par la médiation d'une écriture irréductible à celle d'autrui, en particulariser l'image, en faire un lieu propre d'expression vivante, et non un lieu commun vide de présence réelle, et rendre à chaque humble silhouette sa part de dignité humaine. Paradoxalement, c'est en parlant d'eux-mêmes, en décrivant le réel à travers leurs fantasmes, en le transformant par l'arbitraire de leurs choix stylistiques, que les mémorialistes donnent parfois à ce peuple, «Autre» de l'Histoire, une réalité humaine fragmentaire qui fait de chaque individu, ainsi doté d'existence textuelle, plus simplement un autre (avec une minuscule), c'est-à-dire un homme inférieur, différent, mais aj'ant quand même droit de cité, droit d'être cité.

 

Université d'Aix-Marseille I

Note

 

Les représentations du peuple dans la littérature politique en France sous Louis XIV. Les deux premières parties publiées par l'Université de Provence (v. Ouvrages cités)

 

Ouvrages cités

Caylus, Marthe, comtesse de, dite Madame de Caylus Souvenirs. (Paris: Mercure de France, 1965).

 

Challe, Robert. Mémoires (extraits). (Paris: Pion, 1931).

 

Choisy, François Timoléon, abbé de. Mémoires. (Paris: Mercure de France, 1968).

 

Dumont-Bostaquet, Isaac. Mémoires. (Paris: Mercure de France, 1968).

 

Jamerey-Duval, Valentin. Mémoires. (Paris: Le Sycomore, 1981).

 

La Fare. Mémoires. (Paris: Charpentier, 1884).

 

Lafayette, Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de Lafayette, dite madame de. Mémoires de la cour de France pour les années 1688-1689. (Paris: Galic, 1962).

 

Ronzeaud, Pierre. Peuple et représentations sous Louis XIV. (Aix: Université de Provence-Publications/ Diffusion, 1988).

 

Site Sections (SE17)

Teaching the Seventeenth Century: Modernity, Motives, and Further Reflections on Critical Literacy

Article Citation
Cahiers XII, 2 (2009) 71–86
Author
Larry Riggs
Article Text




In my paper for the Fall 2006 SE 17 conference, I focused on the issue of pedagogy as it arises in some major seventeenth-century works. As part of that project, I used Ursula Kelly’s concept “critical literacy” to help define what I believe happens when we read literary works—or, indeed, when we interpret any kind of communication—with motives, including our own, in mind. In this paper, I want to pursue further my effort to approach canonical seventeenth-century works in a way that brings them alive, that undermines their status as safely neutered—though ever-so-magnificent—museum pieces. Critical literacy is seeing reading itself as an issue; it is accepting responsibility for interpretation as an ethical act, which engages the reader as a contingent, motivated being. Also important to note, by way of introduction, is my belief that the canonical works I am reading and writing about are, themselves, concerned with the issue of interpretation. In this essay, I will read a number of canonical works as cautionary tales about reading and about the early modern anxiety over ambiguity.

As I have continued investigating the formation of the dominant version of modern culture and the issues of interpretation, pedagogy, and epistemology as they relate to modernity, I have discovered some more concepts and critiques that complement and clarify Kelly’s “critical literacy.” Kelly contrasts critical literacy, which reads for ambivalence and contestation in the very texts that constitute the canon, with cultural literacy, which uses reading of the canon as a means of social and intellectual control (1). The canon too often functions to enforce not only a certain view of what constitutes great literature, but also a limited repertory of acceptable, orthodox approaches to reading. A canon can thus be an impediment to truly critical thinking. Postmodernist sociologist Zygmunt Bauman usefully adds to Kelly’s view of literacy by distinguishing emancipatory reason from instrumental reason. Bauman even identifies certain literary figures as belonging to an ironic, irreverent counter-culture that resists mainstream modern culture’s passion for order, neat categories, and taut discipline (Tester 29, 18). I will be arguing here for adding the writers I look at to Bauman’s list of counter-cultural figures. These, I contend, are writers who work to keep ambivalence, rather than certainty, at the heart of the literary enterprise.

Bauman argues that maintaining ambivalence in the midst of modernity, which he calls the era of certainty, is crucial. Resisting the reification or ossification of the human world, which I associate with canon-formation of all kinds, is a vital function of literature and of reading. J. P. Singh Uberoi writes about an “other mind of Europe” that rejects the mind/body and subject/object dualisms which are fundamental to modern epistemology and, obviously, to conceiving reading as consumption of a stable textual object by a stable reading subject (11, 23). Reading is not neutral absorption or transparent observation. Canonical works need not be treated as fetishized items of exchangeable property. Uberoi argues convincingly that there were always alternatives to what became the dominant version of modern culture. As I prepare to teach my seventeenth-century course next spring, I am looking for ways to incorporate these new concepts and insights.

Speaking of dualisms, the “other mind” anticipates cognitive science and neuroscience by recognizing that mind is part of an integrated whole organism fully interactive with a physical and social environment (Damasio Descartes’ 252). Mind has its roots and performs its functions in a biologically complex, fragile, finite, unique organism. Therefore, there should be no epistemological discounting, much less any denigration, of the body, and knowledge can be neither objective nor universal. In a book provocatively entitled Descartes’ Error, neuroscientist Antonio Damasio validates the insights of the other mind, arguing that the mind/body is a network of relations and operations, with emotion as much a part of reason as the “lower brain” system is of thinking (xvii). Though it was wrong in detail, it seems that the theory of the humors and the general approach to medicine that prevailed from Hippocrates to the Renaissance was correct in principle. Descartes’ effort to emancipate the subject from the influence of the object rejects what earlier models of knowledge—scholasticism and theories of vision, for example—accepted. This is a major aspect of mainstream modernity to which the other mind might have offered, might still offer, an alternative. In another book, Damasio argues that Baruch Spinoza saw drives, emotions, and feelings as central to all human qualities and activities, including reason, and thus that Spinoza exemplifies the awareness that motives and interpretation are integral to the quest for knowledge (Looking 8). As Damasio sees him, then, Spinoza belongs with Bauman’s counter-cultural figures; he is an exemplar of Uberoi’s other mind.

These preliminary remarks are important for understanding the contentious cultural context in which early modern literature was produced. The most recent insights of neuroscience and postmodern theory were anticipated by a number of early modern writers, and modernity itself was always a locus of struggle. Preparation for critical reading of early modern works requires appreciation of the issues that preoccupied thinkers and writers of the period. As Robert N. Watson points out in his 2006 book, epistemological anxiety and craving for unmediated knowledge in any form were facts of early modern life (3). The argument over whether progress or regress was the route to certainty began in the Renaissance. In my view, pastoral can be read as meditation on this issue: is a return to origins possible? Can we return to the lost sensual past, escaping the mediations of civilization? Does the desire for such a return actually express itself in mere adoption of a disguise; is it always mediated, or is there still some human essence to which we could return and in which we would find a solid foundation for self-knowledge and knowledge of external truths? Clearly, L’Astrée can be read as a long, ambivalent exploration of this problem. What is the relation, if any, among identity, costume, and truth? Fears of unstable identities and meanings motivated sumptuary laws as well as increasingly aggressive, even violent efforts to explore, penetrate, and manipulate human others and the non-human world. Fear, loss, and desire—motive—are inseparable from this enterprise.

For me, Montaigne’s “Des Cannibales” is an admirable catalogue of major problems in epistemology and interpretation—in reading—and therefore an excellent point of entry into both seventeenth-century literature and critical literacy. In the essay, Montaigne begins by making it clear that what he will write is based significantly on what he has read, that his knowledge of the Brazilian Tupinambas is mediated. He refers to ancient texts and to the relativity of the term barbare (234). He mentions the mismatch between our expansive curiosité and our limited capacité and, appropriately, alludes to desire for conquest as the engine of discovery (231). What passes for truth is linked to the desire for power and profit. Montaigne goes on to point out that the very earth, even in the places that we “know” best, changes (232). Like us, the earth is a body, and it changes, as we do. So, what we have knowledge about is as unstable as are we, the knowers. Even without the cultural destabilization that comes with exploration—motivated by the desire for conquest—we should be aware that knowledge has no solid foundation, no changeless object, and no permanently stable subject.

Next, the essay deals explicitly with mediations—témoignage—and the various motives that can lead to distortion or embellishment of the truth (233–34). Here, Montaigne anticipates Pierre Gassendi on the dubiousness of language. Montaigne mandates critical reading by observing that not only the meaning of barbarie, but all of what we call vérité and raison, are contingent cultural constructions (234). He associates complex civilization with falsehood and expresses admiration for the Tupinambas’ lack of interest in territorial conquest (240). The essay’s ironical last words—”mais quoi? Ils ne portent pas de haut de chausses” (245)—are a reference to European anxiety about the relation between vestimentarry signs and identity and, it seems, an admission that Montaigne, too, is reading and interpreting from within his “own” cultural context. “Des Cannibales” deploys and simultaneously undermines the epistemological and interpretive resources available to Montaigne and his fellow Europeans. It evokes the motives—particularly the lust for conquest and profit—that energize the drive for exploration and thereby bring Europeans into contact with the phenomena that their cultural constructions cannot account for. The essay expresses the early modern preoccupation with the arbitrary, prejudiced, unstable nature of perception itself and exposes the desire for a legible world.

To recognize the presence of desire or motive at the heart of the quest for knowledge, and thereby to acknowledge the relation between desire for knowledge and desire for power, and between both and a sense of lack, is to accept loss and risk as ineluctable elements in the process of interpretation. To read critically is to feel, and to resist, the wish to read definitively in order to acquire cultural capital or property. Richard Sörman provides useful insight here, enabling us to connect the ideas of risk and loss with Molière, in particular. Sörman argues that Molière systematically challenges the possibility of certainty, which is what his ridicules seek (9). The desire for complétude is associated by the characters with the search for truth as a means of attaining certainty, and certainty is identified with dominance and control (12). Duped by pretenses of knowledge that promise them power, while enabling them to deny their desire, its origin in loss, and its attendant risks, the ridicules become participants in imposture, which is, in fact, the very worst kind of uncertainty. They try to retire from exchange (Sörman14), and their pretensions destroy connection. The craving for unmediated knowledge leads to the fetishization of the person or medium identified with that knowledge. In fact, the fetish is often language, itself. Molière’s plea, in the “Préface de Tartuffe,” that we think and speak—discourir—of things, not of words (257), reflects, as do his major plays, his awareness of the dangers of fetishization, of making signs prior to and more important than what they inadequately represent. The craving for unmediated knowledge leads to the fetishizing of mediations, to their substitution for objects of desire that entail the risk of loss. The lust for certainty, stability, and transparency thereby actually produces opacity. A mediation becomes, in effect, a screen or a wall. To focus on the mediation is to ignore the real.

In Molière’s Tartuffe, Orgon’s mental and moral enslavement to Tartuffe is based on a misinterpretation, or, perhaps more significantly, on an abdication of the responsibility to interpret. Motivated in large part by Orgon’s desire to deny his own desire and to live without risk, his acceptance of Tartuffe as an embodiment of truth amounts to a fetishization. That Orgon’s misreading permits him to overestimate his own power and stature is obvious when, in Act I, scene 5, he describes his first encounters with Tartuffe. The hypocrite has seduced his mark by making the latter feel important, even transcendent. Tartuffe’s performance has been calculated to advance his interests by exploiting Orgon’s motives. Significantly, among these motives is Orgon’s desire for control of his wife: “Et plus que mois six fois il s’en montre jaloux.” (l 304) Like a number of Molière’s other characters, Orgon believes that he can extend his own knowledge and power by employing a spy. In a sense, Tartuffe dupes Orgon by impersonating him: by embodying Orgon’s own desire, fear, and jealousy. Orgon is thereby enabled to cherish the illusion of freedom from problematical, potentially painful emotions. To be a dupe is to believe in relationships without motives and risk. It is to forget that language, however it purports to be linked to truth, is a mediation, that all mediations are constructed, and that all constructs are saturated with desire. Misreadings of the other are motivated by the desire to misread the self. The possible gap between religious words and gestures and underlying character is one of the many reasons for the early modern worry about the relation between what we might call “decor” and “true” identity. To acknowledge desire is to live in and with uncertainty.

Molière’s femmes savants, too, misread and fetishize an impostor whom they take for a source and guarantor of power for them. Again, a misinterpretation is motivated by the desire to deny or hide desire. By associating the self with a form of putative transcendence, Sörman argues, the learned ladies think they can short-circuit the contingencies of desire and make themselves entirely self-sufficient (185). Like Orgon, they forget that language is always a mediation and that to substitute a medium for a true object of desire, however well the operation may appear to banish the anxious sense of lack, is to worship a fetish and, thereby, to become an object, oneself. The idealized, would-be transcendent self is, in fact, a reified abstraction, another fetish. The ladies’ discourse is, throughout the play, dependent for any real sense on implicit, metaphorical references to the physical, to sex. Mentalist, précieux rhetoric cannot really hide desire.

In Act III, scenes 1 and 2, the ladies’ poorly disguised lust bursts through the surface of their language, as they rhetorically consume their fetish in an orgy of worship and reproduction. In the process, they become mere verbal breeding stock, copying devices for a plagiarist. Like Orgon, they misread another because they have first misread themselves. The savantes’ obsession with grammar is made more relevant as an example of obtuse misreading by the fact that French, like the other “national” languages, was/is, in part, an invention (Rifkin 189). The ladies’ ambition mocks one of the most serious projects of modernity: to facilitate the centralization of power and create larger, more powerful markets, by synthesizing and imposing national languages. The obsession with the “purity” and “correctness” of language is clearly related to Alceste’s mania for sincerity, in Le Misanthrope.

Antony McKenna is correct, I think, to include Alceste among Molière’s great impostors (73–102). The misanthrope is another dupe who tries to establish exploitable truth by making a mediation into a fetish. Alceste’s obsession with sincérité reflects his wish to escape from the obligation to interpret, his desire to rule over a realm where language will be a transparent disclosure of others’ most intimate truths. He is a particularly useful example for my purpose because he literally misreads a text in order to gain power. Molière contextualizes the episode of Célimène’s letter so as to make clear both Alceste’s misunderstanding of the status of language, in general, and his motives for misreading Célimène’s letter, in particular. The example of Alceste also permits us to see clearly that, in early modernity, woman often stands for all that resists the desire for comprehensive, stable knowledge. Watson points out that, in English Renaissance tragedies, there is often an emphasis on reaching and extracting a woman’s “truth” (31). Alceste wants to use language as a tool of penetration, an instrument of torture, and a form of vivisection. He pretends that, by obtaining Célimène’s letter—and, of course, ignoring the motives of Arsinoé, who “revealed” it to him—he has extracted her deepest truth.

Alceste’s inquisition into Célimène’s truth, his effort to penetrate and dissect her interior, is highlighted by his misreading of her letter. At the end of Act III, scene 5, Arsinoé has offered Alceste not only a pleine lumière to illuminate Célimène’s interior being, but also, implicitly, herself as consolation for the disillusionment he will feel after reading the letter. So, Alceste’s reading of the letter is framed by Arsinoé’s motives for showing it to him and his for accepting her offer. In Act IV, scene 2, Alceste, having read the letter, announces to Eliante and Philinte that he has experienced the equivalent of “le déchaînement de toute la nature.” (l 1221) Linking woman and nature as fearsome threats is symptomatic of early modernity’s preoccupation with epistemological instability and exemplifies the use of woman as both the symbol of the loss of certainty and the obstacle to regaining it. When Alceste says that it is a letter that has revealed Célimène’s perfidy, Philinte immediately suggests that a letter can be deceptive and must be read—interpreted--cautiously. Alceste rejects this responsibility, preferring to regard the letter as a bit of certainty so concrete, so objectified, that he can actually carry it in his pocket.

Rather than a metaphorical space where motives meet and interact, then, this text is, for Alceste, a stable object whose possession gives him both knowledge and power. He makes all of the mistakes denounced by Montaigne. Alceste treats a mediation as if it were a revelation, and, in the next scene, he excoriates Célimène in language that evokes the Inquisition and a judicial proceeding. Alceste tries to gain decisive power over Célimène by acquiring and flaunting definitive knowledge of her. She easily deflects his effort to penetrate her by suggesting that the letter may be an example of just what he likes to denounce: insincerity. Its flowery expressions of regard ought to reassure him, since he has denounced such flattery as so conventional and promiscuous as to be obviously false. Alceste’s attempt to establish a stable, potent identity for himself by objectifying Célimène collapses in the contingency of his reading. He exemplifies a modern tendency powerfully evoked by Peggy Phelan: “The widespread belief in the possibility of understanding has committed us, however unwittingly, to a conventional narrative of betrayal, disappointment, and rage.”

Though superficially rather different from each other and from the other major ridicules, Harpagon and Dom Juan are two more Molière characters who exemplify the error of confusing mediation with reality, of fetishizing signs and substituting them for substance. Besides worrying about increasingly slippery social signifiers and the problematical relation between clothes, for example, and identity, some early moderns recognized money as an example of how arbitrary signifiers can come between people and their world (Watson 9). As I have argued elsewhere (see Chapter Two of Modernity), Harpagon’s case associates the themes of loss and femaleness with this substitution of money for direct but risky, incalculable experience. As much as the other characters I have spoken of, here, Harpagon is the dupe of his own desire for stability and power. His famous confusion of his cassette with his daughter and with his own entrailles (Act V, scene 3) reflects his hostility to emotion and the body as well as the ineluctable presence of what he has repressed at the heart of his conscious preoccupations.

The fact that Harpagon has buried the cassette in the garden and constantly “visits” it suggests that it may be the grave of something or someone he has loved and lost: his wife, perhaps. Money appears to be for Harpagon, as Tartuffe is for Orgon, the “carrier” of his desire and his sense of loss and lack. The fact that desire is central to his misreading of reality is also suggested by his usury: as a moneylender, he exploits the same desires that he fears and tries to control in his home. He exacerbates the desires of those who surround him, and he ultimately encounters the consequences of his denial of motives when he confronts his son as a borrower desperate enough to accept Harpagon’s devilish terms. Because he has substituted signifiers for substance, and thereby imposed a pervasive sense of loss, Harpagon’s world is saturated with the ravenous desire he fears. By mortifying bodies, to the point of stealing oats from his own horses, the miser turns those bodies into voracious appetites. When, in Act IV, scene 7, Harpagon takes himself for the thief who has stolen the cassette, he is actually interpreting things correctly. He is a thief. Substituting signifiers for substance is a theft. When a fetishized medium, such as money, is substituted for reality, reality disappears; it is lost, as if stolen.

Dom Juan speaks like a book; in his effort to make bookish, manipulative rhetoric an effective instrument of his desire, he actually substitutes that rhetoric for his desire: “Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire, ni rien à souhaiter.” (Act I, scene 2) For Dom Juan, women are abstract pretexts for verbal tours de force, and words are, in effect, ends in themselves. The ambition to control leads to alienation and loss. Like Harpagon, he has substituted fetishized signs for objects of desire who might resist or disappoint him. Successful manipulation—what works—has become his criterion of truth. He admirably exemplifies Bauman’s definition of alienation: he confronts himself as separate from others and as having an interest in keeping distant from them (Tester 27). He has subordinated the world to his ambition and, like the other ridicules, rejected contingent, risky exchange. Dom Juan’s attempt to use language to dominate others reduces him to an object. He speaks like a book, after all. In Act II, scene 4, as he confronts both Charlotte and Mathurine at the same time, Dom Juan is reduced to a machine for the hyper-production of repetitive rhetoric. He frantically repeats the same empty promises to the two women. The nobleman’s grandiose framing of his enterprise in terms of one of early modernity’s ruling tropes—he compares himself to the conquistadors—links him to motives denounced by Montaigne and makes him all the more ridiculous when he joins the femmes savantes in serving as a copying device for hackneyed verbiage.

Dom Juan’s conception of love and his treatment of women prepare us to appreciate fully the analysis of motives in La Princesse de Clèves. I read Madame de Lafayette’s novel as an explosively dense exploration of the themes I have elucidated here. I believe the novel can be understood as the story of a woman who experiences and ultimately refuses life as a fetish. Madame de Lafayette begins her narrative by evoking the Court as an environment saturated with hidden desire. It is rife with dissimulation and haunted by fear and a sense of lack. The Princesse’s fate in the novel is tied inextricably to the issue of interpretation, of reading. It is thus also tied to the web off motives and desires at whose center she finds herself.

I noted in October 2006 that Madame de Chartres has isolated her daughter from the Court and carefully educated her in order to make her a highly desirable object of desire there. I would add, now, that Mademoiselle de Chartres/Madame de Clèves is an example of woman as representative for others of lack and of the desire to repair that lack, as a symbol of all that resists the lust for knowledge and control, and as a subject who must interpret what goes on around her in a condition of confusion, vulnerability, and relative ignorance, and in terms of her own fear and desire.

At Court, all is motive and mediation, and the courtiers maneuver constantly to penetrate one another’s dissimulations and to possess the truth. That Mademoiselle de Chartres is a fetish and an archetypal object of the desire for knowledge is clear when Monsieur de Clèves first encounters her at a jeweler’s and is amazed both by her beauty and by the fact that he does not know who she is. She fits perfectly into the role of Woman as archetypal mysterious Object. It might be said that the Court--where knowledge is power, truth is hidden by hypocrisy and ornamentation, and stakes are high--is a perfect metaphor for the state of epistemological panic that leads to spying, inquisitions, torture, and other violent means of penetrating and manipulating in the quest for truth. As a beautiful, rich, and unknown woman, Mademoiselle de Chartres is inevitably the focus of hungry desire.

The episode of the portrait (302–03) emphasizes that the Princesse is the object of a desire that would reduce her to an object that can be possessed, stolen, and circulated. In fact, of course, the portrait is merely a mediation saturated with desire, a fetish willfully misunderstood as conferring power over the woman herself, as well as symbolizing a rival’s victory over her husband. As in the other cases I have looked at here, the desire for knowledge and/as power has motivated a misreading of the status and potency of mediations. The incident of the Vidame de Chartres’s letter brings the theme of motivated, contingent reading or interpretation into sharp focus. Like Alceste, Madame de Clèves at first “understands” the letter’s existence in terms of her desire and her fear: “Mme. de Clèves lut cette lettre et la relut plusieurs fois, sans savoir néanmoins ce qu’elle avait lu. Elle voyait seulement que M. de Nemours ne l’aimait pas” (310 my emphasis). Her desire and her fear completely condition her interpretation. There is, in fact, no concrete, certain “meaning” of the text. Its emotional significance—and I would argue that all significance is emotional—changes when she is persuaded that the letter was not addressed to Nemours.

Spying and its failure to penetrate beyond mediation and interpretation are essential in this novel, too. Monsieur de Clèves, like Alceste, “finds” the malheur that he seeks by sending a spy to watch his wife and then ignoring the issues of mediation and interpretation. The spy draws inferences from what he sees about what he does not see, and the Prince de Clèves chooses a disastrous certainty over continued uncertainty. Having been educated to be desired, to resist that desire, and to repress her own desire, and having experienced life as a fetish, Madame de Clèves retires from the world of desire and interpretation, leaving us to choose our own significance for her inimitable example, our own motivated, contingent reading of the novel and to remember that ambivalencde cannot really be escaped or eliminated.

Having expanded the “seventeenth century” at the beginning to include Montaigne, I plan to extend it at the end to suggest that the epistemology of vivisection and the drive to penetrate and manipulate nature and women in order to possess truth and acquire secure knowledge find their appropriate logical and practical conclusion in the Marquis de Sade’s violent physical and moral inquisition. Seeking to know and own the heart of another through romantic love or violent sex is a displacement of the same yearning that also manifests itself in the ambitions of science. Representation as a psychic as well as a cultural and political crisis, and the related anxiety about the arbitrary, unstable, prejudiced nature of perception itself, are exacerbated by the specter of deliberate deception. Power over an objectified other offers the illusion of a solution to this problem. Sade’s works take to their logical extreme both the impulse to make woman stand in for the key to certainty and power and the despairing, violent recourse to manipulation as a substitute for contingent knowledge and authentic exchange. Recognizing the will to dominance that colors the rhetoric of colonizers, seducers, prosecutors, and scientists is a key result of critical reading.

Butler University

NOTES

1 Fréderic Rouvillois and Anthony Cascardi are among the best of the many commentators on the conflicts and contradictions in the early history of modernity.
2 Urbanization, capitalism, new technologies, and the Reformation all contributed to anxieties about mediations and the loss of a more sensual, directly apprehended world in the past (Watson 5).
3 D’Urfé’s pastoral novel seems an especially rich literary evocation of the early modern preoccupation with sources: the metaphorical quest for the lost Eden as well as the literal searches for the sources of rivers.
4 Montaigne is more authentically skeptical than Sir Francis Bacon, who conflated the discovery of the New World with his “discovery” of what we know as the scientific method. Bacon compares his natural philosophy to a reinvasion/reoccupation of Eden (Watson 21), while Montaigne recognizes that expanding exploration actually undermines certainty.
5 By “fetishization,” here, I mean the substitution of signs, or objects that function as signs, for that to which the signs refer or once referred. This substitution, I will argue, is motivated by the desire for certainty and control. On a deeper level, the substitution reflects the repression of fear and a sense of loss or lack. Molière’s comic types live in a world of fetishes, which they prefer to the risky, contingent world of relationships.
6 The phrase pleine lumière, connected as it is here with a kind of spying, evokes the increasing ocularcentrism of early modern epistemology and the linkage of light, clarity, and power. Interestingly, Alceste simultaneously ignores not only the fact that the letter itself requires interpretation, but also the fact that only Arsinoé’s obviously self-interested temoignage connects it to Célimène, in the first place.
7 This play gives us a particularly powerful example of how woman and her interior truth serve as metaphors for the Object of epistemological desire and of that desire’s entanglement with sexuality and with the general problem of lack and insecurity.
8 That Alceste is the atrabilaire amoureux makes clear the centrality of the body to motivation and perception.
9 Wendell Berry evocatively calls money the “universal proxy” and argues that it tends to devour all other values (22).
10 Robert Weimann usefully characterizes modern culture as having the telescope and the voyage of discovery as its principal underlying metaphors (7).

Works Cited

Berry, Wendell. The Unsettling of America: Culture and Agriculture. San Francisco: Sierra Club Books, 1977.

Cascardi, Anthony J. The Subject of Modernity. Cambridge, England: Cambridge University Press, 1992.

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———. Looking for Spinoza: Joy, Sorrow, and the Feeling Brain. New York: Harcourt, 2003.

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Weimann, Robert. Authority and Representation in Early Modern Discourse. Baltimore: The Johns Hopkins University Press, 1996.

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Diables et Diableries chez Tallemant des Réaux

Article Citation
Cahiers XII, 2 (2009) 61–69
Author
Phillip Wolfe
Article Text



Outre leur intérêt proprement littéraire, certaines œuvres du dix-septième siècle offrent l’avantage de tracer un portrait de l’époque à mettre en parallèle avec les recherches des historiens. On pense bien sûr aux Caractères, mais aussi aux Historiettes de Tallemant des Réaux, dont nous allons considérer les remarques sur la sorcellerie à la lumière des conclusions d’Alfred Soman dans son étude sur Sorcellerie et Justice Criminelle (16e-18 siecles).

Ce recueil d’articles a entièrement renouvelé notre connaissance de cette période et, dans bien des cas, a corrigé les conclusions de Roland Mousnier dans Magistrats et Sorciers au XVIIe siècle. Soman rappelle que la juridiction du Parlement de Paris s’étendait alors aux deux tiers de la France du Nord, c’est-à-dire à entre huit et dix millions de Français. En 1588, le procureur du roi avait demandé au Parlement un arrêt qui aurait obligé toute personne condamnée pour sorcellerie de faire appel de sa sentence auprès du Parlement de Paris. L’arrêt qui fut finalement voté en 1624 reprend textuellement le projet d’une autre loi proposée en 1601. Soman précise que les magistrats du Parlement de Paris, dont le premier président à l’époque n’était autre que Jacques Auguste de Thou, l’historien et l’un des auteurs de l’Edit de Nantes, ne mettaient pas en doute le crime de sorcellerie, mais considéraient que les multiples désordres causés par des procès scandaleux en province, notamment en Champagne et dans les Ardennes, étaient préjudiciables au bon ordre et à l’autorité royale.

Tallemant des Réaux semble avoir été un Huguenot mondain et bon vivant, mais parfaitement orthodoxe. Il assiste régulièrement au culte à Charenton et ne montre jamais la moindre sympathie pour ce qu’on pourrait appeler le « libertinage flamboyant » de Vanini ou de Cyrano. Si Tallemant a des amis, Ninon de l’Enclos par exemple, qui lui disent que « les religions n’estoient que des imaginations »(2:441), on a ne voit jamais qu’il reprenne de tels propos à son propre compte. Pas une ligne de ce manuscrit demeuré clandestin pendant près de deux cents ans et dans lequel Tallemant n’avait aucune raison de se contraindre, ne permet de penser que l’auteur met en question l’existence de Dieu, du Christ, de la Trinité, de l’âme, etc. Il est donc intéressant a de voir comment ce Protestant spirituel et observateur perçoit la présence de la sorcellerie et du surnaturel dans la société qu’il observe à un moment important de l’Ancien Régime, lorsque le Parlement de Paris s’efforce avec quelque succès de limiter les catastrophes sociales occasionnées par les procès de sorcellerie « sauvages » (comme on dirait aujourd’hui) en province.

Les Historiettes mentionnent trois célèbres procès de sorcellerie qui datent précisément de la période où le Parlement de Paris tente d’étendre son autorité : celui de la Maréchale d’Ancre (1617), d’Urbain Grandier (1634) et de Marthe Brossier (1599). Bien que la naissance de Tallemant date de 1619 et l’exécution de la Maréchale d’Ancre de 1617, Tallemant est bien renseigné sur ce triste incident par le marquis et la marquise de Rambouillet, car le marquis était ami du maréchal et la marquise rendait souvent visite à sa femme. Tallemant, bien disposé envers les amis des Rambouillet, fait un portrait globalement positif de la Maréchale, qui mourut « très chrestiennement et très courageusement » (1:79). Ces deux adverbes, appliqués à une femme condamnée pour sorcellerie, suffisent à prouver que Tallemant ne croit pas un mot des accusations lancées contre elle. Si elle a eu la faiblesse de se faire exorciser, c’est, selon lui, uniquement parce qu’elle était en mauvaise santé. Cet exorcisme, causé par une imagination trop vive, et les petites boulettes de cire qu’elle roulait nerveusement entre ses doigts serviront de prétexte au Parlement de Paris pour la condamner au bûcher. Tallemant ne prend pas la peine d’indiquer que le duc de Luynes, acharné à obtenir la confiscation des de l’Ancre, a mené toute cette affaire. Par contre il montre du doigt l’hypocrisie et l’injustice du Parlement de Paris dans un procès essentiellement politique en proclamant que « Le Parlement qui ne croit pas de sorciers, condamna la Mareschale comme sorcière » (1: 79). Bien qu’une affirmation aussi globale risque d’être fausse, Soman (III :402) cite néanmoins le cas de Louis Servin, avocat général du roi et juriste distingué, qui déclarait précisément en 1617 que le sabbat est une « illusion », ce qui permet d’en dire autant de la sorcellerie. Compte tenu de la pression exercée par la cour, Tallemant considère que la condamnation scandaleuse de la Maréchale était inévitable, mais révèle que Perrot, conseiller au Parlement de Paris, a été si outré par la procédure que sa famille l’a enfermé « de peur qu’il n’allast au Palais faire quelquechose qui eust desplû à la Cour et qui n’eust pas sauvé cette femme » (1: 79). « Selon que vous serez puissant ou misérable », dirait La Fontaine…

Quant à la condamnation d’Urbain Grandier en 1634 dans l’affaire des possédées de Loudun, Tallemant y voit simplement une manœuvre politique de la part des Capucins de la ville. Se sentant appuyés par le père Joseph et Laubardemont et profitant des imprudences amoureuses de Grandier, les Capucins l’accusent de sorcellerie pour assurer leur pouvoir de direction dans le couvent. Si les religieuses acceptent de jouer le rôle de possédées, Tallemant indique que c’est uniquement par désir de s’enrichir. « Comme ces religieuses étaient pauvres, ils leur persuadèrent qu’elles deviendraient toutes d’or ; on les instruisit donc à faire les endiablées » (1: 296). Il n’y a, selon Tallemant, aucun élément surnaturel dans cette affaire, qui est plutôt celle d’une instruction manquée, et si bien manquée qu’elle n’aurait dû tromper personne. Les connaissances latines des possédées sont limitées à tel point que, selon l’expression ironique de Tallemant, les diables de Loudun n’avaient étudié que jusqu’en troisième. Quant aux contorsions prétendument démoniaques des religieuses, elles ne dépassent pas quelques tours d’adresse que les valets de Mlle de Rambouillet imitent sans difficulté après les avoir observés. Ce qu’il y a de sûr, selon Tallemant, c’est que les hôteliers de la ville se sont enrichis : « On y couroit de toutes parts » (1:296). Tallemant laisse clairement entendre que dans la ville régnait le désordre que les magistrats du Parlement de Paris cherchaient précisément à éviter. La conclusion de cette historiette indique qu’il y a eu progrès dans la mesure où la société a pris conscience de la déception dont elle a été victime. « Enfin insensiblement cela se dissipa à mesure que le monde se desabusoit » (1: 297).

Le dernier procès, celui de Marthe Brossier, est mentionné plus rapidement dans l’historiette du Cardinal de la Rochefoucauld, qui « hors qu’il estoit un peu trop crédule et un peu trop jésuite, estoit un vray ecclésiastique » (1: 604). Sous la plume de Tallemant, l’expression « vray ecclésiastique » est cependant loin d’être un éloge. Tallemant contraste les actions du Cardinal et de son frère, qui lancent l’affaire Brossier dans l’espoir de ranimer la Ligue et ses désordres, avec l’attitude ferme et prudente du roi. La sagesse d’Henri IV paraît lorsqu’il fait examiner Marthe Brossier par des médecins et la fait renvoyer en province sous la bonne garde de son père. « Il n’en fut pas parlé davantage » (1: 605), dit Tallemant un peu hâtivement. Il néglige d’ajouter que Marthe Brossier fut conduite à Rome par le frère du Cardinal et qu’il fallut déjouer l’affaire par des moyens diplomatiques. Mais dans ce cas-ci comme dans les deux autres, Tallemant nie tout rôle du diable et du surnaturel et n’y voit au contraire que des intérêts politiques.

Toutes les accusations de sorcellerie ne se terminent pas aussi tragiquement que celles lancées contre la Maréchale d’Ancre et Urbain Grandier. Tallemant cite le cas de Falgueras, un brave Languedocien autrement inconnu, qui se rend à Paris, où il a une lettre d’introduction pour un pâtissier de la rue du Meurier. Arrivé chez son hôte, il est immédiatement pris pour un sorcier pour avoir demandé à mettre du sel sur une grillade. En effet, la fille du pâtissier, souffrante, avait consulté un devin qui l’avait assurée qu’elle serait guérie par un sorcier qui viendrait de loin et qui demanderait du sel. Le pauvre Falgueras ne comprend pas bien ce qui lui arrive, mais à tout hasard donne à la fille une pilule qu’il a sur lui. Elle demeure sans effet. La mère se fâche, Falgueras s’irrite et la tire par le bras. Sous le coup de la douleur et craignant l’attouchement d’un sorcier, la mère s’exclame qu’elle est ensorcelée. La famille séquestre donc Falgueras en lui rappelant aimablement le sort de Gauffredi, brûlé à Aix-en-Provence. Falgueras ne doit sa délivrance qu’à l’arrivée fortuite d’un garçon apothicaire. En lisant cette historiette, le lecteur a l’impression de voir un incident trivial (Falgueras demande du sel) qui se grossit et se développe pour devenir un véritable engrenage. Si le pauvre Languedocien a eu la chance d’y échapper, c’est sans doute parce que le patissier ne bénéficiait pas d’une haute protection et que des intérêts politiques ne sont pas en jeu. La terreur de Falgueras se voit par le soin qu’il a eu de consigner les détails de son épreuve dans un manuscrit de quatorze pages, que Tallemant mentionne et qu’il a vraisemblablement consulté.

L’univers des Historiettes est essentiellement parisien, et le monde des sorciers et des guérisseurs de campagne, si bien étudié par Soman, n’y figure pas. Mais il convient de rappeler ici que Tallemant s’est intéressé à toutes les couches sociales, et que s’il a consacré des historiettes à Henri IV et à Louis XIII, il en a également consacré une au portier de Madame de Rambouillet. Le petit peuple de Paris tient donc sa place dans les Historiettes et dans celle de Falgueras, précisément, Tallemant affirme que « le peuple croit qu’il y a toujours quelque sort aux maux qu’il ne connaît point » (2: 711). Cependant la faiblesse de croire au surnaturel se retrouve également chez les nobles, car Tallemant note qu’un Italien nommé César « passait pour magicien à la cour » (1: 66), d’où nous pouvons conclure que les croyances des grands rejoignaient parfois celles du peuple, thème préféré d’ailleurs du libertinage érudit. Mais si la préoccupation avec le diable se retrouve chez une femme du peuple à Arcueil, prête à se donner au Malin pourvu qu’il la rende riche, Tallemant la dénonce également chez un théologien janséniste distingué, Arnauld d’Andilly. Sentant un souffle sous sa couverture, il en conclut immédiatement que le diable est venu le tenter, comme si le diable, selon l’expression caustique de Tallemant, « n’avoit que cela à faire » (1: 511). Il s’agit du valet d’Arnauld d’Andilly qui, ayant froid, cherche à se réchauffer sous la couverture de son maître. Mais tout en raillant la peur d’Arnauld d’Andilly, Tallemant cite plusieurs anecdotes où les personnages se montrent extrêmement méfiants à l’égard du diable, estimant que le péril, si péril il y a, serait de source autant humaine que satanique. C’est le cas d’un vieux gentilhomme huguenot nommé de la Haye, à qui le connétable de Montmorency offre de faire voir le diable, mais dans une cave. « Vous me voulez, » luy disoit-il, « faire voir le diable dans une cave où cinq ou six gredins charbonnez me viendront peut-estre bien estriller. Je le veux voir dans la plaine Saint-Denis » (1: 66). On retrouve pareille attitude prudente chez le pasteur protestant de Loudun, que l’on défie de mettre ses doigts dans la bouche des religieuses possédées, à l’imitation des prêtres qui y mettaient les doigts qui tenaient l’hostie. Le pasteur a le bon sens de refuser et de proclamer « qu’il n’avoit nulle familiarité avec le diable et qu’il ne se voulait point jouer à luy » (1: 279). On peut penser qu’il craignait une morsure humaine autant que le Prince des ténèbres.

Tallemant cite au moins deux cas où la croyance dans le surnaturel recouvre clairement une sexualité malsaine. C’est notamment le cas de la terrible Madame de Vervins, dont la préoccupation avec la sorcellerie s’explique, selon Tallemant, par ses origines en Lorraine, province où les chasses aux sorcières étaient fréquentes. Mme de Vervins se croit capable, par exemple, de paralyser la main d’une rivale. Elle recueille chez elle des jeunes filles, mais les fouette jusqu’au sang. Le vendredi saint de 1647, selon les dires d’un chanoine de Saint Thomas du Louvre, Madame de Vervins « ne fit autre chose tout le jour que de faire fesser un homme et une femme, l’un après l’autre » (2: 508). Au cas où le lecteur n’aurait pas compris, Tallemant précise ensuite que Madame de Vervins était lubrique à tel point qu’elle emprisonnait ses invités et profitait d’eux le lendemain, toutefois après le départ de son mari. Pareille cruauté se retrouve dans l’histoire de La Brizardière, sergent royal de Nantes, qui dit la bonne aventure aux femmes d’une façon originale : « Il les faisait mettre toutes nues, et avec des verges il les fouettait jusqu’au sang, puis se faisait fouetter par elles tout de mesme, afin de mesler leur sang ensemble pour en faire je ne sais quel charme » (2: 709). Sa réputation s’étend dans toute la Bretagne et lui vaut une clientèle assidue, parmi laquelle on découvre plusieurs femmes de parlementaires, ce que Tallemant semble considérer très drôle à en juger par la conclusion de l’historiette : « Mais le plus plaisant, ce fut Mlle de Taloet ; comme il la fouettait rudement, c’estoit pour avoir un mari qui eust beaucoup de bien, elle crioit : » Hé, Monsieur de la Brizardière, doucement ! J’aime mieux qu’il soit moins riche » (2: 710). Le ton goguenard dans ces historiettes indique clairement que Tallemant attribue toute la faute au désir humain plutôt qu’à l’action du diable.

Au dix-septième siècle, on distingue entre le sorcier, qui s’est donné au diable et qui le sert comme on servirait n’importe quel maître, et le magicien, qui invoque le démon pour le dominer et pour profiter de son savoir (Soman III: 396-7, qui cite dans un document d’archive l’expression « mestier juré » de sorcier). Les procédés magiques sont rares dans les Historiettes. On pourrait seulement citer le cas de de Meuves, le mystérieux ingénieur que Richelieu fait exécuter après avoir constaté qu’il a le secret « pour rompre le fer avec une certaine liqueur » (1: 258), ou celui de l’étrange médecin Saint-Léger qui se cache dans le quartier de l’Université et qui se fait servir par un petit garçon nommé du Pré, auprès de qui Tallemant s’est renseigné. Ce Saint-Léger effectue des cures miraculeuses avec une certaine poudre avant de disparaître subitement au moment même où les autorités le recherchent.

Par contre la prophétie, une autre forme de magie, apparaît assez souvent dans les Historiettes, qui contiennent d’ailleurs un chapitre intitulé « Prognostics, Pierre Philosophale ». Concernant les prophéties, l’attitude de Tallemant est ambiguë. D’une part, il se permet de critiquer Madame de Rambouillet précisément parce qu’elle a eu la faiblesse de raconter à Tallemant « plusieurs choses qu’elle avoit devinées ou prédites » (1: 453). Il dénonce sans hésitation un « extravagant d’Italien qui se mesloit de deviner » (1: 586). Si parfois une prophétie semble se réaliser, c’est à cause des erreurs de la victime, non du destin.

Un garçon nommé Malvat, filz d’un homme d’affaires, se fit faire son horoscope, et parcequ’il y avoit qu’il mourroit entre six et sept, le 7 du mois d’aoust 1653, il prit la poste en Foretz, où il se trouvoit, au commencement de ce mois fatal, de peur de tomber malade à la campagne ; il s’eschauffa en venant à Paris, prit une bonne pleurésie dont il mourut le 7 d’aoust, à trois du matin. (2: 786)
Tallemant laisse clairement entendre que si Malvat, dont on se demande si le nom n’est pas une plaisanterie, n’avait pas été terrifié par son horoscope, il serait encore en vie.

D’autre part, tout en déclarant que les centuries de Nostradamus sont falsifiées et incompréhensibles, Tallemant cite un nommé Vallayer, maître des requêtes au Parlement, dont le père « estoit fort des amis de Nostradamus, et voicy ce qu’il en conte » (2: 783). Bien que le verbe « conter » indique que Tallemant ne se porte pas forcément garant de la véracité de l’anecdote, il cite au long les « prophéties » que Nostradamus a faites devant notaire au père de Vallayer et indique qu’elles se sont réalisées en tout point. Il semblerait que le fait d’avoir trouvé un informateur dont le père a connu et fréquenté Nostradamus ait poussé Tallemant pour une fois à se départir de son scepticisme habituel ou, tout au moins, à céder au plaisir de raconter une anecdote qu’on ne trouvera pas dans les livres imprimés. Le cas n’est d’ailleurs pas unique, témoin une historiette qui se trouve dans le chapitre intitulé « Subtilité, présence et adresse d’esprit et de corps ».

Le duc de Florence escrivit à la feu Reyne-mere : « Je vous envoye un excellent homme en son mestier, qui a dit, en partant d’icy, que vous songeassiez une carte, et que ce seroit le dix de carreau. » Avant que de laisser lire la lettre à la Reyne, cet homme, qui en estoit luy-mesme le porteur, pria la Reyne de songer une carte ; elle songea le dix de carreau. Gombauld y estoit, qui me l’a dit (1: 768).

Comme pour le cas de Vallayer, le fait d’avoir un témoin respectable, Gombauld, pousse Tallemant à inclure l’épisode dans ses Historiettes, dans un chapitre consacré, il est vrai, non à des pronostics mais à l’adresse de l’esprit et du corps. Il se peut que ce soit la coïncidence qui amuse ici Tallemant, au même titre que celle qui a joué dans la mort d’un soldat nommé Givry. On lui avait prédit qu’il devait mourir à la fin de l’année, « devant l’an », mais il est mort pendant le siège de la ville de Laon. La prophétie devient presque un jeu de mots.

La désapprobation évidente et parfois amusée de Tallemant envers les procès de sorcellerie et les accusations de magie fait clairement écho à certaines mesures prises par le Parlement de Paris pour les réprimer. Néanmoins, il faut observer que Tallemant ne nie jamais l’existence du surnaturel, pas plus que ne l’ont fait les magistrats. A tout prendre, son attitude ne semble pas très différente de celle de La Bruyère, qui notait à propos de la magie et du sortilège « qu’en cela, comme dans toutes les choses extraordinaires et qui sortent des communes règles, il y a un parti à trouver entre les âmes crédules et les esprits forts » (De quelques usages, 70).

Allegheny College

Textes cités

La Bruyère, Jean de. Œuvres complètes. Paris : Gallimard, 1951.

Soman, Alfred. Sorcellerie et Justice Criminelle : Le Parlement de Paris (16e –18e siècles). North Bath : Variorum, 1992.

Tallemant des Réaux, Gédéon. Les Historiettes (éd. Adam). Paris : Gallimard, 1960–1.

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Services, sociabilité et maternité : les amies de Madame de Sévigné

Article Citation
Cahiers XII, 2 (2009) 43–59
Author
Betrand Landry
Article Text





« Rien ne ressemble mieux à l’amitié,

 que ces liaisons que l’intérêt de

 notre amour nous fait cultiver. »

La Bruyère, Du coeur

L’amitié est une notion mal définie au XVIIème siècle. Nicolas Schapira met en garde le lecteur contre « l’infinie diversité des emplois de la notion, qui semble pouvoir s’appliquer à une grande variété de relations sociales, et qui rend impossible toute tentative pour stabiliser la signification du lien amical. » (Schapira 217) En effet, le dictionnaire de Furetière définit l’amour comme une « amitié violente. » L’amour que Madame de Grignan inspire à Madame de Sévigné met donc en valeur la variété et la richesse du champ lexical du mot « amitié », au même titre que les relations spéciales qui existent entre la marquise et ses amies.

Dans son travail sur l’amitié des femmes, Anne Vincent-Duffault étudie également le caractère instable de l’amitié en y ajoutant que « […] l’amitié s’exerce, elle occupe, elle est agissante. Cet exercice de l’amitié forme et transforme : en le pratiquant, s’élabore le soi autant que l’entre-soi. En allant au-delà de l’autre, c’est en avant de soi-même que l’on s’élance. » (Vincent-Duffault 9) Cette notion de l’amitié dépeint Madame de Sévigné dans la construction de sa maternité, donc dans l’élaboration de son identité de mère. Michèle Longino a brillamment traité de la définition de soi de la marquise en montrant qu’elle développe sa maternité grâce à sa fille et leur correspondance: « both the act of writing and the person of her daughter became the determinant factors in the organization of her life, in her construction of identity. They converged in the form of the relational letter that was to constitute Sévigné’s ceaseless activity over a period of twenty-three years » (Longino 84), et cela à l’intérieur d’une société patriarcale qui confine la femme dans des comportements statiques et limités.

Ma démarche ici est de montrer les principales facettes de l’amitié entre Madame de Sévigné et ses amies. Ces dames possèdent des responsabilités de solidarité et de définition de soi dans la construction de la maternité de l’épistolière. Elles utilisent pour cela l’échange de services qui fait la base de la relation amicale à l’époque. Ces femmes, chacune selon leur rang et leurs moyens, soutiennent, popularisent et tentent de normaliser l’infatuation de l’épistolière en remplissant des rôles bien particuliers. L’amitié des femmes, sujet à multiples visages s’intéresse ici à un de ses aspects moins connus, celui d’un groupe de femmes qui travaillent sans relâche pour satisfaire et parfaire la maternité de leur amie pour ses enfants, plus particulièrement pour son unique obsession : sa fille.

Les liens entre Madame de Sévigné et ses amies n’ont apparemment rien d’original dans la France du XVIIème siècle. Selon Nicolas Shapira, l’amitié trouve ses racines dans les « échanges de services qui sont à la base des liens inter-individuels. » (Schapira 219) On se rend donc des devoirs d’amitié qui prennent la forme de faveurs que l’on demande et que l’on accorde. En plus des liens affectifs normaux, l’amitié est alimentée, développée et scellée par ce rapport de services et de requêtes. Chaque amie joue même un rôle bien particulier selon les circonstances de vie qui s’offrent à la marquise. L’échange de services met également en valeur une notion étudiée par Arlette Jouanna : le crédit. L’historienne explique qu’il en existe deux sortes, le local et le central : « le premier désigne le pouvoir d’obtenir ‘un service’ de ses ‘amis’, ‘clients’ ou ‘fidèles’ ; le second évoque la capacité à se faire accorder par le roi des faveurs pour soi ou pour ceux que l’on chercher à gratifier. » (Jouanna 21) Bien que toujours accueillie favorablement à la cour, Madame de Sévigné n’a cependant que fort peu d’accès direct au roi, elle ne doit compter que sur ses amis pour l’avancement de sa famille.

Parmi les amies de Madame de Sévigné, un nom se distingue plus particulièrement, celui de la comtesse de La Fayette. Denise Mayer a montré l’importance et la force du lien familial1 et amical entre les deux femmes. Madame de La Fayette est sans aucun doute l’amie la plus intime, celle à qui on peut se confier et qui peut dire tout ce qu’elle pense sans que l’épistolière ne se froisse, comme nous le verrons. La romancière appelle aussi cette dernière « ma belle », et ses lettres résonnent des marques d’affection et d’amitié auxquelles elle ne manque pas d’associer la fille de son amie: « Mme de Grignan a fait des merveilles d’avoir écrit à la Marans […]. Adieu ma belle, je souhaite votre retour avec une impatience digne de notre amitié. » (Sévigné, I 593) Si Madame de La Fayette refuse d’être forcée par son amie de lui écrire régulièrement2, Madame de Sévigné entretient cette amitié pour sa fille de façon pragmatique comme le prouve cet extrait d’une lettre du 13 mars 1671 : « Elle [La Fayette] est ravie de votre souvenir et vous embrasse de tout son cœur. Je lui ai donné une belle copie de votre portrait ; il pare sa chambre, où vous n’êtes jamais oubliée. » (Sévigné, I 185) La comtesse est également une femme politiquement puissante qui à l’oreille des familles royales de France et de Savoie. Elle a ainsi accès aux cercles fermés du pouvoir royal et s’en sert pour servir ses amis. Denise Mayer explique comment la romancière, dans une lettre du 30 décembre 1672, « nous montre avec quel cœur et quelle attention [elle] va tenter de sauvegarder la ‘faveur’ du comte de Grignan, lieutenant-général en Provence, très menacé par une opposition majoritaire de Provençaux, animés par Mgr de Forbin-Janson, l’évêque de Marseille, qui tente de le perdre auprès du Roi […] » (Mayer 84) La main de Madame de Sévigné est facilement reconnaissable derrière l’initiative de la comtesse de La Fayette qui s’efforce, pour plaire à son amie et satisfaire la mère, de protéger et aider les Grignan, grâce à ses multiples relations proches du pouvoir royal.

L’intérêt, voire la fixation, que l’épistolière porte à Madame de Grignan et à sa famille explique son amitié pour Madame de Vins, dont le nom ne serait jamais apparu dans les lettres sans cette raison. Sa parenté avec Simon Arnault de Pomponne, ministre et secrétaire d’Etat dont l’autorité s’étend sur la Provence, fait que Madame de Sévigné la recherche, malgré une différence d’âge de vingt-cinq ans. L’ascendant évident de Madame de Vins sur son beau-frère n’échappe pas à la marquise qui capte rapidement l’attention de la jeune femme, flattée des avances amicales de la précieuse à l’imposante stature mondaine. La jeune femme va rapidement prendre très à cœur les affaires des Grignan comme l’écrit l’épistolière : « [elle] était dans notre confidence. Elle est très aimable ; elle sait notre syndicat, notre procureur, notre gratification, notre opposition, notre délibération, comme elle sait la carte et les intérêts des princes, c’est à dire sur le bout des doigts. On l’appelle le petit ministre. » (Sévigné, I 638) Cette relation va même prendre un tour particulier puisque d’amie de Madame de Sévigné, elle va devenir, par l’intermédiaire et l’instigation de cette dernière, celle de la comtesse de Grignan pour permettre à l’épistolière de se rapprocher de sa fille. Michèle Longino écrit sur la construction de la maternité de Madame de Sévigné que « […] the subject is molded in the image of the other and according to the vision of the other, in anticipatory and reactionnary fashion. » (Longino 160) En développant cette amitié, l’épistolière construit sa maternité en se projetant dans la vie de sa fille, mais cette fois-ci par l’intermédiaire d’une amie, en l’occurence Madame de Vins, et l’utilisation de l’adjectif possessif « notre » pour parler des affaires des Grignan comme étant siennes, en est un exemple criant.

La plupart des amies de Madame de Sévigné ne possèdent pas autant de pouvoir politique que les deux premières. Néanmoins, elles remplissent des rôles simples mais précis qu’elles répètent le long des lettres. Ainsi, Madeleine de Bellièvre, marquise de Puy-du-Fou, est sollicitée de nombreuses fois en 1671 grâce à ses connaissances en ‘puériculture.’ Ainsi le 6 septembre, l’épistolière écrit : « on porte quelquefois les filles heureusement et les garçons ont des fantaisies de venir plus tôt et en prennent le chemin au sept. Faites réflexion sur ce discours ; je défie Mme du Puy-du-Fou de mieux dire. » (Sévigné, I 337–38) Comme la lettre le révèle, cette dame prodigue des conseils de « bonne femme », issus des croyances populaires et superstitieuses de l’époque sur la grossesse. Elle donne également son opinion quand la marquise commence sa quête d’une nourrice pour Marie-Blanche de Grignan. Ces problèmes épineux se développent dans neuf lettres, du 8 avril 1671 au 11 juillet 1672, et soulignent l’importance de cette petite-fille que l’épistolière aimait tendrement, puisqu’elle transférait sur elle son amour pour sa fille comme l’a montré Thérèse Lassalle : « [l]orsque la petite Marie-Blanche lui est confiée, l’attachement qu’elle a pour elle est d’abord vécu comme un transfert de son amour pour sa fille […] » (Lassalle 165) Le rôle apparemment anodin de Madeleine de Bellièvre prend une dimension particulière dans la construction de la maternité de la marquise qui utilise sa petite-fille, mais également son amie, pour se rapprocher de sa fille à travers ses lettres. Cependant, Madame du Puy-du-Fou finit par tomber en semi-disgrâce, et disparaît de la Correspondance à cause des suites du procès que son gendre, le marquis de Mirepoix, intente aux Grignan comme héritier de la dot de la deuxième femme du comte, née Marie-Angélique du Puy-du-Fou.

L’épistolière sollicite régulièrement Françoise-Charlotte Bureau de La Rabatelière, marquise d’Escars, sur le choix de couleurs de tissus, de linge à acheter ou d’ouvrages de tapisserie, dans le but de faire plaisir à sa fille. Un autre but est surtout de glorifier sa propre maternité et de se définir et se faire reconnaître comme mère modèle en utilisant les talents de ses amies, à l’écoute des besoins de sa fille. L’aménagement de l’appartement de Madame de Grignan dans la maison maternelle parisienne occupe Madame d’Escars, dont le goût raffiné et les bonnes idées sont appréciés. Louise Horowitz souligne que « her empty room is the spacial emblem of an absence that the letter seeks to fill. » (Horowitz 23) Madame d’Escars, au même titre que la lettre, aide son amie à remplir physiquement cette chambre associée à l’absence filiale. Le 17 juin 1685, l’épistolière conseille d’ailleurs à Madame de Grignan : « écrivez à la d’Escars » (Sévigné, III 206), liant épistolairement sa fille à son amie, et cela par le truchement de la chambre, donc de l’absence.

Madame de La Troche, née Marie Goddes de La Perrière, fait partie du groupe restreint des anciennes amies de Madame de Sévigné. Cette femme apparaît dans la Correspondance de multiples fois, et elle est très souvent associée à l’intimité du clan Sévigné-Coulanges3. Elle envoie périodiquement à Madame de Sévigné des nouvelles du grand monde qu’elle compulse dans des lettres qui prennent des allures de gazette, et dont les détails ravissent la marquise. Une autre amie, Madame de Lavardin envoie également des relations à l’épistolière, qui n’hésite pas à faire suivre les lettres en Provence ou à s’en servir pour tenir sa fille au courant des mondanités parisiennes. Mesdames de La Troche et de Lavardin ont donc participé indirectement à l’écriture de la Correspondance en donnant à leur amie de la matière première, sous forme de simples nouvelles détaillées que l’imagination et les dons épistoliers de Madame de Sévigné ont transformé avec élégance et esprit pour distraire et renseigner sa fille. Madame de Marbeuf est une autre amie intime qui rend de grands services à l’épistolière quand elle retourne dans ses terres bretonnes. C’est souvent que la marquise s’installe dans sa maison de Rennes quand les États de Bretagne se déroulent. Elle est également une distraction appréciée quand la solitude des Rochers pèse trop lourd sur le cœur de Madame de Sévigné.

Tess Cosslett remarque que « the representation of friendships between women is often of special significance in the works of female writers, involving as it does issues of female solidarity and female self-devotion. » (Cosslett 1) Même si Madame de Sévigné n’est pas auteur, cette définition la concerne comme épistolière. L’échange de services, doublé du lien affectif, est indubitablement le rôle le plus important joué par toutes ces femmes, puisqu’il a influencé, directement ou indirectement, la construction de la maternité de Madame de Sévigné. Michèle Longino remarque à cet effet que « […] her drive to excel in her performance of motherhood and to surpass even her own daughter in professing affection suggests a need to valorize herself in public in that role. » (Longino 169) En effet, le 9 février 1671, cinq jours après la première séparation d’avec sa fille, l’épistolière lui écrit : « Je fus samedi tout le jour chez Mme de Villars à parler de vous, et à pleurer ; elle rentre bien dans mes sentiments. » (Sévigné, I 152) La lettre du 15 juillet 1671 est également parlante : « Mme de Villars m’écrit assez souvent et me parle toujours de vous. Elle est tendre et sait bien aimer. Elle comprend les sentiments que j’ai pour vous, cela me donne de l’amitié pour elle. » (Sévigné, I 296) Le pronom sujet « je » reste le point central de ces deux citations, et il met en évidence le narcissisme de Madame de Sévigné comme l’indique Michèle Longino qui continue en expliquant que « the narcissistic moi accompanie[s] henceforth […] the experiment of a void – a wounded moi, since the daughter is no longer available to serve as mirror to the mother. » (Longino 92) L’adverbe « bien » accolé aux verbes « entrer » et « savoir » indique un jugement de la part de l’épistolière qui apprécie le comportement de son amie face à sa douleur et sa passion pour sa fille. Cependant la dernière phrase est troublante car le lecteur peut penser que la marquise fréquente cette dame uniquement parce qu’elle cultive et semble partager sa fixation filiale, tout en mettant en valeur ses qualités maternelles. La conduite de Madame de Villars semble – trop – parfaite, tout comme celle de la princesse de Tarente qui d’après l’épistolière « […] se veut pendre de ne vous pas avoir plus trouvée […] » (Sévigné, II 471) Cette dernière souligne – trop – dramatiquement l’absence de Madame de Grignan, dans le but de flatter la fibre maternelle de la marquise. Madame de Marbeuf suit la même ligne de conduite que Mesdames de Tarente et de Villars, mais de façon plus directe comme le réalise Madame de Sévigné, qui demande à sa fille d’écrire un mot à « […] la bonne Marbeuf qui vous adore parce que je vous aime. » (Sévigné, I 471) Malgré la franchise un peu brutale de « la bonne Marbeuf », qui révèle sûrement l’état d’esprit d’autres dames, l’épistolière aime cette amie dont elle fait l’apologie plusieurs fois dans sa correspondance4. Ces femmes flattent donc l’instinct maternel de la marquise en en montrant l’aspect narcissique qu’elles entretiennent à leur tour. Cependant, au-delà de la flatterie, les amies de l’épistolière développent la construction de sa maternité, la rendant la mère modèle comme l’a souligné Michèle Longino :

Sévigné’s self-inscription in the mythology of the maternal archetypes can only be validated, in the end through the recognition and tribute of others. By this logic, she is ‘mother’ to the extent that she appears to be and is perceived as ‘mother.’ Her sense of self depends upon a relational world construct, a network of affective ties, to which she can assign, and from which she can derive, meaning in her maternal capacity. (Longino 184)

Ainsi, Madame de Sévigné ne manque pas de relayer à sa fille leurs salutations et marques d’affections : « Madame de Marbeuf vous adore5 » ou « la bonne d’Escars vous baise la main droite6 » ou « la Vauvineux vous fait mille compliments7 », ou bien « La Troche vous rend mille grâces de votre souvenir8. » Ce rituel des compliments et des preuves d’adoration immuablement répété dans d’innombrables lettres est presque nécessaire, car la marquise attend ce comportement de la part de ces femmes : qui aime Madame de Sévigné, aime Madame de Grignan. La réciprocité que l’épistolière a installée entre sa fille et elle par le rituel de la correspondance se retrouve ici dans le rituel des compliments. Nancy Chodorow suggère que « women try to fulfill their need to be loved, [and] try to complete the relational triangle […] One way that women fulfill these needs is through the creation and maintenance of important relations with women. » (Chodorow 199-200) Si la relation triangulaire n’est pas possible ici, il est vrai que Madame de Sévigné se sert de ces femmes pour montrer son amour à sa fille d’une manière indirecte. Ainsi, certaines apparaissent comme un reflet de l’épistolière et de sa maternité, et entretiennent, voire repoussent, les limites de son narcissisme. D’autres semblent refléter Madame de Grignan puisqu’elles flattent et soutiennent cette maternité, tout en la développant. Une grande partie de ces amies est d’ailleurs apparue dans les lettres en 1671, l’année où Françoise-Marguerite de Sévigné part en Provence rejoindre son mari, laissant sa mère dans la plus grande tristesse et le plus grand désarroi. Elles ont donc rempli physiquement, comme la lettre, le vide laissé par Madame de Grignan.

En retour pour tous ces services, le lien affectif entre ces femmes se développe et se ressert en se mâtinant de familiarité. Madame de Sévigné rend à ses amies des soins particuliers. Son intimité et son amitié pour elles se traduisent de différentes façons. Madame de Vauvineux devient allègrement « la Vauvinette » et Madame de La Troche est surnommée affectueusement « la Troche », « la belle Troche », « la bonne Troche », et même « Trochanire », Madame de Lavardin « la bonne Vardin. » Les repas chez cette grande dame, née Marguerite-Renée de Rostaing, où la conversation s’anime grâce aux bons vins et aux convives bavardes, trouvent un surnom plaisant comme l’écrit l’épistolière : « J’ai dîné en lavardinage, c’est à dire en bavardinage […] » (Sévigné, I 209) Les louanges de Madame de Sévigné pour ses amies sont remarquables et parfois ludiques. Cependant, elle fait pour elles ce qu’elle sait faire de mieux : elle offre ses lettres, sa conversation et récompense la gentillesse de ses amies en un mouvement circulaire. Elle le fait doublement puisqu’elle engage Madame de Grignan à écrire et à remercier, ou flatter si nécessaire, de la même façon que la marquise a insisté que sa fille lui écrive quand celle-ci est partie vivre en Provence. Ainsi, le 24 juin 1672, elle lui demande : « Le petit La Troche a passé des premiers à la nage ; on l’a distingué. Dites-en un mot à sa mère, si je suis encore ici ; cela lui fera plaisir. » (Sévigné, I 540) ; ou le 24 juillet 1675 : « Mme de Lavardin vous baise mille fois les mains ; elle mérite un remerciement, dans une de mes lettres, de toute l’estime qu’elle a pour vous. » (Sévigné, II 21) Le narcissisme de l’épistolière resurgit car tout doit passer par elle comme le souligne « si je suis encore ici » et « dans une de mes lettres. » Le 1er mai 1676, la marquise a cette phrase : « ces dames [de Villars et de Saint-Géran] vous aiment fort ; nommez-les, en m’écrivant, pour les payer de leur tendresse. » (Sévigné, II 271) Le lecteur remarque que la tendresse devient, selon les propres mots de l’épistolière, une monnaie que l’on peut distribuer pour « payer », donc remercier, un service rendu. Louise Horowitz signale pourtant que « […] perhaps it is true that, in effort to please the marquise, these friends9 […] often made mention of Madame de Grignan to her mother. Nonetheless, Mme de Sévigné’s letters suggest no awareness that this collective concern was at the mere social intercourse. » (Horowitz 24) Sans vouloir nier la sincérité de l’amitié entre Madame de Sévigné et ces femmes, il semble que la marquise était consciente que la tendresse de ses amies pouvait se monnayer ou s’échanger, ou qu’elle pouvait la provoquer.

Toutes ces dames par leurs services soutiennent et popularisent, directement ou indirectement, la passion de leur amie. Le rôle peu banal des lettres magnifie les actions du réseau féminin que la marquise cultive et développe. Ce réseau renforce la cohésion de l’amitié pour la fille par l’exercice actif de la solidarité, comme le remarque Maurice Aymard10. Anne Vincent-Duffault souligne également que l’amitié « établit des réseaux d’influence, invente des lieux de convivialité et des liens de résistance tandis que se multiplient pour le plus grand nombre les chances de rencontres et d’interactions. » (Vincent-Duffault 1) La maternité de Madame de Sévigné est également célébrée dans un siècle où ce sentiment n’est guère estimé. Le 1er avril 1671, l’épistolière l’écrit à sa fille : « le nombre de ceux qui me demandèrent de vos nouvelles est aussi grand que celui de tous ceux qui composent la cour. Je pense qu’il est bon de distinguer la Reine, qui fit un pas vers moi, et me demanda des nouvelles de ma fille, et qu’elle avait ouï dire que vous aviez pensé vous noyer. » (Sévigné, II 204-05) La lettre révèle que la reine Marie-Thérèse connaît la passion de Madame de Sévigné – comme le laisse entendre l’expression « ouï dire » – grâce à des personnes probablement alliées à la marquise par les liens de l’amitié. Le réseau prouve ainsi son efficacité, et l’intervention royale souligne la reconnaissance de sa maternité, ainsi que son acceptation, par la cour de Versailles et la haute société française. La reine entretient d’ailleurs l’épistolière sur sa fille jusqu’au moins 1676, comme en témoigne la Correspondance.

Avec ce modèle loin d’être unique, quoiqu’il soit exceptionnel, d’autres femmes de la cour n’hésitent pas à exposer publiquement leur amour pour leur fille. Ainsi, Saint-Simon témoigne de la « prédilection fort grande11 » de la duchesse de Rohan pour la princesse de Soubise. Madame de Tarente, amie de Madame de Sévigné, ne cache pas non plus sa passion pour sa fille Charlotte. En 1678, Madame de La Fayette se permet d’ouvrir les esprits dans les mêmes cercles précieux qui accueillent également l’épistolière, en faisant de la relation mère-fille, une des clés de l’architectonique de son roman. Le rapport entre Madame de Chartres et la princesse de Clèves popularise et « normalise » – dans la limite où leur rapport était « normal » – celui que la marquise entretient et nourrit, grâce aux lettres et l’amitié de ses amies, avec sa fille depuis des années.

La construction de la maternité de la marquise n’est cependant pas exclusivement basée sur sa fille. En effet, Madame de Sévigné (re)présente avec sa fille une facette de sa maternité. Sa maternité englobe un autre côté puisqu’elle a un second enfant, un fils, Charles, baron de Sévigné. Le rapport entre la mère et le fils n’étant pas basé sur l’obsession et la passion incontrôlée, il se définit différemment et s’aligne avec les attitudes entre une mère et son enfant généralement rencontrées dans la société française du XVIIème siècle. Les amies de l’épistolière jouent également un rôle primordial dans la vie du jeune homme qui bénéficie du capital de sympathie de ces dames et de l’échange de services établis par sa mère et sa sœur. La présence de Charles auprès de sa mère – il partage le même hôtel parisien et fréquente les mêmes cercles – lui donne l’avantage de connaître ses amies, et de s’en faire apprécier. La relation entre le baron et ces femmes est certainement moins contrite que celle avec sa sœur, puisque Madame de Sévigné « installe le miroir12 » avec sa fille et non avec son fils. L’amitié, au contraire, paraît basée en partie sur le mérite et les qualités du jeune homme.

Trois épisodes dans la vie du baron sont particulièrement parlants dans la construction de la maternité « sévignienne. » En 1673, alors que la guerre contre la Hollande fait rage, Charles a des besoins pressants d’argent pour équiper son régiment. La marquise fait la sourde oreille puisque la dot royale de sa fille et les difficultés économiques de l’époque ont mis à mal ses finances. Charles, désespéré par l’inaction maternelle, contacte alors une alliée de poids : Madame de La Fayette. Cette dernière se permet d’écrire à son amie la missive suivante :

 
M. de Bayard et M. de La Fayette arrivent dans ce moment. Cela fait, ma belle, que je ne vous puis dire que deux mots de votre fils ; il sort d’ici, et m’est venu dire adieu, et me prier de vous écrire ses raisons sur l’argent. Elles sont si bonnes que je n’ai pas besoin de vous les expliquer fort au long ; car vous voyez, d’où vous êtes, la dépense d’une campagne qui ne finit point. Tout le monde est au désespoir et se ruine. Il est impossible que votre fils ne fasse pas un peu comme les autres, et de plus, la grande amitié que vous avez pour Mme de Grignan fait qu’il faut en témoigner à son frère. Je laisse au grand d’Hacqueville à vous en dire davantage. Adieu, ma très chère. (Sévigné, I 577)

Le ton de la lettre est martial, et il n’admet pas de réponse négative, malgré que « ma belle » et « ma très chère » adoucissent un peu la réprimande. Seule Madame de La Fayette peut se permettre une telle liberté d’expression, et Charles a bien compris que la comtesse est l’influence parfaite pour fléchir sa mère. La romancière montre lucidement la passion de son amie pour sa fille, et lui intime qu’elle doit remplir ses devoirs de mère également envers son fils qui le mérite tout autant. En un mot, la marquise ne peut pas avantager un enfant par rapport à l’autre. Est-ce le leitmotiv qui va influencer Madame de La Fayette, et bientôt Madame de Marbeuf, à aider le jeune homme et obliger leur amie à construire sa maternité en y englobant son fils? Prennent-elles pitié de ce garçon qu’elles voient désespéré par la fixation maternelle et frustré du pouvoir dont jouissent les puissants Grignan ? Cette hypothèse est possible, mais comme Roger Duchêne l’a démontré13, la marquise n’avantage pas financièrement un enfant par rapport à l’autre. Madame de Sévigné suit les conseils de son amie et emprunte de l’argent auprès de Georges Joly, président au parlement de Bourgogne pour équiper son fils.

L’arrière-ban des amies de l’épistolière est également sollicité pour trouver une épouse pour Charles15. Comme beaucoup d’historiens l’ont montré16, le mariage au XVIIème siècle est un événement important dans la vie d’un aristocrate. Non seulement un homme doit continuer sa lignée, mais également il doit en tirer des appuis politiques et des avantages sociaux et économiques. Si la fille n’a guère de poids dans le choix d’un mari, le fils dépend pareillement de ses parents, sa famille et ses alliés pour trouver la parfaite épouse. Madame de Marbeuf est ainsi réquisitionnée pour aider l’épistolière, comme l’indique la lettre du 29 septembre 1679 : « J’ai prié la Marbeuf de le marier là [en Bretagne].  Il ne se verra jamais d’un si beau point de vue que cette année. » (Sévigné, II 691) Si la requête de la marquise paraît innocente, elle révèle un malaise : personne ne se presse pour s’allier au fils de Madame de Sévigné.  Madame de Marbeuf ne réussira d’ailleurs pas sa mission, malgré sa bonne volonté, mais la marquise retourne ce service à son amie en 1689, quand cette dernière lui demande d’enquêter sur le marquis de Marignane, un homme qu’elle voudrait allier à une de ses parentes. Madame de Sévigné se tourne alors vers son fils, mais elle embauche également sa fille dans la démarche puisque la famille de ce gentilhomme est provençale17.

Finalement, l’aide de Madame de La Fayette est redemandée en 1689. Tous les deux ans, à la fin de l’assemblée, les Etats de Bretagne envoient un député à la cour. Cette députation est un honneur conféré à un noble pour le distinguer. Charles de Sévigné la guigne, et il compte sur l’appui du duc de Chaulnes, gouverneur de la province, pour le soutenir. Cependant, Versailles traîne des pieds pour donner son accord. Les Sévigné et leurs alliés prennent alors les devants et « engagent » à nouveau Madame de La Fayette pour faire pencher la balance de leur côté. Cependant, avec sa franchise habituelle, la comtesse annonce dans une lettre du 8 octobre 1689 : « Votre affaire est manquée et sans remède. L’on y a fait des merveilles de toutes parts ; je doute que M. de Chaulnes en personne l’eût pu faire. Le Roi n’a témoigné nulle répugnance pour M. de Sévigné, mais il était engagé il y a longtemps, et il l’a dit à tous ceux qui pensaient à la députation. » (Sévigné, III 718) Malgré l’échec des négociations, Charles de Sévigné ne tient pas rancune à Mesdames de La Fayette et de Marbeuf, ni aux autres, qui acceptent de lui venir en aide. Les liens de l’amitié demeurent serrés et le baron finit par se marier et à faire carrière en Bretagne.

L’amitié des femmes au XVIIème siècle reste un sujet peu étudié, même si les amitiés féminines existent depuis toujours. Anne Vincent-Duffault et Tess Cosslett soulignent, qu’en plus des liens affectifs normaux, elle s’articule autour des notions de définition de soi et de l’autre, et de solidarité. Madame de Sévigné utilise à son avantage ces notions pour construire et développer sa maternité. En effet, Michèle Longino explique que l’épistolière utilise d’abord sa correspondance pour s’identifier indirectement à sa fille, et se créer et se définir dans son rôle de mère et le faire accepter par la société française du XVIIème siècle. Pour cela, Madame de Sévigné compte sur les membres de sa famille, mais ce travail suggère également que ses amies jouent un rôle de premier plan. Ces dernières exposent de façon cruciale et originale l’élaboration et l’acceptation du rôle de mère modèle ou de modèle de mère que l’épistolière a décidé d’incarner. La marquise entretient salutations et gentillesses au sein de ce réseau féminin, et elles sont répétées à Madame de Grignan et échangées à l’infini par amitié et solidarité. Cependant Madame de Sévigné est aussi consciente que l’amitié peut servir de monnaie, et peut s’acheter ou peut-être provoquée pour flatter son narcissisme.

L’amitié féminine met également en lumière un autre aspect encore méconnu de la maternité de Madame de Sévigné : celui qu’elle entretient avec son fils. Ces relations sont loin de ressembler à l’obsession qu’elle a pour sa fille, mais les notions de sociabilité et d’échanges de services restent au cœur de la construction de la maternité de l’épistolière avec son fils qui est associée à l’argent et l’amour, deux thèmes primordiaux dans la relation avec Madame de Grignan. L’amitié des femmes prend alors une dimension d’importance et une place de premier ordre dans la Correspondance, mais laisse le lecteur dubitatif sur les motivations de Madame de Sévigné : intérêt ou amour, ou les deux ? Il semble que Jean de La Bruyère tient certaines ficelles de cette interrogation.

University of North Carolina, Greensboro

Ouvrages consultés et cités

Aymard, Maurice. « Amitié et convivialité. » Histoire de la vie privée. Vol 3. Paris: Editions du Seuil, 1999.

Cosslett, Janet. Woman to Woman: Female Friendship in Victorian Fiction. Atlantic Highlands, NJ : Humanities P International Inc, 1988.

Duchêne Roger. Argent et famille au XVIIème siècle: Partage des biens et partage des affections: Madame de Sévigné et ses enfants. Œuvre en six parties transmise par courrier électronique par Roger Duchêne.

Horowitz, Louise. « The Correspondence of Madame de Sévigné: Lettres or Belles-Lettres ? » French Forum. 6, 1 (1981) 13–27.

Jouanna, Arlette. Patronages et clientélismes, 1550–1750 : France, Angleterre, Espagne, Italie. Charles Giry-Deloison & Roger Mettan, Eds. Villeneuve d'Ascq: Centre d'histoire de larégion du Nord et de l'Europe du Nord-Ouest, 1995.

La Bruyère, Jean de. Œuvres complètes. Julien Benda, Ed. Paris: Gallimard (La Pléiade), 1951.

Lassalle, Thérèse. « Une grand-mère au XVIIème siècle, Madame de Sévigné. » Enfance et littérature au XVIIème siècle. Andrée Mausau, Ed. Paris: Klincksieck, 1991.

Lebrun, François. La vie conjugale sous l’ancien régime. Paris: Armand Colin, 1975.

Longino Farrell, Michèle. Performing Motherhood: The Sévigné Correspondence. Hanover : UP of New England, 1991.

Mayer, Denise. Une Amitié parisienne au Grand siècle, Mme de Lafayette et Mme de Sévigné, 1648–1693. Paris-Seattle-Tübingen: Papers on French Seventeenth Century Literature/Biblio 17, 1990.

Saint-Simon, Louis de Rouvroy, duc de. Mémoires. Yves Coirault, Ed. Vol 2. Paris: Gallimard (La Pléiade), 1983.

Sévigné, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de. Correspondance. Roger Duchêne, Ed. 3 Vols. Paris: Gallimard (La Pléiade), 1972–78.

Shapira, Nicolas. « Les Intermittences de l’amitié dans le Dictionnaire universel de Furetière. » Littératures classiques. 47. (2003): 217–224.

Todd, Janet. Women’s Friendship in Literature. New York: Columbia U P, 1980.

Vincent-Duffault, Anne. L’Exercice de l’amitié, pour une histoire des pratiques amicales aux XVIIIème et XIXème siècles. Paris, Editions du Seuil, 1995.

NOTES

1 La mère de Madame de La Fayette, Isabelle Péna, a épousé en secondes noces René-Renaud de Sévigné, l’oncle par alliance de l’épistolière.
2 Sévigné, I 583.
3 Elle apparaît dans la Correspondance dès 1651. (Sévigné, I 40)
4 Voir Sévigné, II 158, III, 36, 159–60 et 197–98.
5 Sévigné, III 869.
6 Sévigné, II 308 et 323.
7 Sévigné, I 207.
8 Sévigné, I 665.
9 Louise Horowitz cite les amis suivants : Mme de Verneuil, Mme d’Arpajon, Mmes de Villars, de Saint-Géran, M. de Guitaut, sa femme, la Comtesse, M. de La Rochefoucauld, M. de Langlade, Mme de La Fayette […] Mme de Vauvineux.
10 Aymard 446.
11 Saint-Simon, II 810.
12 J’emprunte ces mots, en traduction, à Michèle Longino.
13 Voir l’article « Argent et famille au XVIIème siècle: Partage des biens et partage des affections: Madame de Sévigné et ses enfants. »
14 Sévigné, I 577, note 5.
15 Les tensions et problèmes occasionnés par le mariage de Charles sont étudiés par nous autre part.
16 Voir, entre autres, François Lebrun, La vie conjugale au XVIIème siècle.
17 Voir les lettres des 8 janvier, 13 juillet, 17 juillet et 9 août 1689.
Site Sections (SE17)

Female Friendships in Plays by Women Authors

Article Citation
Cahiers XII, 2 (2009) 31–41
Author
Perry Gethner
Article Text

Female friendship is a topic explored far more often by women writers than by their male colleagues, most of whom in fact refused to believe in its possibility. With the rise of feminist scholarship in recent decades, a considerable amount of attention has been paid to women’s friendships in real life and in novels, but little has been written about such friendships in drama. 1 I propose to examine four aspects of this phenomenon: what types of friendships exist between female characters, in what light those friendships are presented (positive or negative), how central they are to the plot, and to what degree these relationships challenge the existing social order. Admittedly, one must be careful not to over generalize from a very small corpus (roughly a dozen relevant plays from the period of Louis XIV’s reign). 2 I have divided the friendships according to the degree of closeness: extremely affectionate and altruistic (usually reserved for family members), moderately affectionate based on shared views and/or compatible personalities, and short-term alliances that may or may not lead to a closer relationship. 3

It is probably not a coincidence that the plays that feature the word amitié the most often are those where the female friends are close relatives. Although the mother/daughter relationship is rarely treated in drama, and it is even more unlikely to see them feel genuine affection for one another, we find a sincere, even effusive, duo in Louise-Geneviève de Sainctonge’s Griselde. It is friendship at first sight: the title character and the princess Isabelle form a deep attachment long before they discover their true relationship. Each tries to comfort the other in times of sorrow and is even willing to sacrifice her happiness to benefit the other. This bonding, anticipating the comédies larmoyantes of the eighteenth century, relies heavily on weeping, viewed as a sign of moral goodness, and on the vocabulary of pathos (words like trouble, peine, ennui, tendresse, douleur, tristesse, empressement). All the mothers in Catherine Durand’s Comédies en proverbes are tender-hearted, give their daughters a good education and solid moral guidance, and try to protect them. The daughters sometimes rebel, either out of moral perverseness (number 5) or blind love for an unworthy suitor (number 6), but one daughter (Mademoiselle de Létang in number 3) openly expresses her tenderness for her mother, even offering to follow her into a life of seclusion despite her own preference for high society. The gentle and virtuous princess Eudoxe in Antoinette Deshoulières’s Genséric relies on her mother, the Empress, for moral support and consolation. However, the mother, though concerned about her daughter’s welfare, is prepared to sacrifice all other interests to her obsessive thirst for vengeance on the Vandal king. (Curiously, Deshoulières in real life had a very close relationship with her daughter, herself an accomplished poet.)

The typical dramatic treatment of the relationship between sisters focuses more on amorous or political rivalry than on affection: once the women discover that they are rivals for the love of the same man, any tenderness they may have felt for one another vanishes. A refreshing exception to this rule occurs in Catherine Bernard’s tragedy, Laodamie reine d’Epire, where the two sisters continue to care very deeply about each other, both are willing to sacrifice their own happiness for the other, and it is only a political emergency that forces Laodamie to offer marriage to her sister’s fiancé. The friendship reinforces our admiration for their moral integrity, sincerity and gentleness of spirit. As in Griselde, frequent weeping and the language of pathos underscore the intensity of their affection, as do their own constant references to their amitié.

By companions I mean two women who spend a considerable amount of time together and who share their thoughts freely. One might suppose that the ubiquitous confidantes of classical tragedy display a form of friendship, but that is rarely the case. The typical confidante is of lower rank, is timid in expressing herself, and has difficulty relating to the type of moral and/or emotional predicament that the major character is experiencing. There are some exceptions to this rule, but one would be hard put to find enough reciprocity in these relationships to label them as genuine friendships. Thus, one can establish as a prerequisite for friendship that companions must view one another as equals in both social status and ability. The most developed of these relationships is that of Elvire and Léonor in Marie-Catherine Desjardins’s Le Favori. It is significant that they call each other by their first names (confidantes generally refer to their mistresses as “Madame”), both call each other “vous” rather than have one address the other as “tu,” and they conduct genuine debates, rather than indulge in one-sided confiding. Although they have radically different temperaments and philosophies and never agree on anything, they genuinely like each other’s company and are virtually inseparable. It is significant that Elvire, hypocritical in her dealings with other characters, is brutally frank with Léonor, admitting all her true feelings and expounding her views on various topics. Léonor, a model of honesty and loyalty, remains at Elvire’s side at the end of the play, even after her friend has been disgraced by the king.

Catherine Durand provides several cases where rivalry in love does not succeed in destroying a long-established friendship between young women. Elise and Mariane in the ninth playlet are both interested in the sensible and well-off Philinte, though their feelings for him are closer to esteem than to love. Mariane, although she admits publicly that Philinte has chosen Elise over herself solely because her friend has a purer reputation, feels no animosity of any kind. She willingly accompanies Elise to the formal meeting at which Philinte makes his marriage proposal, and she enthusiastically confirms Philinte’s high praise of Elise’s numerous good qualities. Although Elise never addresses Mariane directly, her final speech indicates that she feels genuine affection for her friend. In the fourth playlet by the same author the two young and beautiful coquettes, Hortance and Angélique, are so fond of each other’s company that they quickly unmask the dishonest stratagems of their male admirers, designed to pit them against each other, and dismiss the men. Although neither they nor the men are sincere in protestations of love to the opposite sex, the women take great care to keep their friendship intact.

Allies are the commonest of the three categories. The women join forces in order to pursue a common aim, though they do not feel a close affective bond and spend little time together. In Anne de La Roche-Guilhen’s Rare-en-tout a young woman who has been jilted by the protagonist informs her rival of his true character, as a result of which the latter rejects Rare-en-tout and returns to her original suitor. The title character, only moderately disappointed, refuses to return to his previous beloved and leaves town in search of further conquests. Owing to the constraints of the comedy-ballet format (the two rivals are singing roles and are not allowed any spoken lines), their meeting is a pantomime scene, and we are never told whether or not their shared misadventure will lead to a permanent friendship.

Female solidarity can have its limits, however. Alliances between two women to expose silly or hypocritical characters can sometimes be directed at other women. In Françoise Pascal’s L’Amoureuse vaine et ridicule the delusional Clorinde, who believes herself to be much younger than she really is and who imagines that every man she meets is in love with her, is publicly disgraced through a stratagem plotted by the other two female characters and carried out by their fiancés. In the one brief scene where the friends and cousins, Philis and Isabelle, are alone together, they show their gleeful enjoyment of the scheme they have set in motion. I should note that it is rare in comedies of the period for such elaborate stratagems, involving role playing and disguise, to be organized solely by female characters. Mme de Cassagne, in the third of the Comédies en proverbes, stages a similar scheme to expose the hypocrisy of her cousin’s older daughter, who claims to be pious and prudish, and to reveal the innate goodness of the younger daughter, who appears on the surface as frivolous and silly. The organizer is motivated both by friendship for her cousin and the younger girl and by animosity toward the older girl, who has designs on Mme de Cassagne’s fiancé. However, owing to the brevity of the playlet, the affective links between the characters are not developed.

Alliances can also be formed in order to test and reward the worthiness of virtuous characters. The powerful and beneficent sorceress Ismène in Pascal’s Endymion works with the goddess Diane to subject the young man to a series of ordeals, both physical and psychological, to determine whether he deserves to be chosen as the goddess’s consort. Neither the hero nor the audience discovers until the final moments of the play that Endymion has in fact performed his exploits within a magically-induced dream produced by Ismène in collusion with the goddess. Pascal never shows the two women together, and the presumed friendship between them is only hinted at. Moreover, because of the need for secrecy in Diane’s plan, she is unable to reveal the truth to the nymphs in her service, who thus cannot be considered as her friends.

Alliances in historical drama tend to combine love with politics, but the link to friendship can be very tenuous. In Desjardins’s Manlius and again in Marie-Anne Barbier’s Arrie et Pétus two women join forces, despite their extreme political differences, in order to save the younger woman from being forced to wed a ruler whom she does not love and whom the older woman is resolved to marry. In the former play Camille first discovers that Manlius, son of her fiancé Torquatus, has fallen in love with a captive foreign princess, Omphale, whom, according to Roman custom, he is not allowed to marry. However, in her first meeting with Omphale, where she tries to convince the younger woman to renounce her unsuitable passion, she is immediately moved to feel gentleness and compassion, even proposing to play a motherly role: “Princesse, profitez d’un avis si sincère, / Recevez-le de moy, comme de votre mère” (II.6.595–96). When Omphale reveals that Torquatus has also fallen in love with her but insists that she rejects his advances and has no intention to steal Camille’s betrothed, the older woman quickly becomes her ally. Since, during the course of their conversation, the two women come to recognize and admire the other’s intelligence and heroic virtue, one has the impression that this could develop into a serious friendship, although the play does not show it happen. It should be noted that both women remain calm and level-headed throughout the play, whereas the men tend to act irrationally when swayed by the force of their passion. Camille, in fact, is not in love with her fiancé, whom her dying husband ordered her to marry for reasons of state. If she is determined to carry out his wishes, it is because she genuinely esteems Torquatus, and also because she feels as a fiercely patriotic Roman that the match will promote political stability. In Barbier’s play the two women, Arrie and Agrippine, admire the other’s intelligence and determination, but no real friendship is possible because of their political and moral incompatibility: Arrie is involved with planning a coup d’état to restore a republican regime to Rome whereas Agrippine wants to preserve the empire, and Arrie is a model of rectitude whereas her rival is ruthlessly immoral. They join forces only when it becomes necessary to keep Arrie out of the clutches of the emperor Claudius, who wants to jilt his fiancée Agrippine and wed Arrie by force. Agrippine arranges for Arrie to marry the man she really loves, Pétus, and for the newlyweds to flee from Rome. However, once that plan fails, the hostility resumes, and the newlyweds have no option but to commit suicide together.

Turning to the question of how female friendships are presented in women’s plays, it is perhaps no surprise to discover that they are almost invariably shown as positive. Taking part in a genuine friendship demonstrates a character’s good heart and good judgment. It is unusual for a friendship to lead to immoral consequences, as happens in the fifth playlet of Catherine Durand, where two rebellious young women, eager to experience sexual freedom, sneak out of their homes to attend an all-night party. When discovered, this highly imprudent act leads to severe punishment. False friendships that disguise rivalries in love are likewise unusual. In Le Favori the female hypocrite, Elvire, is the first to admit that her friendship to her virtuous rival, Lindamire, is a sham, though she does maintain a true friendship with another woman with whom she is not in amorous competition. Significantly, the male hypocrite in that play, Clotaire, has no sincere friendships at all. I have found only one example in my corpus of friendship that cuts across gender lines. The seventh comedy of Catherine Durand shows a group of five aristocratic young people, three men and two women, who apparently own nearby country houses and who come to spend much of their time together. It seems likely that the friendly relations between them will continue even after the two women are matched up with the two eligible men.

As I have already noted several times, the female friendships in these plays are frequently undeveloped and only a few occupy a considerable space within the text. 4 So it should not come as a surprise that virtually none of these friendships is crucial to the plot. After all, the vast majority of literary plots are centered around a heterosexual love interest, making all other types of relationships subsidiary. Even in the play that devotes the most attention to the friendship, Laodamie, neither the affection shared by the two sisters nor their rivalry in love is decisive to the outcome. If the queen is initially forced to stifle her love for the handsome young warrior Gélon and later offers him her hand in marriage, it is always because of political considerations. (Interestingly, the impeccably chivalrous Gélon ignores political pressures and remains staunchly loyal to the woman he loves, who is the queen’s sister, Nérée.) The rivalry between the two sisters, which causes prolonged anguish for them both, thus adds pathos and extra plot complications, but the tragedy would end much the same way even if Nérée did not exist and Gélon refused the queen’s offer merely because he could not return her love.

In virtually every case elimination of the female friendship would not alter the outcome, though it would certainly impact the audience’s appreciation of the characters. In Griselde the evil prince, totally unimpressed by the virtuous conduct and affectionate relationship of the two women, goes ahead with his nefarious plans and is prevented only by the last-minute revelation that his supposed niece is really his daughter. The attempts of Camille and Agrippine to save their ally and erstwhile rival and her beloved do not go as planned, so that in both plays the virtuous young couple ends up in the clutches of the odious tyrant. In Desjardins’s play, labeled a tragicomedy, Torquatus experiences a last-minute change of heart, so that everyone is forgiven and there is a double wedding. Since Barbier’s play is a tragedy, the virtuous protagonists must die, though at least they do so heroically. The close bond between Elvire and Léonor has no bearing on the crux of the plot, namely, the king’s scheme to reveal to his depressed and insecure minister, Moncade, who his real friends are. Even the announcement that Moncade will wed his beloved Lindamire leaves Elvire, who had pretended to be in love with the minister herself, totally indifferent.

It is mostly in the one-act comedies that the schemes set in motion from a female friendship make a significant difference to the outcome. The foolish Clorinde is publicly humiliated, though she remains delusional; Mme de Cassagne’s plot succeeds in unmasking the hypocritical conduct of one sister and the moral goodness of the other; and so forth. Even in these short comedies the scheming must share the spotlight with the resolution of the marriage plot, which receives even less substantial treatment. Thus, in the former play the father figure agrees publicly to the marriage of his daughter and niece to the men they love (we are never told whether there has heretofore been any impediment to those matches), while in the latter play the rakish Marquis, whose interest in the seemingly frivolous Mlle de Létang has appeared less than honorable, is motivated by her virtuous rebuff of him and by the tenderness she shows for her mother to mend his ways and offer marriage to the girl. As happens so often in these plays, the man’s change of heart comes as a total surprise.

Finally, it could be asked whether the striking emphasis on female friendships signals a feminist perspective, if by that we mean a challenge to the social and political order or a significantly new perspective on women’s lives, feelings and needs. In one sense, the answer is negative. I find no examples where friendly relations between two women contribute to their social or political empowerment. Griselde and Isabelle are largely powerless figures who, despite their many virtuous qualities, succeed in little more than trying to comfort one another. Female efforts to reclaim a male tyrant work indirectly at best; in Griselde and Manlius, for example, the last-act conversion is presented as a divinely-inspired miracle. In Le Favori Elvire repudiates the traditional moral standards and gives a spirited defense of coquettish and selfish behavior, though admittedly she never engages in sexual promiscuity and her dabbling in affairs of state is both short-lived and ineffectual. One could argue that the sense of liberation she feels in her dealings with both men and women at court amounts to nothing more than narcissism, and that even her genuine friendship with Léonor serves primarily to provide her with an excuse to express her views to someone other than herself. The friendship between Laodamie and her sister Nérée, however touching, is largely eclipsed by the fundamental distrust of the Epirot population for female rulers. Laodamie’s authority is frequently challenged, despite her apparent competence as a queen, and when Nérée succeeds to the throne at play’s end she can be assured of the people’s obedience only because she is about to marry the heroic male whom they want as their true ruler. Women who engage directly in political conspiracies are either ruthless and immoral schemers, like Agrippine in Arrie et Pétus, or femmes fortes doomed to failure, like Arrie in the same play, or women so driven by passion (for a man) that they either fail to plan properly or else allow the situation to get of hand. It is probably not a coincidence that the women in this last category, like the jealous and insecure Sophronie in Genséric, or the timid and manipulated Aquilie in Bernard’s Brutus, prove incapable of friendship. Indeed, in the latter play, the two female leads, rivals for the same man and tied to opposing political factions, never meet, let alone form a friendship or alliance. Even in Catherine Durand’s playlets, where women sometimes succeed in revolts against unreasonable boyfriends or husbands, female friendships tend to reinforce traditional moral and social codes. Women who misbehave, either through hypocritical conduct or rebellion against parental authority, are unmasked and punished. The one clear case of empowerment occurs in Endymion, where female friendship allows the heroine to choose a suitable consort after first subjecting him to various trials, but here we are dealing with characters possessing supernatural powers: a goddess and a magician. In fact, Diane is presented as the sole deity worshiped in Greece and Asia Minor, with no challenge to her authority.

On the other hand, one can argue that the valorization of female friendship contributes to a greater sense of personal autonomy and personal worth. While intense friendships do not prevent the women from falling in love with a man and/or agreeing to marriage, they allow for greater personal space in a private sphere not controlled by men, as well as providing a source of consolation and caring. Significantly, in contrast to what happens in the works of many male authors, no one claims to view such friendships as dangerous and husbands never argue that their wives should be forbidden the company of friends. The genuine female friendships demonstrate that women are capable of displaying such virtues as altruism, loyalty, sincerity and esteem. They also show that satisfying women’s affective needs has psychological and moral benefits. 5

Oklahoma State University

NOTES

1 Among the studies that I have found especially useful are Janet Todd, Women’s Friendship in Literature (New York: Columbia UP, 1980), and a special section devoted to friendship, edited by Catherine Montfort, in Volume 7 of Women in French Studies (1999). Anne Vincent-Buffault, who in L’Exercice de l’amitié (Paris: Seuil, 1995) studies the topic in the eighteenth and nineteenth centuries, and who deals exclusively with real life, rather than with literary characters, devotes only a small portion of her book to female friendships. For a general overview of the subject in a neighboring country, see Lisa Vollendorf, “The Value of Female Friendship in Seventeenth-Century Spain,” Texas Studies in Literature and Language 47:4 (2005) 425–45.
2The texts of the plays referred to in this study can be found in one or both of the following anthologies: Femmes dramaturges en France (1650-1750), Pièces choisies, 2 volumes, ed. Perry Gethner (Tübingen: Biblio 17/ Gunter Narr, 1993–2002); Théâtre de femmes, XVIe-XVIIIe siècles, Anthologie, 5 volumes, ed. Aurore Evain, Perry Gethner, Henriette Goldwyn (Saint-Etienne: Presses de l’Université, 2006-); 2 volumes have appeared to date.
3Janet Todd, who limits her corpus to the eighteenth-century novel, in both England and France, has a radically different classification system. Both because of the very different conventions associated with French classical drama and because of how friendship came to be rethought in the era of Rousseau, I have chosen not to adopt her categories. It should also be noted that some of those categories, especially manipulative and sentimental friendships, are not always the most beneficial of relationships.
4Curiously, the characters in these plays, while sometimes alluding to their friendships, do not spend time theorizing about the subject. For a discussion of a cultivated woman in real life who gave the matter much thought, see Christine McCall Probes, “Feminine Friendship at the End of the Century: Testimony from the French Correspondence of Madame Palatine,” Seventeenth-Century French Studies 23 (2001) 43–54.
5 Carol L. Sherman comes to a similar conclusion in her study of the topic in eighteenth-century novels and memoirs: “‘C’est l’insuffisance de notre être qui fait naître l’amitié: Women’s Friendships in the Enlightenment,’” Women in French Studies 7 (1999) 57–65.
Site Sections (SE17)

L'Hiver de 1709

Article Citation
Cahiers XII, 2 (2009) 1–29
Author
Francis Assaf
Article Text






Les dégâts causés par le terrible hiver de 1709 sont une catastrophe véritablement européenne. De la Scandinavie à la Méditerranée, pendant au moins quatre mois (et sans doute plus en maints endroits), le continent est pris dans l’implacable étreinte des glaces, étouffe sous d’énormes accumulations de neige, se noie dans d’innombrables inondations dues à des dégels provisoires, rapidement remplacés par de nouveaux regels. La situation économique, au bout de neuf ans de guerre de Succession d’Espagne, était loin d’être brillante ; la France, en particulier, n’était pas au bout de ses peines, tant s’en faut…

Le cruel hiver de 1709 acheva de désespérer la nation. Les oliviers, qui sont une grande ressource dans le midi de la France, périrent. Presque tous les arbres fruitiers gelèrent. Il n’y eut point d’espérance de récolte. On avait très peu de magasins. Les grains qu’on pouvait faire venir à grands frais des Échelles du Levant et de l’Afrique pouvaient être pris par les flottes ennemies, auxquelles on n’avait presque plus de vaisseaux de guerre à opposer. Le fléau de cet hiver était général dans l’Europe; mais les ennemis avaient plus de ressources. Les Hollandais surtout, qui ont été si longtemps les facteurs des nations, avaient assez de magasins pour mettre les armées florissantes des alliés dans l’abondance, tandis que les troupes de France, diminuées et découragées, semblaient devoir périr de misère (Le Siècle de Louis XIV 249).

Ainsi Voltaire décrit-il, au chapitre XXI de son célèbre ouvrage sur le Roi-Soleil et son règne, ce désastre naturel majeur qui désole des mois durant la France et l’Europe, s’additionnant aux malheurs qu’apporte la guerre de Succession d’Espagne, qui sévit depuis déjà neuf ans. Le Dictionnaire philosophique fait mention, à l’article « blé », de la terrible disette qui accompagna –et suivit– le « Grand Hyver » : « La nation ne mourut pas de la disette horrible de 1709; elle fut très malade, mais elle réchappa. Nous ne parlons ici que du blé, qui manqua absolument; il fallut que les Français en achetassent de leurs ennemis mêmes; les Hollandais en fournirent seuls autant que les Turcs1. » Ce n’était pas le premier désastre qui accablait la France sous le règne de Louis XIV, tant s’en faut : un autre, non moins notable, étant la grande famine de 1693-1694.

Disons quelques mots sur celle-ci. L’automne pluvieux de 1692 est suivi d’un hiver trop doux, pluvieux aussi, puis d’un printemps où les précipitations sont tout aussi excessives. Ce manque de sécheresse et de chaleur avait compromis les semailles d’automne comme celles de printemps. Le résultat est que la moisson de 1693 est fortement déficitaire, affectant spécialement les régions du Centre. Seule la Bretagne, où les récoltes ont été à peu près normales, échappe à la famine et peut même aider un peu le reste du pays, comme le mentionne l’historien Marcel Lachiver, qui consacre 12 pages (485-496) de son ouvrage (q.v.) à des documents sur cette famine.

Revenons à l’hiver de 1709. L’auteur de Candide en a sans doute connu lui-même les rigueurs, étant âgé de 16 ans lorsque le grand froid est arrivé. Il faut cependant nuancer son jugement sur les Alliés et la Hollande en le mettant en regard avec des sources contemporaines, comme on le fera plus loin. Lachiver rapporte en détail les péripéties météorologiques qui précèdent la première grande vague de froid. En dépit d’un automne maussade (Cornette 498), le mois de décembre avait été relativement supportable et, bien que les paysans s’attendissent à quelques difficultés durant les mois d’hiver, nul ne pouvait prévoir le désastre qui devait frapper la France et l’Europe. (Lachiver 270 ss).

Le commencement de cette phénoménale vague de froid date du 5 ou 6 janvier, c’est-à-dire la veille ou le jour de l’Épiphanie, encore que les prodromes du désastre se soient fait sentir dès le mois d’octobre. Certaines sources font mention d’une saison de vendanges bien plus froide qu’à l’ordinaire, ce que confirme Lachiver.

Voici ce que raconte Saint-Simon sur les débuts de ce « Grand Hyver » :

Mme de Maintenon fut heureuse d’avoir eu à s’avantager de l’excès du froid. Il prit subitement la veille des Rois, et fut près de deux mois au-delà de tout souvenir. En quatre jours la Seine et toutes les autres rivières furent prises, et, ce qu’on n’avait jamais vu, la mer gela à porter le long des côtes. Les curieux observateurs prétendirent qu’il alla au degré où il se fait sentir au-delà de la Suède et du Danemark. Les tribunaux en furent fermés assez longtemps. Ce qui perdit tout et qui fit une année de famine en tout genre de productions de la terre, c’est qu’il dégela parfaitement sept ou huit jours, et que la gelée reprit subitement et aussi rudement qu’elle avait été. Elle dura moins, mais jusqu’aux arbres fruitiers et plusieurs autres fort durs, tout demeura gelé (332–333).

Voulait-il dire par là que l’épouse de Louis XIV profita du froid pour se calfeutrer dans son appartement ou exprime-t-il simplement l’antipathie qu’il nourrissait de longue date contre elle? Ce n’est pas bien clair, mais il revient un peu plus loin avec des détails précis sur la rigueur du froid. Il faut admirer comment il va du général (qu’il n’a pu guère apprendre que par des sources extérieures) au particulier, c’est-à-dire ce qui touchait les habitants de Versailles, puis de nouveau au général, peut-être pour mettre en contraste un inconfort, après tout relatif, avec la dévastation quasi-universelle qui sévit par tout le pays :

L’hiver, comme je l’ai déjà remarqué, avait été terrible, et tel, que de mémoire d’homme on ne se souvenait d’aucun qui en eût approché. Une gelée, qui dura près de deux mois de la même force, avait dès ses premiers jours rendu les rivières solides jusqu’à leur embouchure, et les bords de la mer capables de porter des charrettes qui y voituraient les plus grands fardeaux. Un faux dégel fondit les neiges qui avaient couvert la terre pendant ce temps-là; il fut suivi d’un subit renouvellement de gelée aussi forte que la précédente, trois autres semaines durant. La violence de toutes les deux fut telle que l’eau de la reine de Hongrie2, les élixirs les plus forts, et les liqueurs les plus spiritueuses cassèrent leurs bouteilles dans les armoires de chambres à feu, et environné[e]s de tuyaux de cheminée, dans plusieurs appartements du château de Versailles,où j’en vis plusieurs, et soupant chez le duc de Villeroy3, dans sa petite chambre à coucher, les bouteilles sur le manteau de la cheminée, sortant de sa très petite cuisine où il y avait grand feu et qui était de plain-pied à sa chambre, une très petite antichambre entre-deux, les glaçons tombaient dans nos verres. […]. Cette seconde gelée perdit tout. Les arbres fruitiers périrent, il ne resta plus ni noyers, ni oliviers, ni pommiers, ni vignes, à si peu près que ce n’est pas la peine d’en parler. Les autres arbres moururent en très grand nombre, les jardins périrent et tous les grains dans la terre. On ne peut comprendre la désolation de cette ruine générale. (398–399).

Le désastre est amplifié par une combinaison de cupidité et d’incompétence bureaucratique. Ayons encore une fois recours à Saint-Simon pour voir comment l’incurie et l’égoïsme s’allient pour aider les éléments à intensifier la misère :

Chacun resserra son vieux grain. Le pain enchérit à proportion du désespoir de la récolte. Les plus avisés ressemèrent des orges dans les terres où il y avait eu du blé, et furent imités de la plupart. Ils furent les plus heureux, et ce fut le salut, mais la police s’avisa de le défendre, et s’en repentit trop tard. Il se publia divers édits sur les blés; on fit des recherches des amas4; on envoya des commissaires par les provinces trois mois après les avoir annoncés, et toute cette conduite acheva de porter au comble l’indigence et la cherté, dans le temps qu’il était évident par les supputations qu’il y avait pour deux années entières de blés en France, pour la nourrir tout entière, indépendamment d’aucune moisson. (399)

Saint-Simon exagère-t-il quant aux accumulations de blé ? Ce n’est pas clair. Il reste qu’il se montre très sévère, non seulement envers les spéculateurs sur les blés, mais aussi envers le roi, dont il critique l’absolutisme aveugle, qui provoque une crise avec le Parlement de Paris lequel, tentant de mettre bon ordre à cette gabegie, n’évite une dure réprimande de la part du souverain, que sur l’intervention de Pontchartrain, qui supplie le roi de considérer les bonnes intentions du Parlement et la légitimité de sa juridiction. Si la réprimande est évitée, défense est faite tout de même au Parlement de se mêler de réglementer les blés, ce dont se charge d’Argenson5, lieutenant de police de Paris, faisant appliquer des règlements draconiens avec une implacable sévérité, démontrant ici, comme en d’autres circonstances, son caractère rigide (Frédéric d’Agay, in Bluche 103). Le roi réagit avec la même jalousie de ses pouvoirs à une semblable initiative prise par le parlement de Bourgogne (401), dont le président n’évite pas la réprimande, cette fois-ci…

Les conséquences économiques vont au-delà du tragique. Non seulement les frères Pâris6 réalisent de gros bénéfices sur la « cherté », ce qui indigne Saint-Simon  au plus haut point, mais le froid atroce provoque une dislocation générale de la machine économique française (403). L’immense élan de charité qu’a engendré la situation est loin de pouvoir endiguer le raz-de-marée de misère qui déferle sur Paris aussi bien que sur les provinces, prises dans les serres implacables du « Grand Hyver ». Saint-Simon enrage contre la politique fiscale du roi, qui impose sans discrimination des taxes pour aider en principe les pauvres ; cette taxation est menée avec un tel mélange de brutalité et d’incompétence que non seulement les pauvres n’en bénéficient guère, mais aussi que ceux qui sont obligés de supporter ces impositions s’en trouvent très souvent appauvris eux-mêmes, tandis que dans le trésor royal s’entassent millions sur millions de livres7. Saint-Simon  insiste que le tableau qu’il dépeint est « exact, fidèle et point chargé. » (404) On sait combien le duc désapprouvait par principe certaines politiques de Louis XIV, mais, compte tenu de l’ampleur européenne du désastre de 1709, il faut penser que ce qu’il rapporte, aussi bien les faits que les intentions et les attitudes, n’était pas trop exagéré.

Il faut mettre en regard Saint-Simon avec ce qu’écrit Dangeau dans son journal (q.v.). A la passion du duc, on peut opposer le ton neutre du marquis, qui ne rapporte, du 6 janvier au 4 février, que de brèves remarques sur le froid, qui empêche Louis XIV de sortir prendre l’air autant qu’il le voudrait. Il faut pourtant faire mention d’une entrée, datée du 3 février : « M. le premier président a été chez le cardinal de Noailles8 avec quelques conseillers pour lui représenter que la rigueur de la saison, le manque de poisson et de légumes doivent l’engager à donner permission de manger gras en Carême. » (Journal 323–324). Dangeau rapporte que, le 8, le cardinal, d’accord avec le premier président du Parlement, le procureur général, le prévôt des marchands et le lieutenant de police, ne permet que la consommation des œufs, et seulement jusqu’à la mi-carême (328). On verra plus loin que Rome manifeste un semblable souci du bien-être des bons catholiques… Vers la mi-février, le temps semble s’être un peu adouci, vu que les ducs de Bourgogne et de Berry vont courre le cerf dans la forêt de Saint-Germain (334). A partir de là, aucune mention du froid qui étreint la France et l’Europe jusqu’au mois suivant. En conclusion, la lecture du journal de Dangeau apporte fort peu de renseignements sur le « Grand Hyver ». Tout semble normal à Versailles, où on donne fort souvent la comédie. Le roi fait planter (on se demande quoi et surtout comment, le sol devant être gelé), va se promener (sauf quelques jours où le froid est vraiment trop insupportable) et fait ses dévotions. Outre Saint-Simon, il faut donc se tourner vers une autre source pour un complément d’information sur ce qui se passe, tant à Versailles que dans le reste du pays.

Cette source, bien proche de Louis XIV, est sa belle-sœur, Élisabeth-Charlotte d’Orléans (1652–1722), seconde épouse de Monsieur. C’est la Princesse Palatine, dont Dirk Van der Cruysse a fait paraître en 1988 une importante biographie (q.v.). Les pages qu’il consacre aux réactions de la princesse au « Grand Hyver » (457–462) reflètent à peu près les mêmes conditions climatiques à Versailles et à Paris que celles que rapporte Saint-Simon. La princesse, cependant, est loin d’exprimer les critiques que profère le duc à l’endroit du roi. Van der Cruysse commence par tracer un tableau saisissant des effets du froid, qui viennent s’ajouter aux revers militaires subis en décembre de l’année précédente : capitulation de Lille, perte de Bruges et de Gand.

Dans la nuit du 5 au 6 janvier, une brusque chute de la température jusqu’à -20° paralysa le royaume jusqu’en mars, avec un dégel trompeur fin janvier qui fait fondre en eau l’épaisse couche de neige qui protégeait les blés d’hiver. La seconde gelée à partir du 31 janvier fut encore plus brutale ; elle couvrit le pays d’une gangue de glace qui immobilisait la vie publique. Les boutiques et salles de spectacle étaient fermées, les tribunaux ne siégeaient plus. Les cours d’eau gelés et les routes impraticables sous la glace rendaient quasi-impossibles les transports de vivres et de bois. (457)

Moins incisives cependant que les mémoires de Saint-Simon, insistant peut-être un peu plus sur le détail anecdotique, les lettres de la Palatine n’en constituent pas moins un reflet authentique des vicissitudes qu’inflige l’hiver de 1709. Celle qu’elle écrit le 10 janvier à sa demi-sœur, la raugrave Amélie-Élisabeth9 ne mentionne que les belles médailles que celle-ci lui a envoyées. Élisabeth-Charlotte s’extasie sur ces pièces de collection, dont elle possède à cette date quatre cent huit en or (Lettres de Madame..., 267). Sa lettre du 17 est plus explicite : « Dimanche dernier il faisait un froid atroce et l’on avait allumé un feu terrible dans la cheminée de la salle où nous mangeons. » (267–268) Le reste, cependant, traite surtout de préséances et de rivalités, somme toute assez mesquines, entre elle et le Dauphin (le duc de Bourgogne). Sa lettre à Sophie de Bohême, duchesse de Hanovre10, en date du 19 janvier, offre plus de détails:

… De mémoire d’homme, il n’a fait aussi froid ; on n’a pas souvenance d’un pareil hier. Depuis quinze jours on entend parler tous les matins de gens qu’on a trouvés morts de froid ; on trouve dans les champs les perdrix gelées. Tous les spectacles on cessé aussi bien que les procès : les présidents et les conseillers ne peuvent siéger dans leurs chambres à cause du froid … (Lettres de Madame… 268)

Quoi que dise la Palatine (et Dangeau !), les théâtres demeurent actifs (Voir Appendice III), en dépit des conditions climatiques. Quoi qu’il en soit, le 2 février, elle écrit de nouveau à Amélie-Élisabeth :

…Le froid est si horrible en ce pays-ci que depuis l’an 1606, à ce qu’on prétend, on n’en a pas vu un tel. Rien qu’à Paris il est mort 24000 personnes du 5 janvier à ce jour… (269).
Le Mans et environs, Figure 1

Sa lettre du 9 février à son autre demi-sœur la raugrave Louise (1661-1733) mentionne une autre calamité (pour le peuple), conséquence du froid : « Les loups aussi font rage ici : ils ont dévoré le courrier d’Alençon avec son cheval et en avant du Mans11 ils ont attaqué à deux un marchand… » (270). Les détails sont saisissants :

[D]eux loups ont attaqué un marchand : un lui sauta à la gorge et commença à déchirer son justaucorps ; il cria : deux dragons qui se promenaient hors de la ville vinrent au secours du marchand ; l’un tire son épée et en perce le loup de part en part ; le loup laisse le marchand, saute sur le dragon et le saisit par le cou. Son camarade s’empresse de venir à son secours, et abat le loup, mais déjà la cruelle bête avait étranglé le dragon. Le second loup vient par-derrière, terrasse l’autre dragon et le mord par-derrière. Lorsqu’on arrive de la ville pour prêter assistance, on trouva deux dragons et un loup étendus morts. L’autre loup s’était enfui. (Correspondance complète 110)

Il est bien évident que la Palatine n’a pas assisté en personne à cette scène hautement dramatique, mais que l’attaque a dû être reconstituée par les gens venus au secours des soldats (y compris les appels au secours du marchand, sans doute).

Sa lettre du 2 mars à la même rapporte l’histoire d’une pauvre femme ayant volé un pain au marché. Arrêtée, elle supplie qu’on lui laisse le pain, alléguant qu’elle a à la maison trois enfants en haillons, mourant de faim. Le commissaire qui l’accompagne chez elle pour vérifier ses dires découvre le mari derrière la porte : il s’était pendu de désespoir (Lettres de Madame… 271, Correspondance complete 111–112).

Fondée par Théophraste Renaudot en 1631, la Gazette de France relate en détail des nouvelles sur la situation climatique de certaines régions d’Europe entre janvier et avril 1709. En examinant ces quatre mois, il devient évident que les nouvelles de la guerre de Succession d’Espagne et les « bulletins météorologiques » sont indissociables. On a cependant choisi d’omettre tout ce qui concerne les activités militaires, n’y faisant allusion que lorsque cela devient indispensable pour comprendre l’étendue des dégâts dus au froid, dégels, regels. Une constatation devient évidente à mesure qu’on lit la Gazette de France : la propagande louis-quatorzienne est flagrante mais, curieusement, c’est par omission12 . Du 15 janvier au 6 avril 1709, on relève 31 mentions du froid et de ses conséquences en Europe. On relève également 6 fois où la France est mentionnée, mais uniquement concernant Paris ou Versailles ; il n’y est nullement question du froid, encore moins de ses conséquences. Voyons comment un lecteur en 1709 apprendrait ce qui se passe en France.

Le 26 janvier, à Paris, arrive Antonio Mocenigo, ambassadeur de la république de Venise. L’article décrit en grand détail d’abord la réception du diplomate, avec l’ordre des carrosses et des personnages de la Cour, ensuite la cérémonie proprement dite. Le 8 février, la Gazette de France rapporte de Versailles les rites religieux célébrés à l’occasion de la fête de la Purification de la Vierge (2 février), la réception de Cronstrom, envoyé extraordinaire du roi de Suède, ainsi que les promotions de brigadiers de cavalerie et de dragons. Toujours de Versailles, en date du 15 mars : le 8, le roi, accompagné du Dauphin, du duc de Bourgogne, du duc et de la duchesse de Berry, entend dans la chapelle du château la prédication de l’abbé Anselme13 . Le 16, on peut lire que des commandants de marine français ont effectué trois prises: une hollandaise et deux anglaises, toutes trois chargées de produits de luxe ou exotiques : tabac, sucre, cacao, vins, bois de brésil. On ne peut qu’imaginer la réaction des Parisiens, frigorifiés et affamés, devant cette nouvelle. Le 5 avril, le lecteur de la Gazette a droit à un rapport détaillé sur les dévotions royales durant les derniers jours du Carême : le jeudi 28 mars, le roi, accompagné du duc et de la duchesse de Bourgogne, ainsi que du duc et de la duchesse de Berry, avait entendu l’office de Ténèbres. Le vendredi 29, un sermon de la Passion par l’abbé Anselme. Le samedi 30, le roi s’était rendu à l’église paroissiale de Versailles et avait communié des mains du cardinal de Janson, Grand-Aumônier de France. Ensuite il avait touché un grand nombre de malades. Le Dauphin avait communié des mains de l’abbé de Maulévrier, aumônier du roi. Le soir, les duc et duchesse de Bourgogne et ceux de Berry avaient entendu les vêpres et le Salut, dans la chapelle du château. Le 31 mars, jour de Pâques, le roi avait assisté à une messe basse dans la chapelle du château, en dépit d’une colique qui le tourmentait. Le Dauphin, la Dauphine ainsi que le duc et la duchesse de Berry avaient eu droit, eux, à la grand’messe chantée. Heureusement, vers la fin de la journée, la colique royale s’était soulagée… Le 6 avril est consacré à une longue chronique des personnages notables (de Paris) morts le mois précédent. Voilà tout ce que rapporte de France la Gazettedurant cette période.

Si c’était l’unique source, en mettant cela en contexte avec le reste des nouvelles, on aurait l’impression bizarre que la France constitue un îlot de temps clément et de normalité, voire de prospérité, au sein d’un océan de détresse car, pour le reste de l’Europe, septentrionale ou méditerranéenne (avec la notable absence de l’Espagne et du Portugal), la nature s’est montrée infiniment plus cruelle. Ceux sur lesquels la Gazette de France donne le plus de renseignements sont les pays ennemis de la France : Pays-Bas catholiques (Belgique), Allemagne et Autriche, mentionnés 22 fois en tout. Plus on va au nord, plus les conditions sont mauvaises. Par exemple, la Gazette rapporte que le détroit de Sund (Øresund) a été gelé en deux jours et qu’on passe à pied de l’île de Zélande (où se trouve Copenhague) à la province de Schønen (en suédois Skåne), c’est-à-dire la Scanie (l’extrême sud-ouest de la Suède). Curieusement, la Hollande n’est mentionnée qu’une fois. Le même numéro rapporte que le froid y est tellement vif que non seulement les chariots passent sur les canaux, mais aussi traversent le Zuiderzee. Les souffrances de la population sont extrêmes14 . Cela semble bien contredire ce qu’avance Saint-Simon dans ses mémoires.

Figure 2: Denmark, Satellite Image

L’Allemagne aussi est durement frappée. Au 15 janvier, la Gazette rapporte de Hambourg que l’Elbe est gelée à tel point que les chariots la traversent sur la glace, remarque fort commune et que l’on voit un peu partout. 10 hommes meurent en allant à la foire de Kiel. Le Mein à Francfort et le Rhin en plusieurs endroits sont gelés sur l’épaisseur d’une brasse15 . Beaucoup de gens sont morts de froid et même les oiseaux tombent morts du ciel. Dans la région de Darmstadt, les dommages sont incalculables. Un grand nombre de cerfs, de sangliers et d’autres bêtes sauvages meurent. Plus de mille morts à Heidelberg à cause du froid. En Europe centrale, les lacs de Zurich et de Constance sont gelés. Un aspect bénéfique de la vague de froid, cependant : au 2 mars, la Gazette de France rapporte que la maladie contagieuse qui sévissait dans ces régions à pris fin16 .

Le 6 février, la fonte des glaces à Cologne a fait déborder le Rhin de telle sorte qu’une partie de la ville était inondée. On ne pouvait aller qu’en bateau dans la plupart des rues. Plusieurs villages des environs ont été submergés. Les habitants se sont réfugiés sur les toits ; beaucoup ont péri, de même que les bestiaux. On constate les mêmes accidents ailleurs le long du fleuve, ainsi qu’en Saxe. La situation oscille entre les dégels, qui causent des inondations catastrophiques, et les regels, qui rendent les chemins impraticables. Toutefois, la glace n’est pas si solide en mars, ce qui a causé la mort de plusieurs marchands et la perte de leurs marchandises lors de tentatives de traversée de glaces insuffisamment épaisses. Les souffrances des troupes palatines et de Hesse-Kassel en raison des rigueurs hivernales sont extrêmes : plus de 2500 hommes sont morts, estropiés ou malades. Enfin vers la fin mars, l’hiver semble avoir relâché quelque peu son étreinte. L’Elbe est encore couverte de glaçons, mais la vague de froid semble passée. Le temps continue à être glacial en Prusse orientale et en Pologne, où des alternatives de dégel et de regel continuent à provoquer des morts par inondations puis par famine ou misère.

Du 18 janvier au 29 mars, la Gazette de France relève les conditions extrêmes qui affligent les Pays-Bas (Belgique et Hollande) : le froid a pris brusquement dans la nuit du 5 au 6. Les troupes alliées (danoises et anglaises) ont souffert extrêmement du froid, qui est le plus rigoureux depuis 40 ou 50 ans. On trouve de nombreux soldats morts sur les chemins. Plus de 800 restent dans les hôpitaux de Liége, de Maëstricht et d’autres villes. La rigueur du froid cause dans la campagne belge une misère extrême, aggravée par les exactions des armées qui occupent la région. La neige rend les chemins impraticables. Dans les villes, elle s’accumule jusqu’à 3 ou 4 pieds de hauteur. Un bref dégel entre le 10 et le 15 février permet une certaine reprise de la navigation mais, dans la nuit du 18 au 19, la gelée recommence et les canaux ainsi que la Meuse regèlent. Vers le 22, la gelée a complètement repris. Neiges et vents impétueux engendrent une misère généralisée en Flandre et en Brabant: la rasière de blé (environ 144 litres), qui valait en 1708 5 florins, est à 20. La disette est exacerbée par le fait que les villes voisines interdisent d’exporter des provisions sous peine de mort.

D’autres villes de Flandre sont aussi victimes de graves pénuries: le duc de Holstein-Beck, commandant de la place de Lille, a ordonné aux habitants de la ville d’amasser trois mois de provisions ou de quitter la ville. Les magistrats ont ordonné aux habitants de déclarer ce qu’ils ont comme provisions sous peine de 50 florins d’amende. L’impossibilité de transporter les denrées alimentaires fait empirer la famine : le dégel empêche les transports par voie de terre, le regel rend la navigation impossible. Le 16 mars, les magistrats de Lille avaient fait publier trois ordonnances sur les vivres :

a. Ordre à tous les habitants de déclarer la quantité de grains & de farine qu’ils ont. b. Même ordre, de déclarer la quantité de vin, d’eau-de-vie, de sel, de tabac et de riz. c. La perception de droits sur les denrées alimentaires est suspendue.

Dans de nombreux villages et villes, les inondations forcent les gens à naviguer en bateau dans les rues. Bolduc (Bois-le-Duc ou s’Hertogenbosch17 en néerlandais) n’est qu’un exemple parmi bien d’autres... Les digues cèdent sous la poussée des glaces, en particulier dans la région des bouches de la Meuse, aggravant les inondations. Plus on regarde vers l’est de l’Europe, plus les conditions sont dures.

Le sud du continent n’est pas mieux nanti : au 26 janvier, le froid est extrême à Venise. Tous les canaux et les lagunes sont gelés. On se rend à Mestre18 à pied (scénario commun à toute l’Europe). La pénurie de denrées alimentaires est générale dans la population à cause du gel. Mais pour ce qui est des nobles, ils ne semblent pas souffrir : le roi de Danemark vient en visite et donne un magnifique divertissement dans son palais. Le dégel du 2 février apporte une légère amélioration : les provisions commencent à arriver par voie d’eau mais, comme dans le reste de l’Europe, les pluies sont si abondantes que les chemins sont devenus impassables, inhibant l’approvisionnement par voie de terre. La Gazette de France se contente de rapporter les faits sans aucun commentaire, mais le lecteur peut se faire une idée de la compassion de l’Église dans ces pénibles circonstances : le 23, à Rome, le cardinal Carpegna, vicaire du pape, fait venir une assemblée de médecins pour déterminer si, en raison de la rigueur de l’hiver, du manque de poisson salé dû à l’interruption de la navigation par une recrudescence de l’activité des corsaires, de l’augmentation des maladies et de la misère causée par les déprédations des Allemands, il ne fallait pas accorder des dispenses touchant l’observation du Carême. Contrairement à celle du cardinal de Noailles (supra), la décision finale n’est pas connue…

Le 27 février, nouvelle visite du roi de Danemark, à qui la Sérénissime République offre une splendide collation. Ces réjouissances forment un contraste frappant avec les exigences des troupes impériales, qui se livraient au même moment à des exactions financières : 32 000 écus de la marche d’Ancône, et plus encore du duché d’Urbino. Les Impériaux sont en train de ruiner les États du pape.

Pour savoir en détail ce qui se passait vraiment en France, il faut avoir recours aux chroniques. Joël Cornette (498-499) cite le curé du village d’Ezy 19 , qui donne les renseignements suivants :

La veille du 6’ de janvier de l’année 1709, jour des Rois, il plût et le jour des Rois, la gelée fut prodigieuse, Elle continua de plus en plus jusques au 28 du mois; en sorte qu’il n’étoit point d’homme par terre qui en eust veu une semblable. ny entendu parler, ny leu dans l’histoire. Il geloit jusques au coin du feu el le vin auprès du feu ne dégeloit qu’à peine. La rivière prit de plus d’un pied d’épais. On coupoit la glace avec des cognées et autres instrumens pour faire aller un des deux moulins, et les glaçons qu’on en tiroit estoient comme des pierres de taille, Les neiges estoient aussi prodigieuses que la gelée. Il y en avoit jusques aux genoux également. Celle gelée fut si forte que les chênes de 50 ans fendoient par le milieu du tronc en deux ou trois; on les entendoit dans le vieil parc et dans la forest faire du bruit en s’ouvrant comme des pétars, et après la gelée tous se refermèrent [...]. Les volailles tomboient mortes dans leurs pouliers20 , les bestes dans leurs tanierres et les hommes avoient bien de la peine à s’échauffer, surtout la nuit, plusieurs brulèrent icy leurs lits pour les échauffer [...]. Pour dire une messe basse, il falloit deux réchaux, un proche du calice, et l’autre des burettes; de l’eau bien chaude pour faire l’eau bénite [...]. J’ai vu mes paroissiens à l’église ayant tous les cheveux et la barbe toutes blanches et leurs haleines qui glaçoient en sortant de leurs bouches [...]. La plupart des vignes furent gelées [...]. Le vin fort rare pendant trois ans [...], le cidre devint rare aussy [...], le meilleur bled ne passoit pas 30 livres à Pâques; mais sitôt que les bleds ne donnèrent plus d’espérance, il haussa à tous les marchez si fort qu’au mois d’aoust : il valoit 82 livres le septier, jusqu’à 85 livres le plus beau [...]. Le pain de son fut fort commun, tous les pauvres en vivoient [...], on faisoit aussi du pain d’avoine, celui des pauvres gens étrangloit, tant il estoit rude et amer. J’en goutai exprez, à chaque bouchée, il falloit un coup d’eau pour le faire passer [...]. Les pauvres n’avoient plus que la peau et les os...

Nous avons choisi de donner cette citation dans son entièreté pour la richesse des détails qu’elle fournit et aussi à cause du fait que c’est un « non-privilégié », un simple curé de village qui parle.

Dans la Touraine, nous avons plusieurs localités qui ont laissé des chroniques. Le Grand-Pressigny, Mouzay, Sainte-Radegonde, Tours et Loches rapportent essentiellement la même chose, en termes poignants21 : les arbres fruitiers, les chênes, même les rochers se fendent. Les vignes et les blés périssent. De Tours, on note ce détail, peu surprenant à la vérité, mais intéressant tout de même :

Le pain estoit à peine sorti du four qu’il geloit, et le vin geloit visiblement en le versant dans le verre. On ne buvait qu’à la glace. On ne pouvoit s’échauffer qu’avec le meilleur feu. On ne pouvoit dans les rues distinguer les vieux et les jeunes parce qu’on avait pareillement la barbe et les cheveux blancs.
Encore un indice de compassion ecclésiastique : le curé de Loches voit dans cet hiver une punition divine, ainsi qu’il le note en fin du registre paroissial pour l’année 1709.

L’Île-de-France n’est pas moins durement touchée, ainsi que le fait voir un placet du curé de Boissize-la-Bertrand22 et un autre par Jean-Baptiste Vincelet, vigneron de Vaux-le-Pénil, dans la même région. Ce dernier mentionne qu’ « Il y a eu une si grande famine l’année mesme que les pauvres gens mangeoient l’herbe, comme les bestiaux, et l’avoine et la vesce23 . » Ce document est aussi cité par Lachiver, qui consacre 25 pages (501–524) à des documents chroniquant le terrible hiver ; cette documentation est loin d’être exhaustive...

Faire le détail de tous les mémoires relatant les dégâts et les souffrances causées par l’hiver de 1709 dépasserait de très loin le cadre de cette étude. Il suffit de montrer un peu d’imagination (et/ou de lire la Gazette, Saint-Simon ou la princesse Palatine en détail) pour dresser un tableau hallucinant de ce que pouvait endurer le peuple de France pendant cette période. La remarque de Van der Cruysse est juste par ailleurs, bien qu’il ne tienne pas compte des chroniques populaires citées plus haut : « On a de la peine à s’imaginer les souffrances du menu peuple (qui n’écrivait ni mémoires ni correspondances) en lisant les témoignages des contemporains plus favorisés (457). On espère avoir apporté ici une idée de ce que les « autres » disent et pensent, face à cette calamité. A ce propos, on peut voir en appendice un mémoire datant apparemment de 1789, avec sa transcription. Il n’apporte peut-être pas grand-chose de nouveau ni d’original relativement aux événements pris en eux-mêmes, ni à ceux mentionnés précédemment, mais il a néanmoins le mérite de présenter des extraits de registres paroissiaux villageois datant de 1709; il offre donc, à 80 ans de distance, un aperçu des misères rencontrées par ceux à qui d’ordinaire ni l’histoire ni la littérature ne donnent voix. Compte tenu de l’orthographe et de la syntaxe du mémoire en question, il y a peu de raisons de douter de son authenticité. Son intérêt est de fournir une perspective historique significative pour les contemporains de la Révolution : comme 80 ans auparavant, l’hiver 1788-1789 est un des plus froids du siècle ; la pénurie de bois est manifeste, les récoltes sont mauvaises, les salaires chutent et le prix du pain double ; tous ces facteurs contribueront puissamment au soulèvement qui se prépare24 . En Provence, les oliviers gèlent. Les récoltes sont compromises par le gel des semences. Comme en 1709, le gel paralyse les transports, les activités des moulins à eau. En conséquence, le prix du froment est au plus haut du siècle le 13 juillet à Paris (30 livres et 12 sols). La population de Paris se trouve alors dans une situation très précaire. Les vendanges sont médiocres en Champagne et en Bourgogne25 .

La princesse Palatine et Dangeau disent que les salles de spectacle étaient fermées. Ce n’est pas forcément le cas. Du 5 janvier au 24 mai 1709, on peut relever dans la base CESAR26 2 représentations théâtrales à Bruxelles27 et 22 à Paris, dont 7 de Turcaret, de Lesage (voir Appendice III). On trouvait donc moyen de s’amuser, d’aller au spectacle, même en dehors de Versailles. Pour paraphraser la Fontaine, si tous étaient frappés, ils ne mouraient pas tous, de toute évidence. Ce n’est pas pour minimiser l’horreur, mais, comme toujours, ce sont les plus pauvres et les plus faibles qui supportent le pire. Les autres… Lorsqu’ils font partie de la famille royale, ils font leurs dévotions en grande pompe. Les membres de la haute finance font des bénéfices sur le dos des malheureux. Les nobles, eux, se calfeutrent et jouent ou regardent la comédie dans les salons dorés de Versailles…

Si vers avril ou mai 1709 la température se réchauffe, le « Grand Hyver » laisse derrière lui une famine qui durera le reste de l’année. Par les yeux de Madame Palatine, on peut voir les émeutes parisiennes provoquées par le manque de pain (Van der Cruysse 460). Nous avons constaté plus haut l’exploitation de la misère générale par les frères Pâris ainsi que la sévérité de d’Argenson pour ce qui est de l’application des lois. Louis XIV essaie bien vers juin-juillet de soulager la misère en diminuant les impôts dans les provinces et en faisant fondre sa vaisselle d’or massif pour la faire battre en monnaie, imité par en cela par bien des nobles avec plus ou moins d’enthousiasme. Initiative louable, que commente ironiquement Van der Cruysse: « On voit que tous baissaient d’un cran ; ceux qui avaient mangé dans des assiettes d’or se résignaient à l’argent ; ceux qui avaient mangé dans des assiettes d’argent se mettaient en faïence ; quant aux habitués de la faïence, ils n’avaient plus grand-chose à se mettre sous la dent. » (461)

Il va de soi que les chroniqueurs privilégiés n’ont pu connaître les désastres du « Grand Hyver » que d’une façon relativement mitigée ou encore par ouï-dire, même compte tenu des souffrances qu’ils enduraient eux-mêmes à Versailles (Saint-Simon, la Palatine). Ce n’est pas pour minimiser l’importance de ces textes qui nous apportent, il faut le reconnaître, un témoignage contemporain lucide et bien exprimé sur une des plus grandes catastrophes naturelles des dernières années du règne de Louis XIV, mais les rares chroniques que nous laissent les curés de village, les cultivateurs et autres membres du Tiers-État revêtent un caractère que leur orthographe et leur syntaxe incertaines rendent beaucoup plus poignant. En contraste avec la lecture de ces textes, la Gazette laisse l’impression soit d’un cynisme flagrant dans la flatterie implicite du roi, soit celle d’une crainte abjecte de l’ire louisquatorzienne, impression qui fait qu’on se demande où se situe vraiment « l’envers du Grand Siècle »…

University of Georgia


NOTES


1Article « blé ». http://www.voltaire-integral.com/Html/18/ble.htm
2Un des premiers parfums à base d’alcool, élaboré à partir de romarin, de bergamote, d’ambre et de jasmin, et dont la reine Élisabeth de Hongrie (1128–1155) était réputée d’user avec régularité.
3 François de Neufville, 2e duc de Villeroy (1685), maréchal de France, est né à Lyon le 7 avril 1644 et mort à Paris le 18 juillet 1730. Son incapacité notoire durant la guerre de Succession d’Espagne provoqua la surprise lorsque Louis XIV fit appel à lui pour remplacer Nicolas de Catinat (1637–1712).
4Accumulation illicite ou frauduleuse d’une denrée.
5Marc-René de Voyer de Paulmy, marquis d’Argenson (1652–1721). En 1709 il est à la fois lieutenant de police de Paris et membre du Conseil d’État.
6Les frères Pâris sont quatre financiers français des XVIIe et XVIIIe siècles : * Antoine Pâris dit « le Grand Pâris » (1668–1733) ; * Claude Pâris la Montagne (1670–1745) ; * Joseph Pâris dit « Duverney » (1684-1770) ; * Jean Pâris dit « de Montmartel » (on trouve aussi Monmartel) (1690–1766).
7Saint-Simon rapporte que ces taxes continuent (encore que diminuées) au moment où il écrit (403).
8Louis-Antoine de Noailles (1651–1729), cardinal-archevêque de Paris.
9 1663–1709. Fille du prince-électeur Karl Ludwig de Palatinat (1617–1680) et de son épouse morganatique Maria Susanne Loysa von Degenfeld (1634–1677).
10 1630–1714. Fille de Frédéric V du Palatinat et d’Élisabeth d’Angleterre. Épouse en 1658 Ernest-Auguste de Hanovre, dont elle aura plusieurs enfants, notamment George Ier d’Angleterre.
11L’édition de 1869 de la correspondance complète de la Palatine (q.v.) parle de la ville de Mons et non pas du Mans (110). Vu la proximité d’Alençon et du Mans, il faudrait penser que c’est de cette dernière ville qu’il s’agirait plutôt. Voir la carte (supra).
12On ne peut pas vraiment parler de propagande dans le cas du Journal de Dangeau, vu qu’il n’a été publié du vivant de l’auteur que par fragments. La première édition complète ne voit le jour qu’à partir de 1854.
13Antoine Anselme (1652–1737). Il prêche à la cour la station quadragésimale en 1709. Auteur, entre autres, d’un recueil d’oraisons funèbres, publié en 1701 (Paris, Louis Josse).
14 Gazette de France, 1er février.
15La brasse de France valait 1, 624 m.
16La Gazette de France ne précise pas quelle maladie, mais il s’agit vraisemblablement de dysenterie.
17 S’Hertogenbosch faisait partie des Pays-Bas catholiques à l’époque. Aujourd’hui la ville est en Hollande.
18Située sur la terre ferme, Mestre fait partie de la commune de Venise.
19Ezy-sur-Eure, en Normandie (au nord-ouest du château d’Anet).
20Poulaillers.
21 http://membres.lycos.fr/verocheriaux/page42.html
22Près de Melun, dans l’actuelle Seine-et-Marne
23Plante fourragère, de la famille des papilionacées.
24 http://agriculture.gouv.fr/histoire/2_histoire/epokcontemp_1.htm
25 http://articles.gourt.com/fr/1789
26 http://www.cesar.org.uk/cesar2/
27Tancrède le 5 janvier, Thétis et Pélée le 7, les deux au Grand Théâtre de la Monnaie.

APPENDICE I

APPENDICE I

APPENDICE II

Le Grand Hyver 1709

APPENDICE III

Les spectacles à Paris entre début janvier et fin mai 1709 (http://www.cesar.org.uk)

02.04 Persée le cadet - Foire Saint-Germain

02.07 Arlequin grand vizir - Jeu de paume de Belair

02.07 Pierrot Roland - Théâtre de la veuve Maurice

02.09 - Loge de Bertrand et Dolet

02.10 L’Enfant espiègle - Loge de Bertrand et Dolet

02.14 Turcaret - Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain

02.15 Hérode - Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain

02.17 Turcaret - Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain

02.17 La Foire Saint-Germain - Foire Saint-Germain

02.19 Turcaret - Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain

02.19 La Fille savante ou Isabelle fille capitaine - Loge de Bertrand et Dolet

02.20 Arlequin toujours Arlequin - Loge de Bertrand et Dolet

02.20 Les Fourberies de Scaramouche - Loge de Bertrand et Dolet

02.21 Turcaret - Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain

02.24 Turcaret - Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain

02.27 Turcaret - Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain

03.01 Turcaret - Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain

03.03 Arlequin grand vizir - Loge de Bertrand et Dolet

03.14 - Foire Saint-Germain

03.15 Penthée - Palais-Royal (cour)

04.09 Sémélé - Théâtre du Palais-Royal

05.24 Méléagre - Théâtre du Palais-Royal

Ouvrages cités ou consultés

Bluche, François (Éd.) Dictionnaire du Grand Siècle. Paris : Fayard, 1990.

Cornette, Joel. Chronique du règne de Louis XIV. Paris : SEDES, 1997.

Dangeau, Philippe de Courcillon, marquis de. Journal du marquis de Dangeau, publié en entier pour la première fois, par MM. Eud. Soulié et L. Dussieux, avec les additions inédites du duc de Saint-Simon, publiées par M. Feuillet de Conches. Tome douzième : 1707-1709. Paris : Firmin-Didot Frères, Fils et Cie, libraires, 1857.

Gazette de France. Janvier à avril 1709.

Lachiver, Marcel. Les Années de misère : la famine au temps du Grand Roi. 1680-1720. Paris : Fayard, 1991.

Orléans, Élisabeth-Charlotte d’. Correspondance complète de Madame, duchesse d’Orléans, née Princesse Palatine, mère du Régent. Traduction entièrement nouvelle par M. G. Brunet, accompagnée d’une annotation historique, biographique et littéraire du Traducteur. Tome premier. Paris, bibliothèque Charpentier, Eugène Fasquelle, éditeur. 1869.

———. Lettres de Madame, duchesse d’Orléans, née princesse Palatine. Préface de Pierre Gascar. Édition établie et annotée par Olivier Amiel. Paris : Mercure de France, 1985.

Saint-Simon, Louis de Rouvroy, duc de. Mémoires (1707–1710). Additions au Journal de Dangeau. Édition établie par Yves Coirault. Paris : Gallimard (Pléiade), 1984.

Van der Cruysse, Dirk. Madame Palatine, princesse européenne. Paris : Fayard, 1988.

Voltaire. Dictionnaire philosophique. http://www.voltaire-integral.com/Html/00Table/4diction.htm

———. Le Siècle de Louis XIV. Paris : Garnier Frères, 1919.

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Royal Bodies, Royal Bedrooms: The Lever du Roy and Louis XIV’s Versailles

Article Citation
Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal XII, 1 (2008) 99–118
Author
David M. Gallo
Article Text









There is no doubt, as there was none in the minds of his contemporaries, that Louis XIV was exceptionally skilled at using the whole panoply of ceremonial at Versailles, what the Duc de Saint-Simon called the mécanique of the court. Norbert Elias’ work, The Court Society, pioneered a detailed study of Louis XIV’s carefully calculated strategy “of regulation, consolidation and supervision...” 1which became, in that king’s hands, “a highly flexible instrument of power.” 2

Fundamental to Elias’s thesis is the assertion that even Louis XIV, the Roi-Soleil, who is often taken as the supreme example of the omnipotent absolute monarch, proves on closer scrutiny to be an individual whose position as king was enmeshed in a specific network of interdependencies. He could preserve his power only by a carefully calculated strategy which was governed by the peculiar structure of court society in the narrow sense, and more broadly by society at large. 3

Elias uncharacteristically understood Louis XIV in the light of recent re-thinking about the nature of French absolute monarchy. Far from viewing 1661 as “the dramatic crushing of all opposition by an absolute monarch,” 4 Elias affirmed that the personal rule of Louis XIV began in 1661 at a time of great weakness. 5 At first glance, the simplest strategy would seem to be for Louis to implement the old Roman adage, divide et impera. But he did not and could not simply do this. The king knew from the experience of the Fronde that he was “living under the pressure of a possible threat from below;” 6 consequently, he must himself exert pressure to maintain his rule and to “prevent a unification of Court society against him.” 7 His genius, according to Elias, was that he succeeded to perfection in an "exact assessment of the power relationships at court and a careful balancing of the tensions within it,” 8 thereby creating “organizations which both maintain the tensions and differences and facilitate their supervision.” 9 In his view, it was Louis XIV’s carefully calculated strategy, unfalteringly implemented during the course of his nearly fifty-five year long personal reign, which succeeded in maintaining his position and in instilling in the French nobility the need for it.

Maintaining and enhancing power required the king to use any and all means at his disposal. An instrument in his arsenal in the exercise of power, “of regulation, consolidation and supervision — one among others — is the court and its etiquette as understood by the King.” 10 Ceremonial and etiquette functioned, for Louis XIV, as an important instrument of rule and the distribution of power. He wielded this weapon in his métier du roi with an intensity reflecting his joyful awareness that “he was made for it.” 11

Elias perceived that “each act in the ceremony [the King's lever or coucher, for example] had an exactly graded prestige-value that was imparted to those present, and this prestige-value became to an extent self-evident.” 12 Louis’s use of these ritual actions “served as an indicator of the position of an individual within the balance of power between the courtiers, a balance controlled by the King and very precarious.” 13 Under his watchful eye, “the direct use-value of all these actions,” although “more or less incidental,” 14 took on a secondary value of immense importance. “What gave them their gravity was solely the importance they conferred on those present within court society, the power, rank and dignity they expressed.” 15 “In effect, etiquette everywhere allowed latitude that he [the King] uses as he thinks fit to determine even in small ways the reputation of people at court. (...) He used the competition for prestige to vary, by the exact degree of favor shown to them, the rank and standing of people at court, to suit his purposes as ruler, shifting the balance of tensions within the society as his need dictated.” 16 Elias sums up Louis XIV’s deliberate “tactic” in this way:

He must carefully channel the tensions, cultivate petty jealousies and maintain, within the groups, a fragmentation in their aims and therefore in the pressure they exert. He must allow opposed pressures to interpenetrate each other and hold them in equilibrium; and this requires a high degree of calculation. 17

Of course, Elias realized that “Louis XIV had certainly not created the mechanism of ceremonial. But thanks to certain opportunities open to his social function he had used, consolidated and extended it (...)”18

For all this, Elias’ sociological analysis of the functioning of the lever du roi as a prime example of Louis XIV’s conscious plan did not address the history of the system’s evolution. 19 The Duc de Saint Simon, an otherwise valuable eyewitness, provides innumerable examples of the operation of etiquette, but one cannot tell from his work when specific practices actually began. The reader must assume that at some time during Louis XIV’s forty-plus years’ residence at Versailles the code of manners became so complete that by the 1690’s (when Saint-Simon arrived at court), hardly any action by the king in the presence of others, from lever to coucher, was not regulated by the code of manners. 20

The fact remains that the chronology of court ritual has never been clearly established. The question of the intentionality of this development on the part of Louis XIV, that is, “. . . just how it came into being — step by step as must have been the case — has never been elucidated in historical terms.” 21

Peter Burke, in his book on the “fabrication” of Louis XIV, stated that, while valuable, Elias’ analysis (as well as Saint-Simon’s memoirs), did not address the

…history of the creation and development of the rituals. We should not assume that they were there all the time, difficult as it now is to imagine Louis XIV without them. The question of their origin is at once obvious and neglected, easy to ask and difficult to answer. What might be called the “invention” of the Versailles tradition remains obscure. Did the domestic rituals begin when Louis took up permanent residence in the palace in 1682? What happened during earlier visits to Versailles, or later visits to other palaces? Did the king create the rituals himself, or were they the work of his advisers or his masters of ceremonies, or did they really follow tradition? Were they created for political reasons? 22

Although many of these questions await a definitive response, sources do exist which describe Louis XIV’s lever as it unfolded at different times during his reign, and in the layout of the king’s various apartments, at the Louvre and later at Versailles. The development and transformation of the lever indicate an important shift in the public presentation of the French monarchy in the latter part of Louis XIV’s reign, with implications for its future.

The day-to-day ceremonial life surrounding the king of France was part of a tradition going back well before the Sun King. As early as 1533, the King’s Bedchamber under François I at Fontainebleau was a public room. 23 With ample space at his disposal, this monarch found relatively simple accommodations necessary: a salle or Great Chamber in which he ate; a chambre in which he lived and slept; behind the chamber à cabinet into which he could withdraw from the public eye. As Baillie notes,

Even if he did not spend a great deal of his time in it, the fact that this Closet was behind and not in front of the Bedchamber inevitably led to the Bedchamber becoming an ante-room to the Closet and so more public than private in character. This is made extremely clear by the fact that the gallery he built to link the old with the new castle and which he used for balls and entertainments leads straight from the entrance vestibule of the new Château into his bedchamber. 24

It seems clear that by 1533 two trends characteristic of later French royal tradition were in place. First, a multiplication of rooms with a specialized purpose; there were both public rooms for eating and sleeping, and less public, though accessible, rooms for a modicum of privacy. Yet despite this differentiation of rooms, the second trend was the distinctive feature of French royal tradition — the public character of the chambre. The king’s rooms where the most intimate functions occur were, in effect, wide-open and accessible. François Ier respected and continued the tradition whereby French monarchs were available and continued to be accessible to all. 25 Louis XIV gave clear witness to this tradition in his Instructions for the Dauphin:

There are nations where the majesty of kings consists, in large part, in never letting themselves be seen, and that could seem reasonable to those minds accustomed to servitude, governed only by fear and terror; but that is not the genius of our French nation, and, from as far back as our histories can instruct us of it, if there is one particular character of this monarchy, it is the free and easy access of subjects to the prince. 26

The architecture of most royal châteaux, and of the King’s Apartments into the reign of Louis XIV is evidence of this

In the reign of Henri III, a tradition already existed at the Louvre for the king's ceremonial rising. An English eyewitness account of the lever du roi27 provides a glimpse into Henri III’s morning ritual as it was in 1584. Upon arising, the king received a dressing gown and slippers from a valet de chambre, and then proceeded to another room where he was dressed by other valets in attendance. 28 After a brief breakfast of bouillon, Henri allowed entry to those in attendance on him in the morning: first, secretaries reporting to the king, and then the nobility present. 29 Entry to the King’s Bedchamber in the morning was limited to his officers, councilors, secretaries, and intimate servants. Only in another room after his rising did he receive members of the nobility. The tradition of two distinct stages — one private, one public — was the pattern of Louis XIV’s lever in the early part of his reign.

The first complete description of the lever du roi of Louis XIV is from June 1655, recounted by Marie du Bois, the 17 year-old king’s valet de chambre and a participant in the ceremony. 30 This took place in the King’s Apartment at the Louvre, which in 1655 comprised, among other rooms, two bedchambers. Henri IV had converted a small room off the main bedchamber into another one replete with an alcove. At the Louvre, both Louis XIII and Louis XIV inherited a dual sleeping arrangement31 , one private32 (Chambre de l’Alcôve) and one public 33 (Chambre de Parade).34 The first stage of the young king’s rising unfolded first in the smaller bedchamber (Chambre de l’Alcôve), the room in which Louis actually slept. 35 As soon as he awoke, Louis began the day with prayer. 36 Religious responsibilities fulfilled, his preceptor then entered the private bedchamber (Chambre de l’Alcôve) and began the daily lesson, a study of Scripture or the history of France. 37 His first study session took place while he was still in his bed, for only after this is any mention of getting out of it. 38 As he did so, only the two valets of the bedchamber (valets de chambre) on duty for the day and the ordinary usher (huissier) entered and took their places. 39 Once out of bed, Louis sat upon his chaise percée, which was located in this same chamber; he remained there, readers are informed, for a half an hour, more or less. 40

The second stage of the lever took place in the large bedchamber, the Grande Chambre. Leaving his private Bedchamber (Chambre de l'Alcôve), the young king encountered various princes and high nobles in attendance upon him for the public lever.41 Still in the relative informality of his dressing gown, he went straight into the waiting crowd, speaking to each one with warmth and familiarity, giving them much pleasure. 42 Once seated in his armchair, the king began his toilette, washing and wiping his hands, mouth and face. He then removed his night bonnet and knelt down beside his bed in the alcove, along with the clerics of his household and everyone else in the room to pray in silence, this time in public. 43 Prayer finished, the king went back to his armchair and was combed and dressed. 44

Some evidence exists concerning the arrangements of the King’s Apartments in the early 1660’s. A certain Guillet de St.-Georges described it thus:

Next to the same room [Chambre à Coucher du Roi], M. Errard had painted, decorated and gilded a little Oratory for the King, and M. Coypel, following the simple ideas of M. Errard, painted two little pictures after having made himself all the sketches for them. 45

This “little Oratory” was the small room (Oratoire du Roi,) which formed a square to the south-east of the Chambre d’Alcôve (the side of which measures about 2.3 meters). Contemporary accounts state that while the King's Chambre d’Alcôve was beautiful, it always remained rather badly lit, because of its size and lack of windows. A visitor wrote around 1660:

They have not yet rectified the Chambre du Roy, where even in the noonday sun one can only grope one’s way in. This darkness is all the more annoying in that it disfigures the most beautiful Bedchamber in the world, and that of the greatest King on earth, no less. 46

The visit of the Cavaliere Bernini in 1665 provides the only known description of the actual décor of the royal apartments.

Going on, he [Bernini] entered the King’s bedchamber; the King was in bed having just had his foot bled. The bed was covered in amaranth-colored velvet with heavy gold embroidery, like the wall covering of the room and the anterooms. (...) There was no rail around the King’s bed, but on the dais there were many silver vases filled with tuberoses. 47

At the time Chantelou is describing this room, as he mentions above, there was no balustrade surrounding the bed. Apparently it was placed there at a later time, since one is indicated on the plans of 1692. 48 Perhaps the lack of a balustrade here serves to underscore the private nature of this Chambre d’Alcôve, in contrast to the larger public bedchamber which did contain the balustrade.

The daily morning ritual of Louis XIV’s youth at the Louvre preserved the tradition in the use of the two bedrooms constructed by Henri IV. This is ritually and visibly consonant with Ernst Kantorowicz’s theory of the “King’s Two Bodies,” a formulation that opened a new perspective on the corporative image of a medieval monarch. In short, Kantorowicz theorized that the king possessed two bodies: a “natural body” (private, or real), belonging to one man — François, Henri, Louis — the man who lived and died, bound by space and time; and a “mystical body” (symbolic, or imaginary), which was a kind of eternal spouse of a series of natural bodies, existing beyond time and space. In effect, this mystical body was the continuity, majesty and power of the State, the “king who never died” in France. In the first decades of his reign, Louis XIV ritually and spatially enacted this tradition as he arose each morning using the two bedchambers of the King’s Apartments. In the first bedchamber, the king performed the first part of his lever in relative solitude and privacy, surrounded by a few familiar servants and away from the pressing crowd for study and attention to physical needs. The second bedroom brought him from the private to the public: from bodily privacy to presence and communication with the court at large; and second, from the bedchamber of Louis’ actual physical slumber to another meant for the display of the king to his court.

Louis XIV’s assumption of personal rule in 1661 did not at first change this tradition. The lever du roi between 1663 and 1682 underwent significant elaboration from a number of points of view, but showed an underlying continuity with this earlier tradition as evidenced in the initial enlargement of Versailles. A modern reconstruction of the 1668 project for the King’s Apartments shows a public bedchamber (Grande Chambre, or Chambre de Parade) as well as a private bedchamber (Petite Chambre),49 following the traditional two-bedchamber arrangement of the lever.50 Yet the ritual during this time did start to change. First, an annual publication called L’État de la France clearly named the personnel surrounding the awakened king and who later dressed him. Each article of the king’s clothing was also clearly named, and each piece of clothing was received from specifically indicated members of the two major services involved in dressing the King — the Bedchamber (Chambre) and the Wardrobe (Garderobe). For example, the First Valet of the Wardrobe (Premier Valet de Garderobe) gave the king his understockings; one of the Valets of the Bedchamber (valets de chambre) gave him his underdrawers, etc. 51 The king even created a new officer in 1669, the Grand Master of the Wardrobe (Grand Maître de la Garderobe) to ensure that his service “might be done with all the care, propriety and greatness appropriate to the dignity of our person.” 52 Second, access to the king is also more clearly delineated — lists are given of those household officers permitted entrance to the king’s bedchamber. 53 As the numbers in attendance on the king grew to include members of his family, the usher of the king’s bedchamber (huissier de chambre) took on a new importance as the arbiter of entry, to discern both the relative quality of persons who presented themselves for the ceremony and also to maintain order and decorum. 54 In sum, the lever du roi of the 1660’s and 1670’s changed in the following ways: clear procedures were established and roles of all involved were clearly delineated, that Louis XIV be served with ever-increasing efficiency; in the process, all the necessary personnel were brought closer to hand, their entry and station during the lever clearly indicated. 55 As the number of people surrounding the king and seeking to gain access to him increased, so did the necessity of establishing and maintaining order.

The lever du roi at Versailles after the king’s installation there in 1682 maintained the tradition of two bedchambers, but only for two years. In 1684, Louis XIV abandoned the Grand Appartement du Roi56 where he had lived and slept and installed himself in rooms around the heart of the château, the Cour de Marbre.57 From 1684 to 1701, the king slept and rose in one bedchamber, yet was dressed in the larger adjoining room, the geographical heart of the chateau, called the “King’s Salon ” or “the Salon where the King dresses” (Salon du Roi, or Salon où le Roi s’habille). Significantly, this salon was not a bedchamber. The distinction between the two bedchambers for the king (Chambre de Parade and Chambre à coucher) found in the Louvre and in the earlier constructions at Versailles thus disappeared after 1684. The one official Bedchamber of the State Apartments, the Salon de Mercure, took its place as only one of a series of reception rooms where the king mixed with his court. In November 1684, the first ceremonies took place in the new Chambre du Roi.58 After 1684, even though he did not yet sleep there, the king performed the major rising ceremonies in the center of the château. The final movement of the king’s bedchamber in 1701 to the site of the King’s Salon (Salon du Roi), and thus to the very heart of the château, brought this development to its logical conclusion.

The ceremony after the move to one bedroom took on the fixed, “classic” form observed by the Duc de Saint-Simon, who arrived at court in the 1690s. All the conditions were right for this to happen: the king resided in a fixed place for a large part of the year: 59 the Court was large, anchored at Versailles, and included the king’s growing immediate family (Sons and Grandsons of France) as well as the collateral branches (Condé, Conti); all the king’s servants from the Great Officers of the Crown60 down to the gentilshommes and valets of the Chambre and Garderobe, were concentrated in one place. Not surprisingly, sources show minute regulation began once this “critical mass” had been gathered together in a fixed setting. A conservative estimate of the number of people allowed in the king’s bedchamber while he was still in bed (based on published lists of participants in the 1687 text of the lever), was upwards of forty, not counting the unnamed officers necessary for the service. 61 Perhaps this partly explains why the decision was taken in 1701 to move the entire Bedchamber down one room to the heart of the château: the king’s salon (Salon où le Roi s’habille) was a larger and better lit room (having three windows opening onto the Cour de Marbre). The 1684 Bedchamber was then combined with its former antechamber to form an enlarged room, soon known from its décor as the “Bull’s Eye Antechamber” (Salon de l'Oeuil de Boeuf).62 Thus, the tradition of the two bedchambers, each seen to house the slumber of one of the “two bodies” of the earlier, traditional understanding of French royalty, finally gives way at Versailles under the Sun King. The two bedchambers become one by 1684, and finally in 1701 the entire lever du roi is performed in the one Chambre du Roi, Louis XIV’s bedroom as it exists today. The king completed the symbolism inherent in the design of Versailles from the first, performing both private and public functions in the same room — he rose, dressed, received ambassadors, ate and retired in that room facing east and the sunrise. Louis XIV’s “one body” was like clockwork, and all time in his presence was ceremonialized time.

The chronological development of Louis XIV’s lever du roi supports the conclusions suggested by earlier historians of royal ritual in France. Ralph Giesey, a student of Ernst Kantorowicz, stated that at Versailles, Louis XIV

… literally abandoned his private self in favor of an actual incarnation of sovereign power. Seen in a different way, this process ended in a personalization of this incarnation, formerly a fictional entity (or mystical, ideal and unvarying), to which successive kings had to fit themselves. 63

Stanford professor Jean-Marie Apostolidès wrote that under Louis XIV, the development of court ceremonial witnessed to the “fusion” of the “King's Two Bodies.”

The private body is seen to be taken over by the imaginary body; the two form but one glorious body. This glorious body, which functions like a clock, brings about at the court a ceremonial mechanized in the extreme. 64

The ritual development and the fusion of the two bedchambers at Sun King’s lever du roi at Versailles provides visible evidence for the creation of a closed system within which “the King wore neither attributes nor clothing considered exclusively royal, but only the magic of his royal attitude and the force of his personality, operating according to a severely codified comportment.” 65 Willy-nilly, the two kings born into this system had to play the essential, starring role. The fact that Louis XV played it grudgingly and Louis XVI ineptly (and, one might add, Marie-Antoinette disastrously) would be fraught with consequences for the monarchy. Entering its final century, it no longer depended on the varied public rituals of its long tradition and history. After Louis XIV, the monarchy was centered on the attributes of the physical body of the king, now publicly and ritually joined to the unique, transcendent and immortal “mystical body” of the kings of France, forming but one glorified body: 66 new, permanently visible, ever on display.

College of Mount Saint Vincent

NOTES

1Norbert Elias, The Court Society, (New York, NY: Pantheon Books, 1983), 130.
2Ibid., 90.
3Ibid., 3.
4Roger Mettam, “Richelieu, Mazarin and Louis XIV,” History Today, 33 (August 1983), 42.
5Which Louis XIV readily admitted in his Instructions for the Dauphin.
6Elias (1983) 129.
7Ibid., 120.
8Ibid., 120.
9Ibid., 130.
10Ibid., 130.
11Ibid., 127.
12Ibid., 85.
13Ibid., 85.
14Ibid., 85.
15Ibid., 85.
16Ibid., 89.
17Ibid., 122.
18Ibid., 89.
19See especially Ralph Giesey, “The King Imagined,” The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture: The Political Culture of the Old Regime, ed. Keith M. Baker (Pergamon Press, 1987).
20Ibid., 56.
21Ibid., 45.
22 Peter Burke, The Fabrication of Louis XIV (New Haven: Yale University Press, 1992), 90.
23After the rebuilding of Fontainebleau in 1533, the King’s Apartments consisted of a salle, or room in which the King dined; a chambre in which he lived and slept; a cabinet into which he could withdraw from the public eye. (See H. M. Baillie, “Etiquette and the Planning of State Apartments in Baroque Palaces,” Archeologia, 101 [1967], 180–182).
24Baillie, “Etiquette and the Planning of State Apartments,” 180.
25 “Philippe le Bel, the most powerful king in Europe, is described as walking round Paris and talking to any one who wished to approach him. ‘Familiarity has never harmed a King of France’, was one of the dicta of Chancellor de l'Hôpital...” (Baillie, “Etiquette and the Planning of State Apartments,” 182).
26 “Il y a des nations où la majesté des rois consiste, pour une grande partie, à ne se point laisser voir, et celà peut avoir ses raisons parmi des esprits accoutumés à la servitude, qu'on ne gouverne que par la crainte et la terreur; mais ce n'est pas la genie de nos Français, et, d'aussi loin que nos histoires nous en peuvent instruire, s’il y a quelque caractère singulier dans cette monarchie, c'est l'accès libre et facile des sujets au prince.” Quoted in Yves Bottineau, “Aspects de la Cour d’Espagne au XVII siècle: l’étiquette de la chambre du roi,” Bulletin Hispanique, 74 (1972), 152 [translation mine].
27The material in this section is drawn from an article by David Potter and P. R. Roberts, “An Englishman’s View of the Court of Henri III, 1584–1585: Richard Cook’s ‘Description of the Court of France’,” French History, II, 3 (1988), 332–340. According to its editors, Cook’s account, “The description of the Courte of Fraunce,” must have been drafted some time between November 1583 and September 1584.
28 “When the Kinge is readie to rise which is ordynarilie between sixe and seaven he calleth unto one that lyeth nere unto him to give him his night gowne & a payre of little buskyns lined with verie soft & fyne leather, & when he retireth himselfe into another chamber where divers valets doe attende to make him readye, & beinge there sette downe before the fyer, one of these valets of his chamber bringeth him his dublet, another gartereth his hoase, the thirde whilest he is thus makinge himself readye kennethe [sic] & trymmeth his heade & the fourthe plucketh on his shoes.” (Potter and Roberts, “An Englishman’s View of the Court of Henri III, 1584–1585…,” 339).
29 “When the secretaries have done the usher is commanded to open the dore of the presence, & whilest the nobilitie doe enter…” (Potter and Roberts, “An Englishman’s View of the Court of Henri III, 1584–1585…,” 339).
30Mémoires de Marie du Bois, Sieur de Lestourmière et du Poirier, Ed. Louis de Grandmaison, Bulletin de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire du Vendômois, Nouvelle Série, Tome I, 1933, 317.
31Louis de Hautecoeur, Le Louvre et les Tuileries de Louis XIV, (Paris, 1927), p. 51. Plans at the Archives Nationales (AN O1 16671, plan 4) indicate this as well.
32And smaller: 5 meters wide, 6 meters high – about 16’ by 21’.
33And larger: 10 meters wide, 6 meters high — about 34’ by 21’.
34Louis de Hautecoeur, Le Louvre et les Tuileries, 51. See also Robert Berger, Versailles: The Château of Louis XIV (Pennsylvania State University Press, 1985), 47.
35 “…Chambre de l’Alcôve, où il couchoit.” (Du Bois, Quartier de Valet de Chambre, avril-juin 1655, 317).
36 “Sy tost qu’il s’éveilloit, il récitoit l’office du St.-Esprit et son chapelet…” (Du Bois, Quartier de Valet de Chambre, avril-juin 1655, 317).
37 “…cela faict, son précepteur entroit et le faisoit studier, c’est-à-dire, dans la Ste-Escriture ou dans l’Istoire de Frances.” (Du Bois, Quartier de Valet de Chambre, avril-juin 1655, 317).
38 “…cela faict, il sortoit du lit…” (Du Bois, Quartier de Valet de Chambre, avril-juin 1655, 317).
39 “…alors nous entrions, les deux de jour seullement et l’huissier d’ordinaire…” (Du Bois, Quartier de Valet de Chambre, avril-juin 1655, 317).
40 “…sortant du lit, il se mettoit sur sa chère percée, dans sa mesme chambre de l’alcôve, où il couchoit; il y demeuroit une demie heure plus ou moings.” (Du Bois, Quartier de Valet de Chambre, avril-juin 1655, 317). Primi Visconti relates in the 1670’s that Louis XIV, fort honnête, put himself in this position at the coucher du roi only out of tradition.
41 “…Après, il entroit dans sa grande chambre, où d’ordinaire il y avoit des princes et grands seigneurs, quy l’attendoient pour ester à son lever.” (Du Bois, Quartier de Valet de Chambre, avril-juin 1655, 317).
42 “Il estoit en robe de chambre et alloit droit à eux, leur parloit sy familièrement, les ungs après les autres, qu’il les ravissoit.” (Du Bois, Quartier de Valet de Chambre, avril-juin 1655, 317).
43 “Après, il se mettoit dans sa chère et se lavoit les mains, la bouche et le visage. Après s’estre essuié, il destachoit son bonnet, quy estoit lié autour de sa teste, à cause de ses cheveux, qui estoit dessoubs. Il prioit Dieu dans sa ruelle de lit, avecque ses aumosniers, tout le monde à genoux et neul sy osé d’estre debout, ny de causer, ny de faire aucung bruit; l’huissier de la Chambre les eût mis dehors.” (Du Bois, Quartier de Valet de Chambre, avril-juin 1655, 317).
44Since it is not specified who combed the King, presented him with his clothing or helped him with it, it can be assumed that the officers of the King’s Wardrobe (the Garderobe) remained with him for that purpose.
45 “A côté de la même chambre, M. Errard fit encore peindre, orner et dorer un petit oratoire pour le Roy, et M. Coypel, sur les simples pensées de M. Errard, peignit deux petits tableaux après en avoir fait lui-même toutes les études.” (Vie de Lesueur, I, 7. Quoted in Hautecoeur, Le Louvre et les Tuileries, 56).
46 “On n’a pas encore remédié à la chambre du Roy, où en plein midi même on n’entre qu’à tâtons. Obscurité d’autant plus fâcheuse qu'elle défigure la plus belle chambre qui soit au monde et du plus grand Roi de la terre.” (Quoted in Hautecoeur, Le Louvre et les Tuileries, 56).
47Paul Fréart de Chantelou, Diary of the Cavaliere Bernini’s Visit to France, Trans. Margery Corbett, Princeton, 1985, p. 41. Chantelou, one of the maîtres d’hôtel of Louis XIV from 1647 on, acted as Bernini’s guide on this occasion. Part of the French version, quoted by Hautecoeur: “de velours amarante en broderie d'or fort relevée, comme était la tapisserie de la chambre et des antichambres.” Hautecoeur goes on to say that “the King liked strong scents; it was not only in the parterres of Versailles or of the Louvre that he wished to breathe heavy and pungent perfumes.” (Hautecoeur, Le Louvre et les Tuileries, 56–7.)
48Hautecoeur, Le Louvre et Les Tuileries, 57.
49Jean-Claude Le Guillou, “Le Grand et Le Petit Appartment de Louis XIV au Château de Versailles, 1668–1684: Escalier, Étage, Attique et Mansardes — Évolution Chronologique,” Gazette des Beaux Arts, CVIII, 1411 (1986), 7–8.
50The developments of the next decades are documented almost exclusively in this work, published by the same editor, N. Besongne, in 1663, 1665, 1669, 1672, 1674, 1676, 1677, 1678, 1680, 1682, 1683, 1684, 1686, 1687, 1689 and 1694. From its sketchy, early editions in the 1640’s, it became, by the 1680’s, a multi-volume work, containing chapters on the structure of government and society as well as the ceremonial of the King’s lever and coucher. Edited by a cleric of the King’s ecclesiastical household, and thus by a long-term eyewitness of these ceremonies, L’État de la France is essential for establishing the chronology of the Sun King’s daily ritual.
51L’État de la France, 1663, p. 74.
52AN O¹13 fº 348r, Minutes et Transcriptions authentiques… éxpédiés par le Secrétaire de la Maison du Roi (…), 1669.
53These were extended to those holding office who were not en quartier (on their tour of duty) and who wished to be present. In addition, those who had formerly held an office giving entry could apply to keep their entreés once out of office. (There are brevets giving such permission preserved in the Archives of the Secretary of the Maison du Roi — AN O¹13).
54 “…ils demandent, à plusieurs fois, pour les personnes de condition qu’y s’y presentment, jusqu’à ce que le Roy ait prit sa chemise: Ensuite l’Huissier laisse entrer toute la Noblesse à son choix: & selon le discernement qu’il fait des persones plus ou moins qualifiées…” (L’État de la France, 1672, p. 82).
55The King’s doctors, surgeons and barbiers were not specified and required as of the 1677 texts. Even the King’s tailors were required to be in the wardrobe while the King dressed, should there be need for alteration or repair of his clothing. (“en cas qu’il y eût quelque chose à coudre ou racômoder aux habits.” (L’État de la France, 1676, 107–108).
56Which then became what it called today, the Grands Appartements or State Apartments.
57Reasons for this are not clear. Perhaps the death of Queen Marie-Thérèse on July 30, 1683, rendered the private connection (and the symmetry) between the King’s bedroom and her bedroom unnecessary. Perhaps, too, the death of Colbert and the beginning of the Surintendance des Bâtiments of Louvois played a part.
58Pierre de Nolhac, Versailles et la Cour de France: Versailles, Résidence de Louis XIV (Paris, 1925), 106.
59The King’s movement from place to place would be within a relatively small radius within the Île de France: Trianon, Marly, Fontainebleau.
60For example, in 1671, the King offered land in the immediate vicinity of Versailles to whoever would build on it. Many members of his household were among the first to establish a permanent foothold near the King during the first year the offer was made (1670–71): the Maréchal de Bellefonds, Premier Maître d’Hôtel, three of the Premiers Gentilshommes de la Chambre (the Duc de Créquy, the Comte du Lude, and the Duc de Saint-Aignan); future Premiers Gentilshommes de la Chambre such as the Duc d’Aumont (who would serve in 1674), and the Duc de Gesvres (1675). Thus, even by the 1670’s, members of his household had a permanent base of operation at Versailles. (See L’État de la France, 1674, 71); J.-F. Solnon, La Cour de France, 270).
61 For a full listing, see L’État de la France, I, 1687, 194–197. The description of the whole lever du roi in the 1687 edition fills some fifty-nine pages.
62So called after the large, “bulls-eye” shaped window inserted into the frieze of the room.
63 “Il a littéralement abandonné son moi privé au profit d'une véritable incarnation du pouvoir souverain. Vu autrement, ce processus aboutit à une personnalisation de cette incarnation, jadis entité fictive, ou mystique, idéale et invariante, à laquelle les rois successifs avaient à s’ajuster.” (Ralph E. Giesey, Cérémonial et puissance souveraine: XVe — XVIIe siècle. Cahiers des Annales, [Paris: Armand Colin, 1987], 85).
64 “Chacun de ses gestes est décomposé et donne naissance à des rites, à des hiérarchies. Chacune de ses fonctions biologiques, de la manducation à la défécation, est l’objet d’un nouveau rituel symbolique. Le corps privé se voit annexé par le corps imaginaire; les deux ne forment plus qu'un seul corps glorieux. (...) Ce corps glorieux, qui fonctionne comme une horloge, entraîne un cérémonial mécanisé à l'extrême à la cour.” (Jean-Marie Apostolidès, Le roi-machine: Spectacle et politique au temps de Louis XIV [Paris: Éditions de Minuit, 1981] 156).
65 “Le roi ne portait ni attributs ni vêtements proprement royaux mais la seul magie de son attitude royale, et la force de sa personnalité, opérant selon un comportement sévèrement codifié.”(Giesey, Cérémonial et puissance, 72).
66Apostolidès, Le Roi-Machine, 156. Ralph Giesey suggests that absolutism constitutes the historical heritage of the “mystical body of the King” in France. See Ralph Giesey, Cérémonial et puissance, 85–86.
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L’amitié et l’amour dans Eléonor d’Yvrée de Catherine Bernard

Article Citation
Cahiers du dix-septième: An Interdisciplinary Journal XII, 1 (2008) 87–97
Author
Jolene Vos-Camy
Article Text






En 1687, à l’âge de 24 ans, Catherine Bernard publie Eléonor d’Yvrée, première nouvelle d’une série intitulée Les Malheurs de l’amour. Dans cette nouvelle, elle présente une conception fataliste de l’amour qui suit la tradition littéraire des nouvelles galantes et historiques de la période, dans la lignée de La Princesse de Clèves. Alors que l’intrigue principale illustre les résultats catastrophiques de l’amour entre deux jeunes personnes, une intrigue secondaire examine l’amitié entre deux jeunes femmes. Si la première intrigue finit mal, la deuxième intrigue est plus optimiste malgré les épreuves difficiles vécues par les deux femmes. Le pessimisme général de la nouvelle, tempéré par une lueur d’espoir, est ancré dans la foi catholique de Bernard. Dans Eléonor d’Yvrée, Bernard développe plusieurs idées sur l’amitié que l’on trouve dans l’Introduction à la vie dévote de Saint François de Sales. Premièrement, la base de l’amitié est la communication entre les personnes. Deuxièmement, à cause de cette communication, l’amitié peut poser de graves dangers. Et troisièmement, l’amitié reste un soutien important entre personnes vertueuses. C’est ainsi que le thème de l’amitié participe au pessimisme caractéristique de l’oeuvre de Bernard tout en étant une des seules sources d’espoir.

Catherine Bernard est née en 1663 dans une famille protestante de Rouen. Adolescente, elle est partie vivre à Paris, et en octobre 1685, Le Mercure Galant a annoncé sa conversion au catholicisme. Même si cette conversion tombait à point nommé et lui évitait d’être persécutée lors de la révocation de l’Edit de Nantes, Le Mercure Galant soulignait la sincérité des actions de Bernard : « Comme elle a infiniment de l’esprit, il est aisé de juger qu’elle n’a renoncé aux erreurs où sa naissance l’avoit engagée, qu’après une sérieuse et longue recherche de la vérité » (Le Mercure Galant 275). Peu de renseignements subsistent sur la vie de Bernard mais tout semble indiquer l’authenticité de sa nouvelle foi. On sait par exemple que Bernard s’est associée à des dames dévotes de la capitale et en 1691 elle était en relation avec des personnages importants de la cour et était une protégée de Madame de Pontchartrain et Madame de Maintenon, connues pour leur dévotion1 . Bernard a continué d’être fidèle à la foi catholique jusqu’à sa mort, comme le démontre le père Claude Buffier en 1723, lorsqu’il écrit que Bernard n’avait pas voulu qu’on « imprimât quelques Poësies qu’elle avoit faites autrefois [...] parce qu’il s’y étoit glissé des expressions qui ne convenoient pas assez à l’exactitude et au sérieux que prescrit la religion qu’elle avoit embrassée » (cité dans Piva, « Le Commerce Galant: Essai de définition » 19). De sa conversion à l’âge de vingt-deux ans jusqu’à sa mort vingt-sept ans plus tard en 1712, Bernard était donc réputée pour sa dévotion à la religion catholique.

Même si Bernard ne fait pas de référence à sa foi de manière explicite dans la nouvelle, l’influence catholique y reste primordiale2 . Pour donner une structure à la pensée catholique présente dans la nouvelle, je prends comme repère l’œuvre de Saint François de Sales, l’Introduction à la vie dévote3 . Cet ouvrage a eu une forte influence parmi les catholiques dévots du dix-septième siècle et Bernard l’a probablement lu. Comme l’a remarqué Patrick Henry:

the great originality of this work lies in the fact that, even if not the first devotional manual for laypeople, it was the first effective and successful one. Its author, perhaps above all interested in the direction of souls, firmly believed that laypeople could become conscious of their religious grandeur and lead holy lives in society (Henry 156).

Dans la nouvelle de Bernard il n’est jamais question pour les personnages principaux d’entrer dans les ordres mais l’idée de la vertu reste tout de même centrale, surtout pour Eléonor, le personnage éponyme. Sa volonté de suivre son devoir, d’obéir à son père même s’il faut renoncer à son amour, rappelle les conseils donnés par Saint François de Sales4 . Examinons certaines des idées sur l’amitié exprimées dans l’Introduction à la vie dévote et que Bernard utilise dans sa nouvelle.

Saint François de Sales distingue l’amour de l’amitié ainsi5 :

Tout amour n'est pas amitié; car, 1. on peut aimer sans être aimé, et lors il y a de l'amour, mais non pas de l'amitié, d'autant que l'amitié est un amour mutuel, et s'il n'est pas mutuel ce n'est pas amitié. 2. Et ne suffit pas qu'il soit mutuel, mais il faut que les parties qui s'entr'aiment sachent leur réciproque affection, car si elles l'ignorent elles auront de l'amour, mais non pas de l'amitié. 3. Il faut avec cela qu'il y ait entre elles quelque sorte de communication qui soit le fondement de l'amitié (Sales 178).

C’est donc la réciprocité et la communication des sentiments amoureux qui constituent la base de l’amitié. Bernard, en présentant les deux jeunes femmes de la nouvelle, souligne la nature vertueuse de leur amitié formée dans l’enfance à un moment où elles habitaient ensemble et étaient comme des soeurs :

Mathilde, qui était la fille de cette comtesse, était de l’âge d’Eléonor. Elles étaient toutes deux parfaitement aimables et elles s’attachèrent l’une à l’autre de cette amitié de l’enfance qui, ayant plus d’innocence et plus de sincérité que les autres amitiés, a aussi plus de durée (Bernard 183).

Eléonor, accueillie dans la famille de Mathilde, se lie donc d’une amitié étroite avec Mathilde. C’est un amour sororal, qu’elles savent réciproque, et elles sont en constante communication l’une avec l’autre. Si Bernard parle de la durée de cette amitié, cependant, c’est pour préparer le lecteur à la rude épreuve à laquelle cette amitié devra faire face dans la nouvelle. Au milieu de la nouvelle il y a un temps de séparation où toute communication est coupée entre les deux jeunes femmes et c’est alors que leur amitié s’affaiblit. Pourtant, la plus grande épreuve qui met leur amitié en péril, la trahison d’Eléonor par Mathilde avec le duc de Misnie, a ses origines dans un autre aspect de l’amitié.

Dans son guide spirituel, Saint François de Sales fait remarquer à plusieurs reprises que si l’amitié est basée sur la communication entre deux personnes, c’est aussi ce qui la rend la plus dangereuse de tous les types d’amour. Ce danger vient de ce que la communication entre les personnes encourage l’influence d’une personne sur une autre et la participation aux vertus et aux vices de l’ami6 . Or, dans la nouvelle, Eléonor se lie aussi d’amitié et d’amour avec le jeune duc de Misnie. Le duc de Misnie et Eléonor se sont déclaré leur tendresse mais ce bonheur est de courte durée puisqu’un obstacle survient dans la forme des projets de mariage de leurs parents qui ne tiennent pas compte des souhaits des deux jeunes personnes. Avant que cette crise provoquée par les parents n’arrive, Eléonor et le duc de Misnie associent Mathilde à leur amour. Cette situation où le couple amoureux partage leur bonheur avec une amie commune illustre la communication qui, selon Saint François de Sales, est essentielle à l’amitié. En même temps Bernard souligne le danger que les trois amis courent :

L’inclination qu’Eléonor sentait dans son coeur [pour le duc] ne diminuait point la tendresse qu’elle avait pour Mathilde. Au contraire, cette amie lui devint en quelque façon nécessaire. Elle lui parlait de son amant quand elle ne le voyait pas, et son amitié n’en devint que plus ardente, parce qu’elle était utile à son amour (Bernard 184).

Bernard souligne la naïveté d’Eléonor qui met son amitié au profit de sa tendresse pour le duc. Le danger, néanmoins, est plus grand pour Mathilde qui demeure l’amie d’Eléonor et du duc et se trouve témoin de leur amour tout en étant exclue de leur expérience d’une réciprocité d’amour tendre :

Mathilde entrait aussi dans leurs entretiens, du consentement de l’un et de l’autre. Ces conversations étaient assez dangereuses pour une jeune personne. Elle vit la différence de leur état et du sien ; elle conçut le plaisir qu’il y avait d’être aimée ; enfin, elle commença à sentir son indifférence et à la trouver triste et désagréable. Il lui semblait qu’elle n’aurait pas voulu ôter le duc de Misnie à Eléonor, mais elle souhaitait de trouver un amant comme lui, et elle sentait que, s’il ne lui avait pas précisément ressemblé, il ne lui aurait pas plu (Bernard 184).

Alors que les deux autres restent longtemps naïfs et aveuglés par leur amour, Mathilde arrive à comprendre le danger de son inclination secrète pour le duc : « Ce sentiment ne lui donna d’abord qu’une mélancolie qui ne laissait pas d’avoir sa douceur mais, lorsqu’elle vint à en connaître la nature, elle en eut une douleur très vive » (Bernard 184). Mathilde devient victime de l’amitié puisque c’est par la communication et la réciprocité de l’amour d’Eléonor et la participation dans ses sentiments pour le duc que Mathilde a formé un amour coupable pour l’amant de son amie.

Bernard illustre cette même idée du danger de l’amitié d’une autre façon un peu plus tard dans la nouvelle. Comme le père d’Eléonor a l’intention de la marier à un vieil ami à lui, le comte de Rethelois, il envoie son fils chercher Eléonor chez sa protectrice. A cause du passé politique du père, le départ d’Eléonor et son destin sont tenus secrets et les apparences font croire au duc de Misnie qu’il a été trompé par celle-ci. Mathilde, qui n’est pas plus éclairée que lui sur la situation, finit par croire aussi au changement soudain du caractère de son amie. C’est à ce moment que Mathilde et le duc de Misnie se rapprochent. Bernard illustre alors le glissement trop facile de l’amitié à la passion amoureuse qui peut arriver entre deux amis de sexe différents :

Mathilde avait des manières tendres et flatteuses. Eléonor et le duc l’avaient comme associée à leur passion, et il n’avait qu’un pas à faire pour l’aimer. D’abord il la cherchait pour se plaindre, ensuite il la chercha pour se consoler. Elle avait beaucoup de complaisance et de douceur ; elle prenait part à ses maux, il en avait de la reconnaissance. Quoiqu’il parlât toujours d’Eléonor, il en parlait avec Mathilde et il se trouva, pour ainsi dire, dans une seconde passion sans être sorti de la première (Bernard 194).

Cette situation démontre le danger de l’amitié dont parle aussi Saint François de Sales :

L'amitié requiert une grande communication entre les amants, autrement elle ne peut ni naître ni subsister. C'est pourquoi il arrive souvent qu'avec la communication de l'amitié, plusieurs autres communications passent et se glissent insen¬siblement de cœur en cœur, par une mutuelle infusion et réciproque écoulement d'affections, d'inclinations et d'impressions (Sales 192).

Le résultat de cette communication constante entre Mathilde et le duc après le départ d’Eléonor est donc la formation de cette deuxième passion qui sera à l’origine de toute la tragédie de la nouvelle. Du côté de Mathilde, cette passion représente la réalisation d’un amour secret et coupable qui germait déjà dans son esprit même avant le départ de son amie Eléonor. Par contre, pour le duc de Misnie, cette passion se développe surtout grâce à l’absence d’Eléonor et à la bonne volonté de Mathilde de le consoler. Cette nouvelle passion n’efface pas la première passion—elle n’en est que l’ombre—et dépend d’elle pour son existence. La passion du duc de Misnie pour Mathilde ne peut remplacer celle pour Eléonor que dans l’absence de celle-ci et leurs retrouvailles éventuelles détruiront cette deuxième passion.

Au moment où les trois personnages se revoient, Eléonor découvre la trahison de son amie la plus proche et de son amant. Le duc pour sa part découvre l’innocence d’Eléonor et abandonne Mathilde sans arrière pensée pour essayer ensuite de convaincre Eléonor de renoncer à son devoir et de le suivre. Mathilde, finalement, se trouve coupable devant son amie et rejetée par celui qu’elle aime. Tant que Mathilde et le duc croyaient Eléonor coupable, Mathilde se sentait justifiée d’avoir pris sa place auprès du duc. Mais la découverte de l’innocence d’Eléonor la met dans une situation intenable. Non seulement est-elle abandonnée et même haïe par le duc mais elle ne réussit pas à avoir bonne conscience auprès de son amie. Elle ne se croit plus digne de participer à cette amitié vertueuse d’autrefois. Le coup est rude à la fois au niveau de son amitié et de sa passion, et elle en meurt avant la fin de la nouvelle.

L’amitié d’Eléonor et de Mathilde est donc fortement menacée par la passion que Mathilde a découverte par le moyen de cette même amitié. Du point de vue de Mathilde, il est maintenant inutile de lutter contre les événements et elle tombe gravement malade suite à son désespoir. Elle exprime clairement à Eléonor ce que sa mort apportera : « Vous allez être délivrée d’une amie importune ; vous allez être vengée d’une rivale ; vous allez avoir votre amant ; et quand je serai morte, vous ne songerez pas que j’aie été au monde » (Bernard 212). Pour Mathilde, cette amitié n’existe plus alors que pour Eléonor, elle constitue la motivation principale qui la pousse à suivre son devoir et à renoncer à son amour pour le duc :

Ces paroles pénétrèrent vivement Eléonor. Il se fit une révolution subite dans son esprit ; elle se sentit le courage d’exécuter ce qu’elle avait projeté ; enfin, l’amitié et la reconnaissance achevèrent dans ce moment de la déterminer sur une chose à quoi elle était longtemps résolue, mais qu’elle aurait peut-être toujours différée (Bernard 212).

Le souvenir de cette amitié reste tout de même un soutien moral pour Eléonor malgré la douleur extrême qui en a résulté. On retrouve l’idée de l’aspect vertueux de l’amitié dans l’Introduction à la vie dévote :

Quant à ceux qui sont entre les mondains et qui embrassent la vraie vertu, il leur est nécessaire de s'allier les uns aux autres par une sainte et sacrée amitié; car par le moyen d'icelle ils s'animent, ils s'aident, ils s'entreportent au bien. (...) ainsi ceux qui sont ès Religions n'ont pas besoin des amitiés particulières, mais ceux qui sont au monde en ont nécessité pour s'assurer et secourir les uns les autres, parmi tant de mauvais passages qu'il leur faut franchir (Sales 185).

Saint François de Sales souligne l’importance d’une sainte et sacrée amitié, c’est-à-dire, une amitié basée sur la vertu et qui aide les personnes à faire face aux épreuves de la vie. Ceux qui rentrent dans les ordres n’ont pas besoin de ces amitiés, mais les personnes comme Eléonor et Mathilde qui vivent dans le monde bénéficient du soutien qu’une amitié vertueuse peut leur apporter. Malheureusement, ce soutien n’est pas suffisant pour que Mathilde puisse surmonter cette épreuve alors qu’Eléonor y trouve tout le soutien qu’il lui faut pour garder sa vertu et suivre son devoir. Même si leur amitié n’est plus réciproque et donc ne suit plus le modèle de l’amitié idéale proposé par Saint François de Sales, elle suffit pour pousser Eléonor à renoncer à toute possibilité de bonheur avec le duc de Misnie et de suivre son devoir en mariage avec le vieux comte de Rethelois.

Dans la dernière phrase de la nouvelle, Bernard insiste sur le fait qu’Eléonor, devenue la comtesse de Rethelois, ne garde pas de rancune contre son amie : « La comtesse de Rethelois pleura autant son amie que si elle n’avait pas été sa rivale, et elle vécut avec le comte comme une personne dont la vertu était parfaite, quoiqu’elle fût toujours malheureuse par la passion qu’elle avait dans le coeur » (Bernard 217). Si Eléonor réussit à garder une vertu parfaite, c’est grâce au souvenir de cette amitié. L’intrigue principale, celle de la passion d’Eléonor, du duc et de Mathilde, termine mal et fait des ravages dans les trois coeurs, mais l’amitié d’Eléonor pour Mathilde réussit tout de même à surmonter ces épreuves.

Ainsi Bernard tempère le pessimisme qui domine la nouvelle avec une lueur d’espoir, celle de l’amitié féminine. Alors que la passion amoureuse est la source principale de malheur pour les trois jeunes personnes, l’amitié entre deux femmes reste pour le personnage éponyme un soutien de la vertu et assure donc la tranquillité de l’âme face à son devoir. Bernard illustre en effet le concept de l’amitié telle qu’elle est décrite par Saint François de Sales avec cette histoire d’une passion malheureuse liée à une amitié profonde entre deux femmes, l’histoire d’une rivalité destructrice et mais aussi d’une vertu sans faille appuyée sur cette même amitié.

Calvin College

NOTES

1Voir Franco Piva, «La carrière poétique de Mademoiselle Bernard,» Catherine Bernard, Oeuvres, vol. 2, Théâtre et Poésie (Fasano, Paris: Schena editore, Didier Erudition, 1999) 332–33.
2L’absence d’une évocation claire de sa foi dans ses œuvres narratives ne devrait pas surprendre. Comme Helen Kaps l’a remarqué pour le cas de La Princesse de Clèves, au dix-septième siècle on ne considérait pas le genre du roman comme assez digne pour le sujet de la foi « The absence of overt references to a Christian God or to Christian doctrine indicates not so much that Mme de La Fayette has dispensed with the sanctions of formal religion to bolster the moral principles in the Princesse de Clèves as they do her compliance with a code of propriety which excluded from fiction matters unsuitable by their extreme dignity as well as those unsuitable by their lack of it » Helen Karen Kaps, Moral perspective in La Princesse de Clèves (Eugene: University of Oregon Books, 1968) 25.
3Il serait intéressant d’étudier l’influence du roman Clélie (1654–1660) de Mlle de Scudéry sur la représentation de l’amitié dans la nouvelle de Catherine Bernard. Même si le concept d’ « Amitié Tendre » s’applique surtout à l’amitié entre hommes et femmes, alors que l’analyse de cet article vise plutôt l’amitié entre deux femmes, il existe des parallèles entre les deux notions d’amitié influencées toutes les deux par les œuvres de Saint François de Sales.
4Je propose une analyse plus détaillée de la vertu d’Eléonor dans le contexte catholique de Saint François de Sales dans mon article « L’amour et la foi catholique dans Les Malheurs de l’amour de Catherine Bernard » (Papers on French Seventeenth-Century Literature, XXXIV, 67 (2007) : 429–442).
5Il faut noter que Saint François de Sales définit l’amitié comme un type d’amour parmi plusieurs. Tout amour n’est pas amitié, mais toute amitié est considérée comme une sorte d’amour.
6« Or l'amitié est le plus dangereux amour de tous, parce que les autres amours peuvent être sans communication, mais l'amitié étant totalement fondée sur icelle, on ne peut presque l'avoir avec une personne sans participer à ses qualités » François de Sales, « Introduction à la Vie Dévote,» Oeuvres, Saint François de Sales, ed. André Ravier (Paris: Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1969) 178.

Ouvrages cités

Bernard, Catherine. Oeuvres, Romans et nouvelles. Ed. Franco Piva. Vol. 1. 2 vols. Paris: Nizet, 1993. Henry, Patrick. «La Princesse de Clèves and L'Introduction à la vie dévote.» An Inimitable Example, The Case for the Princesse de Clèves. Ed. Patrick Henry. Washington, D.C.: The Catholic University of America, 1992. 156–80. Kaps, Helen Karen. Moral perspective in La Princesse de Clèves. Eugene: University of Oregon Books, 1968. Piva, Franco. «La carrière poétique de Mademoiselle Bernard.» Catherine Bernard, Oeuvres. Vol. 2, Théâtre et Poésie. Fasano, Paris: Schena editore, Didier Erudition, 1999. 321–56. ———. «Le Commerce Galant: Essai de définition.» Le Commerce Galant de Catherine Bernard. Ed. Franco Piva. Fasano di Brindisi (Italia): Schena editore, 1996. 11–82. Sales, François de. «Introduction à la vie dévote.» Oeuvres, Saint François de Sales. 1619. Ed. André Ravier. Paris: Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1969.
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